3-273/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

20 OCTOBRE 2003


Proposition de loi visant à éliminer tout soupçon de favoritisme partisan lors de la modification d'aspects importants relatifs à l'élection de la Chambre des représentants et du Sénat

(Déposée par M. Luc Van den Brande)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée à la Chambre le 11 juin 2002 (doc. Chambre, nº 50 ­ 1859/001, 2001-2002).

Dans une démocratie représentative, le peuple délègue le pouvoir de décider à un groupe restreint de ses représentants. Cette délégation de pouvoir s'opère par le biais d'élections. La démocratie représentative se distingue de tout autre régime politique par l'organisation, à intervalles réguliers, d'élections libres, ouvertes le plus largement possible à tous les candidats et garantissant le secret du vote.

À l'instar de la plupart des démocraties représentatives, le système électoral belge est fondé sur le suffrage universel pur et simple. Il s'agit d'un principe fondamental dans un État de droit basé sur la souveraineté du peuple et l'égalité naturelle entre tous les citoyens. Le suffrage universel est un acquis relativement récent. Auparavant, le droit de vote était réservé à une partie très restreinte de la population, comme ce fut le cas au cours de la période du suffrage censitaire (1831-1839), ou il était modulé de telle sorte que certaines catégories de la population avaient le droit d'exprimer davantage de suffrages que d'autres, comme à l'époque du suffrage universel avec vote plural (1893-1919). À l'origine, ce suffrage universel avec vote plural était réservé aux hommes. Ce n'est qu'en 1948 que les femmes se sont également vu accorder le droit de vote aux élections législatives.

Outre la généralisation du droit de vote, le système électoral belge a encore connu une profonde évolution sur d'autres plans. Initialement, il n'y avait pas suffisamment de garanties en ce qui concerne le secret du vote, les élections étaient organisées selon le scrutin majoritaire et la participation aux élections n'était pas obligatoire. La participation aux élections a été rendue obligatoire au moment où a été instauré le suffrage universel plural pour les hommes. En 1899, le scrutin majoritaire est abandonné au profit du scrutin proportionnel, dans lequel les sièges à attribuer dans chaque circonscription sont répartis proportionnellement entre les listes, selon les modalités déterminées en 1885 par le juriste gantois Victor D'Hondt. L'instauration de la représentation proportionnelle a eu d'importantes conséquences pour le fonctionnement de la démocratie en Belgique. Depuis lors, il est devenu quasi impossible pour un parti d'obtenir encore la majorité absolue au parlement, de sorte que les gouvernements de coalition sont devenus inévitables. L'âge minimum requis pour voter a, lui aussi, été ramené, par étapes, de 25 à 21 ans, puis à 18 ans. Un certain nombre de modifications ont été apportées non seulement aux conditions de vote, mais aussi aux conditions d'éligibilité.

Ce qui est caractéristique de ces modifications qui ont été apportées au système électoral, c'est qu'elles ont toujours fait l'objet d'une âpre bataille politique. Aucun système électoral n'est en effet neutre. « La procédure de sélection du personnel politique détermine ­ en corrélation systématique avec le résultat des élections ­ le nombre de sièges que les divers partis obtiennent et les personnes qui peuvent les occuper. Il est particulièrement important de ne jamais perdre de vue, dans le cadre de la recherche d'éventuelles variantes ou changements, qu'il existe une interaction complexe entre la procédure électorale et le résultat de l'élection. En incitant les électeurs à voter d'une manière déterminée, la procédure peut influencer le résultat. La manière dont les électeurs votent et le résultat de l'élection, peuvent à leur tour influencer l'effet de la procédure. Comme un système électoral n'est pas neutre, on y accorde toujours une grande attention. » (1)

En dépit des discussions politiques parfois vives auxquelles ont donné lieu les modifications apportées au système électoral belge, ces dernières ont fait l'objet d'un large consensus lors de leur mise en oeuvre. Le clivage traditionnel majorité-opposition a été surmonté pour les modifications les plus importantes et celles-ci ont bénéficié du soutien d'une large majorité, tant au parlement qu'au sein des partis politiques.

