3-815/2

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

17 JUILLET 2004


Projet de loi portant création d'une Commission chargée du renouvellement des organes du culte musulman


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR MME TALHAOUI


I. INTRODUCTION

Le projet de loi facultativement bicaméral qui vous est soumis a été déposé initialement à la Chambre des représentants en tant que proposition de loi de M. Giet et consorts (doc. Chambre, nº 51-1275/1).

Il a été adopté par la Chambre des représentants le 15 juillet 2004, par 111 voix contre 23. Il a été transmis au Sénat le 16 juillet 2004 et évoqué immédiatement.

Le présent projet a été examiné par la commission, au cours de ses réunions des 14 (en application de l'article 27.1 du règlement du Sénat), 16 et 17 juillet 2004, en présence de la ministre de la Justice.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE LA MINISTRE DE LA JUSTICE

La ministre entend mettre en exergue le cadre constitutionnel dans lequel s'inscrit le présent projet de loi. La Constitution, en ses articles 19 à 21 et 181, consacre les principes de liberté des cultes, de neutralité de l'État et de non ingérence. Le projet s'inscrit également dans un cadre légal de reconnaissance des cultes et de subsidiation des cultes reconnus. Le culte musulman est, en effet, un des six cultes reconnus par notre pays, auquel il convient d'ajouter la laïcité organisée.

Le culte musulman doit sa reconnaissance à la loi de 1974. Cette reconnaissance n'est pas remise en cause par le projet en discussion. Celui-ci vise au contraire à renforcer la représentativité des organes de la communauté musulmane. Il convient, en outre, de faire observer que le projet de loi respecte la répartition des compétences dans notre État fédéral. En effet, si la loi spéciale du 13 juillet 2001 a régionalisé l'ensemble des compétences relatives à la gestion du temporel des cultes, il n'en demeure pas moins que les traitements et pensions des ministres des cultes ainsi que la reconnaissance des cultes en tant que tels relèvent de la compétence du législateur fédéral.

Afin de répondre aux interrogations des membres de la commission, la ministre juge opportun de situer le présent projet dans son contexte historique. Il convient tout d'abord de faire observer que la reconnaissance du culte musulman par la loi de 1974 n'a pas été suivie d'effets quant aux prérogatives liées à cette reconnaissance.

Le rapport de mars 1998, consacré à la mise en place de l'Exécutif des Musulmans de Belgique, justifie l'intervention de l'État en fonction de la spécificité du culte musulman de la manière suivante : « L'absence d'organe de représentation de la communauté religieuse se référant à l'Islam est régulièrement objectée pour justifier les carences actuelles. »

En effet, pour la gestion du « temporel du culte » et la désignation des enseignants de religion, l'État demande aux religieux de désigner une autorité qualifiée de « chef de culte » qui sera considérée comme l'interlocuteur officiel et dont la mission sera de gérer « administrativement » le culte et de le représenter symboliquement.

La réponse à la question de l'organe chef de culte islamique doit être résolue compte tenu de la spécificité de la religion musulmane. Celle-ci se caractérise par l'absence d'une structure hiérarchique préétablie et universellement reconnue et par l'absence de clergé. Il faut rappeler que « l'Imam » n'a pas de pouvoir charismatique lié à la succession apostolique, ni de pouvoir en matière de sacrement, comme c'est le cas dans la religion catholique.

Il résulte de l'absence de hiérarchie instituée par l'Islam que l'organe chef de culte musulman est nécessaire et sera plus adéquatement appelé « organe de gestion du culte musulman. »

Le rapport insiste donc sur la nécessité pour la communauté musulmane d'avoir des organes élus qui remplissent le rôle d'intermédiaire vis-à-vis des autorités publiques.

En dépit de l'espoir suscité en 1998, notamment suite aux élections de l'Exécutif, le culte musulman ne s'est toujours pas vu reconnaître toutes les prérogatives liées à sa reconnaissance en 1974.

Depuis quelques années, des tensions importantes sont apparues au sein de la communauté musulmane quant à ses organes représentatifs. En 2001-2002, l'Exécutif précédent a subi une motion de censure. La justice a été saisie et le gouvernement fédéral a été interpellé par l'Exécutif en ces termes :

« Monsieur le ministre, la situation est telle qu'elle nécessite une intervention urgente et concertée afin de redonner une légitimité à un Exécutif ayant à nouveau la confiance de la communauté. Les dossiers en cours, d'une importance extrême pour l'avenir, ne peuvent continuer à être traités de manière aléatoire et irresponsable. Ces dossiers ne peuvent reposer sur un organe qui n'est plus représentatif de la communauté. Les risques de dérapage dans ces dossiers sensibles sont déjà perceptibles.

(...)

Nous espérons que ce courrier sera compris comme un geste sincère envers vous pour remédier à une situation grave et qu'il suscitera toute votre attention. »

À la suite de cette interpellation du gouvernement fédéral, ce dernier a sollicité l'intervention de deux médiateurs, à savoir la sénatrice Kaçar et le sénateur Moureaux. Ces derniers ont remis un rapport qui a mis en exergue différents problèmes, notamment des problèmes liés à la représentation des femmes et des différents groupes religieux au sein de l'Exécutif, des problèmes communautaires et des tensions entre les différents courants au sein de la communauté musulmane. Des solutions ont été proposées.

Le gouvernement précédent a décidé, sur la base de ce rapport, et à titre de solution transitoire, de nommer un Exécutif pour une période d'un an, à savoir jusqu'au 31 mai 2004. Cet Exécutif nouveau, qui a recherché la cohésion de la communauté autour des principes dégagés en 1998, a néanmoins été confronté à des difficultés internes (démission de deux vice-présidents et de deux membres, absentéisme de certains membres, ...). De plus, les tensions ci-dessus mentionnées n'ont pu être éliminées.

Il existe un consensus général en vue de l'adaptation du rapport de 1998. Néanmoins, force est de constater qu'il n'y a pas d'accord au sein de la communauté musulmane sur la manière de l'adapter. La ministre est d'avis que la situation actuelle est tout à fait néfaste pour ladite communauté. En effet, un problème se pose quant au respect des principes constitutionnels, dès lors qu'en l'absence d'organe représentatif légitime, le culte musulman n'est pas à « égalité d'armes » avec les autres cultes reconnus. Pour assurer cette égalité et respecter le principe de la neutralité de l'État, en l'absence de toute autre solution alternative et démocratique, il appartient au législateur d'intervenir.

Le Conseil d'État estime d'ailleurs qu'on peut envisager une ingérence pour respecter le cadre institutionnel, mais que celle-ci doit être justifiée et respecter le principe de proportionnalité. En d'autres termes, il ne doit pas y avoir d'alternative possible pour régler le conflit.

Le mandat de l'Exécutif actuel a pris fin le 31 mai 2004. Celui-ci n'est donc plus en place qu'en vertu du principe de continuité du service public. Cette situation ne pouvant perdurer indéfiniment, il incombe au législateur d'y mettre un terme en légiférant en la matière.

Le présent projet de loi vise, dès lors, à former une commission qui aura pour mission d'organiser les élections d'ici la fin de l'année 2004 ou, au plus tard, au début de l'année 2005.

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

Mme Durant s'étonne du calendrier forcené qui est suivi pour l'examen du présent projet. Certes, le délai de validité de l'arrêté reconnaissant les membres de l'Exécutif des musulmans de Belgique a expiré le 31 mai 2004, mais la ministre de la Justice elle-même a rassuré les membres de l'Exécutif quant à la continuité de leurs missions en l'absence d'un nouvel arrêté.

L'oratrice reconnaît que l'on ne peut perdre du temps, mais une telle marche forcée est tout le contraire d'une garantie de travail de qualité et de recherche d'une solution adéquate.

Un tel dossier mériterait à tout le moins que le Sénat organise quelques auditions permettant de bien évaluer le contexte actuel et les difficultés réelles, qui, si elles existent, justifient que l'on déroge aux dispositions prévues en 1998.

Enfin, pour que le Parlement puisse procéder à un examen sérieux du texte, il faudrait le soumettre pour avis au Conseil d'État. L'avis rendu par le Conseil d'État sur le projet d'arrêté royal (avis nº 37.484/2 du 2 juillet 2004), transformé en proposition de loi à la demande même du Conseil d'État, met en évidence l'ingérence de l'État dans les libertés fondamentales. En outre, le Conseil d'État s'est dispensé d'examiner plus avant le contenu du projet d'arrêté puisqu'une intervention du législateur s'imposait. L'intervenante en conclut qu'il est opportun que le Conseil d'État se prononce sur le projet à l'examen.

Quant au fond de la proposition, elle concerne un dossier dans lequel l'État belge a agi en pionnier en matière de mode de désignation, de représentation des minorités, d'exigences diverses qui d'ailleurs n'ont pas été imposées à d'autres cultes. De fait, l'Exécutif émanant de l'Assemblée élue en 1998 a été placé devant le défi d'expérimenter et d'essuyer les plâtres d'une pratique inédite.

À ce titre, il faut en effet reconnaître un certain nombre de difficultés, de blocages durant les cinq premières années de fonctionnement. Comment aurait-il pu en être autrement ? L'écueil le plus important ces dernières années concerne le « screening » des membres et le remplacement d'une partie d'entre eux à la suite de l'éviction de certains représentants élus.

L'Exécutif s'est trouvé tiraillé entre l'Assemblée constituante et les exigences du ministre de la Justice de l'époque, ce qui n'a pas facilité sa tâche.

Mme Durant renvoie sur ce point au rapport de médiation fait par M. Philippe Moureaux, le 10 octobre 2002, à la demande du gouvernement précédent (et qui a été approuvé par celui-ci) : « l'Exécutif n'a plus la confiance de l'Assemblée. (...) Cette méfiance a vraisemblablement cristallisé de façon excessive une majorité qui a trouvé, à cette occasion, une manière forte de remettre en cause le screening mis en oeuvre lors de la création de l'Exécutif. (...) Cette méfiance existe et subsiste au moins en partie et elle explique les soubresauts internes de l'Exécutif. (...). »

Dans ses recommandations, M. Moureaux proposait un compromis, c'est-à-dire un exécutif partiellement renouvelé (et il allait un peu plus loin qu'un tiers, comme le prévoit l'arrêté de 1998, en proposant un renouvellement de la moitié des membres). Ce compromis se situait « à mi-chemin entre renouvellement intégral et le statu quo ».

En outre, il proposait des modalités nouvelles quant à l'avis à donner sur les candidatures et la possibilité d'appel. Enfin, en matière d'exigence de formation pour être éligible, M. Moureaux a, à juste titre, critiqué cette exigence capacitaire qui est peu conforme au principe d'égalité pour les votants comme pour les élus.

L'oratrice constate que, malgré toutes ces difficultés, l'Exécutif a accompli une partie importante de ses missions, en dépit de ses faibles moyens, de retards de paiement des subventions et d'absence d'interlocuteur dans le cadre de la régionalisation partielle de la gestion des cultes en fin de législature régionale.

Le projet à l'examen pose comme postulats, d'une part :

­ « l'absence de consensus au sein de la communauté musulmane quant au renouvellement de cet Exécutif » et, d'autre part,

­ « le défaut de critères objectifs juridiquement incontestables pour le renouvellement partiel ».

Mme Durant formule les considérations suivantes concernant ces deux postulats.

L'absence de consensus

L'intervenante estime que l'Exécutif des musulmans n'est pas le seul endroit dans une communauté où le consensus est difficile à trouver. A fortiori dans le contexte politique et international actuel. En clair, on instaure ici un principe nouveau : quand il y a tension ou divergences de vue dans une communauté qui conteste la composition d'un organe élu, il suffit de faire mousser la tension, de sortir des procédures démocratiques conférant une légitimité et de nature à asseoir et valider celle-ci, pour qu'on remette en cause tous les élus de l'organe élu et que l'on propose d'une part un renouvellement complet et d'autre part une commission chargée d'organiser cette élection.

Si le problème est lié à l'absence de consensus, il n'existe aucune garantie que la solution proposée permette d'aboutir à un plus grand consensus demain.

