3-1100/2

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2004-2005

19 AVRIL 2005


Projet de loi modifiant la loi du 13 mars 1973 relative à l'indemnité en cas de détention préventive inopérante, la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive et certaines dispositions du Code d'instruction criminelle


Procédure d'évocation


RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR MME LALOY


I. INTRODUCTION

Le projet de loi qui fait l'objet du présent rapport relève de la procédure bicamérale optionnelle et a été déposé initialement à la Chambre des représentants en tant que projet de loi du gouvernement (doc. Chambre, nº 51-1317/1).

Il a été adopté par la Chambre des représentants le 17 mars 2005, par 94 voix contre 39 et 8 abstentions.

Il a été transmis au Sénat le 18 mars 2005 et évoqué le 22 mars 2005.

La commission l'a examiné au cours de ses réunions des 22 et 23 mars et 19 avril 2005, en présence de la ministre de la Justice.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE LA MINISTRE DE LA JUSTICE

Le projet de loi modifiant la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, tel qu'il a été approuvé par la commission de la Justice de la Chambre, apporte également une modification à la loi du 13 mars 1973 relative à l'indemnité en cas de détention préventive inopérante, ainsi qu'à certaines dispositions du Code d'instruction criminelle.

Le projet part des constats suivants.

La détention préventive a, par sa nature même, vocation à être exceptionnelle. Elle constitue en effet une privation de liberté à un moment où une personne n'a pas encore été reconnue coupable de la commission d'une infraction. À cet égard, elle ne peut être ni un moyen de contrainte, ni une forme de répression immédiate.

Pourtant, en dépit de la réforme réalisée par la loi du 20 juillet 1990, le recours à la détention préventive n'a pas pu être endigué. Le caractère exceptionnel de la détention préventive, tel qu'il a été souligné par la réforme précitée, ne se traduit pas dans la pratique. En effet, un certain nombre d'études scientifiques font apparaître que le nombre de mandats d'arrêt décernés n'a pas diminué et que la tendance observée est l'augmentation de la durée de la détention préventive.

Quelques chiffres permettent d'illuster cette double tendance:

— nombre de mandats d'arrêt:

1990: 8 345

1999: 9 116

— durée moyenne de détention préventive:

1990: 2,59 mois

1999: 3,02 mois.

Tout cela a évidemment une influence sur la population carcérale. Les personnes qui se trouvent en détention préventive représentent entre 35 % et 40 % de la population carcérale globale. On ne peut donc plus parler du caractère exceptionnel de la détention préventive. La situation est particulièrement critique dans les maisons d'arrêt: c'est ainsi qu'en mars 2005, le nombre de détenus à la prison de Forest s'élevait à 564 pour 405 places, et le nombre de détenus à la prison d'Anvers s'élevait à 595 pour 365 places.

La Belgique est d'ailleurs parmi les pays qui, au sein de l'Union européenne, ont le taux le plus important de détenus qui sont en situation de détention préventive. Avec un taux de 41,4 % de détenus sans condamnation définitive, la Belgique arrive en « tête de classement », juste derrière l'Italie (45,9 %) et le Luxembourg (45,1 %). La Belgique est par contre loin devant la France (31,9 %), l'Allemagne (27,4 %), le Danemark (27,3 %) ou encore la Suède (21,8 %).

Le caractère délicat de la détention préventive, en ce qu'elle prive de liberté des personnes qui bénéficient de la présomption d'innocence et qui peuvent en définitive, aux termes d'une instruction, être déclarées innocentes, n'a pas échappé au législateur. La loi du 13 mars 1973 a en effet mis en place une procédure d'indemnisation en cas de détention préventive inopérante. Régulièrement, la ministre se voit soumettre des demandes d'indemnisation par des personnes qui ont été privées de leur liberté, parfois durant de longs mois, alors qu'elles ont par la suite été mises hors cause.

Le présent projet de loi vise à intervenir de manière ponctuelle dans la procédure de la détention préventive afin que celle-ci puisse se dérouler plus facilement et plus efficacement. Cette intervention ponctuelle dans la procédure peut donc exercer une influence indirecte tant sur le nombre de mandats d'arrêt décernés que sur la durée de la détention préventive.

Dans cette perspective, et de manière très succincte, les lignes de force du projet sont les suivantes:

1. continuité des pouvoirs du juge d'instruction en matière de détention préventive;

2. renforcement du contrôle de la chambre des mises en accusation;

3. simplification du règlement de la procédure devant la chambre du conseil;

4. précision des sanctions en cas de non-respect de formalités substantielles qui conditionnent la délivrance d'un mandat d'arrêt;

5. allégement du contrôle mensuel de la détention préventive en cas de crime non correctionnalisable;

6. adaptation de la durée des effets des arrêts de la chambre des mises en accusation;

7. précision quant à la durée de la mise en liberté sous conditions.

Un large débat a eu lieu en commission de la Justice de la Chambre sur ce dossier. Des auditions ont eu lieu, au cours desquelles ont été entendus des représentants des parquets (parquet d'instance et parquet général), des juges d'instruction, des présidents de chambre du conseil, ainsi que les représentants de l'OBFG et de l'OVB. Le texte tel qu'il avait été déposé par le gouvernement a connu un certain nombre d'améliorations techniques.

L'occasion est également mise à profit pour adapter la loi du 13 mars 1973 relative à l'indemnisation pour détention préventive inopérante, ce à la suite de l'arrêt du 26 novembre 2003 de la Cour d'arbitrage qui a estimé que l'article 28, § 5, alinéa 1er, de ladite loi est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Telles sont les lignes de force du projet à l'examen.

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

Mme de T' Serclaes s'interroge sur l'articulation du projet de loi à l'examen et des travaux que mène la commission dans le cadre de la réforme de la procédure pénale. La ministre a pris le parti de faire avancer une série de dispositions ponctuelles sans attendre l'issue du parcours législatif de la proposition de loi contenant le Code de procédure pénale (voir doc. Sénat, nº 3-450/1). Or, si l'on veut que les textes soient cohérents, il ne fait aucun doute que la proposition de nouveau Code (Grand Franchimont) devra être adaptée pour tenir compte des modifications proposées en matière de détention préventive.

L'intégration des deux textes est, sur certains points, purement technique. Par contre, d'autres modifications seront plus délicates à intégrer. Ainsi, l'article 6 du projet de loi à l'examen prévoit que dans une série d'hypothèses, la sanction est la remise en liberté de l'inculpé. Comment assurer la cohérence de cette sanction avec le régime des nullités prévu dans la proposition de Code de procédure pénale ?

Sur le fond, la ministre a présenté le projet comme étant destiné à lutter contre la surpopulation carcérale. À cet effet, la mesure la plus importante est la suppression de l'opposition du parquet lorsque le juge d'instruction donne mainlevée du mandat d'arrêt dans le cours de l'instruction. Mme de T' Serclaes demande si le gouvernement a procédé à une analyse précise de la situation sur le terrain afin de savoir quel était le pourcentage de cas dans lesquels la chambre des mises en accusation libère à la suite de l'opposition du parquet. La mesure proposée est-elle basée sur des données chiffrées concrètes permettant d'en faire une évaluation ex ante ?

