3-448/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

12 JANVIER 2004


Proposition de loi complétant l'article 31, alinéa 2, de la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire

(Déposée par Mme Clotilde Nyssens et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Le phénomène de la traite des êtres humains en général et à des fins d'exploitation sexuelle en particulier est une conséquence directe du phénomène qui pousse les gens à émigrer, et qui résulte principalement d'une répartition inégale de la prospérité, de la sécurité et de la justice.

Si l'ancrage de la prostitution dans les structures économiques et dans les mentalités collectives est conditionné par les contextes culturels, les causes principales de la prostitution sont bien connues : disposer d'une vie meilleure ou échapper à la guerre, aux persécutions diverses, à la pauvreté et aux violations des droits de l'homme. Mais arrivées sur le territoire, les victimes croyant trouver chez nous le « monde meilleur », vivent un vrai cauchemar : leurs papiers leur sont retirés et le défaut de connaissance de la langue, de la culture et du système juridique étranger dans lequel elles se trouvent font de ces personnes des cibles de choix des trafiquants d'être humains. Prises au piège et qui plus est souvent victimes d'un lien affectif fort envers leurs proxénètes, elles n'ont d'autre choix que de se soumettre aux injonctions de ceux-ci.

Le nombre de pays concernés par la prostitution augmente constamment, l'on voit apparaître des filières de plus en plus imbriquées et il semble bien que les réseaux criminels organisés jouent un rôle croissant.

La prostitution « moderne » s'est très largement diversifiée, tant en ce qui concerne les lieux que les modes de celle-ci. Citons à titre d'exemple, la prostitution « cachée », c'est-à-dire celle par Internet ou par le réseau téléphonique, la prostitution masculine, qui représente dans certaines villes 30% de la population prostituée, les travestis et transsexuels, les toxicomanes, représentant plus de 50% de la population prostituée dans certaines villes, la prostitution de filles étrangères, principalement des pays de l'Est, la prostitution occasionnelle, difficile à repérer, la prostitution « mobile » et enfin, le nombre de jeunes adolescents de plus en plus impliqués dans la prostitution (on parle du phénomène des « lover boys »).

Divers organismes et associations tels le NID, Espace P essayent d'enrayer ce fléau ...

Le législateur belge a répondu aux attentes des victimes par la consécration de la loi du 13 avril 1995 contenant des dispositions en vue de la répression de la traite des êtres humains et de la pornographie enfantine, ainsi que par la loi du 28 novembre 2000 relative à la protection pénale des mineurs. Ces deux lois ont eu principalement pour effet d'ajouter des incriminations et des circonstances aggravantes dans le Code pénal.

Toutefois, le formalisme protecteur de certaines dispositions législatives mettent à mal l'effort législatif entrepris et entraîne parfois des solutions jurisprudentielles pour le moins surprenantes ayant pour effet de nier tout humanisme juridique et renforçant l'idée d'une justice déficiente pour les victimes.

Un exemple de la jurisprudence récente nous rappelle cette dure réalité. Un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 19 juin 2003 annule toutes les préventions mises à charge d'une personne condamnée à 12 ans de prison par le tribunal de première instance de Bruxelles pour incitation à la débauche, viol avec violence et menace, prostitution ­ avec les circonstances aggravantes que les deux victimes se trouvaient piégées par leur proxénète, car se trouvant en situation irrégulière sur le territoire du Royaume ­ et ce, par le fait que l'interprète ayant traduit les différentes déclarations des victimes reprises dans les procès-verbaux dénonçant les crimes commis n'avait pas la qualité de traducteur juré au sens de l'article 31, alinéa 2, de la loi du 15 juin 1935 relative à l'emploi des langues en matière judiciaire.

La présente proposition de modification de loi tend à éviter que pareille injustice ne se reproduise, injustice qui n'est le fruit que de l'application zélée d'un formalisme protecteur.

S'il est vrai que le formalisme permet d'éviter une justice arbitraire et expéditive, son application peut parfois aboutir à des solutions contraires à l'équité.

Lorsque l'inculpé ne dispose pas d'un conseil pour des raisons indépendantes de sa volonté, l'on ne peut raisonnablement pas lui demander d'être au courant d'éventuelles formalités légales qui n'ont pas été respectées. À l'inverse, lorsque ce fait résulte de la volonté de l'inculpé, cette garantie ne peut plus lui être reconnue.

En limitant le contrôle au niveau de la chambre du conseil, on évite que le non-respect des formes ne puisse être remis en cause devant le juge du fond, et, partant, que cela entraîne a posteriori, la nullité des procès-verbaux d'instruction comme dans le cas d'espèce, devant la cour d'appel.

Cette modification tend également à éviter que de pareils règlements de la justice ne se reproduisent à l'avenir et partant, n'entraînent l'acquittement d'une personne dont la culpabilité ne fait aucun doute. Rappelons que dans notre cas d'espèce, l'inculpé avait été condamné à douze ans d'emprisonnement, ce qui renforce le sentiment amer d'injustice dans le chef des deux victimes.

La balance entre les intérêts de l'inculpé et ceux de la victime ne peut aboutir, pour des raisons évidentes d'équité et de bonne administration de la justice, à de telles conséquences. Il est impérieux en effet que les citoyens aient le sentiment que justice va être rendue et surtout, qu'ils aient confiance en notre justice qui, faut-il le rappeler, est le tiers du pouvoir, et non ­ comme d'aucuns veulent le laisser penser ­ le troisième ...

Clotilde NYSSENS.
Nathalie de T' SERCLAES.
Isabelle DURANT.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 31, alinéa 2, de la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire, remplacé par la loi du 3 mai 2003, est complété comme suit :

« Sauf si l'inculpé n'est pas assisté d'un conseil pour des raisons indépendantes de sa volonté, les nullités résultant d'une irrégularité touchant la qualité d'interprète juré sont couvertes si elles n'ont pas été soulevées au plus tard devant la chambre du conseil lorsque celle-ci est appelée à régler la procédure quand l'instruction est complète. Toutefois, l'absence de mention dans le procès-verbal de la qualité d'interprète juré n'entraîne aucune nullité s'il s'avère par ailleurs que la personne ayant effectué la traduction possède en réalité cette qualité. »

12 décembre 2003.

Clotilde NYSSENS.
Nathalie de T' SERCLAES.
Isabelle DURANT.