3-82 | 3-82 |
Mme la présidente. - Je donne la parole à M. Brotchi en lui souhaitant de réussir sa maiden question.
M. Jacques Brotchi (MR). - Madame la présidente, je vous avoue que ce n'est pas sans émotion que je monte à la tribune. J'espère, chers collègues, que mes propos vous intéresseront puisqu'ils concernent votre santé et celle de tous nos concitoyens.
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous interpeller à propos d'un problème dont la presse quotidienne s'est fait l'écho à plusieurs reprises cet été en épinglant, dixit, plusieurs « permis de tuer » que vous auriez délivrés contre l'avis de la commission de spécialistes chargée d'évaluer leurs compétences. En m'informant plus avant sur la question, j'ai découvert que d'autres spécialités médicales et chirurgicales étaient également concernées.
Pour les collègues qui ne seraient pas au fait des dispositions légales en cette matière, je me propose de rappeler qu'en vertu de l'arrêté royal nº 78 relatif à l'exercice des professions de soins de santé, les candidats médecins spécialistes doivent obtenir l'agréation d'une commission avant d'être reconnus aptes à exercer leur spécialité. Chaque spécialité médicale relève donc d'une commission d'agrément composée de médecins spécialistes exerçant la profession à laquelle le candidat en question se destine.
Les chambres d'agrément sont constituées paritairement de représentants des universités et de représentants des associations professionnelles. Elles évaluent la formation du candidat et sa compétence en se fondant sur plusieurs critères définis par arrêtés royaux et ministériels, tels la durée de la formation, les rapports successifs du maître de stage, le nombre d'actes médicaux posés pendant la période de stage, etc. Elles sont très attentives à la qualité de la formation et à la compétence.
En cas de refus d'agrément, un candidat peut introduire un recours en faisant appel de la décision de la commission d'agrément auprès du Conseil supérieur. Sur la base des avis des chambres d'agrément et du Conseil supérieur, il appartient alors au ministre qui a la Santé publique dans ses attributions de reconnaître ou non le candidat médecin spécialiste apte à exercer sa spécialité de manière autonome.
Vous conviendrez que reconnaître l'aptitude d'un médecin spécialiste à exercer sa spécialité de manière autonome est une lourde responsabilité car il y va de la qualité de notre médecine et, a fortiori, de la santé de notre population.
Dès lors, quelle ne fut pas ma surprise de constater que si la presse quotidienne avait fait état de quatre cas de chirurgiens jugés incompétents par leurs pairs, la presse médicale avait, de son côté, mentionné le cas de deux radiologues. Et puis, j'ai appris à l'occasion de mon enquête personnelle auprès des commissions d'agrément qu'il existait des cas similaires, notamment chez les anesthésistes, les gynécologues, les psychiatres et les anesthésistes-réanimateurs.
Ces trois dernières années, le ministre de la Santé a accordé l'agrément sept fois sur dix en moyenne alors que la commission l'avait refusé ou soumis à condition. Depuis votre entrée en fonction, vous avez reconnu aptes onze spécialistes jugés incompétents par leur chambre d'agrément. Par exemple, vous avez agréé deux candidats chirurgiens qui avaient échoué à quatre reprises aux examens organisés en fin de formation. Il y a également le cas d'un médecin étranger dont la chambre avait conditionné l'agrément à une formation complémentaire en Belgique, sa formation à l'étranger ne répondant pas aux critères imposés chez nous. Vous l'avez agréé au motif qu'il entrait « dans le quota fixé limitant le nombre de candidats à la spécialité ». Le quatrième n'avait même pas effectué la moitié du nombre d'opérations requises pour devenir chirurgien !
Dès lors, monsieur le ministre, je m'inquiète à l'idée que vous soyez un jour amené à faire appel à un chirurgien ayant échoué à son examen d'aptitude, que vous soyez endormi par un anesthésiste à la formation incomplète, pour être enfin confié à des réanimateurs incompétents. Quel drame pour vous, pour nous tous et pour les patients ! La situation est donc grave et je suis inquiet des conséquences pour nos malades.