M. Hugo Vandenberghe considère que le choix du gouvernement de déposer le projet de loi à la Chambre et de confronter la commission de la Justice du Sénat à un texte qu'elle ne pourra plus amender, fait preuve de peu d'égard vis à vis des efforts consentis depuis des mois par la commission pour examiner la proposition de loi contenant le Code de procédure pénale. La méthode de travail est d'autant plus critiquable que le projet contient une série de mesures qui n'ont rien à voir avec la détention préventive et qui n'ont aucun caractère urgent.

Mme Nyssens pense qu'il faudra faire le lien entre le projet à l'examen et le grand Franchimont. Elle constate que la simplification du règlement de la procédure proposée n'est pas la même que celle retenue dans la proposition de loi contenant le Code de procédure pénale. De même, les délais prévus dans le projet à l'examen sont différents de ceux prévus dans la proposition de code.

Elle ne peut que soutenir les objectifs de simplification et d'accélération que vise le projet. Elle doute cependant que ceux-ci seront atteints. Comme l'a souligné la ministre, les modifications proposées touchent, de manière ponctuelle, certains aspects de procédure. L'oratrice regrette que l'on n'envisage pas une réforme plus globale de la matière. Il aurait fallu proposer des mesures visant à restreindre le recours à la détention préventive, par exemple en imposant des conditions plus strictes. Il aurait également été possible d'augmenter les possibilités de mise en liberté sous conditions et de libération sous caution ...

Mme Nyssens s'interroge par ailleurs sur le renforcement du contrôle de la chambre des mises en accusation sur les instructions lorsque la détention préventive dure plus de six mois. Elle pense que ce délai est fort court pour les crimes non correctionnalisables pour lesquels il est illusoire de penser que le règlement de la procédure peut avoir lieu dans les six mois.

L'intervenante constate que l'article 136ter, § 3, en projet, du Code d'instruction criminelle (article 4 du projet) prévoit que la partie civile est appelée à l'audience devant la chambre des mises en accusation, alors que cela n'est pas le cas à l'heure actuelle. Que change le projet par rapport à la partie civile et quelle est la portée de cette mesure ?

Mme Nyssens demande si le projet modifie le rôle de la chambre des mises en accusation tel qu'il a été conçu dans la loi du 12 mars 1998 relative à l'amélioration de la procédure pénale au stade de l'information et de l'instruction.

L'oratrice fait ensuite référence à l'arrêt rendu le 13 janvier 2005 par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Capeau c. Belgique (Requête nº 42914/98). La Cour de Strasbourg y invite notre pays à modifier sa législation en matière de détention préventive. Le projet à l'examen tient-il compte de cette condamnation de la Cour européenne ?

Enfin, en ce qui concerne la prorogation des conditions de la libération sous conditions (article 14 du projet), Mme Nyssens demande si c'est la décision de prolongation ou la signification de cette décision qui doit avoir lieu avant l'expiration du délai initial. Certains magistrats font remarquer qu'il n'est pas toujours facile de trouver la personne faisant l'objet de la décision. Si le délai vise la signification de la décision, dans de nombreux cas, les conditions deviendront caduques.

M. Willems déplore que les travaux du Sénat sur la proposition de Code de procédure pénale soient sans cesse contrecarrés par des projets de loi fragmentaires transmis par la Chambre des représentants. Toutefois, l'intervenant comprend que certains projets de loi doivent être adoptés d'urgence et il est sensible à l'argument du problème des prisons.

Il note que la ministre souscrit à l'ordre du jour de la commission de la Justice pour ce qui est de l'achèvement des travaux relatifs à l'adoption d'un nouveau Code de procédure pénale. L'objectif étant de disposer d'un texte d'ici la fin de la session, l'intervenant compte donc sur la collaboration de la ministre.

S'agissant du projet de loi à l'examen, il se dit quelque peu inquiet au sujet de la mise en œuvre du texte en question. De très nombreux acteurs sont concernés par l'application de cette loi et doivent être informés rapidement des modifications qui lui sont apportées.

De plus, dans quelques mois, avec l'entrée en vigueur du nouveau Code de procédure pénale, il y aura à nouveau des modifications, notamment en ce qui concerne les délais.

Ainsi, en l'espace de quelques mois, les acteurs concernés auront affaire à trois législations différentes, à savoir la législation en vigueur, la législation à l'examen et le nouveau Code de procédure pénale. L'intervenant souhaite savoir plus précisément quand la loi à l'examen entrera en vigueur.

Il s'interroge également sur l'impact du projet de loi en discussion sur la population carcérale, compte tenu du fait que l'urgence est demandée en raison du problème aigu qui se pose dans les prisons.

Enfin, il précise qu'il croit beaucoup au système de la mise en liberté sous conditions et qu'il faut rechercher une solution dans cette direction au lieu de modifier sans cesse la procédure de la détention préventive.

M. Chevalier se rallie à cet avis et déclare qu'il votera le projet de loi à l'examen, mais sans grand enthousiasme. La procédure de la détention préventive a été maintes fois modifiée au cours de ces vingt dernières années sans que cela n'ait d'impact sur la population carcérale. Au contraire, la population des prisons ne cesse de croître et le recours à la détention préventive ne fait qu'augmenter.

Cette augmentation exerce à son tour une influence sur les condamnations ultérieures à des peines d'emprisonnement effectif. En effet, le plus souvent, le juge veut « couvrir » la détention préventive et les cas d'indemnisation pour cause de détention inopérante sont très rares. L'intervenant est d'avis qu'il faudrait réfléchir en profondeur à d'autres formes de restriction de la liberté. Un changement de mentalité s'impose aussi.

L'intervenant regrette qu'en l'espèce, on laisse passer l'occasion de modifier fondamentalement la procédure de la détention préventive.

M. Mahoux reconnaît que la détention préventive est un problème grave. Il s'interroge sur les motivations véritables des juges d'instructions par rapport aux motifs invoqués pour délivrer un mandat d'arrêt. La privation de liberté est parfois considérée comme une forme de pré-sanction sociétale à l'égard d'une personne qui est pourtant présumée innocente.

Le projet propose des modifications de procédure dont on peut espérer qu'elles modifieront les comportements. Il aura également pour effet de soulager le travail des chambres du conseil qui pourront décider, pour les crimes non correctionnalisables, que le mandat d'arrêt est valable pour une période de trois mois. Cette mesure doit s'accompagner de garanties pour éviter qu'une série de prévenus soient « oubliés » en prison, ce qui serait dramatique.

Enfin, en ce qui concerne la cohérence entre le projet à l'examen et le grand Franchimont, l'orateur estime qu'il n'est pas possible de demander au gouvernement d'arrêter son action dans tous les aspects touchant à la procédure pénale, dans l'attente de l'aboutissement du travail parlementaire mené sur la proposition de Code de procédure pénale (doc. Sénat, nº 3-450). Si le gouvernement estime devoir intervenir face à certains problèmes, il est légitime qu'il le fasse. Il faudra, à terme, intégrer dans le grand Franchimont la position défendue par le gouvernement dans le projet de loi à l'examen.