Cette option risque fort de nous ramener 5 ans en arrière, alors que c'est la multiciplicité même des interlocuteurs qui a conduit à organiser des élections en 1998. L'oratrice se demande en quoi les élections qui auraient lieu demain seraient plus légitimes que celles de 1998.

Cette absence de consensus se fonderait sur l'audition ou des courriers d'autres représentants de la communauté musulmane de Belgique. Certes, ces représentants doivent être entendus par l'Exécutif, et leurs propos ou opinions peuvent constituer un baromètre, mais le terme « représentant » ne peut être galvaudé. Les interlocuteurs officiels de l'État ne peuvent être choisis à la carte.

Dans bien d'autres dossiers, des voix se font entendre mais ne donnent pas lieu pour autant à une mise sur la touche des représentants désignés. C'est toute la différence entre la démocratie directe et la démocratie représentative.

L'absence de critères juridiques objectifs pour le renouvellement partiel

Les critères du renouvellement partiel proposé par l'Exécutif, en application de l'arrêté de 1998, ont été précisés : l'assemblée se prononcera par un vote interne sur le tiers sortant, comme prévu par l'arrêté de 1998; l'absentéisme ne sera qu'un des éléments d'information communiqué aux membres de l'Assemblée.

Mme Durant estime que les modalités proposées par l'Exécutif donnent toutes les garanties juridiques au processus de renouvellement partiel, garanties dont il est étonnant qu'elles fondent la proposition de loi puisqu'elles ont été communiquées à la ministre au début du mois de juin.

Dès lors, l'oratrice s'interroge sur cette ingérence dans les affaires intérieures d'un culte, par laquelle on remet en cause, rétroactivement, les accords de 1998. L'avis du Conseil d'État sur le projet d'arrêté de la ministre n'est pas de nature à la rassurer sur ce point.

Les développements de la proposition indiquent que « ce n'est pas à l'État mais aux électeurs de la communauté musulmane de trancher ». Faut-il en conclure que les élections de 1998 n'étaient pas valides ?

Les électeurs se sont prononcés dans le cadre d'une procédure définie il y a 5 ans et pour 10 ans. L'assemblée actuelle, élue, souhaite accroître la transparence en proposant, dans le cadre du renouvellement, une consultation des communautés locales. Mais, dans le projet à l'examen, c'est l'État qui tranche et qui change les règles du jeu en cours de partie.

Le présent projet évoque en outre les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, certes intéressants, mais sans objet dans le cadre actuel.

Au-delà de l'option que prend le projet en faveur d'un renouvellement total, il y a les modalités. En 1998, l'arrêté ministériel installait une Commission d'accompagnement qui a veillé (et conclu) à la régularité des élections organisées par l'Exécutif provisoire.

Pourquoi aujourd'hui vouloir organiser des élections sous tutelle ? Cela signifie-t-il que cinq ans après l'organisation des premières élections, qui ont été reconnues régulières et validées, l'Exécutif ne serait plus capable d'en organiser de nouvelles ?

La commission devrait agir, si l'on s'en tient au texte, en toute indépendance et autonomie. Mais ses membres seront désignés par la seule ministre de la Justice et sur la base de critères inconnus. Que restet-il, dans un tel scénario, de l'autonomie et de l'indépendance, puisque c'est la ministre elle-même qui désigne les membres de la commission chargée du renouvellement des organes du culte musulman ?

Mme Nyssens commence par souligner que le projet en discussion concerne un sujet sensible. En effet, l'une des caractéristiques de la communauté musulmane est qu'il n'existe pas une communauté musulmane seule et unique. Elle est donc caractérisée par l'hétérogénéité, y compris à propos du contenu du texte proposé, et par le fait que l'islam est une religion qui n'a pas de structure hiérarchique.

L'intervenante rappelle que c'est dans ce contexte que l'on a créé, il y a quelques années, l'Exécutif musulman, un organe dont on pensait qu'il pouvait représenter la communauté musulmane. Force est toutefois de constater maintenant que la communauté musulmane n'a pas réussi à dégager en son sein un consensus sur le renouvellement de l'Exécutif, et c'est dans ce cadre qu'il y a lieu d'envisager l'interférence juridique en projet, qui n'est pas simple.

L'intervenante déclare ensuite qu'en fait, beaucoup de musulmans ne connaissent pas encore l'Exécutif et son fonctionnement, et qu'il adopte dès lors une attitude assez neutre à son égard. Par contre, il y en a d'autres qui connaissent le dossier, et ceux-là ont des opinions divergentes.

Mme Nyssens fait ensuite référence à l'avis du Conseil d'État du 2 juillet 2004 concernant le projet d'arrêté royal « portant création d'une commission chargée de l'organisation du renouvellement des organes du culte musulman ».

Le Conseil d'État a estimé à juste titre que le Roi n'est pas habilité à régler cette matière spécifique et qu'une initiative législative est nécessaire. C'est pourquoi une proposition de loi a été déposée récemment à la Chambre des représentants.

Le Conseil d'État a estimé ensuite que « si l'initiative d'une loi devait être prise, qui s'inspirerait du projet d'arrêté examiné », la loi en question devrait respecter les conditions que l'assemblée générale a rappelées dans son avis susvisé 34.547/AG. Ces conditions sont les suivantes : ... » Suivent quelques pages sur les libertés, telles que la liberté de pensée, la liberté de conscience, la liberté de religion et la liberté d'association, qui doivent être sauvegardées.

Sur le plan des principes, tout est clair et net. Si l'on veut restreindre les libertés, on doit le faire par voie légale et il doit y avoir un rapport de proportionnalité entre le but visé et les moyens utilisés pour l'atteindre.

La question est de savoir si tel est bien le cas en l'espèce. Selon Mme Nyssens, il y a en tout cas matière à discussion.

C'est ainsi que le projet de loi à l'examen reprend mot pour mot la phrase que voici du projet d'arrêté royal, dans laquelle est définie la mission de la commission : « la commission est chargée de prendre toutes les mesures nécessaires pour l'organisation des élections générales ». Et le Conseil d'État d'estimer qu'il s'agit justement d'un exemple d'ingérence trop large.

En principe, il appartient au culte reconnu de déterminer lui-même quel organe est compétent pour être l'organe représentatif du culte vis-à-vis de l'État, en particulier pour assurer l'exécution de l'article 181, § 1er, de la Constitution. La création d'une commission que l'on chargerait, en des termes si généraux, de remplir les missions que lui assigne l'auteur du projet, constituerait une ingérence dans les libertés auxquelles le Conseil d'État fait référence dans son avis. On doit par conséquent pouvoir démontrer que l'ingérence n'outrepasse pas les limites fixées par les articles précités de la CEDH et de la Constitution.

Elle doit en tout cas rester la plus limitée possible et il doit y avoir un rapport de proportionnalité entre le but visé et les moyens utilisés pour l'atteindre. Par conséquent, le texte de l'article 4, 1º, du projet, qui prévoit que la commission est chargée de prendre toutes les mesures nécessaires pour l'organisation des élections générales, est formulé en des termes trop larges et il ne remplit dès lors pas cette condition.

Le législateur a tout intérêt à ce que le principe de proportionnalité soit respecté et à ce que l'on démontre qu'il l'est, étant donné le précédent que crée le projet de loi à l'examen. Nos libertés sont trop importantes pour ne pas tenir compte de cela.

Mme Nyssens souhaite aussi formuler quelques observations concernant le moment auquel ce projet est examiné. L'urgence résulte-t-elle d'un concours de circonstances ou est-elle due à un autre motif plus spécifique ? Il est évident que l'organisation d'élections prend un certain temps, mais il ne faut quand même pas oublier qu'elles ne devront avoir lieu que dans le courant de l'hiver. Pourquoi dès lors une telle précipitation ?

Les élections doivent en tout cas pouvoir se dérouler sans embûches et il faut absolument des moyens matériels et humains pour cela. La ministre peut-elle fournir des précisions sur la composition de la commission ? Il va de soi que les élus doivent être issus des diverses communautés musulmanes, mais la ministre a le droit d'intervenir. Eu égard au principe de la séparation entre l'Église et l'État, la question se pose de savoir si cela se justifie du point de vue juridique.

Enfin, Mme Nyssens note que l'Exécutif des Musulmans peut proposer les candidats à la commission et que la ministre désigne ensuite les membres de celle-ci. À la suite de l'amendement de l'article 3, la désignation se fera parmi les candidats proposés. Cet amendement est-il de nature à rassurer l'Exécutif ?

Selon Mme de T' Serclaes, il s'agit d'un dossier difficile et sensible. Cela fait longtemps déjà que l'on tente de mettre sur pied une représentation du culte islamique, et des élections ont été organisées pour la première fois en 1998.

La meilleure solution est bien sûr que l'État n'intervienne pas dans l'organisation des cultes, mais il arrive que le législateur doive prendre ses responsabilités. Il est dommage que les pouvoirs publics doivent à présent intervenir, mais il n'y a pas d'autre solution. Personnellement, l'intervenante aurait préféré que le rapport Moureaux-Kaçar proposât des solutions, mais il ne l'a pas fait.

En conséquence, le texte du projet doit être très solide et ne peut ouvrir la porte à des recours devant la Cour d'arbitrage sur la base des articles 10 et 11 de la Constitution. Pour éviter pareil recours, le législateur devra motiver sa décision de manière circonstanciée.

Mme de T' Serclaes renvoie elle aussi à l'avis du Conseil d'État, et plus précisément au passage qui dit qu'il doit exister un rapport de proportionnalité entre le but visé et les moyens mis en oeuvre, et ajoute que l'ingérence, qui est formulée trop largement à l'article 4, 1º, du projet, n'est pas conforme au principe de proportionnalité.

Si le projet de loi à l'examen doit constituer une base solide pour l'organisation d'élections, le législateur devra dans ce cas motiver cette disposition et préciser clairement de quelles mesures générales en vue de l'organisation des élections il s'agit. Il faut qu'il soit clair que le projet vise uniquement l'organisation pratique des élections et qu'il ne concerne en aucun cas l'établissement des listes de candidats.

M. Mahoux émet une objection concernant le terme « communauté » qui est utilisé dans la discussion actuelle.

L'intervenant souligne par ailleurs qu'il est évident que l'État n'intervient pas dans l'organisation des cultes, mais que cette règle fonctionne dans les deux sens : les Églises non plus ne doivent pas intervenir dans la gestion de l'État.

C'est toutefois un réel problème qui se pose aujourd'hui, et l'on ne peut pas nier la réalité. C'est pourquoi le législateur doit proposer des mesures, de préférence le plus vite possible.

Le projet à l'examen crée une commission chargée d'organiser les élections, étant entendu que l'organe qui sera issu de ce scrutin représentera le culte islamique. Le législateur doit avoir la certitude que la commission a pour seul but d'organiser les élections et que celles-ci se dérouleront selon la volonté de la communauté musulmane.

Par ailleurs, l'intervenant prêche la prudence. Il faut en effet veiller à ce que les réflexions et les critiques relatives à certains principes importants comme la séparation entre l'Église et l'État, que d'aucuns auront émises dans le cadre de la discussion du présent projet, ne puissent pas être interprétées erronément comme une forme d'intolérance visant à rejeter la communauté en question.

M. Van Hauthem constate que la discussion du projet à l'examen se déroule selon une procédure assez singulière. Le délai de validité de l'arrêté royal reconnaissant les membres de l'Exécutif des Musulmans de Belgique a expiré le 31 mai 2004. En l'absence de consensus quant au renouvellement de cet Exécutif et vu le défaut de critères objectifs juridiquement incontestables, les auteurs proposent la création d'une Commission chargée du renouvellement des organes du culte musulman.

Le dépôt d'une proposition de loi à la Chambre des représentants est la conséquence de l'avis rendu par le Conseil d'État sur un projet d'arrêté royal « portant création d'une Commission chargée de l'organisation du renouvellement des organes du culte musulman » au moyen duquel la vice-première ministre et ministre de la Justice avait initialement cru pouvoir résoudre les problèmes. Dans son avis 37.484/2 du 2 juillet 2004, le Conseil d'État dit que l'arrêté royal en projet manque de fondement légal et conclut que « pour que les mesures puissent être introduites, une intervention préalable du législateur est requise ».