D'ailleurs, un certain nombre d'éléments essentiels du système électoral belge tels que le secret du vote, l'âge minimum requis pour être électeur, le caractère obligatoire du vote, le nombre de parlementaires à élire et leur répartition entre les circonscriptions électorales sont inscrits dans la Constitution, de sorte qu'ils ne peuvent être modifiés qu'après que les articles concernés ont été repris dans une déclaration de révision de la Constitution, puis adaptés. Or, la mise en oeuvre de cette procédure exige que soit réunie la majorité spéciale requise pour modifier la Constitution. En pratique, cela signifie que les modifications envisagées sont adoptées avec l'appui de l'opposition ou d'une partie de celle-ci.

D'autres aspects du système électoral belge peuvent cependant être modifiés au moyen d'une loi ordinaire. C'est notamment le cas de la division en circonscriptions électorales ou de la répartition en collèges électoraux, qui sont déterminées par la loi conformément à l'article 63, § 4, de la Constitution en ce qui concerne la Chambre, et conformément à son article 68, § 3, en ce qui concerne le Sénat.

La division du territoire en circonscriptions électorales n'est toutefois pas une opération neutre sur le plan politique. La division d'un territoire en circonscriptions électorales peut en effet avoir des conséquences sur la composition du Parlement, certains partis pouvant être avantagés et d'autres lésés par la délimitation retenue. Il en va surtout ainsi lorsque les voix obtenues par les différents partis concernés ne sont pas réparties de manière uniforme sur le plan géographique. La concentration des voix obtenues par un parti donné dans une zone déterminée peut aisément être neutralisée en divisant cette zone en deux et en joignant les deux moitiés ainsi obtenues à des circonscriptions électorales où ce parti occupe une position moins enviable.

En anglais, la manipulation de résultats électoraux par le remaniement de circonscriptions électorales dans le but de favoriser ou de léser un parti porte un nom : il s'agit du « gerrymandering » (du nom du gouverneur Gerry, qui a voulu favoriser l'un de ses amis politiques en obtenant que le congrès du Massachussetts crée, en 1812, un district électoral ressemblant étrangement à une salamandre. C'est de là que vient le nom « Gerry-mander »). C'est la raison pour laquelle le redécoupage des circonscriptions électorales est une question extrêmement délicate et souvent controversée, et ce, surtout dans les pays dotés d'un système majoritaire, mais aussi dans les pays dotés d'un système de représentation proportionnelle.

La délimitation des circonscriptions électorales en Belgique est le résultat d'une évolution historique et se fonde sur la division du territoire en arrondissements administratifs, qui remonte en grande partie à la période napoléonienne. Au 19e siècle, à chaque arrondissement administratif correspondait une circonscription électorale. Lors de l'instauration de la représentation proportionnelle en 1899, certains arrondissements plus petits ont été fusionnés pour pouvoir obtenir un nombre suffisamment important de sièges par district. Le nombre de sièges à pourvoir étant moins élevé au Sénat, il a fallu regrouper un nombre plus élevé d'arrondissements.

Les limites des circonscriptions électorales de 1899 sont restées pratiquement inchangées jusqu'en 1993. Celles-ci ont été modifiées par les accords de la Saint-Michel, conclus en septembre 1992 et au cours de l'année 1993. Des circonscriptions électorales plus grandes ont été créées pour l'élection de la Chambre, circonscriptions calquées, à quelques exceptions près toutefois, sur les circonscriptions utilisées pour l'élection du Sénat. En outre, ce choix faisait également suite à la diminution du nombre de membres à élire qui était ramené de 212 à 150. De toute évidence, les circonscriptions électorales pour la Chambre n'ont donc pas été modifiées radicalement en 1993. En outre, certains partis de l'opposition étaient favorables à ces modifications.

L'article 62 de la Constitution, par exemple, prévoit également le principe de la représentation proportionnelle et dispose que la technique de la représentation proportionnelle est réglée par la loi. Il existe toutefois différentes formules de représentation proportionnelle qui ont une incidence sur la répartition des sièges.

