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9 AVRIL 2003
C'est le 22 octobre 1968 que M. P. Persoons, membre de la Chambre des représentants, déposa une première proposition de loi qui visait à instaurer un contrôle des dépenses électorales et à limiter celles-ci (1). Cette proposition s'inspirait de la législation en vigueur au Royaume-Uni. Il fallait publier, non l'origine des fonds, mais le montant des dépenses électorales. Ce montant était plafonné à 100 000 francs par candidat pour les élections fédérales et à 50 000 francs pour les élections provinciales (2).
Entre 1968 et 1983, dix propositions de loi relatives à cette matière furent déposées à la Chambre et au Sénat.
Selon la professeur Laura Iker-de Marchin, ces propositions de loi présentaient l'inconvénient de ne porter que sur les dépenses, sans doter les partis politiques ou les candidats potentiels des moyens nécessaires pour faire entendre leur voix.
La loi du 4 juillet 1989, fondée sur ces différentes propositions de loi, a organisé un financement public direct, qui variait en fonction des résultats obtenus par les différents groupes politiques.
Cette loi du 4 juillet 1989 poursuivait les objectifs suivants :
1) limiter et contrôler les dépenses électorales des partis et des candidats;
2) financer les partis politiques représentés au Parlement et
3) garantir une comptabilité ouverte des partis politiques.
La loi a connu plusieurs modifications entre 1989 et 1994 (loi du 21 mai 1991, loi du 18 juin 1993). Cette dernière loi a marqué une nouvelle étape majeure en supprimant la déductibilité fiscale des dons, instaurée en 1985, et en limitant considérablement le droit de faire des dons aux partis politiques.
En raison de la prolifération considérable des dépenses qui suivit l'entrée en vigueur de la loi du 4 juillet 1989, un groupe de travail composé de députés de cinq partis (la majorité de l'époque et le PRL) fut instauré sous la présidence de M. Leo Peeters, membre de la Chambre des représentants. Ce groupe de travail élabora pour la première fois des règles interdisant certaines formes de campagne électorale.
Les dispositions suivantes, relatives aux élections pour les Chambres fédérales, furent inscrites dans trois lois découlant des travaux du groupe de travail :
Les partis peuvent consacrer 45 millions de francs à la publicité lors des élections européennes et fédérales. Pour les élections des Conseils, les dépenses sont fixées à 36 millions de francs. Ce montant est de 8 millions pour le Conseil bruxellois et de 1 million pour le Conseil de la Communauté germanophone. À l'intérieur de ce budget un système est prévu pour les campagnes individuelles des candidats, ceux-ci pouvant dépenser un montant allant de 100 000 à 500 000 francs plus un montant variant en fonction du nombre d'électeurs inscrits sur les listes électorales.
Les partis politiques doivent publier leur comptabilité.
Les gadgets, cadeaux et campagnes téléphoniques sont interdits.
Le nombre d'affiches de plus de quatre mètres carrés est limité à 600 par parti. La publicité radiophonique et télévisée n'est pas interdite.
La loi du 19 novembre 1998 a augmenté le nombre des formes interdites de campagne électorale.
Les panneaux ou affiches à caractère commercial et les panneaux ou affiches à caractère non commercial d'une surface de plus de 4 m2 sont désormais interdits. En outre, les partis ne peuvent plus dépenser que quarante millions de francs pour les élections fédérales et les montants consacrés aux campagnes individuelles sont réduits. La location de panneaux et le collage d'affiches sur ces panneaux seraient trop coûteux, les fonds requis à cet effet ne pouvant résulter des cotisations des membres ou d'autres formes légales de financement des partis.
Ne sont autorisées que les affiches placées dans le jardin ou à la fenêtre des candidats et de leurs sympathisants, ainsi que sur les panneaux mis à disposition par les communes. Il en est donc résulté une prolifération d'affiches d'une surface maximale de 4 m2, placées dans les avant-cours des propriétés.
Durant les trois mois précédant les élections, c'est-à-dire à partir du début de la « période réglementée », les partis politiques, les listes et les candidats ainsi que les tiers qui veulent faire de la publicité pour un parti, pour des listes ou candidats ne peuvent pas :
1) faire usage de panneaux ou d'affiches à caractère commercial;
2) faire usage de panneaux ou d'affiches à caractère non commercial d'une surface de plus de 4 m2;
3) organiser des campagnes téléphoniques commerciales; il est donc interdit de faire usage de lignes téléphoniques spécialement louées à cet effet (par exemple par ordinateur);
4) émettre des messages publicitaires radiophoniques (y compris sur les radios libres), télévisés (y compris les télévisions locales) et cinématographiques;
5) distribuer des cadeaux ou des gadgets.
