Questions et Réponses

Sénat de Belgique


Bulletin 2-73

SESSION DE 2002-2003

Questions posées par les Sénateurs et réponses données par les Ministres

(Fr.): Question posée en français - (N.): Question posée en néerlandais


Ministre des Affaires sociales et des Pensions (Affaires sociales)

Question nº 1896 de M. Van Quickenborne du 14 février 2002 (rappel du 23 octobre 2002) (N.) :
Handicapés. ­ Allocation de remplacement de revenus. ­ Couples mariés.

Dans le régime actuel de l'allocation de remplacement de revenus pour handicapés, les personnes atteintes d'un handicap lourd et classées dans les catégories 3 ou 4 de la classification applicable en matière d'allocation d'intégration, ce qui signifie qu'elles n'ont qu'un très faible degré d'autonomie, perdent, lorsqu'elles décident de se marier, l'allocation de remplacement de revenus dont elles bénéficiaient avant le mariage. Le mariage a dès lors des conséquences graves pour leurs revenus. Par le simple fait d'avoir contracté mariage, ces personnes se voient privées de l'intégralité de leur allocation de remplacement de revenus, vu que pour l'octroi de l'allocation de remplacement de revenus, on prend en compte la quasi-totalité des revenus du conjoint.

La prise en compte des revenus du conjoint ou de la personne avec laquelle le handicapé est établi en ménage a pour conséquence que cette mesure empêche le handicapé de se marier ou de constituer un ménage avec une personne qui dispose d'un revenu. Cela a des conséquences extrêmement négatives au niveau de l'intégration sociale des personnes handicapées.

Dans le prolongement de l'action « de Prijs der Liefde » de la KVG Katholieke Vereniging voor gehandicapten, le ministre du Budget, de l'Intégration sociale et de l'Économie sociale a élaboré en 2001 une solution partielle pour ce qui est de l'allocation d'intégration (arrêté royal du 15 mars 2001), mais il refuse de faire de même pour les revenus de remplacement. Le ministre déclare sur son site internet que : « Dans le cadre d'allocations de remplacement de revenus qui visent à assurer la sécurité d'existence aux handicapés, il sera tenu compte des revenus du conjoint parce que l'on veut protéger la sécurité d'existence du « ménage » ».

La déclaration gouvernementale du 17 octobre 2000 annonçait des initiatives visant à ce que le mariage ou la cohabitation de handicapés disposant de revenus moyens ne soient plus pénalisés.

Je connais ainsi le cas concret d'un handicapé qui est classé dans la catégorie 3 et qui n'a plus droit qu'à un revenu d'intégration qui est entièrement absorbé par les soins qu'il doit recevoir. Son épouse ne bénéficie que d'une allocation de chômage et ils ont en outre des enfants à charge. L'on peut difficilement prétendre que cette famille dispose d'un « revenu moyen ».

Dans presque tous les cas, les personnes handicapées qui se marient perdent l'intégralité de leur allocation de remplacement de revenus, comme dans le cas qui vient d'être cité, et ceci en raison des plafonds prévus par la loi, qui sont tellement bas qu'ils en deviennent absurdes.

Pour le bénéficiaire ayant des personnes à charge, le montant de l'allocation est diminué de la partie du revenu du handicapé et de son conjoint qui dépasse 310 euros par an s'il est marié et les revenus de l'autre conjoint bénéficient d'un abattement de 1 500 euros.

Vu les plafonds ridiculement bas précités, l'on peut difficilement affirmer en âme et conscience que la sécurité d'existence du « ménage » est garantie. En, effet lorsque, au sein d'un ménage, un des conjoints est handicapé et qu'il remplit les conditions d'obtention d'une allocation de remplacement de revenus, tous les revenus de ce ménage au-delà d'un plafond annuel de 1 810 euros (310 + 1 500 euros) sont portés en déduction du revenu de remplacement éventuel auquel le handicapé peut prétendre.