Mme de T' Serclaes confirme que si le texte à l'examen est adopté, cela aura pour conséquence qu'il faudra modifier la proposition de loi contenant le Code de procédure pénale. Ainsi, la proposition de Code de procédure pénale instaure un statut de personne lésée. Or, l'article 127, § 2, en projet du Code d'instruction criminelle (article 2 du projet) ne vise pas la personne lésée. Il est évident que la cohérence des deux textes devra être assurée ultérieurement. L'oratrice regrette que la méthode de travail suivie ne permette pas une approche plus globale.

Enfin, en ce qui concerne la limitation du contrôle mensuel de la détention préventive par la chambre du conseil pour les crimes non correctionnalisables, l'oratrice fait écho de la crainte que cette mesure ralentisse la procédure puisque la pression du contrôle mensuel du mandat d'arrêt disparaît.

Mme Talhaoui partage les préoccupations des préopinants, surtout en ce qui concerne la mise en œuvre des dispositions à l'examen et leur incorporation dans le nouveau Code de procédure pénale. Elle n'est cependant pas insensible aux problèmes qui se posent sur le terrain.

Elle pense aux grèves très fréquentes des gardiens de prison à Anvers, motivées le plus souvent par la surpopulation carcérale. Le problème de la surpopulation ne concerne pas que les détenus, mais affecte aussi, principalement, les personnes placées en détention préventive.

Outre la question de la date exacte de l'entrée en vigueur de cette loi, l'intervenante souligne aussi qu'il serait utile de prévoir une évaluation.

M. Chevalier rappelle que le Sénat est une chambre de réflexion et qu'il accomplit sur ce plan un travail de qualité. Il devrait se pencher sur la procédure même de la détention préventive, qui est le plus souvent dépassée et dont la nécessité s'avère limitée. Il ne faut pas oublier que la détention préventive touche, en fin de compte, au droit le plus fondamental du citoyen, à savoir la liberté. Le principe essentiel de la détention préventive est d'empêcher quelqu'un d'avoir des contacts avec d'éventuels complices et avec son entourage. Il existe à l'heure actuelle des techniques scientifiques qui permettent de restreindre la liberté de mouvement d'une personne en la plaçant sous contrôle électronique. Pourquoi, dès lors, maintenir un système carcéral où l'on enferme les personnes dans le but de les mettre sous pression ?

En ce qui concerne la population carcérale, M. Chevalier n'est pas du tout convaincu qu'une modification de la loi sur la détention préventive aura l'effet escompté. Il est persuadé que cette population carcérale va encore augmenter.

M. Hugo Vandenberghe estime que le projet de loi à l'examen n'a rien à voir avec le problème de la surpopulation carcérale. Celle-ci est due, depuis la loi de 1990, à une forte hausse de la grande criminalité. Des infractions diverses, telles que la traite des êtres humains et le trafic de stupéfiants, sont responsables de l'augmentation du nombre de placements en détention préventive. Par ailleurs, la loi de 1990 entendait combattre le recours abusif à la détention préventive. C'est pourquoi l'article 16, § 1er, dispose que la détention préventive n'est autorisée qu'en cas d'absolue nécessité pour la sécurité publique.

L'intervenant se réfère à l'analyse de cet article faite dans le livre de Mme K. Van den Wijngaert (droit pénal et procédure pénale), qui a vérifié la jurisprudence des cours d'appel et conclut que la moitié au moins des détentions préventives ne respectent pas les prescriptions de l'article 16, § 1er. On a donné à l'article 16 une portée qui n'était pas celle voulue par le législateur de 1990. Cette application non conforme a entraîné une multiplication des détentions préventives et on a simplement continué à suivre la pratique qui avait cours en 1990.

Le projet à l'examen ne modifie pas la portée de l'article 16 et n'aura dès lors aucune influence sur la surpopulation carcérale. On continuera simplement d'appliquer la pratique existante. Un seul article du projet à l'examen pourrait affecter la surpopulation, à savoir celui qui prévoit que le juge d'instruction peut libérer l'intéressé et que le procureur du Roi n'est pas autorisé à faire appel. L'intervenant ne peut donc pas accepter l'argument invoqué par le gouvernement pour justifier l'urgence du projet à l'examen.

De plus, celui-ci contient encore plusieurs lacunes juridiques et techniques.

Comment peut-on prendre position, dans un article de la loi sur la détention préventive, sur la portée des nullités en droit de la procédure pénale ? Cette question nécessite un examen global.

Une première remarque technique concerne l'article 8 du projet: l'article 22bis, alinéas 1er et 2, se réfère à l'ordonnance « prise en application de l'article 136ter, § 4, du Code d'instruction criminelle ».

Est-ce bien là l'intention du législateur ?

L'intention n'est-elle pas plutôt de ne faire référence qu'à l'ordonnance prise en application de l'article 136ter, § 4, deuxième phrase ?

L'article 136ter, § 4, est libellé comme suit: « Si la chambre des mises en accusation décide de maintenir la détention préventive, l'arrêt forme un titre de privation de liberté pour un mois à partir de la décision. Toutefois, s'il s'agit des affaires visées à l'article 22, alinéa 2, de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, l'arrêt forme un titre de privation de liberté pour trois mois à partir de la décision. »

En faisant référence à l'ensemble de l'article 136ter, § 4, l'article 22bis permet que la libération puisse aussi être demandée par requête dans le cas où l'arrêt de maintien en détention préventive ne forme qu'un titre de privation de liberté pour un mois. Le but n'est-il pas, toutefois, de réserver la procédure de requête aux cas où l'arrêt forme un titre de privation de liberté pour trois mois ?

En deuxième lieu, M. Hugo Vandenberghe se demande pourquoi l'article 24 de la loi du 20 juillet 1990 ne s'applique pas au nouvel article 22bis nouveau.

L'article 24, alinéa 1er, de la loi du 20 juillet 1990, est rédigé comme suit: « Après six mois de privation de liberté si le maximum de la peine applicable ne dépasse pas quinze ans de réclusion ou après un an dans le cas contraire, l'inculpé pourra, lors de sa comparution en chambre du conseil ou en chambre des mises en accusation en application des articles 22, 25 ou 30, demander de comparaître en audience publique. »

L'article 24 est-il également applicable lorsque l'inculpé comparaît en chambre du conseil en application du nouvel article 22bis ?

La réponse est négative, puisque l'article 24 ne fait pas référence à l'article 22bis.

Certains autres articles qui font aussi référence à l'article 22 sont, eux, adaptés par le projet de loi. Ainsi les articles 23 et 30 ne renvoient-ils plus dorénavant au seul article 22, mais aussi au nouvel article 22bis.

Ce qui soulève deux questions.

Pourquoi, alors que l'article 23 est applicable à l'article 22bis, n'en va-t-il pas de même pour l'article 24 ?