Comment expliquez-vous cette situation, monsieur le ministre ? Il me semble pourtant que la composition des chambres d'agrément et la qualité de leurs membres justifient qu'il soit au moins tenu compte de leur avis. Les membres de ces chambres sont en effet des médecins spécialistes en activité, qui suivent une formation continue et sont toujours au fait de l'actualité médicale dans le domaine spécialisé qui les concerne. Ils sont de ce fait les mieux placés pour évaluer la qualité de la formation des candidats spécialistes.
Le Conseil supérieur est, par contre, composé de 28 médecins généralistes et de 24 médecins spécialistes qui, le plus souvent, ne sont plus en activité. Il s'ensuit, pour prendre un exemple, que les capacités d'un candidat chirurgien seront évaluées par une instance de 52 médecins parmi lesquels ne siègent que quatre chirurgiens, dont certains ne sont plus en activité ! Il est évident qu'un médecin généraliste à la retraite, aussi respecté soit-il dans son domaine, ne peut valablement juger des aptitudes d'un futur chirurgien.
Il me semble que dans un domaine où la qualité de la médecine et le droit des patients sont en cause, il est nécessaire de veiller à ce que l'autorisation d'exercer soit conditionnée au minimum par la compétence. Et pour juger de cette compétence, je ne vois pas d'autre moyen que de confier l'évaluation des aptitudes du candidat médecin spécialiste exclusivement à ses pairs. Je serais heureux d'avoir votre avis à ce sujet.
Je voudrais également attirer votre attention sur les dysfonctionnements du Conseil supérieur qui, lorsqu'il s'écarte de l'avis de la chambre d'agrément, pourrait utilement soulever un débat contradictoire avec celle-ci et tenir compte des motivations qui ont présidé à sa décision. Plus grave, dans la majorité des cas, le Conseil supérieur ne prend même pas la peine de motiver valablement ses propres décisions. Cela va clairement à l'encontre du principe général de bonne administration et, plus particulièrement, de l'arrêté royal du 21 avril 1983 - fixant les modalités de l'agréation des médecins spécialistes et des médecins généralistes - qui exigent que cette instance d'appel se prononce par délibération motivée.
Si, comme vous l'avez soulevé à plusieurs reprises à ce sujet, « le fait qu'il puisse y avoir une divergence d'avis entre celui qui prend la décision et les instances qui lui remettent un avis ne signifie en aucune manière que la qualité du travail qui est fait par ces instances soit remise en cause » et qu'il est « important d'admettre que des avis différents puissent coexister et s'exprimer », quand il s'agit de savoir si un médecin est capable ou non d'honorer sa fonction, on est en droit d'exiger que ces avis soient au moins valablement motivés.
Enfin, je souhaiterais vous demander, monsieur le ministre, si vous assumez la responsabilité de la manière dont sont délivrées, à l'heure actuelle, les agréations et si vous estimez que cette politique est conforme à l'attente de nos concitoyens qui, sans le savoir, confient leur santé et leur vie à des médecins spécialistes jugés incompétents par leurs pairs.
M. Rudy Demotte, ministre des Affaires sociales et de la Santé publique. - Le sujet que M. Brotchi aborde dans sa question est extrêmement délicat. Je remercie d'ailleurs M. Brotchi de nous donner l'occasion d'en parler au cours de cette séance du Sénat. J'ai eu plusieurs fois l'occasion de discuter de ce problème avec d'autres membres du parlement et dans l'autre chambre.
Dans cette affaire, j'ai choisi de suivre l'avis de la Commission d'appel. Un petit rappel historique est peut-être indispensable pour une bonne compréhension des choses. Je ne suis à l'origine ni du mécanisme, ni de la désignation des différents acteurs. Je suis réputé pour être respectueux de l'avis des organes institués. J'ai dès lors suivi l'avis de la Commission d'appel, laquelle a proposé de reconnaître quatre chirurgiens qui avaient reçu un avis négatif de la Commission d'agrément. Rappelons à cet égard que, dans la hiérarchie des normes, la Commission d'appel est l'organe qui s'exprime en dernière instance.
La Commission d'agrément estime que la Chambre d'appel du Conseil supérieur qui, bien que présidée par un chirurgien émérite, ne comporte aucun chirurgien actif, a jugé de manière inadéquate ces dossiers sans rencontrer les arguments spécifiques qui avaient été avancés par la Commission de première instance. La Chambre d'appel est constituée de médecins spécialistes de toutes les spécialités, alors que la Commission d'agrément est composée de spécialistes actifs dans la discipline concernée.