Dans bon nombre de cas les personnes atteintes d'un handicap lourd ne peuvent même rien entreprendre pour aider leur famille à sortir de cette pénible situation financière , étant donné que leur handicap est tel qu'ils ont besoin de se faire aider en permanence (et qu'ils sont reconnus par l'État comme personnes fortement tributaires de soins, leur handicap étant classé dans la catégorie 3 ou 4) et ne peuvent ainsi en aucune façon augmenter le revenu du ménage. Cette situation n'est donc pas comparable à celle d'autres catégories de personnes bénéficiant d'un revenu de remplacement (chômeurs, etc.).

Et j'en arrive ainsi à un autre aspect pénible de la réglementation relative à l'allocation de remplacement de revenus, à savoir le « piège de l'inactivité » pour le handicapé lui-même.

Les plafonds fixés pour l'allocation de remplacement de revenus sont les suivants :

­ pour un handicapé isolé : 250 euros;

­ pour un cohabitant : 155 euros;

­ pour un bénéficiaire ayant une ou plusieurs personnes à charge (parmi lesquelles les personnes mariées) : 310 euros.

Tous les revenus du travail dont bénéficie un handicapé isolé au-delà de 250 euros sur une base annuelle sont portés en déduction de l'allocation de remplacement de revenus à laquelle il peut prétendre. Les handicapés sont donc fortement découragés par le législateur à participer au marché du travail. Cette situation est tout simplement inadmissible, d'autant que le gouvernement a spectaculairement relevé le montant des revenus que les pensionnés peuvent gagner en supplément de leur pension afin de réaliser l'État social actif.

C'est pourquoi j'aimerais poser les questions suivantes à l'honorable ministre :

­ Le ministre du Budget, de l'Intégration sociale et de l'Économie sociale défend-il toujours sa thèse (doc. Chambre du 8 mai 2000) selon laquelle la prise en compte des revenus du conjoint procède de l'économie du régime de l'allocation de remplacement de revenus alors que la loi prévoit expressément que « l'allocation de remplacement de revenus est octroyée aux handicapés à propos desquels il a été constaté que leur situation physique ou psychique a limité leur capacité de gain (de revenus) » ? Dans l'affirmative, peut-il expliquer en quoi le mariage permet d'augmenter la capacité d'une personne handicapée à acquérir des revenus ? Pourrait-il exposer son point de vue sur la question de manière circonstanciée ?

­ Partage-t-il l'avis selon lequel sanctionner financièrement le mariage d'un handicapé en prenant en compte, pour l'attribution d'un revenu de remplacement, les revenus du conjoint ou de la personne avec laquelle le handicapé forme un ménage entraîne que cette mesure empêche le handicapé de se marier ou de former un ménage avec la personne qui dispose d'un revenu, et comment les ministres parviennent-ils à concilier cet état de choses avec les efforts visant à intégrer socialement les personnes handicapées ? Serait-il possible d'avoir un commentaire détaillé sur ces deux thèses et de savoir s'il compte y remédier et dans quels délais ?

­ Compte tenu du fait que tous les revenus du ménage d'une personne handicapée qui excèdent 1 810 euros sur une base, annuelle sont portés en déduction de l'allocation de remplacement de revenus à laquelle le handicapé peut prétendre, peut-il dire s'il est partisan d'une révision substantielle de ces plafonds vers le haut, étalée le cas échéant sur plusieurs années ? Dans l'affirmative, pourrait-il dire dans quels délais il pense intervenir ? Dans la négative, est-il disposé à proposer une autre solution à ce problème, comme par exemple le décumul (partiel) du revenu et du revenu de remplacement ?

­ Peut-il également indiquer sur quelle base les handicapés ne peuvent posséder aucun bien mobilier ni aucun revenu provenant d'éléments patrimoniaux pour pouvoir conserver leur droit à un revenu de remplacement ?

­ Pourrait-il expliquer en détail quand et de quelle manière il entend supprimer le « piège de l'inactivité » pour les handicapés qui ont droit à une allocation de remplacement de revenus, dès lors que le législateur les dissuade fortement de participer au marché du travail ? S'il n'entend pas agir contre ce « piège de l'inactivité », pourrait-il expliquer pour quelle raison ?