La loi interdit expressément la distribution, l'envoi, ... de gadgets et de cadeaux. Sont notamment considérés comme des gadgets; les ballons, savonnettes, stylos à bille, jeux de cartes, sacs en plastic, agendas, produits naturels (entre autres fleurs et fruits, ...), cassettes de musique, etc.
Il ne s'agit donc pas de la distribution d'imprimés sur papier (même cartonnés) portant un message politique, illustrant ou jugeant les élections et les candidats à celles-ci. Le critère général est donc que les messages sur papier ne sont pas des gadgets ou des cadeaux, contrairement à tous les dons en nature. C'est ainsi j'ai pu en faire l'expérience que les dessous-de-verre sont bel et bien autorisés au cours de la campagne électorale.
Selon la commission parlementaire qui a examiné la loi et en a discuté, les cassettes, CD ou disquettes portant un message politique indélébile sont également autorisées.
Les sites Internet sont autorisés et ne doivent pas être pris en considération pour autant qu'il s'agisse de sites qui existaient déjà avant les élections.
N'entre pas en ligne de compte le fait d'offrir une boisson ou une collation à l'occasion d'une réunion privée, ce aux frais du candidat, d'une liste ou d'un parti (par exemple un petit repas organisé à l'intention des collaborateurs de la campagne électorale) (3).
En ce qui concerne la notion de cadeau, quelques précisions ont été fournies en termes généraux lors de la discussion au Sénat de la loi du 7 juillet 1994 : est considéré comme déterminant le fait que les objets sont fournis en dessous du prix du marché dans le but de faire campagne (4).
Le Conseil d'État observe que du point de vue sémantique, la distinction entre « cadeau » et « gadget » est vague et imprécise (5).
Il appert des travaux parlementaires que l'intention du législateur était de mettre fin par principe à toute forme de libéralité de la part des candidats. D'autre part, le législateur n'avait pas l'intention d'instaurer une interdiction absolue, en ce sens que certains objets qui devraient être qualifiés de gadget ou de cadeau perdent ce caractère dans certaines circonstances (6).
Il ressort, par exemple, du rapport de la Chambre sur la loi du 4 juillet 1989 que des calendriers portant un message politique illustrant ou jugeant le thème des élections et des candidats, perdent le caractère de gadget.
Dans le « Tijdschrift voor Gemeenterecht », Cromheecke et Vandendriessche donnent un aperçu de la jurisprudence relative aux gadgets et cadeaux.
À propos de la distribution d'une carte photographique aérienne figurant un circuit cyclotouriste de 82 étapes, censées représenter les 82 réalisations qui seraient celles du parti dans la commune, le Conseil d'État considère qu'il n'est pas interdit, par définition, d'utiliser pour la propagande électorale des techniques originales afin de se faire remarquer davantage ou d'accrocher l'attention de l'électeur, à condition que le message politique occupe une place centrale et l'emporte sur la valeur, du moins utilitaire, du cadeau ou du gadget distribué.
Comme la carte est considérablement « défigurée » par le circuit cyclotouriste qui y est tracé, on peut dire que le message politique l'emporte sur la valeur, du moins utilitaire, de la carte, de sorte que celle-ci n'est pas un gadget.
Le fait d'annoncer que « le verre de l'amitié » sera offert gratuitement lors d'un débat public, n'est pas une infraction pourvu qu'il n'y ait pas d'excès (7).
La distribution de biscuits constitue à première vue une infraction à l'interdiction, mais étant donné que ces biscuits ne sont guère susceptibles d'avoir pu influencer les électeurs et que leur valeur peut également être considérée comme négligeable au regard des montants autorisés par la loi au titre de dépenses électorales, ce fait ne doit pas entraîner à la déchéance du mandat (8).
L'interdiction des gadgets et des cadeaux donne lieu à une casuistique complexe, dans laquelle la créativité des candidats ne connaît pas de limites. Le point de vue de l'auditeur du Conseil d'État à propos de l'arrêt nº 94 331 du 27 mars 2001 montre bien que le dernier mot est loin d'avoir été dit à ce sujet au niveau de la jurisprudence. L'auditeur fonde sa thèse sur la jurisprudence du Conseil d'État entre 1965 et 1995, pour conclure que les petits cadeaux ne sont pas susceptibles d'influencer l'électeur de manière décisive. Les petits cadeaux ne sont pas contraires à la législation si, d'une part, cette distribution s'est faite à tous les électeurs sans distinction donc ne s'est pas limitée à une catégorie d'électeurs aisément influençable et si, d'autre part, les objets distribués sont de peu de valeur.