Pour ne pas devoir déposer un projet de loi qu'il faudrait à nouveau soumettre pour avis au Conseil d'État, on a déposé, le 8 juillet 2004, une proposition de loi qui devrait être examinée et adoptée par la Chambre et le Sénat en quatre jours.

Hier, le président du Sénat a fait l'éloge, au cours d'une conférence de presse, du Sénat en tant que chambre de réflexion. Aujourd'hui, un jour plus tard, les sénateurs ont à examiner un texte dont ils ne savent même pas s'il sera voté à la Chambre.

Tout le monde sait que la représentation de la communauté musulmane dans notre pays soulève des problèmes qui ne sont pas nouveaux, puisqu'ils existent depuis que l'Exécutif est entré en fonction en 1998. C'est dû en partie au fait qu'il existe plusieurs courants au sein de la communauté musulmane de notre pays.

De fait aussi, les pouvoirs publics ont toujours redouté que le fondamentalisme n'infiltre l'Exécutif. La réalité de ce danger a d'ailleurs été confirmée dans le cadre de la première élection du Conseil général des musulmans et de l'Exécutif, lors de laquelle 25 candidats ont été écartés, sur l'avis de la Sûreté de l'État, parce qu'ils entretenaient des liens avec des associations islamistes radicales. À cet égard, l'intervenant cite le responsable du Centre pour la Culture arabe de Saint-Josse-ten-Noode qui a fait, dans le cadre d'une interview remarquable qui a été publiée dans l'hebdomadaire HUMO, plus précisément au sujet des manipulations qui ont eu lieu à l'occasion des élections du Conseil des musulmans, la déclaration suivante : « Les partis politiques belges savaient que les fondamentalistes allaient exploiter l'élection du conseil des musulmans aux fins qui sont les leurs. Il s'est passé des choses bizarres : des rapports ont été « mutilés » et il y a eu des manipulations scandaleuses. Pourtant, personne n'est intervenu. Ce n'est qu'après avoir constaté que 50 % des personnes inscrites sur la liste des candidats étaient des fondamentalistes que l'on procéda à des radiations. Et là encore, on se contentera d'une opération de chirurgie esthétique, car les nouveaux candidats étaient tout aussi fondamentalistes que les anciens. »

L'Exécutif s'est engagé dans une impasse dont il n'a plus pu sortir. Le problème du fondamentalisme au sein de l'Exécutif n'est toujours pas résolu. En 2002, deux sénateurs, M. Moureaux et Mme Kaçar, ont été envoyés en tant que médiateurs auprès de la communauté musulmane. À la fin de cette année-là, ils ont conseillé de remplacer la moitié des membres de l'Exécutif. Après ce remplacement qui a eu lieu en 2003, il s'avéra que le ministre de la Justice avait finalement quand même nommé huit membres considérés comme des fondamentalistes par la Sûreté de l'État. Le fait que le ministre n'ait pas tenu compte de l'avis de ses propres services a entraîné une vive réaction de M. Van Parijs, ancien ministre de la Justice, qui a fait la déclaration suivante : « Vous êtes responsable de l'entrée de l'intégrisme au sein de l'Exécutif et vous êtes complice de celui-ci. Notre groupe ne pourra jamais tolérer cela et ne le tolérera jamais, parce que tous les efforts d'intégration accomplis seront réduits à néant de par l'impact que l'Exécutif peut exercer sur les jeunes de la deuxième et de la troisième générations. » (Traduction)

Le projet à l'examen charge une commission de renouveler les organes du culte islamique. Le Parlement est donc invité à donner carte blanche au ministre au bout de quatre jours. La ministre ne tient pas compte à cet égard de l'histoire de l'Exécutif des musulmans, ni du risque d'infiltration fondamentaliste.

Au cours de son exposé introductif, la ministre a souligné qu'elle avait, au cours de l'examen à la Chambre, entendu toute une série de remarques qui n'avaient rien à voir avec le projet à l'examen. La proposition de loi ne traite par exemple pas de la reconnaissance de la religion islamique. Le groupe de l'intervenant estime toutefois qu'il est opportun de se demander, à ce moment-ci, s'il faut continuer à reconnaître la religion islamique. La ministre a raison de signaler que la reconnaissance et le financement des mosquées relèvent de la compétence des régions. La reconnaissance d'une religion a toutefois des conséquences. L'une d'elles est qu'il faut verser un traitement aux ministres du culte, qui sont désignés par l'Exécutif. Le débat sur la reconnaissance a toutefois une importance fondamentale en ce qui concerne les conséquences.

M. Van Hauthem attire l'attention sur le fait que le débat sur la reconnaissance ou non d'une religion n'a rien à voir avec le principe de la liberté de religion.

M. Germeaux déclare que son principal souci concerne le problème de la transparence nécessaire autour des membres du Conseil général et de l'Exécutif. Il estime que le projet devrait prévoir une marge de sécurité à cet égard. L'Exécutif se heurtera à beaucoup moins de résistances si sa composition est acceptable pour tous les intéressés.

Ce que prévoit le projet constitue une première étape nécessaire. L'islam est une religion reconnue et, en tout cas, aucune discussion sur sa reconnaissance n'est à l'ordre du jour.

Enfin, l'intervenant demande que la ministre fournisse quelques précisions au sujet du suivi, de la sélection et de la transparence au sein de l'Exécutif des musulmans de Belgique.

Mme De Schamphelaere rappelle qu'elle a posé, le 25 mars 2004, à la ministre, une question relative à la fin du mandat d'une partie des membres de l'Exécutif (question orale nº 3-263, Annales nº 3-49). La ministre considérait encore alors, dans le cadre de sa réponse, que l'Exécutif était en mesure de régler lui-même l'élection, ce qui est conforme à notre cadre constitutionnel.

Il faut évidemment tenir compte de la structure spécifique de l'islam, ce qui signifie que l'on ne peut pas appliquer sans plus les structures catholiques. On veut cependant associer l'islam à l'exercice des libertés constitutionnelles en le reconnaissant en tant que religion. Depuis l'organisation des premières élections, on espère pouvoir améliorer la participation de la communauté musulmane à notre société et rendre cette communauté plus transparente. De cette manière, on pourra endiguer l'influence fondamentaliste. Cette influence est du reste renforcée par le fait que la seule source de financement existante est fournie par des pays fondamentalistes qui arrivent de la sorte à influencer très sensiblement la manière dont on prêche dans les mosquées.

La reconnaissance de l'islam en tant que religion doit être suivie des mêmes effets que la reconnaissance des autres religions. Il y a, dans bien des écoles, des professeurs de religion qui enseignent l'islam. Il est tout à fait anormal que ces professeurs soient formés non pas chez nous, mais à l'étranger.

Il faut dès lors créer la base nécessaire pour pouvoir garantir ces effets positifs tant pour notre société que pour la communauté musulmane. Il importe que l'on fasse cela dans le cadre constitutionnel de notre pays, qui implique la séparation entre l'Église et l'État, d'une part, et le respect de la liberté de religion qui englobe le respect de l'autonomie d'organisation des religions d'autre part. De là la question que l'intervenante a adressée à la ministre. En mars, la ministre partait encore du principe que la communauté musulmane allait organiser elle-même les élections de ses organes représentatifs; à la fin du mois de juin, la ministre voulait organiser l'élection par arrêté royal, mais elle se heurta à des objections du Conseil d'État. Que pense le Conseil d'État du projet à l'examen ? N'est-il pas essentiel que, pour la désignation de la représentation de la communauté musulmane dans notre pays, l'on dispose d'une base constitutionnelle sûre ? À quoi bon vouloir intégrer la communauté musulmane dans notre système constitutionnel si nous nous montrons incapables nous-mêmes de respecter la séparation fondamentale entre l'Église et l'État en ce qui les concerne, en organisant l'élection à leur place ? Qu'est-ce qui explique l'échec de l'organisation des élections par la communauté musulmane elle-même ?

Mme Talhaoui déclare qu'elle partage certains des points de vue défendus par les intervenants précédents, mais qu'elle en rejette d'autres.

L'islam en tant que culte reconnu

L'intervenante souligne que l'islam doit être traité, en tant que culte reconnu, sur le même pied que les cinq autres cultes reconnus. En ces temps de globalisation, dans lesquels l'interculturalité imprègne la vie sociale, on ne peut pas manquer de constater que l'islam joue également un rôle de premier plan en Europe. Forte du très large plaidoyer pour un islam européen, l'intervenante se dresse contre ceux qui continuent à combattre la reconnaissance de l'islam.

Respect de principes constitutionnels et de principes de droit international

Le projet à l'examen doit permettre d'élaborer un texte cohérent et opérationnel respectant l'équilibre délicat entre la liberté de culte, le principe de la séparation de l'Église et de l'État et celui de la prise en charge par l'État des traitements des ministres des cultes reconnus, tels qu'ils sont définis aux articles 19, 20, 21 et 181 de la Constitution et par l'article 9 de la CEDH.

Organisation interne de l'islam

D'aucuns ont souligné que, contrairement aux autres cultes reconnus, l'islam a beaucoup de difficultés à s'organiser. L'intervenante impute ces difficultés au fait que bien des courants d'interprétation se sont développés au sein de l'islam. L'on peut d'ailleurs se demander si des institutions qui regrouperaient les diverses tendances du monde catholique tiendraient longtemps.

Il faudra donc prendre l'islam tel qu'il est et qu'il est vécu dans notre pays. Il est toutefois à déplorer qu'aucun consensus n'ait pu être dégagé au sein du Conseil et de l'Exécutif concernant l'organisation d'élections générales. Le projet à l'examen vise dès lors à permettre à ces institutions de sortir de l'impasse dans laquelle elles se trouvent.

Points de vue divers au sein de la communauté musulmane

Plusieurs des courants qui sont présents dans la communauté musulmane de Belgique ont adopté des points de vue divergents sur le projet à l'examen.

L'intervenante constate que la communauté musulmane s'est tellement bien intégrée dans notre pays qu'elle a fait siennes certaines caractéristiques du système belge, telles que les sensibilités communautaires et politiques. La Communauté française et la Communauté flamande ont voté des décrets visant à rapprocher l'organisation du culte des fidèles. Aussi bizarre que cela puisse paraître, il existe tout aussi bien un fossé entre le fidèle et les autorités religieuses qu'entre le citoyen et le politique.

Selon M. Hugo Vandenberghe, tout cela amène à se demander si c'est bien au politique et donc au législateur qu'il appartient de combler ce fossé dans le domaine religieux.

Mme Talhaoui répond négativement. Elle admet que ce projet nous conduit sur un terrain dangereux. Mais cela résulte du fait que, pendant cinq ans, les autorités n'ont pas été en mesure de garantir à l'islam la reconnaissance nécessaire et qu'en conséquence, on a été incapable d'associer la communauté musulmane, en tant que partenaire privilégiée, à la solution d'un tas de problèmes pratiques qui émeuvent l'opinion publique, comme la question du port du voile, la question de la formation des imams, etc.

Actuellement, il faut surmonter des oppositions qui paralysent le fonctionnement du Conseil et de l'Exécutif. C'est pourquoi l'examen du présent projet requiert célérité. L'organisation rapide des élections et l'installation des organes précités permettront de s'attaquer aux problèmes précités à court terme. Il faudrait profiter dès lors du début du ramadan le 15 octobre pour mener une campagne de sensibilitation en vue du renouvellement des organes représentatifs de la communauté musulmane de Belgique.

M. Coveliers éprouve un sentiment d'amertume à propos du présent projet. Il est vrai que ce projet est la conséquence logique de l'évolution historique de la conception du rôle de l'État vis-à-vis des cultes. Il suffit de se souvenir du concordat que Napoléon a conclu en 1804 avec l'église catholique romaine et qui constitue le fondement juridique de la rémunération par l'État des ministres des cultes reconnus. La question fondamentale est cependant de savoir si la décision de l'État belge de ne reconnaître que six des 123 cultes recensés en Belgique est compatible avec la liberté de culte garantie par la Constitution. De plus, l'intervenant ne voit pas pourquoi la reconnaissance d'un culte emporte pour l'État l'obligation de subventionner celui-ci. La politique de subvention a d'ailleurs amené un participant à un congrès sur le terrorisme à déclarer : « Vous financez le terrorisme ».