Comme il a été fait observer par ailleurs, les divers aspects précités ainsi que d'autres éléments du système électoral belge peuvent être modifiés sans grande difficulté. Il est même possible de réaliser de tels changements dans un délai relativement court avant la date normale des élections législatives. Il va de soi que cela ne servirait pas la démocratie représentative et porterait atteinte à la légitimité de celle-ci, étant donné que des modifications aussi radicales du système électoral pourraient donner à penser que les partisans de ces réformes visent à en retirer un avantage sur le plan électoral et à préjudicier à ceux qui n'y auront pas été associés.

C'est la raison pour laquelle la présente proposition de loi prévoit qu'un certain nombre d'aspects essentiels de notre système électoral ne peuvent plus être modifiés dans les douze mois précédant la date normale des élections législatives.

Une modification des règles électorales dans l'année qui précède la date des élections donne encore davantage l'impression que les prétendues réformes sont dictées par des considérations politiciennes et les ambitions carriéristes d'un certain nombre d'hommes politiques plutôt que par le souci de doter notre pays d'un système électoral équitable et transparent.

Une modification des règles électorales peu avant la date des élections renforce assurément l'image déjà fort répandue d'une classe politique coupée de la population, égocentrique et ne se préoccupant pas des problèmes des gens. Il va de soi qu'une telle attitude profite aux forces antipolitiques, et ce, au moment où il ressort de plusieurs élections qui viennent d'avoir lieu dans un certain nombre de pays européens que ces forces attirent, par leur discours, de plus en plus d'électeurs.

Tous les partis doivent d'ailleurs pouvoir se préparer, en temps opportun et dans les mêmes conditions, aux modifications du contexte électoral. Il s'agit là, dans une démocratie parlementaire, d'une règle élémentaire à laquelle il ne peut être dérogé sous aucun prétexte. En apportant des modifications fondamentales au système électoral dans l'année précédant les élections, on enfreint cette règle élémentaire.

La présente proposition de loi prévoit que les aspects suivants du Code électoral ne peuvent plus être modifiés dans l'année précédant la date normale des élections législatives :

­ la division en circonscriptions électorales;

­ la technique de la répartition des sièges sur la base du principe de la représentation proportionnelle;

­ et les conditions relatives au dépôt des actes de présentation.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er

La présente proposition relève de l'article 77 de la Constitution, étant donné qu'elle concerne notamment l'élection du Sénat.

Article 2

Cet article énumère les dispositions du Code électoral ne pouvant pas être modifiées au cours des douze mois précédant la date normale des élections. Il s'agit du tableau visé à l'article 87 du Code électoral, qui répartit les arrondissements administratifs en circonscriptions électorales pour l'élection de la Chambre des représentants, de l'article 87bis du Code électoral, qui détermine les circonscriptions électorales pour l'élection des sénateurs élus directement, de l'article 116 du Code électoral, qui fixe les conditions du dépôt de l'acte de présentation d'une liste de candidats, des articles 166, 167 et 168 du Code électoral, relatifs à la répartition des sièges pour l'élection du Sénat et, à défaut de groupement de listes, pour l'élection de la Chambre des représentants, et des articles 169, 170, 171 et 171bis, relatifs à la répartition des sièges pour l'élection de la Chambre des représentants en cas de groupement de listes.

Luc VAN den BRANDE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 77 de la Constitution.

Art. 2

Le tableau visé à l'article 87 du Code électoral et annexé à ce Code, ainsi que les articles 87bis, 116 et 166 à 171bis de ce Code, ne peuvent pas être modifiés au cours des douze mois précédant la date de la réunion ordinaire des collèges électoraux à l'effet de pourvoir au remplacement des représentants et des sénateurs sortants.

9 octobre 2003.

Luc VAN den BRANDE.
Ludwig CALUWÉ.
Stefaan DE CLERCK.
Mia DE SCAMPHELAERE.
Étienne SCHOUPE.
Érika THIJS.
Hugo VANDENBERGHE.
Marc VAN PEEL.

(1) Le Renouveau politique. Démocratie représentative. Avis du Comité scientifique adjoint aux commissions pour le Renouveau politique, Chambre des représentants et Sénat, doc. Chambre, nº 50 ­ 1421/001 et doc. Sénat, nº 2-506/1, p. 28.