Pourquoi la procédure visée à l'article 22bis doit-elle suivre les règles de l'article 23, mais pas celles de l'article 24 ? Pourquoi, alors que la procédure prévue à l'article 22bis se déroule à huis clos, conformément à l'article 23, l'inculpé ne peut-il pas demander à comparaître en audience publique conformément à l'article 24, après six mois de privation de liberté ?

On instaure une distinction entre les personnes qui comparaissent en chambre du conseil en vertu de l'article 22bis et celles qui comparaissent en chambre du conseil en vertu d'un autre article. Y a-t-il une justification objective et raisonnable à cette différence de traitement ?

La distinction est surtout remarquable avec les personnes qui comparaissent en chambre du conseil en application de l'article 22, alinéa 2. Cet article 22, alinéa 2, s'applique aux personnes qui sont inculpées d'un crime non correctionnalisable, mais qui ne demandent pas le contrôle mensuel du maintien en détention. Ces personnes sont bel et bien visées par l'article 24: elles peuvent donc, après un certain temps, demander à comparaître en audience publique devant la chambre du conseil. Par contre, ce droit est refusé aux personnes qui sont également inculpées d'un crime non correctionnalisable, mais qui ont demandé le contrôle mensuel de la détention, conformément à l'article 22bis. Celles-ci n'ont pas le droit de demander à comparaître en audience publique.

L'intervenant estime donc que l'article 24 de la loi du 20 juillet 1990 doit, lui aussi, faire référence à l'article 22bis.

En troisième lieu, concernant l'article 12 du projet, quelle est la durée du titre de privation de liberté formé par l'arrêt de maintien de la détention préventive dans le cas de l'article 22bis ? Est-elle de un ou de trois mois ?

Le texte de l'article 30, § 4, alinéa 1er, de la loi du 20 juillet 1990, tel que modifié par le projet de loi, n'est pas clair à ce sujet: « § 4. La juridiction d'appel statue en tenant compte des circonstances de la cause au moment de sa décision. Si la chambre des mises en accusation, dans les cas des articles 21, 22, 22bis et 28, décide de maintenir la détention préventive, l'arrêt forme un titre de privation de liberté pour un mois à partir de la décision, ou pour trois mois à partir de la décision, s'il est fait appel de l'ordonnance visée aux articles 22, alinéa 2, et 22bis. »

Ne faut-il pas supprimer le premier renvoi à l'article 22bis ? Si oui, il y a lieu alors de supprimer l'article 12, 5º, du projet de loi.

En quatrième lieu, l'intervenant observe qu'après un arrêt de cassation avec renvoi, la distinction entre les crimes non correctionnalisables et les autres délits est levée. Est-ce là l'intention du législateur ?

L'article 31, § 4, alinéa 3, de la loi du 20 juillet 1990, est rédigé comme suit: « Si la juridiction de renvoi maintient la détention préventive, sa décision constitue un titre de détention pour quinze jours à compter de la décision. »

L'article 13 du projet de loi remplace le délai de quinze jours par un délai d'un mois.

Ce nouveau délai s'applique donc aussi dans le cas d'un crime non correctionnalisable. L'intention du législateur est-elle bien de rompre, à ce stade-ci de la procédure, la logique de la distinction entre les crimes non correctionnalisables (maintien pour trois mois) et les autres délits (maintien pour un mois) ? Cela va en tout cas à l'encontre de l'actuel article 31, § 4, alinéa 3, aux termes duquel les dispositions de l'article 30, §§ 3 et 4, sont d'application. L'article 30, § 4, fait effectivement une distinction entre les crimes non correctionnalisables et les autres délits.

En cinquième lieu, M. Hugo Vandenberghe se demande pourquoi l'article 32 de la loi du 20 juillet 1990 n'est pas applicable au nouvel article 22bis.

L'article 32 s'énonce comme suit: « Les délais prévus par les articles 21, § 1er, 22, 25, § 2, 27, § 3, 30, § 3, et 31, § 3, sont suspendus pendant le temps de la remise accordée à la demande de l'inculpé ou de son conseil. ».

Le projet de loi n'étend pas le champ d'application de l'article 32 à l'article 22bis. Par conséquent, les délais visés à l'article 22bis ne sont pas suspendus pendant le temps de la remise accordée à la demande de l'inculpé ou de son conseil, sauf le délai prévu par l'article 22bis, alinéa 6. Ce dernier peut, lui, être suspendu car l'article 22bis, alinéa 6, dispose lui-même que le délai peut être éventuellement prorogé conformément à l'article 32. En revanche, les délais visés à l'article 22bis, alinéas 2 et 4, ne peuvent pas être suspendus. L'article 32 de la loi du 20 juillet 1990 ne devrait-il pas, lui aussi, faire référence à l'article 22bis ?

Comme sixième remarque technique, l'intervenant relève que la loi ne précise plus jusqu'à quand le juge d'instruction peut compléter, retirer ou modifier les conditions de la mise en liberté, ni pour combien de temps il peut le faire.

L'article 36, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive dispose qu'au cours de l'instruction judiciaire, le juge d'instruction peut (...) imposer une ou plusieurs conditions nouvelles, et retirer, modifier ou prolonger, en tout ou en partie, des conditions déjà imposées. Aux termes de l'actuel alinéa 2, cette décision est prise pour le temps qu'il détermine, avec un maximum de trois mois.

Selon l'exposé des motifs, l'article 14 du projet de loi remplace cet alinéa 2, afin notamment de préciser que la décision de compléter, de modifier, de retirer ou de prolonger les conditions imposées doit être prise avant la fin de la durée déterminée initialement (cf. Exposé des motifs, doc. Chambre, nº 51-1317/1, p. 15).

Or, selon le texte de l'alinéa 2 nouveau en projet, seule la décision de prolonger les conditions doit être prise avant l'expiration du temps déterminé par le juge d'instruction conformément à l'article 35, § 1er. Le texte ne dit pas que les décisions de compléter, de modifier ou de retirer les conditions doivent elles aussi être prises avant l'expiration du délai en question.

En outre, le nouveau texte se borne à indiquer que les conditions peuvent être prolongées pour le temps que le juge d'instruction détermine, et pour un maximum de trois mois. Il ne dispose plus que les conditions peuvent aussi être complétées, modifiées ou retirées pour le temps que le juge d'instruction détermine, et pour un maximum de trois mois.

Réponses de la ministre de la Justice

En ce qui concerne l'articulation du projet de loi avec la proposition de loi contenant le Code de procédure pénale, la ministre renvoie à ce qu'elle a déclaré dans le cadre de la discussion du projet de loi modifiant diverses dispositions légales en matière pénale et de procédure pénale en vue de lutter contre l'arriéré judiciaire (doc. Sénat, nº 3-1064/1).

Elle se réfère également aux déclarations de MM. Willems et Mahoux à ce sujet.

Il est clair que certaines dispositions votées dans le cadre de projets de loi distincts devront être intégrées dans le futur Code de procédure pénale.

