2-1227/4 | 2-1227/4 |
1er AVRIL 2003
Proposition de loi spéciale modifiant la loi du 30 juillet 1963 concernant le régime linguistique dans l'enseignement pour les communes à statut spécial
Ces propositions de loi ont été déposées par Mme Willame-Boonen et M. Lozie le 2 juillet 2002.
Elles ont été examinées par la commission lors de ses réunions du 14 janvier et du 25 mars 2003.
Mme Willame-Boonen déclare que les propositions à l'examen sont le fruit d'une initiative de M. Robert Delathouwer et elle-même de créer le mouvement « Tweetaligheid in beweging Bilinguisme en mouvement ».
Ce mouvement a été créé en 1998 et a effectué un certain nombre de sondages pour montrer que le bilinguisme fait problème, tant au nord qu'au sud du pays. 48 % des adolescents qui ont étudié le néerlandais en Wallonie n'osent pas le parler. Seulement 27 % des adultes qui ont étudié le français en Flandre le parle plus ou moins couramment. Il faut donc conclure qu'après des années d'études de la deuxième langue nationale, nos jeunes adultes qui sortent de l'école ne sont pas bilingues. Au mieux ils ont une connaissance passive de l'autre langue nationale, et cela en dépit d'un investissement en heures de cours considérable.
À la lumière de ce résultat, il n'est pas étonnant que les parents ne se montrent pas satisfaits du mode d'enseignement des langues dans notre pays. En Belgique, les professeurs n'enseignent pas dans leur langue maternelle parce que la législation linguistique ne le favorise nullement.
Puisqu'il est établi par des experts que l'enseignement des langues se fait le plus facilement quand les enfants sont très jeunes, il est bien évident que l'enseignement depuis la maternelle et l'école primaire par des enseignants dont c'est la langue maternelle se fera de manière beaucoup plus naturelle et simple.
La législation actuelle prévoit que, pour pouvoir enseigner dans une école d'un rôle linguistique déterminé, les enseignants doivent faire la preuve de leur connaissance approfondie de la langue de l'école, même s'ils enseignent leur langue maternelle.
Les propositions de loi à l'examen prévoient un assouplissement des exigences linguistiques en autorisant les professeurs de langues à enseigner leur propre langue maternelle, en remplaçant l'exigence d'une connaissance approfondie de la langue de l'établissement par une connaissance fonctionnelle de cette langue. L'échange d'enseignants entre les écoles des communautés sera ainsi encouragé.
Comme le niveau fédéral n'est compétent pour régler ces matières que pour la Région de Bruxelles-Capitale (par une loi ordinaire) et pour les communes à statut linguistique spécial (par une loi à majorité spéciale) les propositions se limitent à cela. Il appartient aux communautés d'apporter éventuellement une solution pour les régions de langue française, néerlandaise et allemande.
M. Thissen, qui est sénateur de communauté, a déjà déposé une proposition semblable de décret au niveau de la Communauté française. M. Van Hoven au Parlement flamand va essayer de convaincre la ministre de l'enseignement flamand d'assouplir à son tour les exigences linguistiques.
De toute façon, ces propositions, bien qu'elles ne visent donc qu'une petite partie de notre pays, ont une valeur symbolique.
M. Lozie soutient l'initiative de Mme Willame-Boonen parce qu'elle procède du constat exact selon lequel il y a, de part et d'autre de la frontière linguistique, un manque de professeurs de langues spécifiques. C'est dû, entre autres, au fait que pour pouvoir enseigner, les professeurs doivent avoir obtenu un diplôme dans la langue de l'école.
Écolo et Agalev ont toujours été partisans du bilinguisme, certainement en ce qui concerne Bruxelles. Le fait de connaître, dans notre pays, les deux langues principales ou d'avoir au moins une connaissance passive ou fonctionnelle de l'autre langue est pour eux une question de courtoisie. D'où l'importance que revêt une bonne formation dans l'autre langue nationale.
Tous ceux qui ont travaillé dans l'enseignement savent qu'il y a d'excellents professeurs de langues mais que l'enseignement des langues n'est pas optimal. La seconde langue est enseignée par des personnes qui sont formées à cette fin, mais qui ne maîtrisent pas pleinement l'autre culture ni l'autre langue parce que cela ne faisait partie que de leur deuxième ou de leur troisième branche d'études. Il importe, si l'on veut assurer la qualité de l'enseignement en Flandre, de pouvoir recourir à des professeurs dont la langue maternelle est le français pour autant qu'ils aient fait la preuve d'une connaissance fonctionnelle du néerlandais. Celle-ci est indispensable pour pouvoir fonctionner au sein même de l'école.