Je ne pense pas que la Chambre d'appel rende ses avis à la légère. Elle jette sans doute un regard plus formel et juridique sur des éléments de preuve invoqués à charge des candidats concernés. Il est certes toujours possible de parfaire la motivation des décisions que l'on prend.
Ces dossiers concernaient des candidats arrivés au terme de leur formation. Il s'agit donc de médecins qui ont suivi six années de formation dans nos services de chirurgie, soit au total treize années de formation sous le contrôle ou sous la caution des facultés de médecine. Vous conviendrez avec moi que déclarer irrémédiablement incompétents des universitaires arrivés au terme de treize années d'études est en contradiction avec leur parcours. J'imagine que s'ils étaient incompétents, ils auraient dû être arrêtés plus tôt.
Attribuer la faute au Conseil supérieur siégeant en appel et imputer in fine la responsabilité au ministre revient un peu à dire, si je peux me permettre cette métaphore audacieuse, que la dernière écluse avant l'océan est fautive de l'eau sale de l'océan. Il faut aussi avoir la responsabilité, dans les procédures de formation, d'arrêter à temps les candidats qui ne sont pas suffisamment compétents.
Comme vous, Monsieur Brotchi - pour qui j'ai un grand respect et dont l'avis n'est pas sans peser dans notre pays -, je suis sensible aux propositions avancées par la Commission d'agrément, notamment celles qui visent à améliorer la communication avec la Chambre d'appel qu'il convient de conserver. On pourrait faire en sorte que des spécialistes actifs dans la discipline concernée participent aux délibérations en appel, à la condition expresse qu'ils n'aient pas participé à la délibération de première instance. Cette condition est primordiale au regard du droit. Ces spécialistes seraient désignés pour chaque discipline concernée au moyen d'une méthode à définir et siégeraient dans les organes d'appel.
Je proposerais donc d'inclure, dans la Chambre d'appel, quatre spécialistes de la discipline concernée qui participeront avec voix délibérative à la délibération et à la décision.
Afin d'améliorer cette communication, un membre de la commission d'agrément, ayant donné l'avis contre lequel une procédure d'appel a été introduite, est invité à exposer le dossier devant la chambre d'appel alors qu'il ne peut évidemment pas assister aux débats et à la délibération. Et je demande avec insistance que des décisions aussi lourdes, comme celle d'arrêter des candidats après treize années, engendrent des mécanismes de frein beaucoup plus tôt pour éviter d'être confronté à des drames, non seulement de formation mais aussi humains.
Je vous remercie de l'opportunité que vous me donnez d'ouvrir ce débat. J'espère qu'il nous mènera à de meilleurs modes de fonctionnement. En tout cas, ma conviction est que les mécanismes actuels sont perfectibles et c'est évidemment un euphémisme.
M. Jacques Brotchi (MR). - En ce qui concerne la reconnaissance de compétence, ce n'est pas parce qu'on a fait treize ans d'études, ce qui est évidemment énorme dans la vie, qu'on est nécessairement compétent.
Il est vrai que tout dépend du contenu de ce que l'on a fait. J'ai connu personnellement le cas de certains jeunes qui, au bout de leurs treize ans, n'avaient pas la possibilité de pratiquer et auxquels nous disions qu'ils devaient faire un an ou deux de plus parce que le contenu de leur formation ne nous permettait pas, en toute objectivité et en toute honnêteté, de les lâcher et de les laisser opérer de manière autonome.
J'insiste donc sur l'importance du contenu. Il ne suffit pas d'avoir fait six ans, d'avoir introduit administrativement à temps son plan de stage et d'être en règle. J'insiste beaucoup sur l'importance de voir ce que le jeune a fait pendant ces six années, pour être sûr qu'il a acquis la formation que tout le monde attend.
Mme la présidente. - Cette question mériterait certainement qu'on lui consacre un débat plus long, en dehors de notre séance d'aujourd'hui, avec la participation du ministre. Il faudrait envisager une réflexion en profondeur, monsieur Brotchi, d'autant plus qu'il me semble que le ministre soit réceptif à cette idée.