En l'occurrence, la surpopulation carcérale impose d'agir sans attendre. Il s'agit d'ailleurs d'un sujet sur lequel la ministre est régulièrement interpellée par les parlementaires.

La ministre rappelle que le problème de la détention préventive est complexe. Qu'il s'agisse du délai de 24 heures, du critère de gravité ou du contenu de l'article 16, il n'existe pas de solution miracle.

Le gouvernement propose donc d'intervenir sur des éléments objectifs et sur la manière dont la procédure se déroule, pour tenter d'accélérer les choses.

Comme déjà indiqué, l'un des deux facteurs influant sur la population carcérale est la durée de la détention, et notamment de la détention préventive.

Contrairement à M. Hugo Vandenberghe, le gouvernement a la conviction que les mesures proposées peuvent contribuer à améliorer les choses.

Le projet a été préparé en dialogue avec les acteurs de terrain: des juges d'instruction, des parquets, des avocats ont été entendus.

Une série de dispositions figurant dans le texte à l'examen sont directement inspirées, notamment, par des observations des juges d'instruction.

Pour le surplus, il est très difficile de prévoir avec précision quel sera l'impact du projet sur la population carcérale journalière moyenne.

La ministre peut cependant donner un exemple: des juges d'instruction de qualité estiment que l'on peut gagner deux à quatre semaines en simplifiant le règlement de la procédure et en faisant de la double phase une simple faculté.

Si la moyenne de détention préventive est de trois mois, et qu'on peut la réduire à deux mois et demi, cela aura évidemment une incidence sur la population carcérale.

La suppression du droit d'opposition du parquet par rapport à une décision de mainlevée du juge d'instruction, n'est donc pas la seule mesure qui permettra d'influer sur la détention préventive et sur la surpopulation carcérale.

La ministre se réfère à des études communiquées lors d'un colloque organisé par le jeune barreau de Liège et publiées par les éditions de ce barreau à la fin des années 90.

Il en résulte que la question de savoir si le parquet s'opposait souvent à une décision de mainlevée du juge d'instruction, et quelle était la réaction de la chambre du conseil, n'avait guère de pertinence.

En effet, dans la pratique, avant de donner mainlevée du mandat d'arrêt, les juges d'instruction téléphonent au procureur du Roi en charge du dossier, pour savoir s'il compte s'y opposer. Dans l'affirmative, ils renoncent généralement à donner mainlevée.

On fait donc le pari de donner à chacun sa responsabilité en matière de détention préventive.

Quant aux propos de M. le premier avocat général Liégeois, cités par M. Willems, à propos du manque de pertinence des chiffres relatifs au volume de détenus préventifs dans la population carcérale, la ministre rappelle que ces chiffres ont été établis par le professeur Pierre Tournier, qui est considéré comme le spécialiste de la statistique en matière pénitentiaire et qui a travaillé pour le Conseil de l'Europe.

Le manque de pertinence de ces chiffres résulterait de ce que le volume de la population carcérale dépend des politiques ministérielles en matière d'exécution des peines.

La ministre ne partage pas ce présupposé scientifique. Elle renvoie aux chiffres qu'elle a cités à propos de l'évolution du nombre de mandats d'arrêt et de la durée de la détention préventive, et pense que ces chiffres parlent d'eux-mêmes.

Quant au risque d'effet pervers lié à la suppression de la comparution mensuelle pour les crimes non correctionnalisables, on peut espérer que les juges d'instruction n'ont pas besoin de ce moyen de pression pour travailler.

En outre, l'inculpé peut toujours déposer une requête de mois en mois.

Ce sont même des avocats envoyés par l'OBFG et l'OVB qui ont exprimé le point de vue que la comparution mensuelle pour ce type de crimes n'avait guère de sens.

M. Chevalier fait observer que la commission de la Justice du Sénat n'a pas entendu que les experts en question, et qu'en tout état de cause, les membres de la présente commission demeurent libres de faire valoir leur point de vue.

En ce qui concerne le choix d'un délai de 6 mois pour les crimes non correctionnalisables, la ministre souligne qu'il s'agit de dossiers qui connaissent généralement une instruction plus longue. C'est pourquoi on a prévu que si la détention préventive atteint 6 mois, le contrôle devant la chambre des mises en accusation n'aura pas lieu de manière automatique, mais uniquement à la requête de l'inculpé.

Les spécialistes considèrent généralement, au vu du temps moyen nécessaire pour examiner un dossier, que 6 mois est un délai très long.

En France, à la suite de l'affaire d'Outreau, une commission s'est penchée sur les réformes nécessaires en matière de procédure pénale.

Là aussi, un délai de 6 mois a été proposé pour faire le point lorsqu'une instruction est trop longue.

En ce qui concerne la partie civile, l'article 136ter nouveau, qui concerne le contrôle de la chambre des mises en accusation sur les détentions de longue durée, s'inscrit dans la droite ligne de l'article 136bis, introduit par la loi du 12 mars 1998.

Ce dernier article prévoit que la chambre des mises en accusation peut entendre la partie civile.

La même chose est prévue à l'article 136ter.

Quant à la chambre des mises en accusation, on a voulu renforcer son rôle d'organe de contrôle, toujours dans le même esprit que la réforme de 1998.

Dans le cadre de l'article 136ter nouveau, cette juridiction exercera les mêmes pouvoirs que ceux qu'elle peut exercer dans le cadre de l'article 136bis, en vue d'une mission supplémentaire, à savoir le contrôle spécifique de la détention préventive et de la pertinence de son maintien, en présence du juge d'instruction.

Il a été fait mention de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme relatif à la législation sur la détention préventive inopérante, qui a condamné la Belgique. Un appel a été interjeté contre cette décision, et cette procédure suit son cours.

En ce qui concerne la libération sous condition, on ne change pas le fond de la loi, mais on précise simplement de manière formelle que la prolongation des conditions doit être décidée avant l'expiration du terme pour lequel elles avaient été fixées.

Un membre s'est interrogé sur les modalités de l'entrée en vigueur de la loi.

Il est prévu que celle-ci est applicable immédiatement.

Mais que se passe-t-il, par exemple, pour un crime non correctionnalisable, pour lequel une détention préventive est en cours, le contrôle de celle-ci devant passer d'un rythme mensuel à un rythme trimestriel ?

La ministre indique que l'on applique les principes classiques d'application de la loi dans le temps en matière de procédure pénale: en règle, les lois de compétence et de procédure sont d'application aux procès en cours, sans qu'elles puissent cependant avoir pour effet de dessaisir la juridiction qui avait été valablement saisie.

La nouvelle loi régit tous les actes de procédure postérieurs à son entrée en vigueur, sans porter préjudice aux actes déjà accomplis sous l'empire de la loi antérieure.

Par conséquent, si un détenu est convoqué pour un crime non correctionnalisable dans le mois de la première comparution, cette comparution a lieu, puisqu'un acte de procédure a été posé.