L'intervenant défend le principe de la séparation de l'Église et de l'État. Aussi trouve-t-il étrange que le gouvernement souhaite, par le présent projet, contraindre la communauté musulmane à organiser des élections démocratiques, alors que cette communauté ne se distingue pas particulièrement par des structures démocratiques. Est-ce dire que, par analogie avec les élections législatives fédérales, les listes de candidats à un poste au sein des organes représentatifs de cette communauté devront être composés paritairement d'hommes et de femmes ?

L'ingérence de l'État dans l'organisation interne des cultes soulève quelque appréhension chez l'intervenant. Mais l'État y est contraint, parce que la reconnaissance de l'islam et des cinq autres cultes a des conséquences financières et grève le budget des pouvoirs publics. Telle est la conséquence d'une évolution historique qui a donné naissance à une situation que l'orateur considère comme intrinsèquement antidémocratique. L'on devrait par conséquent réfléchir à d'autres systèmes de financement des cultes, comme le Kirchensteuer en Allemagne, qui permet au contribuable de déterminer lui-même à quel culte ou courant philosophique il affecte une part de ses impôts, ou comme le tax shelter.

De plus, le projet à l'examen ne pourra pas compter sur un large soutien dans l'opinion publique, étant donné qu'il ne se passe pas un jour sans que les médias relatent des crimes commis ici ou là dans le monde au nom de l'islam et que la communauté musulmane de Belgique ne les condamne jamais ouvertement. Parallèlement, cette communauté réclame des subventions publiques.

Enfin, M. Coveliers attire l'attention sur le fait que l'enquête sur les éventuelles convictions fondamentalistes des candidats au précédent Exécutif a soulevé de graves problèmes. Si l'on ne procède plus à pareille enquête, les organes du culte islamique connaîtront à nouveau des dissensions, les uns accusant les autres de fondamentalisme. L'intervenant craint que de tels conflits soient normaux dans un système qui vise à institutionnaliser un culte ou une communauté religieuse dans le cadre d'organes démocratiques.

Le projet à l'examen constitue par conséquent une tentative de résoudre la quadrature du cercle.

M. Hugo Vandenberghe, président, déclare que c'est la structure même de l'islam, avec ses multiples courants, qui est à la base du présent projet. Il faut cependant se garder de confondre orthodoxie et pluralisme. Certaines religions ont une composante orthodoxe. Leurs courants dissidents sont alors qualifiés d'hétérodoxes. Cela ne signifie pas pour autant que l'orthodoxie ne puisse pas être pluraliste. Force est de constater que dans le cas spécifique de l'islam, l'orthodoxie est différente de l'orthodoxie telle que la connaît l'Église catholique romaine.

En ce qui concerne la relation entre l'Église et l'État, l'intervenant souligne que l'article 9 de la CEDH prévoit non pas leur séparation, mais laisse la question ouverte. C'est ainsi que la Cour européenne a reconnu l'Église luthérienne au Danemark et l'Église anglicane en Grande-Bretagne comme Églises d'État, alors qu'elle a confirmé le principe de la stricte séparation de l'Église et de l'État en France. Toutes ces variantes tombent sous le coup de l'article 9 de la CEDH qui prescrit l'égalité de traitement entre les religions. En conséquence, cet article ne s'oppose pas à la reconnaissance et à la subvention d'un culte par l'État. Ce point relève de l'autonomie politique de chaque État membre.

La liberté de pensée et la liberté de religion sont traitées en partie séparément à l'article 9. La liberté de religion a en effet une signification sociale et institutionnelle que n'a pas en soi la liberté de pensée. La question de la reconnaissance et de la subvention d'un culte a une portée politique. En conséquence, la Belgique ne viole pas l'article 9 de la CEDH en ne reconnaissant que six des 123 cultes recensés sur son territoire. L'on peut d'ailleurs se demander ce qui fait le propre d'une religion. La Cour européenne s'est déjà prononcée à plusieurs reprises sur la question de savoir quelle est le type de doctrine qui fonde une religion. Pourquoi le pacifisme n'est-il pas considéré comme une religion ? La reconnaissance d'une religion tient davantage à son importance sociale dans un pays déterminé qu'à sa qualité, sauf en cas de menace pour la société démocratique.

M. Hugo Vandenberghe pose enfin la question de savoir si le Conseil d'État a abordé le problème en question dans toutes ses dimensions. Plus la discussion avance, moins il en est convaincu.

La ratio legis de la proposition de loi sur laquelle le présent projet est fondé est le souci de créer des structures permettant de financer de la même manière tous les cultes reconnus.

Dans son avis nº 37.484/2 du 2 juillet 2004 sur un projet d'arrêté royal portant création d'une Commission chargée de l'organisation du renouvellement des organes du Culte musulman, le Conseil d'État a considéré cette question comme une ingérence, au sens de l'article 9, § 2, de la CEDH, dans la liberté de religion qui est garantie par la Constitution et par la CEDH, et qu'une telle ingérence n'est possible que si elle est prévue par une loi.

L'article 9.2 de la CEDH dispose que la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Ces conditions sont plus restrictives que celles prévues à l'article 8 de la CEDH concernant la limitation du droit au respect de la vie privée et familiale.

Consécutivement à l'avis du Conseil d'État, le projet précité d'arrêté royal a été transformé en une proposition de loi qui a donné lieu au présent projet.

En analysant le texte dans l'optique de l'article 9, § 2, de la CEDH, le Conseil ignore toutefois le but du régime proposé qui est de mettre en oeuvre la liberté de religion en Belgique conformément à l'article 9, § 1, de la CEDH. Ce texte ne relève donc pas de l'article 9, § 2, de la CEDH qui règle uniquement la limitation de ce droit fondamental.

L'article 9, § 1, de la CEDH, constitue le fondement légal de l'immunité institutionnelle de la religion. Celle-ci empêche, par exemple, que l'État s'immisce dans la manière dont l'Église catholique romaine nomme ses évêques. Cette immunité est étendue mais elle n'est pas absolue. Elle peut en effet être limitée pour les motifs définis à l'article 9, § 2, de la CEDH.

Les objectifs pouvant justifier une limitation de la liberté de religion, qui sont énumérés à l'article 9, § 2, de la CEDH, sont plus restreints que, par exemple, ceux énumérés à l'article 8 de la CEDH.

Selon M. Hugo Vandenberghe, les auteurs du présent projet de loi visent à mettre en oeuvre l'article 9, § 1, de la CEDH, en précisant les modalités selon lesquelles la liberté de religion est organisée en Belgique. Mais ce qui découle de l'article 9, § 1, de la CEDH, c'est l'immunité institutionnelle qui est très importante, mais qui n'est pas absolue. Deux intérêts quelque peu contradictoires sont donc en présence : d'une part, les auteurs doivent veiller à ce que la religion bénéficie des conséquences positives de sa reconnaissance et, d'autre part, on constate que l'on ne parvient pas à doter la religion, en collaboration avec elle, des organes nécessaires à cette fin. Le projet de loi à l'examen a pour but de jeter une passerelle entre ces deux intérêts.

M. Vandenberghe estime que l'argument de la « démocratie », qui est avancé par les auteurs, ne tient pas. Le Conseil d'État l'a également dit explicitement dans son avis relatif au projet de loi : « À titre d'exemple, ne correspond pas à cette exigence (non-ingérence des pouvoirs publics dans l'organisation interne d'un culte reconnu), la formulation trop large du texte de l'article 4, 1º, du projet, qui prévoit que la commission est chargée de « prendre toutes les mesures nécessaires pour l'organisation des élections générales. » (avis nº 37.484/2, p. 12).

On peut dire d'une manière générale, et compte tenu de l'immunité institutionnelle prévue à l'article 9, § 1er, de la CEDH, que le droit de vote universel n'est pas un facteur pertinent en matière religieuse. L'intervenant estime dès lors que le législateur doit dire de manière encore plus claire, avant de légiférer, que l'on ne pourra sortir de l'impasse qu'au moyen d'une initiative législative.

Il faut bien sûr tenir compte du concept juridique, mais on ne peut pas pour autant perdre de vue la réalité. En tant que membre de la commission chargée du suivi du Comité permanent de contrôle des services de renseignements et de sécurité, M. Hugo Vandenberghe a appris que certains pays islamiques financent des groupements islamistes en Belgique par le biais de leur ambassade. Ce financement peut poser problème, surtout dans la mesure où l'on défend des conceptions qui sortent précisément du cadre de cette immunité institutionnelle.

L'intervenant cite l'exemple d'un imam néerlandais qui prêchait contre l'homosexualité. Une plainte contre cet imam a été déposée auprès du parquet, mais l'intéressé a été acquitté en application du principe de la liberté de religion. L'incitation à la haine est bien sûr une chose totalement différente. En Allemagne, des propositions de loi ont été déposées en vue d'interdire les incitations à la haine où que ce soit. Parallèlement, on y a voté tout récemment une loi très stricte sur l'immigration qui prévoit que l'incitation à la haine est un motif d'expulsion.

C'est dans le contexte de tous ces développements que la commission est confrontée, dans le cadre de la discussion du projet de loi, au problème de l'organisation interne de la religion islamique. L'intervenant déplore dès lors au plus haut point que la discussion du projet de loi en question doive être menée au pas de charge, d'autant plus que cette question concerne aussi de multiples aspects que faute de temps, l'on ne pourra pas aborder au cours de la discussion qui doit permettre de sortir de l'impasse en question.

RÉPONSE DE LA VICE-PREMIÈRE MINISTRE ET MINISTRE DE LA JUSTICE

À titre d'introduction, la vice-première ministre et ministre de la Justice se rallie à tous ceux qui ont dit que, sur le terrain, les femmes et les hommes musulmans ne se préoccupent pas des disputes continuelles au niveau des institutions, mais attendent des réalisations concrètes, comme la reconnaissance des mosquées, la désignation des ministres des cultes, ...

La ministre salue aussi toutes les personnes qui effectuent un bon travail dans les organes représentatifs.

Elle estime que les autorités publiques ont une large part de responsabilité dans l'absence de concrétisation des prérogatives liées à la reconnaissance du culte musulman. Pour le moment, beaucoup d'attentes existent sur le terrain.

Le contexte est, selon la ministre, favorable : le Parlement flamand est le premier conseil régional a avoir voté un décret sur la reconnaissance des mosquées. Les deux autres régions ont exprimé la volonté d'avancer en la matière.

Pour ce qui concerne le niveau fédéral, quel que soit le dialogue difficile qu'elle a eu avec les organes représentatifs, la ministre a veillé à ce que les moyens soient inscrits au budget de l'État, et que des moyens supplémentaires puissent être dégagés pour faire face aux besoins qui seront générés par les avancées réalisées au niveau régional.

En ce qui concerne la subsidiation des cultes, la ministre donne les chiffres suivants.

Pour 2005, les budgets prévus sont :

Pour les 5 cultes reconnus hors Islam : 82 924 000 euros

Pour la laïcité : 9 387 000 euros

Pour l'Islam : au budget initial 2004, 1 126 000 euros étaient prévus, dont 726 000 euros au budget ordinaire, 300 000 euros pour l'organisation des élections, et 100 000 euros pour l'effacement des dettes du passé.

Au contrôle budgétaire, la ministre a obtenu une augmentation de 146 000 euros pour l'augmentation du personnel administratif de l'Exécutif. En 2004, une première tranche de 460 000 euros est prévue pour la rémunération des ministres du culte en vue des reconnaissances régionales des mosquées si les décrets devaient entrer en vigueur encore en 2004. La ministre ajoute qu'il faut s'attendre pour l'année 2005 à une augmentation de ce budget.

Pour ce qui concerne le principe de la séparation entre l'Église et l'État, et prenant en compte le fait religieux comme étant un fait d'intérêt général, la ministre défend le dialogue avec les différents cultes et la communauté philosophique non confessionnelle afin de rencontrer une série de problèmes qui existent dans notre société.

