2-1256/11

2-1256/11

Sénat de Belgique

SESSION DE 2002-2003

2 AVRIL 2003


Projet de loi modifiant la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire et l'article 144ter du Code judiciaire


AMENDEMENTS


Nº 15 DE MME NYSSENS ET CONSORTS

Art. 5

Supprimer le § 4 de l'article 7 proposé.

Justification

Le § 4 inséré dans l'article 7 de la loi du 16 juin 1993 attribue au ministre, sur avis du Conseil des ministres, des pouvoirs exorbitants qui portent atteinte à la sécurité juridique et à la séparation des pouvoirs et qui risquent de mettre en difficulté la position diplomatique de la Belgique.

En permettant, d'une part, au ministre de la justice, sur avis du Conseil des ministres, de dénoncer à un État tiers les faits dont est saisie une juridiction belge, à condition que la victime ne soit pas belge ou que les faits n'aient pas été commis sur le territoire du Royaume et que l'auteur présumé soit ressortissant d'un État dont la législation incrimine les violations graves du droit humanitaire telles qu'énumérées aux articles 1er, 1bis et 1ter et garantit aux parties le droit à un procès équitable; en imposant, d'autre part, dans ce cas, à la Cour de cassation de prononcer le dessaisissement de la juridiction belge saisie. Ainsi, cette disposition crée une situation d'insécurité juridique inacceptable puisque ni l'inculpé ni les plaignants ne savent si le ministre ne fera usage du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré ni sur la base de quels critères il est susceptible de le faire. Il s'agit indubitablement d'une violation de l'article 13 de la Constitution selon lequel « nul ne peut être distrait, contre son gré, du juge que la loi lui assigne ».

De plus, ­ et c'est là le plus grave ­ cette disposition confère, par ce biais, au ministre de la Justice ou au gouvernement un pouvoir d'injonction négative puisque la dénonciation entraîne l'obligation pour le procureur général près la Cour de cassation de requérir le dessaisissement. Ainsi, le pouvoir politique peut-il de manière discrétionnaire faire échapper à la justice belge des personnes qui font l'objet de poursuite pour des violations graves du droit humanitaire.

Le caractère inacceptable à cette atteinte à la séparation des pouvoirs et à l'indépendance du pouvoir judiciaire est encore renforcé du fait que cette faculté n'est en aucune manière limitée aux hypothèses de litispendance, comme c'est le cas du § 3 qui ne permet le dessaisissement que lorsque la juridiction de l'État à la connaissance duquel ont été portés les faits décide d'exercer sa compétence. Ainsi, le pouvoir politique peut-il soustraire à la justice belge des personnes qui font l'objet de poursuite pour des violations graves du droit humanitaire, alors qu'il n'y a aucune garantie qu'elles seront poursuivies ailleurs.

Enfin, en conférant pareil pouvoir au gouvernement, cette disposition risque de mettre à mal les relations diplomatiques de la Belgique ou de faire dépendre la bonne fin des poursuites menées en Belgique de la volonté d'États étrangers. En effet, le gouvernement ne pourra plus en aucune manière se retrancher derrière la séparation des pouvoirs pour justifier à l'égard d'États tiers les poursuites menées en Belgique à l'encontre de leurs ressortissants et son refus de dénoncer à l'État concerné les faits reprochés devra nécessairement être interprété comme un jugement du gouvernement belge sur les garanties du droit à un procès équitable qu'offre ce pays, ce qui est pour le moins délicat au plan diplomatique.

Pour des raisons tenant à la préservation de l'État de droit et des relations diplomatiques de la Belgique, il y a donc lieu de supprimer le § 4 de l'article 7 de la loi inséré par l'article 5 du projet de loi.

Enfin, l'amendement supprime par voie de conséquence la date du 1er juillet 2002, qui détermine les plaintes auxquelles devait s'appliquer le § 4 et uniquement celui-ci. Ce faisant, il supprime une règle d'application du § 4 dans le temps qui était manifestement inconstitutionnelle et qui par conséquent n'aurait pu être appliquée par le juge, soit qu'elle aurait été annulée par la Cour d'arbitrage soit qu'elle aurait été déclarée inapplicable par cette même Cour après question préjudicielle.

Il est vivement regrettable que la commission de la Justice de la Chambre ait adopté un projet de loi qui politise l'utilisation de la loi de compétence universelle.

Pour rappel, en adoptant cette loi de compétence universelle en 1993, la Belgique rendait ses tribunaux compétents pour juger les plus graves violations du droit humanitaire, crimes de génocide, les crimes de guerre ou les crimes contre l'humanité même si l'inculpé n'est pas belge ou que le crime a été commis à l'étranger.

Afin de préserver cette loi ambitieuse tout en permettant au gouvernement de conserver des marges de manoeuvre diplomatique, toute une série d'aménagements ont été acceptés; il était cependant déplorable que ceux-ci aboutissent à permettre au gouvernement de dessaisir la justice dans des affaires en cours depuis plusieurs mois, voire plusieurs années.

La possibilité d'une telle ingérence politique dans des affaires judiciaires en cours, qui plus est, sans aucune garantie que les autorités judiciaires de l'État étranger se saisiront effectivement des faits poursuivis, est tout simplement inacceptable.

Clotilde NYSSENS.
Philippe MAHOUX.
Jean-François ISTASSE.
Josy DUBIÉ.
Meryem KAÇAR.