En ce qui concerne les observations formulées par le service d'évaluation législative du Sénat, la ministre souhaite fournir ici quelques éléments de réponse, et renvoie pour le surplus aux réponses qui seront fournies dans le cadre de la discussion des articles.

La première observation concerne l'article 22bis, relatif à la requête qui peut être déposée de mois en mois pour les crimes non correctionnalisables.

La référence à l'arrêt pris en application de l'article 136ter, § 4, du Code de l'instruction criminelle, manquerait de précision.

La ministre ne le pense pas: il va de soi que l'article 22bis ne s'applique que pour les crimes non correctionnalisables.

Quel serait l'intérêt de déposer une requête de mise en liberté dans les autres cas, alors qu'il y a une comparution automatiquement prévue devant la chambre du conseil ?

La deuxième observation concerne l'article 24 de la loi du 20 juillet 1990, qui prévoit la possibilité pour l'inculpé de demander à comparaître en audience publique après une détention de 6 mois (ou 1 an si le maximum de la peine applicable dépasse 15 ans de réclusion).

Il n'a pas été prévu que cet article s'applique dans le cadre de la procédure de l'article 22bis.

La ministre souligne que cette dernière est une procédure particulière qui n'ôte rien au fait que, tous les 3 mois, la chambre du conseil peut être automatiquement saisie.

Dans ce cadre, la comparution en audience publique peut être demandée.

Il ne saurait dès lors être question d'une discrimination, puisque l'inculpé ne se voit pas retirer la possibilité d'une comparution en audience publique.

Une troisième observation a trait à une possible confusion à l'article 30, § 4, alinéa 1er, de la loi du 20 juillet 1990, en projet, en ce qui concerne plus précisément la première référence à l'article 22bis.

La ministre précise que, dans ce § , les premières références déterminent le fondement de compétence de la chambre des mises en accusation, tandis que les secondes précisent l'exception relative à la durée des arrêts de la chambre des mises en accusation dans deux cas.

Il n'y a donc pas de risque de confusion.

Une quatrième observation porte sur le fait qu'après un arrêt de cassation avec renvoi, la loi ne fait plus de distinction entre les crimes correctionnalisables et les autres infractions.

La ministre souligne que l'on se situe ici dans un contexte de procédure, où la détention préventive a été maintenue, sans que le juge d'instruction fasse rapport. Il y aura eu passage en chambre des mises en accusation, pourvoi en cassation, et à nouveau passage en chambre des mises en accusation. Il paraît justifiable qu'en ce cas, l'arrêt de celle-ci vaille pour un mois, ce qui permet à tous les inculpés de comparaître à nouveau devant la chambre du conseil, en présence du juge d'instruction.

Une cinquième observation concerne le fait que l'article 32, qui permet la suspension des délais en cas de remise, ne vise pas la procédure de l'article 22bis.

La ministre considère qu'une remise n'a pas de sens dans ce cas de figure, puisqu'on se trouve dans le cadre d'une procédure particulière initiée par l'inculpé.

Peut-on imaginer que celui-ci demande à comparaître et, cinq jours plus tard, sollicite une remise de l'audience ?

Cela n'est en tout cas pas souhaitable.

M. Hugo Vandenberghe fait observer qu'en cas de détention préventive, la demande de remise est généralement motivée par l'existence de nouvelles pièces, déposées par le parquet et que la défense n'a pas encore pu consulter.

La ministre ne croit pas que cette hypothèse doive faire l'objet d'une disposition spécifique.

Une sixième observation concerne la référence à l'article 25, § 2, figurant à l'article 32 de la loi du 20 juillet 1990.

Le projet remplace en effet l'article 25, § 2, par une nouvelle disposition, où il n'est plus question d'un délai quelconque.

Cette référence devrait dès lors disparaître.

La ministre reconnaît que cette modification améliorerait la forme du texte, mais souligne que le maintien de l'article dans son état actuel ne change rien quant au fond.

Enfin, une dernière observation concerne la mise en liberté sous condition.

Le projet prévoit qu'une prolongation doit intervenir avant l'expiration du terme fixé par le juge d'instruction.

Il est suggéré de stipuler également que les décisions de modification des conditions doivent intervenir avant l'expiration du délai.

La ministre estime qu'il va de soi qu'une modification d'une condition ne peut intervenir qu'aussi longtemps que cette condition existe.

Or, celle-ci existe précisément jusqu'au terme fixé par le juge d'instruction, sauf s'il la prolonge avant l'expiration de ce terme.

IV. DISCUSSION DES ARTICLES

Article premier

Cet article ne suscite pas d'observations.

Article 2

Mme de T' Serclaes rappelle que cet article devra être adapté lors du vote de la proposition de loi contenant la Code de procédure pénale, notamment pour viser la « partie lésée ».

La ministre confirme qu'un certain nombre de textes devront, à cette occasion, faire l'objet d'un toilettage.

M. Hugo Vandenberghe a l'impression que l'on veut faire passer le projet de loi à l'examen pour ce qu'il n'est pas; celui-ci a soi-disant pour objectif de réduire la population carcérale, mais il contient incontestablement des dispositions qui n'ont rien à voir avec la détention préventive. L'article 2 en est l'exemple type. L'intervenant compare l'article 127 en projet avec l'article 211 proposé de la proposition de loi contenant le Code de procédure pénale (3-450). L'option retenue pour la procédure est tout à fait différente. Dans le nouveau code de procédure pénale, on a choisi de purger les nullités en chambre du conseil; c'est pourquoi on prévoit également un délai d'un mois — qui peut être ramené à 8 jours — pour prendre connaissance du dossier. L'article 127 en projet prévoit un délai de 15 jours, qui peut être ramené à 3 jours. En outre, la proposition de loi contenant le Code de procédure pénale offre la possibilité de prolonger ces délais à la requête des parties au procès.

Le délai qui est prévu dans le projet à l'examen est trop court. Comme aucune possibilité de report n'est prévue, les parties abuseront de la possibilité de demander au juge d'instruction, conformément à l'article 61quinquies, d'accomplir des actes d'instruction complémentaires.

L'intervenant estime que les règles fixées ne favoriseront en aucune manière le bon fonctionnement de la chambre du conseil.

La ministre rappelle que le but poursuivi est la simplification du règlement de la procédure devant la chambre du conseil.

Depuis la loi du 12 mars 1998, ce règlement se déroule en deux phases: dans un premier temps, consultation du dossier et demande de devoirs d'enquête complémentaires; dans un second temps, audience de plaidoiries.

L'objectif était d'éviter de perdre du temps, par le fait que le caractère incomplet d'un dossier serait évoqué devant la chambre du conseil.

Toutefois, dans la pratique, on a constaté que, dans les cas où l'inculpé est en détention préventive, il n'est pratiquement pas fait usage de cette faculté. Ceci résulte du fait que l'inculpé qui est détenu préventivement a la possibilité de consulter son dossier lors de chaque comparution mensuelle devant la chambre du conseil, et qu'il peut donc, tout au long de l'instruction, demander des actes d'instruction complémentaires.