L'intervenante reconnaît que, depuis 1998, en raison des vérifications de sécurité effectuées, bon nombre de problèmes ont surgi. Il n'existe pas de base légale suffisante pour ces vérifications. De plus, le moment ­ juste après les premières élections ­ était mal choisi. Enfin, aucun recours individuel contre ces vérifications n'est prévu. La ministre annonce pour la rentrée la discussion parlementaire d'un projet de loi relatif aux vérifications de sécurité.

Pour ce qui concerne la nécessité de légiférer, la ministre rappelle que son prédécesseur a reçu une demande formelle du président de l'époque de l'Assemblée générale des musulmans de Belgique, pour que le gouvernement intervienne en raison des difficultés nuisant à la bonne gestion du temporel du culte musulman.

Depuis cet appel au gouvernement fédéral, différentes tentatives de conciliation ont été faites. Quand le nouveau gouvernement fut mis en place, un Exécutif provisoire a été installé pour un an. Tant au niveau de l'Exécutif qu'au niveau de l'Assemblée générale, des problèmes de composition existent.

La ministre a longuement dialogué avec l'Exécutif pour trouver des solutions sans devoir recourir au pouvoir législatif.

L'intervenante a aussi tenté de comprendre pourquoi, face aux différences qui se manifestaient dans la communauté musulmane, l'Exécutif ne voulait pas s'en remettre au vote démocratique des femmes et des hommes musulmans de ce pays. La ministre n'a toujours pas obtenu de réponse à cette question. Elle constate cependant qu'aucun consensus n'a pu être obtenu.

Au vu de la diversité des causes de ces tensions, la ministre a décidé que le moment était venu de trouver une solution au problème interne du culte musulman dont l'importance sociale est indéniable.

Comme le Conseil d'État l'a souligné dans son avis, l'ingérence peut être justifiée mais il faut prouver qu'il n'y avait pas d'autres moyens pour permettre au culte musulman de jouir des droits que confère la Constitution aux cultes reconnus. La ministre a malheureusement bien dû constater l'impossibilité d'aboutir à un consensus sur une solution acceptable par tous pour opérer le renouvellement des organes représentatifs du culte musulman.

La ministre commente ensuite l'avis rendu par le Conseil d'État le 2 juillet 2004 sur le projet d'arrêté royal.

L'avis reprend en grande partie un ancien avis sur un projet d'arrêté royal portant création d'une Commission ad hoc en ce qui concerne les avis négatifs relatifs aux candidats à un mandat au sein de l'Exécutif des Musulmans de Belgique (avis nº 34.547 du 11 février 2003). L'arrêté royal visait à organiser les « screening » sur les candidats de l'Exécutif.

La ministre estime qu'il y a cependant une différence entre l'organisation d'une opération de « screening » et le fait de prévoir toutes les conditions techniques favorisant la mise en place des élections démocratiques. Les deux textes n'ont pas la même finalité.

Le Conseil d'État cite quasi exclusivement un seul arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, l'arrêt Hassan et Tchaouch c/ Bulgarie du 26 octobre 2000, lequel fait référence à des arrêts plus anciens. Dans cette affaire, le grand mufti des musulmans de Bulgarie s'était fait évincer par le gouvernement bulgare qui avait installé un autre mufti. La Cour juge qu'il y a violation de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme dans la mesure où le mufti a été privé de sa liberté de pratiquer sa religion et par là même d'exprimer la volonté de la partie de la communauté religieuse qu'il représentait.

On peut certes tirer des enseignements généraux des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme mais la Cour juge néanmoins au cas par cas. Il n'est pas sûr que la Cour adopterait le même raisonnement si elle était saisie d'un recours contre une loi belge mettant en place une commission visant à organiser des élections démocratiques pour le culte musulman.

M. Hugo Vandenberghe précise que la loi devrait d'abord faire l'objet d'un recours devant la Cour d'arbitrage. Les dispositions constitutionnelles relatives à la liberté de religion étant directement applicables, il n'est plus nécessaire de fonder le recours sur les articles 10 et 11 de la Constitution.

La ministre souligne encore que le projet de loi essaie d'appliquer les principes de nécessité et de proportionnalité. Le Conseil d'État estime que l'exigence de proportionnalité n'est pas respectée par « la formulation trop large du texte de l'article 4, 1º, du projet, qui prévoit que la commission est chargée de prendre toutes les mesures nécessaires pour l'organisation des élections générales ».

M. Hugo Vandenberghe répète qu'une autre approche que celle du Conseil d'État est possible. Si la question du financement de l'Eglise anglicane se posait en Angleterre, on n'envisagerait pas la réponse à cette question au regard de l'article 9, § 2, de la CEDH qui précise dans quels cas très limités la liberté de religion peut être restreinte.

Le financement est à envisager dans le cadre du § 1er de l'article 9, c'est-à-dire l'organisation de la liberté de religion qui, en vertu de cette disposition, ne peut pas être discriminatoire : l'existence d'une religion d'État ne peut avoir pour conséquence d'entraver l'exercice des autres cultes. Le problème est le même avec le projet de loi à l'examen.

Selon l'intervenant, le point critique de l'avis du Conseil d'État est d'avoir justifié son raisonnement sur la base du § 2 de l'article 9 de la CEDH. Le gouvernement accorde un financement pour veiller à ce que la religion islamique bénéficie des mêmes avantages que les autres religions reconnues. Il n'y a pas là de fondement à une restriction de la liberté de culte au sens de l'article 9, § 2, de la CEDH. C'est une question qui relève du § 1er. Il s'agit de démontrer qu'il n'y a pas d'autre solution que l'élaboration par le législateur d'un embryon de processus de décision pour rendre possibles les conséquences attachées à la reconnaissance du culte islamique.

M. Mahoux s'étonne de ce que l'avis du Conseil d'État s'inspire autant d'un autre avis qui portait sur un projet concernant le screening. Le screening établit des critères d'exclusion pour exercer le magistère sur un culte. C'est une procédure très intrusive et il est compréhensible que le Conseil d'État ait jugé que l'exigence de proportionnalité devait être respectée. C'est très différent d'une proposition instaurant une procédure qui permettrait à la communauté de choisir ses représentants.

Le membre est d'avis que le législateur doit intervenir. Le terrain n'est pas vierge : il y a déjà eu des élections mais celles-ci n'ont pas résolu tous les problèmes. En tirant l'expérience de celles-ci, le législateur veut mettre en place les conditions nécessaires pour de nouvelles élections.

M. Ceder déclare qu'il s'agit non seulement de juger la nécessité d'une intervention législative dans cette problématique mais aussi de savoir dans quelle mesure le projet de loi à l'examen répond au problème. Le membre ne se juge pas suffisamment éclairé sur la question et suggère dès lors d'organiser des auditions sur le sujet.

La proposition d'organiser des auditions est soumise au vote. Elle est rejetée par 6 voix contre 4 et 3 abstentions.

M. Van Hauthem souhaite en revenir au pourquoi du projet de loi à l'examen. Bien qu'il ne concerne pas la reconnaissance d'un culte en tant que tel, le projet résulte indirectement du fait que le culte islamique est reconnu. Sans cette reconnaissance, le présent débat serait superflu, puisqu'il concerne, sur le fond, la manière dont le culte peut constituer un point de contact pour l'État.

Le sénateur estime que deux attitudes sont possibles. La première consiste à ne reconnaître aucun culte, et la seconde à appliquer un système de reconnaissances. Cela signifie bien entendu que certains cultes seront reconnus, et d'autres non. Comme ces reconnaissances sont réglées par une loi, toute reconnaissance ou non-reconnaissance est en fin de compte une décision politique. Selon l'intervenant, la reconnaissance du culte islamique a été une erreur, mais il ne faut pas voir dans cette affirmation une quelconque remise en cause de la liberté de religion.

M. Van Hauthem souhaite ensuite se pencher sur l'affirmation selon laquelle la création d'un organe représentatif contribuerait au développement d'une variante européenne de l'islam. Le sénateur a de sérieux doutes quant à la possibilité d'en arriver à une telle variante. Il se base en cela sur les déclarations de M. Urbain Vermeulen, islamologue, dont il cite l'extrait suivant:

« Il n'est donc nullement question d'une quelconque égalité de traitement. L'islam ne peut que dominer. Et comme les musulmans ne peuvent renoncer à l'idée d'éternité de l'islam, il n'y a, si l'on prend la doctrine de l'islam comme critère, aucune perspective de Lumières, c'est-à-dire de ce que nous considérons comme de la tolérance.

Nous assistons dans nos pays à un phénomène pour lequel il n'existe aucune doctrine, à savoir la présence de grands groupes de musulmans sous un régime non islamique. C'est un des problèmes majeurs de l'intégration, un problème face auquel nos assemblées législatives sont restées aveugles trop longtemps. Cela ne veut pas dire que certains musulmans n'adoptent pas un point de vue différent en privé, mais leur avis n'est pas celui que la doctrine recommande.

Si, en tant que croyant, vous affirmez qu'un autre a également raison, vous ne suivez plus la droite ligne de la doctrine. Le grand problème de l'islam, c'est qu'il ne prévoit aucune séparation entre l'Église et l'État. La tolérance n'a fait son entrée dans la morale chrétienne que lorsque le principe même de tolérance a été admis. Depuis lors, la religion ne domine plus complètement la société. L'islam, lui, le fait encore. Dans le monde islamique, il n'existe pas d'autres valeurs que les valeurs islamiques. C'est pourquoi les non-musulmans doivent se rallier, dans le monde islamique, aux règles, normes et valeurs de l'islam. C'est pourquoi, aussi, les musulmans des pays non islamiques ont des problèmes avec les règles, les normes et les valeurs locales. »

Le sénateur cite également M. Vermeulen à propos des conséquences de la reconnaissance de l'islam et du financement des ministres du culte.

« On entend de plus en plus souvent, dans la bouche des musulmans d'Europe, les mots suivants : « Nous ne voulons pas l'intégration, mais la ségrégation ». Ils plaident de plus en plus, aujourd'hui, pour une identité musulmane propre, pour une minorité religieuse. Leur raisonnement est le suivant : si nous ne pouvons pas vivre ici selon nos lois, la société dans laquelle nous vivons est illégale et nous ne devons pas l'accepter ». La non-intégration est fondamentalement ancrée dans l'islam véritable. Tel est le sentiment que doit avoir tout musulman, même le plus modéré. Chaque année, des dizaines de millions d'euros sont investis dans des projets d'intégration. Et l'on voudrait maintenant financer des mosquées qui dans de nombreux cas, font obstacle à l'intégration et appellent les musulmans à ne pas s'intégrer ? ».

En ce qui concerne les influences fondamentalistes au sein de l'exécutif musulman, M. Van Hauthem, souhaite citer un extrait du rapport de la Sûreté de l'État et de la Sûreté militaire (SGR), rédigé l'année dernière. On peut y lire que le principal danger vient « d'un certain nombre d'éléments islamiques de l'Exécutif des musulmans et de l'Assemblée générale des musulmans ». Ces organes officiels doivent organiser l'enseignement islamique et nommer les imams, et ils se voient en outre confier un rôle important dans la reconnaissance des communautés islamiques. Selon la Sûreté de l'État, ces éléments radicaux véhiculent une vision réactionnaire de l'islam. Leur vision se heurte à notre idée de l'intégration et au principe de l'égalité homme-femme. Ils essaient d'infiltrer tous ces organes pour encaisser les subsides ».

Comme la reconnaissance d'un culte est une décision politique, on utilise des critères bien précis pour en arriver à une décision. La ministre de la Justice a déjà précisé naguère les critères qu'il faut appliquer en l'espèce. D'après ces critères, a) la religion doit être pratiquée par un nombre de fidèles relativement élevé, étant entendu que ce nombre doit s'élever au moins à quelques dizaines de milliers de personnes; b) le culte doit avoir un caractère structuré, ce qui implique notamment l'existence d'un organe représentatif; c) le culte doit être exercé en Belgique depuis plusieurs décennies; d) la foi doit revêtir un intérêt social; e) les membres de la communauté doivent s'abstenir de commettre des actes contraires à l'ordre public.

Selon le sénateur, plusieurs de ces critères utilisés par la ministre ne sont pas remplis par le culte musulman.