Bien que le Conseil d'État n'ait pas eu à statuer sur l'avis, les arrêts cités auparavant montrent que cet avis n'est pas dénué d'importance.
3. Objections contre les interdictions de plus en plus poussées concernant la manière de faire campagne
Ces dernières années, les campagnes politiques sont considérées d'un oeil sans cesse plus critique, alors que la publicité est présente de manière de plus en plus subtile dans notre vie quotidienne. La discussion récente sur la publicité pour le tabac pourrait conduire à la conclusion que, tout comme le tabac, la politique est à ce point nocive qu'il serait préférable d'exclure la publicité dans ce domaine.
Il s'ensuit que dans les limites d'un budget fixé par la loi et qui n'est pas modifié par la présente proposition de loi le monde politique doit retrouver une plus grande liberté pour faire campagne.
3.1. Concernant les messages publicitaires à la radio, à la télévision et dans les cinémas
Un ancien membre de la commission de contrôle parlementaire des dépenses électorales a, dans une interview, bien résumé la situation : (traduction) « J'ai assisté à la genèse de toutes ces restrictions; elles partent toutes d'une intention louable, mais je fais néanmoins des réserves. Elles ne portent pas tellement sur les problèmes de communication, et je crains que cette raréfaction ne fasse que renforcer la concentration sur les chefs de file. Les candidats mineurs en feront les frais. Pour les nouveaux venus, il sera encore plus difficile de prendre leur envol. Je me pose également des questions à propos du quasi-monopole des médias écrits » (9).
En outre, cette interdiction est dépassée. Dans les librairies, on trouve d'ores et déjà quantité de publications accessibles sur des sujets politiques. L'Internet aussi constitue un pôle d'attraction.
La crainte d'une explosion des dépenses électorales, conjuguée au risque de dérapage des finances des partis qui en résulterait, ne se justifie pas. Le frein majeur est en effet la limitation des budgets, telle qu'elle est prévue par la loi du 4 juillet 1989.
Il est absurde de condamner les communications audiovisuelles, au sens le plus général du terme, à l'époque des médias et des multimédias. La dépendance des politiciens à l'égard des médias ne fait que croître, car ce sont les médias qui décident qui sera placé sous le feu des projecteurs.
Un bon spot à la TV, à la radio ou au cinéma n'est rien de plus qu'une affiche mobile, où la parole et l'image permettent d'attirer l'intérêt des spectateurs sur les thèmes les plus importants du candidat ou du parti concerné. La critique à l'égard des campagnes à coup de slogans vaut tout autant pour les tracts et les affiches à caractère non commercial. En outre, l'électeur est de plus en plus adulte et ne se laisse pas berner.
3.2. Concernant l'interdiction des panneaux à caractère commercial
L'objectif du législateur, qui est de limiter les dépenses lors des campagnes électorales, ne se réalise pas. La liberté qui précède la « période réglementée » est mise à profit par la quasi-totalité des grands partis, qui lancent des campagnes à grande échelle avant que ne débute la période d'interdiction de trois mois précédant les élections. Il en résulte une situation absurde, dans laquelle le citoyen est confronté à de grands panneaux sur lesquels les candidats vendent leur message, à un moment où ce même citoyen n'est pas encore appelé à voter.
C'est ici que l'on peut vraiment parler de gaspillage d'argent, dès lors qu'en période réglementée de telles campagnes n'atteignent qu'un vingtième de leur efficacité.
Dans les grandes agglomérations, les panneaux constituent un moyen considérablement moins coûteux que les tracts ou d'autres méthodes. Les restrictions ont été faites sur mesure pour les petites communes. Sans parler de la pollution de l'environnement et du gaspillage.
Dans les villes, les candidats ne trouvent pas de place pour placer leurs affiches, tandis que dans les communes rurales, les candidats disposent d'un espace plus que suffisant pour installer leurs panneaux dans les jardins et les parcs.
Il en a donc résulté une véritable prolifération de panneaux placés dans les jardins.
En outre, les panneaux de grande dimension atteignent un public qui, sans cela, ne serait pas touché. Le même argument vaut pour la TV, la radio et le cinéma.
M. Patrick Jansens, le président du SP.A, a déclaré à ce sujet que l'affichage est un média approprié pour atteindre très rapidement un très grand nombre de personnes, y compris des gens qui s'intéressent peu à la politique ou qui ne lisent ni journaux, ni revues. Ce fut une erreur d'interdire les affiches de 20 m2 au cours de la période réglementée, tandis que c'est une bonne chose d'avoir plafonné les dépenses à un montant maximum. Il estime toutefois que, dans les limites du montant maximum autorisé, un parti doit être libre de déterminer de quelle manière ce montant sera utilisé (10).