Appliquer la double phase du règlement de la procédure ne permet dès lors pas, dans ces cas, de gagner du temps, bien au contraire.

En effet, même s'il n'y a pas de demande de devoirs complémentaires, la chambre du conseil ne peut pas toujours statuer directement sur le règlement de la procédure.

C'est pour ce motif que le règlement de la procédure est rendu facultatif.

Lorsque l'instruction est réputée achevée, la fixation a lieu immédiatement en vue du règlement de la procédure.

L'inculpé et la partie civile peuvent, dans ce délai de fixation, demander au juge d'instruction, l'accomplissement d'actes d'instruction complémentaires avant leur comparution devant la chambre du conseil.

Dans ce cas, le règlement de la procédure est suspendu jusqu'à ce que l'instruction soit achevée.

Le dossier sera alors fixé devant la chambre du conseil dans les délais et formes prévus à l'article 2.

À la Chambre, une série de partenaires de la justice ont été entendus.

S'il est vrai que le parquet, en règle générale, n'apercevait pas l'utilité de la réforme, par contre, les présidents de chambre du conseil ont estimé qu'elle était de nature à accélérer le règlement de la procédure.

Les juges d'instruction se sont dits favorables à ce qu'ils qualifient d'allégement de la procédure.

Les avocats y étaient également favorables.

La ministre conclut que ceux qui, au quotidien sont confrontés à la difficulté du règlement de la procédure sont favorables à cet allégement.

Il est évident que la mesure proposée ne modifiera pas complètement, comme par enchantement, la situation dans les établissements pénitentiaires.

La ministre souligne que, pour faire face à la surpopulation carcérale, il faut un faisceau de décisions convergentes.

Le projet à l'examen opère une réforme modeste, et ne change pas fondamentalement les choses.

On en revient à l'esprit de la réforme Wathelet.

À cette époque, en effet, il y avait eu, dans les cours et tribunaux, un vrai changement de mentalité. Au fil du temps, l'ancienne culture s'est réinstallée.

D'autres projets existent. Ainsi, la Chambre votera prochainement sur le projet relatif au transfert des personnes d'origine étrangère n'ayant aucun lieu avec la Belgique vers leur pays d'origine pour purger leur peine.

Là non plus, le nombre de personnes concernées n'est pas énorme.

Un autre exemple est celui des internés, qui représentent environ 800 personnes sur les quelque 9 000 détenus.

Le rapport de la commission Cosijns est attendu pour juin 2005.

Il devrait permettre le lancement un nouvel établissement en Flandre, et l'extension de l'établissement de Paifves.

Tout cela demandera évidemment du temps.

Quant à la création de nouveaux établissements pénitentiaires, la ministre ne pense pas que cela puisse changer fondamentalement les choses. Une prison nouvelle sera immédiatement remplie.

La ministre est, par contre, favorable à certains micro-projets.

Pour rappel, le statut interne du détenu a été modifié.

La ministre souhaiterait un nouvel établissement pour les délinquants primaires, en privilégiant les jeunes.

Elle est en effet convaincue qu'en matière de projets de réinsertion, il est possible de travailler différemment, dans le cadre des objectifs de la loi Dupont.

S'il s'agit encore une fois d'une réforme modeste, cela participe du faisceau de mesures évoqué plus haut.

Un dernier exemple concerne le tribunal d'application des peines.

Actuellement, ce sont principalement les commission de libération conditionnelle et l'exécutif qui ont le pouvoir de jouer sur le statut externe du détenu.

Le tribunal lui, pourra jouer sur la nature de la peine.

M. Hugo Vandenberghe répète qu'il ne voit pas le lien entre la disposition qui modifie le règlement de la procédure devant la chambre du conseil et la problématique de la population carcérale. Dans quelle mesure les dispositions à l'examen ont-elles une incidence sur la population carcérale ? D'ailleurs, dans la plupart des règlements de la procédure devant la chambre du conseil, l'intéressé n'est pas détenu.

Si l'on veut que les nullités soient réglées devant la chambre du conseil, le délai prévu de 15 jours est en tout cas insuffisant. Il en résultera, en fin de compte, un ralentissement de la procédure devant la chambre du conseil.

La ministre maintient son point de vue. La durée de la procédure lui semble être un élément important. Il ne s'agit pas seulement de limiter le nombre de détentions préventives, mais aussi de réduire la durée de ce type de détention.

M. Hugo Vandenberghe fait à nouveau référence à l'ouvrage du professeur Van de Wijngaert « Strafrecht en strafvordering » et, en particulier, à l'analyse que celle-ci fait de l'application de la loi de 1990 et à l'interprétation de l'article 16, § 1er. Dans la moitié des cas environ, la loi de 1990 n'est pas suivie comme cela était prévu au départ. L'intervenant renvoie aux propos qu'il a tenus au cours de la discussion générale. L'arrestation n'est pas un moyen d'influencer l'instruction.

La ministre objecte que, sur le terrain, on ne maîtrise pas toujours l'interprétation et l'application de la loi.

Selon Mme de T' Serclaes, le fait que la décision de libération soit de la compétence souveraine du juge d'instruction constituera incontestablement un pas en avant dans la mise en place d'un système de détention préventive plus rapide et plus efficace.

L'intervenante s'inquiète toutefois de l'attitude de résignation face aux recours abusifs à la détention préventive que l'on constate aujourd'hui. S'il y a effectivement des abus, il faut tenter d'y remédier.

La ministre répond que le projet à l'examen contient effectivement des dispositions visant à endiguer ces abus. Mais il existe une différence entre l'esprit de la loi et son application concrète. Le projet en discussion entend rappeler le caractère exceptionnel de la détention préventive.

M. Hugo Vandenberghe estime qu'il est inacceptable de n'utiliser la détention préventive que comme moyen de pression.

La ministre répond que l'article 16, § 1er, est pourtant clair et pose comme condition qu'il doit y avoir nécessité absolue pour la sécurité publique.

Mme de T' Serclaes estime que l'on devrait peut-être prévoir une sanction en cas d'inapplication de l'article en question, à défaut de quoi il faudrait éventuellement suivre une autre piste. Comment limite-t-on le recours à la détention préventive dans les autres pays ?

La ministre répond qu'il s'agit, là encore, d'une question de culture juridique. Dans d'autres systèmes, on fait davantage appel aux cautions ou à la liberté sous conditions, par exemple.

Mme Nyssens se rallie à cette dernière observation. Il est tout à fait possible de recourir à la liberté sous conditions, à la caution, etc. Il s'agit seulement d'une question d'habitude.

L'intervenante s'interroge sur la finalité de la disposition étendant la compétence du juge d'instruction pour lui permettre de décider de la remise en liberté de l'inculpé. Veut-on responsabiliser les juges d'instruction ou bien accélérer la procédure ? Est-ce là le signe d'une autre manière de voir le parquet ? Dans la pratique, en effet, le juge d'instruction prend rarement des décisions sans concertation préalable avec le parquet.

