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M. Jean Cornil (PS). - En ce 27 janvier et sans vouloir établir de comparaison historique ou politique avec le caractère irréductible et exceptionnel de la Shoah, je voulais vous entretenir de la situation en Côte d'Ivoire puisque certains ont voulu y voir, à tort ou à raison, les prémices d'un génocide.
Vous savez mieux que moi que la situation dans ce pays, notamment depuis novembre 2004, illustre la fragilité du processus de paix né des accords de Marcoussis, sous l'égide de la France et de la communauté internationale et avec l'aide du président de l'Afrique du Sud.
Se pose alors la question de la présence de la Belgique en Côte d'Ivoire. Il semble qu'elle s'est considérablement réduite. Nous avons eu l'occasion d'en discuter longuement, avant-hier, lors de la dernière réunion de la commission des Relations extérieures, avec l'ambassadrice de Côte d'Ivoire, M. Dozon et Mme Braeckman. Compte tenu du besoin de l'aide internationale dans ce pays, je voulais vous interroger sur les critères qui n'ont pas permis de retenir la Côte d'Ivoire parmi les 18 pays prioritaires de la coopération au développement. Je suis conscient que cette question pourrait être posée pour de nombreux pays, comme le Burkina Faso, qui n'ont pu être retenu dans ces pays prioritaires.
L'objectif de cette question orale est donc surtout de vous interpeller, au-delà de la question de la liste des pays prioritaires et de la Côte d'Ivoire, sur votre volonté et celle du ministre des Affaires étrangères de marquer de son empreinte la présence de la Belgique en Côte d'Ivoire, à côté de la France.
Avez-vous eu des contacts, monsieur le ministre, avec vos collègues européens chargés de l'aide au développement ? En effet, les experts de la situation dans ce pays constatent notamment que l'Union européenne y est malheureusement absente. La France y joue un rôle essentiel. Elle a notamment pu éviter que le drame y soit plus grand encore. Les Américains s'intéressent également de plus en plus à la Côte d'Ivoire. En avez-vous discuté avec vos collègues européens ?
M. Armand De Decker, ministre de la Coopération au développement. - La Belgique est très préoccupée par l'évolution de la situation en Côte d'Ivoire depuis cinq ans déjà. Les progrès de 40 ans de coopération ont été remis en cause par la situation politique.
Les pays de la région sont également affectés puisque le revenu national de la Côte d'Ivoire représentait, avant la crise, 40% de celui de l'Afrique de l'Ouest francophone.
La décision prise en novembre 2003 de réduire de vingt-cinq à dix-huit le nombre des pays partenaires s'explique par le souci de concentrer notre aide bilatérale directe afin de la rendre plus efficace. Le développement d'un pays ou d'une région est en effet la résultante d'actions diverses dans des domaines variés comme la santé, l'éducation ou l'économie sociale. Un éparpillement de nos efforts risquerait de ne produire que peu de résultats.
Dès lors, le gouvernement a pris la décision de réduire le nombre de pays partenaires à dix-huit. Par arrêté royal délibéré en conseil des ministres, le gouvernement a fait des choix.
Certains de ces choix sont douloureux et j'ai compris que c'était votre sentiment pour ce qui concerne la Côte d'Ivoire. Les autres pays bailleurs pratiquent la même politique et optent parfois pour une concentration encore supérieure à la nôtre, ce qui est notamment le cas des Pays-Bas.
Pour ce qui concerne la Côte d'Ivoire, la Belgique a d'ailleurs veillé à maintenir autant que possible les programmes décidés en commission mixte. Depuis novembre dernier, la CTB a même décidé de continuer certains projets à Abidjan et Abengourou avec des expatriés belges qui choisissaient librement de rester sur place.
Vous avez raison d'affirmer que le pays a plus que jamais besoin d'aide mais cette assistance ne peut plus guère aujourd'hui s'exercer que sous la forme d'une aide humanitaire, de préférence internationale.
Deux exemples pourraient illustrer ce propos. La Belgique reste disposée à mettre en oeuvre un programme de redéploiement de l'administration dans les départements du nord occupés depuis septembre 2002 par les rebelles. La persistance de la division du pays empêche la mise en oeuvre du projet. Avant l'éclatement de la dernière crise, j'avais reçu le premier ministre de la Côte d'Ivoire et je lui avais promis de poursuivre ce projet de soutien de l'administration.
Mais cela s'avère impossible aujourd'hui. Pour sa part, la Commission Européenne avait prévu un grand programme d'appui budgétaire non ciblé d'une centaine de millions et approuvé par le Comité du FED (Fonds européen de développement) fin 2003.
Le détournement du produit des taxes sur la vente du cacao a conduit à l'annulation d'un programme qui n'est concevable que dans un contexte de bonne gouvernance financière. Une partie des budgets prévus a été réorientée par l'Union européenne vers l'aide d'urgence.
La Belgique a financé un moment le contingent béninois qui contribuait au maintien de la paix au sein de la Force africaine de la « Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest » (CEDEAO).
Par ailleurs, en maintenant ouverte son ambassade alors que les Britanniques, les Néerlandais ou les Suédois ont provisoirement fermé la leur, la Belgique préserve une possibilité du dialogue politique.
Puisque notre coopération est basée sur le partenariat, il importe ici de rappeler l'immense responsabilité de la classe politique ivoirienne dans la crise actuelle. Les ambitions de quelques responsables politiques ont conduit le pays au désastre. Il faut espérer que cette classe politique se ressaisisse et qu'elle assume ses responsabilités en faveur du processus de réconciliation nationale. Une fois le pays pacifié et réunifié, des élections seront possibles. La Belgique pourrait alors une fois de plus envisager de participer à leur financement.
M. Jean Cornil (PS). - Je remercie le ministre de la franchise de sa réponse.