En ce qui concerne l'exécutif des musulmans, l'intervenant estime qu'il est évident qu'il se trouve dans l'impasse depuis sa création. Le sénateur demande par conséquent s'il est possible d'avoir un organe central comme point de contact avec les pouvoirs publics ? Il se réfère une fois encore à l'islamologue Urbain Vermeulen, qui a exprimé, à l'occasion d'une interview qu'il a donnée le 20 mars de cette année au journal Gazet van Antwerpen, l'avis suivant :

« Pareil organe central est contraire aux usages islamiques et devient inévitablement le théâtre d'une lutte d'influences, d'intrigues et de complots. Il s'ensuit que certains membres deviennent des fondamentalistes. Ils considèrent avant tout l'islam comme un ensemble de règles, qu'ils souhaitent aussi voir appliquer en Belgique. »

« Dans la chrétienté ­ qu'elle soit catholique, orthodoxe ou anglicane ­, on a toujours appliqué un principe de hiérarchie, avec un chef symbolique ou une autorité centrale. Rien de semblable n'existe dans l'islam. Personne n'indique, dans la doctrine, ce qui est correct et ce qui ne l'est pas. Toutes les interprétations sont par conséquent permises. Tout le monde a raison ou personne n'a raison. Notre culture de concertation et de recherche du compromis est étrangère aux musulmans. Personne ne cède, parce que le fait de céder est considéré comme une humiliation. »

M. Vermeulen déclare en outre que l'organisation ethnique de l'islam constitue une difficulté supplémentaire. M. Van Hauthem souligne que c'est pour cette raison que l'on a sollicité, dans le cadre de la constitution du premier exécutif des musulmans, l'aide du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme pour définir une clé de répartition qui était globalement fondée sur les diverses nationalités. Malgré l'application de cette clé de répartition, on n'est pas parvenu à éviter les problèmes.

Compte tenu de ces antécédents, l'intervenant se demande ce que la commission que tend à instaurer le projet de loi à l'examen pourrait encore faire de plus. Comment parviendra-t-elle à résoudre tous les problèmes et à devenir un organe représentatif ? Selon le sénateur, le projet de loi à l'examen, qui revient en fait à donner carte blanche au ministre de la Justice pour créer une commission chargée de tout régler, n'est pas la solution.

Mme Talhaoui déplore que M. Van Hauthem ne cite qu'un seul islamologue.

M. Van Hauthem lui rétorque que son groupe a demandé que la commission organise des auditions, mais sa demande n'a pas été suivie. Sinon, ces auditions auraient incontestablement permis d'entendre d'autres islamologues.

Mme Nyssens souhaiterait avoir des précisions à propos des accords qui ont été conclus en 1998. Que prévoient-ils précisément ? Sont-ils sujets à interprétation ou non ?

La ministre déclare que le rapport de consensus de 1998 était très clair et n'est remis en cause par personne. Tout le monde le considère comme la référence. D'un autre côté, il faut reconnaître qu'il a besoin d'être modernisé et qu'il doit évoluer en fonction du contexte. C'est ainsi que le rapport de 1998 prévoyait notamment que la cooptation devait être maintenue, ce qui est depuis totalement dépassé.

La ministre souhaite ensuite aborder plus avant le róle précis de la commission. Celui-ci se limite à l'organisation des élections. Le but n'est absolument pas de la substituer aux organes représentatifs.

M. Hugo Vandenberghe souligne que le texte du projet de loi laisse une marge d'interprétation. Il renvoie à cet égard à la définition donnée à l'article 2 du projet. Créer une commission pour le renouvellement d'organes est en effet une tout autre chose que de créer une commission pour l'organisation d'élections.

La ministre souligne que la mission de la commission visée par le projet consiste exclusivement à organiser des élections en vue du renouvellement des organes représentatifs du culte musulman. Elle ne peut donc pas se substituer à ces organes.

M. Hugo Vandenberghe réplique que cette définition des missions ne correspond pas à la compétence telle qu'elle est définie à l'article 2, où il est question d'une commission (...) chargée du renouvellement des organes du culte musulman.

La ministre répond qu'aucune autre définition n'était possible. La mission de la commission est strictement limitée à l'organisation d'élections directes en vue du renouvellement de l'Assemblée générale et d'élections indirectes en vue du renouvellement de l'Exécutif. Cette mission est précisée plus avant à l'article 5, sur la base des recommandations du rapport informel de consensus de 1998 qui fait encore toujours référence en la matière.

M. Hugo Vandenberghe constate que la description des missions à l'article 5, qui comprend notamment le contrôle de la régularité des opérations électorales et une compétence de médiation dans les litiges y afférents, va au-delà de la mission de base définie à l'article 2. Ce manque de concordance et, en particulier, la compétence de la commission relativement à l'appréciation des litiges relatifs aux opérations électorales posent problème. Selon lui, cela fait naître un risque d'ingérence des pouvoirs publics dans les affaires religieuses.

M. Coveliers comprend l'objection formulée par le préopinant. Il partage cependant le point de vue de la ministre qui estime que la compétence de la Commission relative à l'organisation des élections implique aussi qu'elle apprécie les litiges relatifs aux opérations électorales. Mais il faut alors l'indiquer clairement.

En ce qui concerne l'article 5, M. Hugo Vandenberghe souhaite savoir si la commission a également un pouvoir de décision dans les matières pour lesquelles elle peut organiser une médiation.

Mme Nyssens fait remarquer que comme la ministre déclare se baser sur les missions proposées dans le rapport de consensus de 1998, l'article 5, 1º, est superflu. Pour répondre à l'avis du Conseil d'État, il conviendrait de formuler ce point de manière plus restrictive. L'intervenante ne comprend pas pourquoi le gouvernement n'a pas suivi cet avis.

La ministre répond que l'on a, au contraire, suivi cet avis. Tout d'abord, on a déposé une proposition de loi pour respecter le principe de légalité. L'on a ensuite précisé les missions de la commission à l'article 5, afin de respecter le principe de proportionnalité. Il ne saurait donc être question d'une ingérence illicite de l'État dans les affaires religieuses. La Commission est uniquement et simplement chargée de l'organisation des élections en vue du renouvellement des organes représentatifs du culte islamique.

Mme Nyssens relève que cette explication ne convainc pas au regard de la formulation très claire de l'article 5, 1º. En ce qui concerne les autres missions définies à l'article 5, on peut se demander si elles ne renferment pas une violation du principe de proportionnalité. Dans ce contexte, appartient-il à la commission d'intervenir en tant que médiateur ou arbitre dans les litiges concernant le profil des candidats et surtout les conditions à remplir par ces derniers ?

M. Cornil souligne qu'il était membre de l'ancienne commission. Celle-ci a fait oeuvre de pionnier. Dans aucun autre pays, on n'avait émis jusque là l'idée d'organiser des élections calquées sur les élections législatives en vue de composer les organes représentatifs d'un culte. Il fut décidé à l'époque de créer un comité d'accompagnement qui fut présidé par M. Paul Martens, juge à la Cour d'arbitrage. L'intervenant constate que les missions de la commission définies à l'article 5 répondent aux problèmes que le comité d'accompagnement a rencontrès lors des élections du 13 décembre 1998. Certains étaient prévus, d'autres pas. Ils avaient trait à tous les aspects de la procédure électorale, de la procédure d'inscription des électeurs, au contrôle des opérations électorales, en passant par les différentes conditions électorales fixées par les communautés musulmanes. Il a ainsi fallu veiller à une répartition équitable des locaux de vote dans des mosquées ou dans des bâtiments publics. Le comité a aussi été confronté à une série de contestations et a fait des tentatives de médiation.

Le rapport de consensus de 1998 montre cependant qu'en dépit de tous les problèmes précités, cette initiative novatrice a connu un déroulement assez heureux, à telle enseigne même que plusieurs autres pays européens ont envisagé de s'inspirer de la méthode belge. C'est pourquoi l'intervenant prône de définir largement les missions de la commission.

Il rappelle une nouvelle fois que si l'on a décidé d'organiser des élections en vue de composer les organes représentatifs de la communauté musulmane, c'est parce que les autorités de cette communauté ne trouvaient pas d'interlocuteur accepté par tous pour la gestion du temporel. À cet égard, aucune comparaison ne peut être faite entre l'islam et les autres cultes reconnus.

La ministre ajoute que dans le rapport de consensus de 1998, la communauté musulmane a elle-même demandé d'organiser des élections pour élire ses organes représentatifs.

M. Hugo Vandenberghe continue à ne pas saisir comment il se fait que la procédure qui avait été proposée au consensus en 1998 soit aujourd'hui contestée par l'Assemblée générale qui en a pourtant découlé. Avec le présent projet, le législateur s'immisce donc dans un conflit interne a la communauté musulmane. Selon l'intervenant, cela constitue une ingérence illicite de l'État dans l'organisation interne d'un culte, ce qui viole la liberté de culte garantie par la Constitution.

M. Coveliers en déduit qu'aucune subvention publique ne peut être accordée au culte musulman tant que la communauté musulmane n'aura pas atteint un consensus sur l'organe qui la représente dans les relations avec les autorités civiles. Il s'ensuit que l'État ne devra verser aucune subvention à ce culte pendant les vingt prochaines années.

Mme Talhaoui réplique que dans ces conditions, l'État ne doit plus verser aucune subvention à aucun culte.

M. Hugo Vandenberghe ne souscrit pas à cette affirmation.

La ministre précise qu'elle a rencontré l'exécutif le 21 juin dernier afin de discuter des relations futures entre les pouvoirs publics et les organes représentatifs du culte musulman. Le dossier a été soumis au Conseil des ministres quelques jours plus tard. Un projet d'arrêté royal a ensuite été soumis pour avis au Conseil d'État qui a estimé qu'une autre base légale était nécessaire. L'urgence se justifie par le fait qu'il n'y a actuellement plus d'exécutif.

Si l'on veut respecter le principe de neutralité qui veut que l'ensemble des cultes reconnus et subsidiés soit sur pied d'égalité dans leurs relations avec l'autorité civile, une intervention dans le cadre du principe de proportionnalité s'avère nécessaire pour organiser un processus qui permet le respect de ce principe de neutralité.

Une partie des opposants au projet à l'examen a pour objectif d'empêcher de poursuivre la subsidiation du culte musulman.

M. Coveliers renvoie à la discussion antérieure au cours de laquelle il a déjà suggéré qu'il faudrait trouver un autre système pour régler la relation entre l'État et la religion. Compte tenu des circonstances, puisque l'argent du contribuable sert quand même à financer des religions, il lui paraît souhaitable d'élaborer une structure qui permette de savoir comment cet argent est utilisé.

L'intervenant trouve que l'article 5, 1º, est clair. La Commission prend toutes les mesures nécessaires en vue de l'organisation des élections. Cela signifie que la commission prend des mesures pour convoquer les électeurs et pour obtenir des élus. Les précisions contenues dans les dispositions qui suivent sont en fait superflues.

M. Hugo Vandenberghe estime que fixer des conditions d'éligibilité ou des droits électoraux d'une communauté religieuse n'est pas chose aisée. Comment vat-on déterminer qui est électeur ?

Mme Nyssens fait observer que le projet de loi instaure une commission, qui n'est pas un organe du culte, et qui a des missions relativement larges. Le projet de loi suscite des questions politiques et juridiques.

La ministre fait remarquer que lors de la législature précédente, le gouvernement est intervenu à la suite d'une demande de l'assemblée générale elle-même, qui estimait rencontrer un problème de légitimité de l'Exécutif, de représentativité et de confiance. Le gouvernement de l'époque a décidé de désigner deux médiateurs, M. Moureaux et Mme Kaçar. Un exécutif provisoire a été installé. Les tensions n'ont cependant pas diminuées.

M. Ceder souligne que si l'exécutif risque de tomber à cours de financement, ce n'est pas de la faute du Sénat, mais bien de sa propre faute, puisqu'il ne parvient pas à sortir de l'impasse dans laquelle il s'est lui-même mis. Il ne faut pas inverser les rôles.

Mme Bouarfa rappelle que, depuis la reconnaissance du culte musulman, des problèmes existent, tant en ce qui concerne la gestion des mosquées qu'en ce qui concerne la gestion de l'exécutif. Toute la difficulté est de trouver des solutions qui permettent de répondre aux demandes des musulmans sans qu'il y ait une ingérence de l'État dans l'organisation de ce culte.