La ministre répond qu'elle souhaite effectivement responsabiliser davantage les juges d'instruction. Dans la pratique, il apparaît que le juge d'instruction ne lèvera le mandat d'arrêt que s'il sait, après concertation avec le parquet, que le ministère public ne s'y opposera pas.

M. Willems souligne qu'on observe une évolution positive au niveau des médias. Il a l'impression qu'on fait preuve aujourd'hui d'une plus grande prudence lorsqu'il s'agit de révéler dans la presse l'identité de personnes qui n'ont pas encore été condamnées. Il ne faut pas oublier que les médias sont, eux aussi, un moyen de pression.

En ce qui concerne la responsabilisation du juge d'instruction, l'intervenant pense qu'un juge d'instruction qui décide de manière indépendante et autonome devrait également recourir davantage à la libération conditionnelle, comme cela se fait dans le système anglo-saxon. Un changement de mentalité s'impose sur ce plan.

En ce qui concerne le concept général, la ministre attire l'attention sur la nécessité d'avoir, face au pouvoir considérable dont dispose le parquet en matière de libertés individuelles, une instance investie de responsabilités importantes qui mène l'instruction à charge et à décharge.

Le pouvoir n'est jamais mauvais pour autant qu'il y ait des contre-pouvoirs.

M. Mahoux fait observer que les avis sont partagés sur le rôle du juge d'instruction et sur celui du parquet. Il cite l'exemple du renforcement du rôle du juge d'instruction dans le cadre des méthodes particulières de recherche, domaine dans lequel les discussions ne se sont pas déroulées sans mal.

En ce qui concerne la détention préventive, l'intervenant a également l'impression qu'on y recours souvent pour adresser à la société le signal qu'elle-même attend.

La ministre partage ce point de vue. Mais ce que la population attend en réalité, c'est que ce signal soit suivi rapidement d'une condamnation sur le fond. Voilà ce qui compte avant tout.

La ministre envisage sur ce point d'instaurer une véritable chambre des flagrants délits, où l'on pourra faire application de l'article 216quater.

L'intervenante renvoie également à la discussion à la Chambre des représentants concernant la modification éventuelle du délai de garde à vue. Certains estiment qu'une modification pourrait avoir un impact sur la détention préventive. La ministre estime que pour cela une modification de la Constitution s'impose.

M. Hugo Vandenberghe distingue, dans la problématique de la détention préventive, deux champs de tension: d'une part, entre le juge d'instruction et le parquet; d'autre part, entre le juge d'instruction et la chambre du conseil.

Il est plus facile pour la chambre du conseil de désavouer un avocat qu'un juge d'instruction.

Si le juge d'instruction demande le maintien en détention préventive, il n'est pas facile pour la chambre du conseil de prendre une décision différente.

La ministre souscrit à ce propos. Elle renvoie également, à ce sujet, au débat sur la place du ministère publique dans la salle d'audience.

Mme de T' Serclaes fait remarquer que le juge d'instruction est également tributaire des services de police qui, bien souvent, ne disposent pas des agents voulus pour mener à bien leur enquête.

M. Mahoux objecte que le maintien en détention préventive ne peut pas se justifier en fonction de l'instruction.

Artilce 3

M. Hugo Vandenberghe demande quelle est la signification précise de cet article. En quoi consiste la sanction ?

La ministre renvoie à l'article 136bis existant, qui est repris dans le projet de loi à l'examen, avec seulement l'ajout d'une référence à l'article 136ter (voir l'article 4 du projet).

Article 4

Cet article concerne le règlement de la procédure. La chambre des mises en accusation connaît de toutes les affaires dans lesquelles l'inculpé se trouve en détention préventive et sur lesquelles la chambre du conseil n'aurait point statué en ce qui concerne le règlement de la procédure, dans les six mois à compter de la délivrance du mandat d'arrêt.

Article 5

Cet article ne donne lieu à aucune observation.

Article 6

M. Hugo Vandenberghe ne perçoit pas la raison de l'urgence de cette disposition, qui concerne le règlement des nullités en cas de détention préventive.

La ministre estime qu'on ne peut faire autrement que de régler ici le problème des nullités. Il faudra évidemment vérifier, a posteriori, dans quelle mesure cette disposition devra être ajustée au nouveau code de procédure pénale.

Mme Nyssens demande s'il s'agit ici de nullités relatives ou de nullités d'ordre public.

La ministre répond qu'il s'agit de nullités substantielles.

Article 7

La ministre précise que les articles 6, 7 et 8 concernent les crimes non correctionnalisables. Ces dispositions jouent en faveur du détenu, puisqu'elles n'entravent pas l'instruction.

M. Hugo Vandenberghe résume le système comme suit: la chambre du conseil se prononce tous les trois mois. Toutefois, il est possible d'adresser une requête à la chambre du conseil pour obtenir la mise en liberté.

Article 8

M. Hugo Vandenberghe renvoie aux remarques formulées au sujet de cet article au cours de la discussion générale et à la réponse du gouvernement à ces observations.

Mme Nyssens demande si le juge d'instruction fait rapport à la chambre du conseil.

La ministre répond que l'article 21 s'applique en l'occurrence par analogie, ce qui confirme la jurisprudence généralement admise de la Cour de cassation.

Articles 9 et 10

Ces articles ne donnent lieu à aucune observation.

Article 11

Mme Nyssens observe qu'un débat contradictoire est prévu en chambre du conseil.

Comment motive-t-on, en l'espèce, la faculté laissée au juge d'instruction de lever le mandat d'arrêt sans débat contradictoire ? Doit-il y avoir des éléments nouveaux ?

La ministre confirme que cette disposition s'applique si des éléments nouveaux sont présents. En outre, l'ordonnance du juge d'instruction doit être motivée.

Article 12

M. Hugo Vandenberghe renvoie aux remarques formulées au sujet de cet article au cours de la discussion générale et à la réponse du gouvernement à ces observations.

Article 13

M. Hugo Vandenberghe renvoie aux remarques formulées au sujet de cet article au cours de la discussion générale et à la réponse du gouvernement à ces observations.

Article 14

Mme Nyssens se demande s'il ne faudrait pas indiquer explicitement dans cet article que la notification de la décision ne doit pas avoir lieu dans le délai fixé par le juge d'instruction conformément à l'article 35. Dans la pratique, en effet, la notification prend souvent un peu de temps, car on ne retrouve pas toujours l'intéressé immédiatement.

La ministre répond que la disposition en question concerne la mise en liberté sous conditions. On ne libérera pas l'intéressé sous conditions sans savoir où il se trouve.

M. Hugo Vandenberghe renvoie aux remarques formulées au sujet de cet article au cours de la discussion générale et à la réponse du gouvernement à ces observations.

V. VOTE FINAL

L'ensemble du projet de loi a été adopté par 7 voix contre 1 et 1 abstention.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 10 membres présents.

La rapporteuse, Le président,
Marie-José LALOY. Hugo VANDENBERGHE.

Le texte adopté par la commission est identique au texte du projet transmis par la Chambre des représentants (voir le doc. Chambre, nº 51-1317/11)