­ Comme le ministre du Budget, de l'Intégration et de l'économie sociale l'affirme sur son site, l'arrêté royal du 15 mars 2001 relatif à l'allocation d'intégration est limité, pour des raisons budgétaires, aux catégories 3 et 4 de l'allocation d'intégration; le ministre poursuit cependant, sur le même site, en déclarant qu'une mesure similaire sera examinée dans une phase ultérieure pour les catégories 1 et 2 de bénéficiaires de cette allocation. Peut-il expliquer où en est ce dossier (à quelle phase) ainsi que les délais dans lesquels lui et son collègue prendront une décision ?

­ Peut-il expliquer dans quelle mesure la mise au travail de l'épouse par l'époux en tant qu'assistante BAP dans le cadre du budget d'assistance personnelle pour les personnes handicapées (ci-après dénommé BAP) a une incidence sur le montant de l'allocation de remplacement de revenus du handicapé (qui, dans ce cas, jouerait le rôle d'employeur) ?

­ Trouve-t-il normal en ce qui concerne le BAP que le pouvoir fédéral prélève environ la moitié (ONSS, précompte professionnel, ...) du budget d'assistance personnelle que le gouvernement flamand octroie aux ayants droit et envisage-t-il de prendre des mesures à cet égard ou d'entamer une concertation et, dans l'affirmative, dans quel délai ? Dans la négative, peut-il expliquer en détail pourquoi ?

Réponse : 1. Primo, l'allocation de remplacement de revenus est une allocation dans un système d'aide sociale, à comparer avec le minimum de moyens d'existence et le revenu d'intégration. Le droit à cette allocation ne se fonde pas sur la technique d'assurance parce qu'il n'est pas payé de cotisations. Puisqu'il s'agit d'un système d'aide, il est essentiel d'examiner les moyens d'existence auquel le demandeur peut de facto faire appel. Il n'a jamais été question de déroger à ce principe. Cependant je souhaite également signaler que le fait qu'il soit tenu compte uniquement des revenus imposables et non de la notion beaucoup plus large de « moyens d'existence » d'une part et le fait qu'il existe à côté de cela un certain nombre d'exonérations d'autre part, constitue tout de même en soi une atténuation des conséquences du principe.

Secundo, les conditions d'octroi sont doubles : d'une part, il doit y avoir une réduction de la capacité de gain et, d'autre part, les revenus totaux du ménage ne peuvent dépasser un plafond déterminé. Il n'y a pas de lien entre les deux critères. Qu'on tienne compte du revenu de l'éventuel(le) partenaire ne signifie nullement que l'on suggère un accroissement de la capacité de gain parce que l'intéressé a un ou une partenaire.

2. Le mariage en tant que tel n'est nullement sanctionné. Toutefois, il est exact que les revenus éventuels du conjoint seront pris en considération; en effet, la logique même veut que tout système d'aide sociale tienne compte des possibilités financières réelles. Si nous ne le faisions pas, la personne handicapée dont le ou la partenaire n'a pas de revenus, recevrait autant que la personne dont le ou la partenaire dispose peut-être d'un revenu confortable. Une telle situation serait loin d'être équitable. N'empêche que je suis d'accord sur le constat : cette règle peut avoir un effet décourageant pour les intéressés.

La loi-programme de décembre 2002 a apporté un certain nombre de modifications au régime des allocations. Dans les projets d'arrêtés d'exécution de ces modifications, la commissaire du gouvernement a d'ailleurs prévu une (modeste) exonération des revenus du ou de la partenaire. Ces arrêtés sont actuellement examinés par le Conseil d'État.

3. Les réformes que la commissaire du gouvernement effectue en ce moment contiennent, comme il a été dit, déjà une première amorce d'exonération (d'une partie) du revenu du ou de la partenaire.

Elle a également prévu une exonération de 10 % du revenu du travail de la personne handicapée. Cette mesure peut être considérée comme un petit encouragement à l'emploi. Remarquez cependant que les allocations de remplacement de revenus (ARR) contiennent une allocation d'aide sociale pour les personnes n'ayant pas d'autres moyens d'existence. Contrairement à ce qui se passe avec l'allocation d'intégration (Al), qui est une forme d'indemnité de frais, il ne faut donc pas laisser s'accumuler trop de revenus. Par conséquent, les ARR ne connaîtront pas d'équivalent du prix du travail tel qu'il existe pour les Al. Car il est impossible qu'une allocation d'aide sociale soit versée à une personne ayant un revenu ou un revenu de remplacement.

