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19 MAI 2005
La Journée mondiale de la lutte contre le sida du 1er décembre fut l'occasion de rappeler au monde l'ampleur de l'épidémie et sa féminisation.
L'Afrique subsaharienne est laminée par le virus avec ses 27 millions de personnes infectées. La République démocratique du Congo détient le triste record de 8 millions de personnes séropositives.
L'agression militaire subie par la République démocratique du Congo en 1996, suivie par l'occupation des forces armées étrangères a imposé et impose toujours à la population de son ensemble et aux femmes en particulier, des souffrances qui se situent aux antipodes du respect le plus élémentaire de la personne humaine: les femmes, les jeunes filles mais aussi les jeunes garçons sont humiliés, souvent torturés et font l'objet de violences sexuelles par des soldats très souvent infectés du virus du sida.
La Mission des Nations unies au Congo (MONUC) relate dans un article (1) la marche des milliers de femmes habillées en noir dans la ville de Bukavu. Au terme de cette démonstration de masse, ces femmes ont clairement désigné par leurs noms les principaux seigneurs de guerre en décrivant leur situation en ces termes: « Ils ont utilisé trois armes: le fusil, la corruption et le viol, cette dernière étant la plus redoutable car, par elle, ils ont propagé le sida avec l'objectif d'exterminer le peuple congolais en passant par les femmes qu'ils violent. ».
Depuis lors, pour ne plus être reconnus par leurs victimes, les bourreaux s'emploient à crever les yeux dès après le viol.
La situation de celles qui trouvent refuge dans un camp n'est guère sécurisante. Là, les femmes et les très jeunes filles deviennent des esclaves sexuelles des soldats et sont utilisées comme boucliers humains pour assurer la fuite des belligérants.
La MONUC rapporte comment certaines femmes sont contraintes à choisir entre leur vie sauve et celle de leurs propres enfants. Le rapport fait également état du fait que certaines femmes sont obligées par les soldats de jeter leurs enfants dans la rivière.
Étant donné que les régions où la guerre se déroule sont les greniers du pays et que la femme y a toujours joué un rôle majeur dans le développement économique, l'ennemi déploie, en s'attaquant aux femmes, une stratégie d'étranglement économique de la région.
Amnesty International a publié en octobre 2004 un rapport accablant sur les violences sexuelles en République démocratique du Congo et souligné l'urgence de réponses adéquates (2) . Selon le rapport, la violence sexuelle s'est répandue avec la situation de guerre que traverse l'est du pays depuis 1996. Durant cette période, ce type de violence, perpétré par les combattants sur les populations, a été utilisée dans certains cas comme une arme de guerre et est restée souvent impunie. On estime à près de 40 000 les cas de viols des civils en République démocratique du Congo. Ce chiffre est très certainement sous-estimé, eu égard au tabou qui règne autour de ce problème, mais aussi à la difficulté de recenser matériellement tous les cas avérés de victimes de violences sexuelles. Très souvent les victimes, par crainte de représailles, refusent d'identifier de manière précise le groupe armé d'où proviennent leurs agresseurs.
Les victimes se retrouvent dans toutes les franges de la population. Si la majorité de celles-ci sont des femmes de moins de 30 ans, des cas de violences sexuelles sur des fillettes de moins de 5 ans ou sur des femmes très âgées ont été relevés, ainsi que sur des hommes et des jeunes garçons.
Les conséquences directes de ces violences sexuelles sont catastrophiques: décès, blessures physiques graves, troubles psychologiques, maladies, grossesses non désirées, naissances rapprochées, etc.
À lui seul, le virus du sida toucherait dans l'est du Congo quelques 20 à 30 % de la population. Lié à l'ostracisme que subissent les femmes violées, la maladie a un énorme pouvoir de marginalisation de la victime: paupérisation, exclusions sociales, exclusions professionnelles, etc. Ainsi, par exemple, ses effets sont catastrophiques pour l'éducation des jeunes filles qui sont majoritaires parmi les enfants non scolarisés.
Pour les victimes, l'espérance que la justice leur soit rendue demeure une utopie. Dans les faits, aucun auteur de violences sexuelles n'a été traduit en justice, ce qui renforce le sentiment d'impunité. Une autre difficulté pour porter un cas devant un tribunal est le coût de l'assignation et de la procédure en justice.
Face à ce désastre humain, les organisations non gouvernementales développent sur le terrain toute une série d'actions d'assistance aux victimes. Face aux ravages que causent la généralisation et la banalisation des violences sexuelles en République démocratique du Congo, la communauté internationale se doit de réagir avec fermeté et rapidité.
Par cette décision, le Sénat se joint aux condamnations internationales et confirme sa volonté de soutenir les femmes et les jeunes touchés par les violences sexuelles, et tout particulièrement quand celles-ci sont utilisées comme arme de guerre.
Amina DERBAKI SBAÏ Christian BROTCORNE Marie-Hélène CROMBÉ-BERTON Marcel CHERON Jacinta DE ROECK Sabine de BETHUNE. |
Le Sénat,
A. Vu la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948;
B. Vu l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève (3) , qui s'applique aux conflits armés internationaux ou non internationaux et qui prohibe les atteintes portées à la vie et à l'intégrité corporelle, et le Protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), auquel la République démocratique du Congo (RDC) a adhéré le 12 décembre 2002 et qui prohibe dans ses points « e » et « f »: les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à la pudeur ainsi que l'esclavage et la traite des esclaves sous toutes leurs formes;
C. Vu la Convention sur l'élimination de toutes formes de discriminations à l'égard des femmes du 18 décembre 1979;
D. Vu la Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes du 20 décembre 1993;
E. Compte tenu du Statut de la Cour pénale internationale, ratifié par la RDC et dont les article 7-1-g et 7-1-h classent notamment les infractions suivantes dans la liste des crimes contre l'humanité: le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, la stérilisation forcée, tout autre forme de violence sexuelle de gravité similaire et la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs liés au genre, lorsqu'elle est en corrélation avec un crime relevant de la compétence de la Cour;
F. Compte tenu de la position du gouvernement belge de faire de la lutte contre le sida une de ses priorités absolues de sa coopération au développement;
G. Compte tenu de l'article 3, point B, 7º, de la loi du 10 février 1999 relative à la répression des violations graves de droit international humanitaire, qui prévoit que constitue un crime de droit international et est réprimé conformément aux dispositions de cette loi, le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée et toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable;
Demande au gouvernement:
1. d'alimenter la réflexion sur la violence sexuelle, en veillant à y associer la société civile congolaise;
2. d'apporter son appui à des projets, en particulier ceux initiés par la société civile, destinés à fournir une aide appropriée aux victimes des violences sexuelles;
3. d'encourager le gouvernement de la République démocratique du Congo, dans le cadre des relations bilatérales, à lutter contre cette forme de violence, notamment en mettant fin à l'impunité des violences sexuelles, conformément à la législation nationale et internationale.
12 avril 2005.
Amina DERBAKI SBAÏ Christian BROTCORNE Marie-Hélène CROMBÉ-BERTON Marcel CHERON Jacinta DE ROECK Sabine de BETHUNE. |
(1) Eliane Nabaa, Les femmes de Bukavu partent en guerre contre les violences sexuelles, 7 juillet 2004. Disponible sur: http://www.monuc.org/Story.aspx ?storyID=252
(2) Amnesty International, République démocratique du Congo. Violences sexuelles: un urgent besoin de réponses adéquates, octobre 2004.
(3) Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne du 12 août 1949, Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer du 12 août 1949, Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949.