L'oratrice pense que la création d'une commission chargée du renouvellement des organes du culte musulman, telle qu'elle est proposée dans le projet de loi, est la seule solution possible pour sortir de l'impasse.

Mme Derbaki Sbaï pense qu'il existe un large consensus sur la nécessité de disposer d'un organe représentatif des Musulmans de Belgique. Tout le monde est par ailleurs conscient des spécificités du culte musulman et des conséquences qui en découlent pour faire fonctionner correctement un organe représentatif de l'islam. L'intervenante ne comprend dès lors pas les difficultés suscitées par l'article 5 du projet. Face aux écueils rencontrès dans le passé, il est logique de prévoir certaines garanties pour que l'on ne bute plus, à l'avenir, sur les mêmes problèmes.

M. Nimmegeers se déclare partisan du principe de la séparation entre l'Église et l'État. Pour mieux asseoir cette séparation, il peut accepter que l'on envisage, à terme, une diminution des subsides alloués par l'État aux différents cultes. Ce régime de subsidiation, qui a été mis en place pour des raisons historiques, est aujourd'hui dépassé.

Sur le fond du projet de loi, l'orateur est favorable à la création d'une Commission chargée du renouvellement des organes du culte musulman. De nombreux musulmans vivent dans notre pays. C'est une réalité complexe en raison des origines fort diversifiées des membres de cette communauté. D'autre part, les musulmans ont une approche globale de la religion, de la politique et de la culture.

Si l'on souhaite favoriser leur intégration dans notre société démocratique, il n'est pas possible de faire appel à des structures hiérarchiques car elles n'existent pas au sein de la communauté musulmane. Il y va dès lors, de notre intérêt, à aider cette communauté à mettre en place un organe représentatif qui favorise son intégration démocratique. L'orateur est conscient que ce processus sera long et difficile. La commission créée par le projet de loi est, au stade actuel, une étape obligée. Il faut espérer que cette structure devienne superflue à l'avenir.

M. Hugo Vandenberghe fait remarquer que la Commission, que le projet de loi institue, cessera d'exister une fois que les élections auront eu lieu.

Mme Talhaoui revient sur les listes des électeurs. Les mosquées tiennent des listes de leurs membres. Ils sont environ 25 000 à Anvers. C'est sur la base de ces listes que l'on a organisé les élections de 1998.

L'intervenante plaide par ailleurs pour une adoption rapide du projet de loi par le Parlement car c'est la seule manière de trouver une solution aux nombreux problèmes qui se posent sur le terrain. Il faut laisser à l'islam et à la grande majorité de musulmans modérés, la possibilité de s'organiser pour gérer leur culte.

M. Coveliers rappelle que l'on a, pour des raisons historiques, décidé en Belgique de reconnaître certaines religions et de lier à la reconnaissance l'attribution de subsides. En tant que représentant de la nation, il a le devoir de s'assurer que les subsides alloués au culte musulman soient réellement utilisés pour la pratique de ce culte. Or, le projet à l'examen offre au contribuable de meilleures garanties sur ce point. Pour le reste, la façon dont l'islam s'organise est une problématique interne au culte concerné et ne peut, conformément à l'article 9 de la CEDH, faire l'objet d'une ingérence étatique.

M. Coveliers souscrit à l'explication de la ministre selon laquelle le screening des candidats sera effectué préalablement. On évite ainsi de donner l'impression que l'État belge s'immisce a posteriori dans l'élection.

Par ailleurs, l'intervenant estime qu'on ne peut pas partir du principe du droit automatique au financement d'une communauté religieuse déterminée. C'est, au contraire, le contribuable global qui doit pouvoir contribuer au financement d'un culte en raison de la liberté d'expression et de religion. Le contribuable veut avoir la garantie que les moyens en question sont utilisés correctement.

Mme Derbaki Sbaï estime que l'État n'a pas à interférer dans une religion et elle souligne que, chez les musulmans, la religion est organisée d'une autre manière que dans les autres religions. Elle ajoute qu'il faut prévenir les dangers et qu'il est important de prévoir certains dispositifs d'alerte et certaines précautions dans le texte proposé.

Mme Nyssens fait remarquer que l'avis du Conseil d'État prévient que le texte proposé doit tenir compte du principe constitutionnel de non-discrimination. C'est pourquoi l'intervenante demande comment la ministre justifie la différence de traitement proposée par rapport aux autres religions.

La ministre répond qu'une différence de traitement est possible à la condition qu'elle soit basée sur des critères objectifs. C'est la communauté musulmane elle-même qui a accepté ce critère objectif dans son rapport de consensus de 1998.

M. Hugo Vandenberghe constate qu'il y a actuellement des tensions qui sont dues notamment à l'organisation des élections. Selon lui, le moyen choisi pour résoudre le problème n'est pas sûr car il est possible que ces dissensions se traduisent également dans le résultat final des élections.

La ministre répond que des élections générales auxquelles tous les musulmans peuvent participer, qu'ils soient homme ou femme, sont la meilleure chance d'arriver à une pacification. Elle se rend toutefois compte que ce choix n'offre pas une solution sûre, mais ne rien faire serait encore pire. En effet, il y a de grandes chances à présent que la communauté musulmane trouve sa cohésion, en dépit des problèmes actuels.

Mme de T' Serclaes constate que l'organisation d'une religion diffère de la réalité politique et qu'elle ne se caractérise pas par un système de majorité et d'opposition. Les élections ne régleront donc pas d'elles-mêmes les problèmes actuels. Et c'est à cette réalité que l'on est confronté. Il n'y a donc pas de solution miracle.

La ministre déclare enfin que le principe de proportionnalité dans le contexte de l'article 9 de la CEDH est important pour les juristes qui s'intéressent à la séparation de l'église et de l'État.

1. Les droits garantis par les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion), 10 (liberté d'expression), 11 (liberté de réunion et d'association) de la Convention européenne des droits de l'homme ont en commun cette caractéristique d'être soumis à une possibilité de restriction à la triple condition que celle-ci soit prévue par la loi, poursuive un but légitime et apparaisse « nécessaire dans une société démocratique ».

Cette dernière condition est le siège de l'intervention de la proportionnalité en cas de conflit entre le droit considéré et une restriction apportée à celui-ci.

Si la Cour européenne des droits de l'homme estime qu'il ne lui appartient pas de se substituer aux autorités nationales compétentes, elle n'en affirme pas moins qu'il lui incombe de déterminer si les motifs avancés par celles-ci en soutien de l'ingérence litigieuse sont « pertinents et suffisants ».

À travers ce contrôle de proportionnalité, la Cour met en ouvre une mise en balance des intérêts en présence.

2. L'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme affirme notamment en son § 1er, la liberté de religion qui comprend celle de manifester sa religion sur un plan individuel ou collectif, en public ou en privé par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.

Le § 2 de l'article 9 énonce que cette liberté de religion ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou encore à la protection des droits et libertés d'autrui ...

Dans un même article, il est donc affirmé la liberté de religion en ce compris la liberté de manifester celle-ci, étant entendu que l'exercice de cette liberté ne peut avoir pour conséquence notamment de nuire aux libertés et droits d'autrui.

Dans son arrêt Chassagnou contre la France du 29 avril 1999, la Cour affirme à propos de « ces droits et libertés d'autrui » dont la protection autorise une restriction à la liberté de religion mais aussi à la liberté d'association prévue à l'article 11, § 2, de la Convention que « Si ces droits et libertés figurent eux-mêmes parmi ceux garantis par la Convention et ses protocoles, il faut admettre que la nécessité de les protéger puisse conduire les États à restreindre d'autres droits et libertés également consacrés par la Convention ... »

Ce conflit entre droits fondamentaux consacrés par la Convention doit également être résolu à l'aune de la « Balance des intérêts » et donc du contrôle de proportionnalité.

En l'espèce, nous sommes confrontés à de graves tensions au sein de la communauté musulmane, tensions directement liées à la problématique de la représentativité des organes du culte musulman.

Dans son arrêt, Hassan et Tchaouch c. la Bulgarie, la Cour a jugé que lorsque l'organisation de la communauté religieuse est en cause, l'article 9 doit s'interpréter à la lumière de l'article 11 de la Convention qui protège la vie associative contre toute ingérence injustifiée de l'État. « Vu sous cet angle, le droit des fidèles à la liberté de religion suppose que la communauté puisse fonctionner paisiblement, sans ingérence arbitraire de l'État. En effet l'autonomie des communautés religieuses est indispensable au pluralisme dans une société démocratique et se trouve donc au coeur même de la protection offerte par l'article 9. Elle présente un intérêt direct non seulement pour l'organisation de la communauté en tant que telle mais aussi pour la jouissance effective par l'ensemble de ses membres actifs du droit à la liberté de religion. Si l'organisation de la vie de la communauté n'était pas protégée par l'article 9 de la Convention, tous les autres aspects de la liberté de religion de l'individu s'en trouveraient fragilisés. ».

L'organisation des rapports entre l'État belge et les cultes reconnus répond à un modèle « sui generis » fondé sur un processus législatif de « reconnaissance ».

Comme déjà indiqué, cette reconnaissance a pour conséquence, de conférer aux cultes reconnus certains avantages constitutionnels comme la prise en charge des pensions et des traitements des ministres du culte. Il convient de ce fait, que l'État ait un interlocuteur qui soit le représentant de la communauté religieuse concernée.

Le législateur a donc consacré l'existence d'un organe représentatif du culte musulman par le biais de l'article 19bis de la loi sur le temporel des cultes. Cet organe représentatif est donc l'interlocuteur privilégié des autorités civiles.

Si la reconnaissance du culte musulman intervient en 1974, ce n'est cependant qu'en 1998 que l'on réalisera les premières élections pour aboutir à la mise en place des organes représentatifs, c'est à dire l'Assemblée générale et son Exécutif.

Le modèle de l'église catholique qui a été retenu par le législateur belge pour la gestion du temporel du culte a ses limites lorsqu'il est confronté à un culte ne présentant pas les mêmes spécificités et plus particulièrement lorsqu'il est dépourvu de toute structure hiérarchique. Le culte musulman en est le parfait exemple. La solution des élections acceptée par la communauté musulmane a donc été la seule qui, en 1998, a permis la représentativité de ce culte.

Le rapport de consensus de 1998 prévoyait un renouvellement partiel de l'Assemblée générale au bout de 5 ans par le processus de la cooptation et enfin un renouvellement intégral au bout de 10 ans par le biais d'élections directes.

Malheureusement, ce consensus a été remis en cause au cours de la précédente législature, par des tensions importantes au sein de la communauté musulmane. La ministre ne souhaite plus revenir sur les causes de celles-ci mais elle rappelle qu'à cette époque, les organes représentatifs ont été bloqués et que le président de l'Assemblée générale de l'époque a réellement sollicité l'intervention de l'État pour arbitrer le conflit interne à cette communauté.

À l'époque personne n'a contesté les décisions du gouvernement d'intervenir dans ce conflit en demandant notamment à deux parlementaires d'assumer des fonctions de médiateurs pour renouer un certain dialogue entre les principaux acteurs du conflit.

De même que personne n'a qualifié d'ingérence, le fait que l'État mette en place un nouvel exécutif pour une période limitée dans le temps avec comme objectif la préparation de futures élections afin d'aplanir les tensions qui se sont ainsi manifestées.

Ceux-là mêmes qui, hier, nous demandaient une intervention urgente nous reprochent aujourd'hui cette intervention législative au motif que selon eux, il n'y a pas de réelles tensions et que cette page de l'histoire du culte musulman appartient désormais au passé ...

Or, la ministre a, à plusieurs reprises, attiré l'attention de l'Exécutif et du président de la Constituante sur les critiques formulées par une partie de la communauté et sur la volonté exprimée par celle-ci d'avoir un dialogue constructif avec les organes du culte musulman ...

L'intervenante constate aujourd'hui que ces tensions sont bien présentes et qu'elles empêchent les organes du culte musulman d'agir encore au nom de l'ensemble des hommes et des femmes musulmans de notre pays.