En outre, les plafonds sont désormais automatiquement indexés. Les allocations mêmes étaient déjà liées à l'indice.

Je suis donc partisan de l'indexation des allocations et des plafonds de cumul. Mais, à court terme, je n'envisage pas de relèvement important des plafonds, pas plus que des allocations. Remarquez toutefois que durant la présente législature, l'ARR a augmenté de 10 % (trois indexations et deux adaptations hors indice), ce qui n'est tout de même pas négligeable.

4. Il n'est prévu nulle part que les personnes invalides ou handicapées ne peuvent posséder de biens immobiliers. Il n'est pas non plus précisé qu'elles ne peuvent avoir de revenus provenant d'éléments d'actif. En revanche, la loi dispose qu'il est tenu compte des moyens d'existence, ce qui semble logique étant donné que ces moyens d'existence influent sur leurs possibilités financières réelles. D'ailleurs, seul le revenu cadastral de leur habitation est pris en considération, et même celui-ci est exonéré jusqu'à concurrence d'un montant de 3 000 euros, à majorer de 250 euros par personne à charge.

5. Je viens de signaler que nous avons commencé à supprimer le piège de l'inactivité dans les ARR. Pour ce qui est des Al, ce piège a été neutralisé par le prix du travail. Comme je l'ai déjà dit, nous ne pouvons pas aller aussi loin concernant les ARR que les Al pour la simple raison qu'il est impossible de verser une allocation d'aide sociale à une personne ayant un revenu à part entière.

De plus, les problèmes se posent aussi ailleurs, à savoir le retour aux ARR après une brutale disparition du revenu du travail. La personne handicapée qui fait des efforts pour aller travailler et qui se retrouve soudain au chômage ne peut bénéficier de nouveau d'ARR parce qu'il est tenu compte du revenu de l'année de référence (c'est-à-dire n-2, puisque c'est de cette année-là que datent les données les plus récentes sur le revenu imposable). Si les revenus de cette année de référence sont élevés parce que c'était encore une année d'emploi, l'intéressé ne peut recevoir d'ARR, même s'il n'a pas d'autre revenu. La commissaire du gouvernement s'est attaquée à ce problème en précisant qu'en cas de perte brutale et permanente de revenus, il sera tenu compte de la situation financière actuelle et non de celle de l'année de référence.

6. Les arrêtés d'exécution de la commissaire du gouvernement prévoient d'ores et déjà que la technique du prix de l'amour s'applique aux catégories 1 et 2. Cependant, les montants n'ont pas encore été relevés au niveau du prix de l'amour pour les catégories 3 et 4. Notre intention est néanmoins d'aligner les montants sur ceux du prix de l'amour pour les catégories 3 et 4. D'après les estimations, cette mesure coûtera au moins 2 milliards de francs et ne pourra donc se faire que progressivement.

7. Le revenu du ou de la partenaire est toujours examiné de la même manière, quel que soit l'employeur chez qui est acquis ce revenu. Il s'ensuit que les mesures énumérées ci-dessus seront d'application ici.

8. S'il est constaté une situation concrète mettant en évidence un lien de subordination entre l'employeur/personne handicapée et le travailleur/assistant personnel, il n'y a pas de raison de considérer cet emploi différemment de n'importe quelle autre forme d'emploi.

L'ONSS fait toutefois observer que lorsque l'assistant ou l'assistante est le ou la partenaire ou un autre membre de la famille proche, il n'est pas si évident de parler d'un lien de subordination et donc d'une occupation assortie d'une obligation de cotiser. Aussi est-il impossible de déclarer de manière générale que tout recours au « budget personnel d'assistance » est, par définition, assujetti.

D'ailleurs, l'ONSS n'a pas connaissance de cas dans lesquels la décision d'assujettissement ou de non-assujettissement a été contestée. [À vérifier par l'ONSS]