M. Hugo Coveliers, le président du groupe VLD de la Chambre, pense qu'il serait indiqué de revoir la législation dans son ensemble et de ne pas se limiter aux affiches de 20 m2 (11).
3.3. Concernant l'interdiction des cadeaux et gadgets
Nous avons évoqué plus haut toute la casuistique qui s'est développée au niveau de la jurisprudence, notamment, du Conseil d'État. Les dessous-de-verre, les calendriers portant un message politique, les photographies aériennes, les disquettes contenant un message politique et les boissons sont autorisées, tandis que les crayons, ballons et autres gadgets sont interdits.
Et pourtant, la simple logique exigerait que ce soit le candidat lui-même qui, dans les limites du budget autorisé par la loi, donne forme à sa campagne.
Les arguments de l'auditeur du Conseil d'État sont sans doute corrects quand il considère que des cadeaux ne sont pas contraires à la loi lorsque, d'une part, la distribution a eu lieu à tous les électeurs sans distinction ne se limitant pas, dès lors, à une catégorie déterminée, aisément influençable et que d'autre part les objets distribués sont de peu de valeur. L'électeur est devenu plus adulte. Il ou elle ne se laisse pas persuader d'émettre son vote uniquement en fonction d'un gadget déterminé. Ce qui importe, c'est la créativité, l'intégrité et la valeur intrinsèque du candidat politicien, ce que le petit cadeau peut tout au plus renforcer et traduire plus directement. Un candidat qui milite en faveur d'une meilleure sécurité de la circulation peut par exemple distribuer un alcootest dans les discothèques. Celui qui oeuvre pour un meilleur statut de l'artiste peut organiser un concert. Un candidat royaliste distribuera une petite couronne pouvant servir de porte-lettres. Les partis qui défendent l'enfance distribueront des ballons portant la phrase initiale de la convention des droits de l'enfant.
M. Herman De Croo, président de la Chambre, note à ce sujet qu'il se produit dans ce contexte des choses étranges : quelqu'un qui distribue, pendant la période réglementée, un petit crayon portant son nom et dont le prix s'élève à 1,75 franc, risque de voir son élection annulée, alors qu'au cours de la précampagne certains dépensent cent fois plus (12).
Article 2
Du fait de l'abrogation de l'article 5, § 1er, de la loi du 4 juillet 1989, l'affichage à caractère commercial et la distribution de gadgets redeviennent possibles. Pour permettre à nouveau la publicité politique à la TV, à la radio et dans les cinémas, il faut modifier le décret sur les médias, ce qui relève de la compétence du Parlement flamand.
Vincent VAN QUICKENBORNE |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 77 de la Constitution.
Art. 2
L'article 5, § 1er, de la loi du 4 juillet 1989 relative à la limitation et au contrôle des dépenses électorales engagées pour les élections des chambres fédérales, ainsi qu'au financement et à la comptabilité ouverte des partis politiques, modifié en dernier lieu par la loi du 19 novembre 1998, est abrogé.
27 janvier 2003.
Vincent VAN QUICKENBORNE. |
(1) Doc. Chambre, SE 1968, nº 110/1, p. 105.
(2) Iker-de Marchin, L., « Le financement et le contrôle des partis politiques en Belgique », Revue du droit public et des sciences administratives, 1/1994, p. 39.
(3) Vanderkindere, Th., « Beperking en contrôle van de verkiezingsuitgave », « De provincie », 1994/3, p. 33.
(4) Doc. Sénat, 1993-1994, nºs 1092-2, 9 et 12.
(5) Conseil d'État, El. Merelbeke, nº 51.986 du 6 mars 1995.
(6) Cromheecke, M. et Vandendriessche, A., « De gemeenteraadsverkiezingen van 9 oktober 1994 in de rechtspraak van de Raad van State », « Tijdschrift voor Gemeenterecht », 1996, 3/4, Story Scientia, p. 168.
(7) Conseil d'État, El. Pecq, nº 52.326 du 20 mars 1995.
(8) Conseil d'État, El. Retie, nº 52.412 du 22 mars 1995.
(9) Falter, R., « Kuisheidsgordel omklemt campagne », « De Standaard », 19 mai 1999.
(10) Tuerlinckx, K., « Politici palmen weer grote reclameborden in », « Gazet van Antwerpen », 22 mai 2000.
(11) Tuerlinckx, K., voir ci-dessus.
(12) Tuerlinckx, K., voir ci-dessus.