Comme l'a indiqué à juste titre Sébastien Van Drooghenbroeck, « sous l'angle de l'article 9 de la Convention, l'existence de tensions entre communautés religieuses ou de divisions internes à une communauté confronte l'État à un exercice d'équilibriste particulièrement délicat ».

Ainsi, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que « le rôle des autorités en cas de tension entre groupements religieux n'est pas d'enrayer la cause des tensions en éliminant le pluralisme, mais de s'assurer que les groupes opposés l'un à l'autre se tolèrent ... ».

Néanmoins, la Cour admet également que « dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein de la même population, il peut se révéler nécessaire d'assortir la liberté de religion de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun ... ».

« Entre l'interventionisme excessif et la passivité coupable », écrit Sébastien Van Drooghenbroeck, « s'ouvre donc aux États une voie moyenne relativement étroite ... »!

C'est ainsi que dans l'affaire « Église métropolitaine de Bessarabie contre Moldavie », la Cour a jugé que la République de Moldavie, en refusant la reconnaissance d'un courant schismatique par rapport à l'Église reconnue de Moldavie, a manqué de neutralité. La Cour a ainsi jugé que le gouvernement moldave a méconnu son devoir de neutralité et d'impartialité en faisant dépendre la reconnaissance d'un groupe religieux dissident de la volonté d'une autorité ecclésiastique reconnue avec laquelle ce groupe est en conflit ouvert.

La Cour indique ainsi clairement que ce devoir de neutralité implique pour l'État de veiller à ce que la tolérance soit respectée entre les groupes religieux.

On le sait, le culte musulman est traversé par différents courants et c'est ce qui fait très probablement sa richesse, mais dès lors que certains membres de cette communauté expriment clairement le déficit de leur représentation au sein même des organes de ce culte ainsi que la rupture de tout dialogue avec ces organes, il appartient à l'État de rétablir au plus vite, ce dialogue en permettant aux hommes et aux femmes musulmans de notre pays de procéder à l'installation de nouveaux représentants par le biais d'une élection directe et démocratique.

Ce faisant, l'État ne s'immisce pas dans la gestion interne d'un culte, en lui imposant des représentants qu'il aurait lui-même choisi et installé, mais au contraire, favorise l'expression d'un pluralisme religieux qui caractérise le culte musulman en donnant directement la parole à ceux et celles qui lui sont ses fidèles.

IV. DISCUSSION DES ARTICLES

Article 3

Le président note que cet article, qui règle la constitution de la commission, autorise le ministre à nommer des membres qui n'ont pas été présentés par la communauté musulmane, ce qui augmente évidemment le degré d'interférence.

La ministre répond que M. Van Parys considérait, lors de la discussion à la Chambre, qu'un élément négatif de ce projet était que la commission pourrait être composée en partie de candidats, proposés par l'Exécutif des musulmans de Belgique, mais contestés par d'aucuns. C'est un exercice difficile. Le gouvernement a choisi de demander à l'Exécutif de proposer des candidats issus de la communauté musulmane, mais il a dû en même temps envisager la possibilité que l'Exécutif ne transmette pas de noms.

Madame Nyssens constate que le calendrier du gouvernement pose problème, étant donné qu'avec les vacances, bien des intéressés sont en congé et résident à l'étranger. Elle demande des précisions à propos du calendrier que le gouvernement prévoit pour ce qui est de la constitution de la commission et, en particulier, de la demande de candidatures à adresser à l'Exécutif des musulmans de Belgique.

Le président souscrit aux propos de madame Nyssens et fait observer, d'une part, que l'article 13 prévoit que la loi entrera en vigueur le jour où elle aura été publiée au Moniteur belge et, d'autre part, que, selon l'article 3, 2º, la présentation de candidats par l'Exécutif des musulmans de Belgique doit avoir lieu dans les quinze jours de l'entrée en vigueur. Cela signifie concrètement que les présentations de candidatures et les réunions de commission devraient avoir lieu au début du mois d'août.

La ministre répond qu'elle attend depuis le 25 juin dernier que l'Exécutif lui communique, comme elle le lui a demandé à cette date, les noms des candidats membres de la commission.

Article 5

Madame Nyssens déclare que son attitude au cours du vote final dépendra surtout de l'interprétation de l'article 5.

L'avis du Conseil d'État concernant la jurisprudence que vient de développer le gouvernement en ce qui concerne la séparation de l'Église et de l'État est assez remarquable. La Chambre concernée du Conseil, qui doit s'être intéressée de très près à cette question, en raison de sa composition, a tiré d'autres conclusions que le gouvernement. L'intervenante se dit étonnée de ce que le projet de loi ne suive pas l'avis, en ce que le Conseil d'État estimait qu'il y avait une ingérence.

La ministre déclare que l'on peut regretter que le Conseil d'État n'ait pas parlé du principe fondamental de notre Constitution qu'est le principe de neutralité.

Mme De Schamphelaere renvoie à ses précédentes observations. L'intervenante comprend la nécessité d'un nouveau départ dans la recherche de l'organe le plus représentatif possible pour la communauté musulmane.

Les élections sont un moyen d'y arriver, bien que des risques subsistent sur le plan constitutionnel.

L'article 5 vise, très concrètement, les mesures nécessaires pour l'organisation des élections.

Or, il existe un risque plus grand qu'en 1998 que certaines tendances se mobilisent et fassent de la propagande orientée à l'égard des fidèles musulmans.

Il est dès lors essentiel, pour l'organisation de telles élections, que l'on puisse atteindre un maximum de ces fidèles et les motiver à s'inscrire sur les listes des électeurs.

L'intervenante pense en particulier aux femmes dans certains courants islamiques.

Elle rappelle que, lors de l'organisation d'un référendum communal, il faut un nombre minimum d'électeurs pour que le résultat puisse être pris en compte.

Elle se demande s'il ne faudrait pas prévoir ici un système analogue et si cela peut être fait dans le cadre du règlement d'ordre intérieur.

Ce dernier peut-il aussi régler les modes de propagande ?

La ministre répond que, dans les pays où le vote n'est pas obligatoire, pour d'autres types d'élections, il n'est pas prévu que le résultat des élections est invalidé au-dessous d'un certain pourcentage de participation au vote.

La ministre fait plutôt le pari d'une mobilisation très large. En effet, ces élections sont attendues, et doivent intervenir après la période de ramadan, qui sera sans doute l'occasion d'une large discussion relative aux intérêts du culte lui-même.

On peut même espérer une mobilisation plus large qu'en 1998. En effet, il faut rappeler que certains groupes contestent les organes représentatifs, parce qu'ils s'estiment insuffisamment représentés.

On sait qu'en 1998, ces groupes étaient assez réticents par rapport au processus électoral, et ne s'étaient pas mobilisés.

Ils font savoir aujourd'hui qu'ils veulent participer à ce processus.

Mme Talhaoui demande si, dans la composition de la commission, il a été tenu compte de la dimension du genre.

Il lui semble indiqué de le faire, vu la sensibilité de cet aspect des choses dans la communauté.

La ministre répond que l'on s'efforcera au maximum de tenir compte de telle dimension.

M. Nimmegeers demande si la médiation visée à l'article 5, 3º, comporte aussi le fait de trancher les conflits éventuels.

La ministre déclare que la situation est la même que pour les observateurs. Si ceux-ci constatent des fraudes, la commission n'a pas pour mission d'arrêter le travail du bureau de vote.

Un rapport sera établi, qui pourra être utilisé ultérieurement pour valider ou non le processus électoral.

La ministre renvoie au rapport de consensus de 1998 qui prévoyait diverses possibilités pour pouvoir se porter candidat : soit être présenté par une mosquée, soit être présenté par 50 signataires.

Supposons qu'une contestation surgisse quant à la véracité de l'identité de l'une de ces 50 personnes.

Il peut s'agir là d'un cas où la commission procède à une vérification.

Un cas s'est présenté en 1998, à propos de la condition selon laquelle on ne pouvait exercer aucune fonction politique ni diplomatique.

Lors de la clôture des listes, il est apparu qu'un candidat ne répondait pas à cette condition.

Grâce à une médiation, la personne a accepté de se retirer.

La ministre rappelle en outre qu'au terme du processus figure la reconnaissance d'un exécutif faite par arrêté royal délibéré en conseil des ministres.

Cette reconnnaissance pourrait être refusée par le gouvernement, si celui-ci constate que les opérations électorales ont été entachées d'irrégularités.

M. Hugo Vandenberghe se demande si, à défaut de conciliation possible, les tribunaux civils sont compétents pour trancher de tels conflits.

Le problème peut d'ailleurs se poser non seulement après les élections, mais aussi avant celles-ci, par exemple si une personne pose sa candidature sans répondre aux conditions fixées, et n'accepte pas la médiation.

Sa candidature est-elle acceptée ou refusée, et par qui ?

M. Coveliers renvoie au 1º de l'article 5. Il suppose que la commission dira quels sont les candidats et les électeurs, et que s'il existe des contestations à ce sujet, elle organisera une médiation, puis tranchera.

M. Mahoux renvoie au 2º de l'article 5 : « Veiller à la régularité des opérations électorales » n'impliquet-il pas un processus de vérification relatif à la fois à la qualité de candidat et à celle d'électeur ?

M. Hugo Vandenberghe estime que, dès l'instant où l'autorité publique intervient, le pouvoir judiciaire est potentiellement compétent.

Il souligne la complexité de ce problème juridique, qui revêt de multiples aspects, et dont la réponse peut varier, selon que l'on se situe avant ou après les élections.

La question est de savoir quelles sont les conséquences du fait que le législateur intervient par une loi pour organiser des élections en matière de culte.

M. Coveliers pense qu'il est préférable de considérer que le tribunal civil n'est pas compétent en la matière. En effet, après avoir introduit un recours auprès du tribunal civil, un citoyen pourrait agir en référé contre l'État belge pour lui interdire d'organiser des élections en attendant que le litige soit tranché par le tribunal civil. Il y a un risque réel de blocage.

M. Hugo Vandenberghe ajoute qu'une autre question se pose. Comme il s'agit d'une loi au regard de l'article 9 de la CEDH, faut-il respecter l'article 13 de cette Convention en vertu duquel au moins un recours doit être prévu en cas de contestation lors de l'exécution ?

La question est de savoir si la décision de la commission statuant sur la recevabilité d'une liste ou d'un candidat devra être considérée comme un acte administratif dont la validité pourra dès lors être contrôlée par le Conseil d'État.

En toute hypothèse, puisque nous sommes dans un État de droit, une juridiction est compétente pour contrôler la validité des décisions de la commission. En vertu de la Constitution, lorsque des droits politiques ne sont pas en cause, c'est le droit commun qui s'applique. Il reste à savoir quel tribunal l'applique.

Mme Nyssens remarque qu'il aurait été intéressant de partager l'expérience du comité d'accompagnement des précédentes élections. Ce comité a en effet été confronté à de nombreuses questions, dont la simple question de savoir qui est musulman. L'option prise a consisté à accepter comme musulmane toute personne qui se présentait comme telle.

En réponse à une question posée concernant d'éventuelles irrégularités dans les méthodes, Mme Bouarfa remarque qu'il ne faut pas exagérer les suspicions à l'égard de la religion islamique. En cas de problème, comme le non respect éventuel de l'égalité entre les hommes et les femmes, on applique le droit commun.

Par ailleurs, l'intervenante trouve aussi que la loi est formulée de manière très masculine. Ne pourrait-on apporter des corrections techniques pour féminiser le texte ?

M. Hugo Vandenberghe réplique que la question a déjà été envisagée. La Convention européenne des droits de l'homme et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg prescrivent l'immunité institutionnelle des religions, ce qui signifie précisément que les cultes composent eux-mêmes leurs organes. Il est difficile pour le législateur d'intervenir en la matière.

V. VOTES

L'ensemble du projet de loi est adopté par 10 voix contre 3 et 3 abstentions.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 11 membres présents.

La rapporteuse, Le président,
Fauzaya TALHAOUI. Hugo VANDENBERGHE.

Le texte adopté par
la commission est identique
au texte adopté en séance plenière
par la Chambre des représentants
et transmis au Sénat
(voir doc. Chambre, nº 51-1275/6)