Les deux propositions sont le symbole d'un rapprochement des communautés en tant qu'elles reconnaissent l'importance de connaître la langue de l'autre communauté, étant entendu que le Sénat ne peut légiférer que dans les limites très restreintes de la compétence dont il dispose en matière d'enseignement.
Le ministre Picqué se demande s'il ne serait pas judicieux d'inscrire dans le cadre plus global de la mobilité dans l'enseignement l'assouplissement en matière de connaissances linguistiques qui est proposé.
Aussi estime-t-il que les propositions donnent lieu à quelques observations d'ordre technique.
La loi actuelle ne connaît que les notions de connaissance approfondie et connaissance suffisante. Les deux propositions introduisent une nouvelle notion, à savoir la « connaissance fonctionnelle ». Quelle est la définition de cette nouvelle notion ? Comment cette nouvelle notion se conjuguera-t-elle avec les notions existantes et surtout quelle autorité assurera le contrôle du respect de cette connaissance fonctionnelle ?
Ces questions ne sont pas sans intérêt puisque la Communauté française a pris une mesure similaire à celle proposée mais a maintenu la notion de connaissance suffisante.
En deuxième lieu, le ministre demande si la loi de 1963 permet de donner des cours dans une autre langue que celle de l'établissement. L'article 10 de la loi permet uniquement aux communes bénéficiant de protection pour les minorités qu'un certain nombre de matières peuvent être enseignées dans la seconde langue. Il n'est donc pas sûr qu'il soit permis, sur la base de la loi de 1963, de donner des autres cours (histoire, géographie, ...) que les cours de langue dans une langue qui n'est pas celle de l'établissement.
À la lumière de ces remarques, il estime qu'une consultation du Conseil d'État serait utile.
M. Moureaux estime que les deux propositions sont intéressantes et si on pouvait lever les obstacles juridiques, il est prêt à les appuyer.
Toutefois, il n'est pas entièrement d'accord avec certains éléments qui sous-tendent la proposition.
Dans l'enseignement des langues, il serait effectivement fort utile d'avoir des enseignants dont c'est la langue maternelle mais alors en complément des enseignants dont la langue principale reste la langue de l'établissement d'enseignement. Dans les universités, les professeurs qui enseignent les langues, la littérature et tous les éléments liés à une grande culture ont eu, soit une formation dans la langue de l'université où ils enseignent, soit prouvé qu'ils ont une connaissance approfondie de cette langue. À côté des professeurs, il y a des lecteurs qui viennent parfois de l'étranger et qui ne connaissent pas très bien la langue de l'enseignement. Cela est évidemment un système coûteux que l'on ne peut pas appliquer à l'enseignement primaire, mais c'est une possibilité que l'on pourrait introduire graduellement. Il ne faut pas aller trop vite dans l'abandon d'un système où les enseignants de langues ont appris la langue à partir de leur langue maternelle.
Bien qu'il soit convaincu que le bilinguisme et le multilinguisme sont une immense richesse, la première des grandes richesses reste toutefois de bien connaître sa langue maternelle. En tant que professeur à l'université, il peut constater les dégâts causés par un multilinguisme qui n'est pas précédé d'une connaissance approfondie de la langue principale.
Dans un pays comme le nôtre, dans bien des cas, la langue maternelle des élèves n'est en outre pas la langue de l'enseignement. Sa commune fait un énorme effort pour apprendre la langue principale. Il constate qu'une grande partie de l'échec d'une série d'adolescents est lié à une mauvaise maîtrise de la langue principale. On a beau les envoyer à l'enseignement technique ou professionnel : s'ils ne sont pas capables de lire et d'écrire la langue principale, ils n'ont quasi aucune chance réelle sur le marché de l'emploi.
Il ne faut donc pas illustrer les propositions à l'examen avec de merveilleux exemples d'enfants particulièrement doués, ou d'élèves des beaux quartiers. Il faut par contre tenir compte des enfants qui éprouvent déjà d'énormes problèmes pour acquérir une connaissance approfondie de la langue principale. La connaissance de la langue principale est en quelque sorte la boîte à outils avec laquelle un être humain apprendra tout le reste. Il faut donc sauvegarder la connaissance de la langue de base.
Il ne voudrait dès lors pas que l'approbation des propositions soit considérée comme l'approbation d'une philosophie élitiste et dangereuse.
En dernier lieu, il lance aussi une mise en garde contre les « bonnes intentions » en ces matières. Il a assisté à beaucoup de réunions où l'on annonçait des moyens financiers pour promouvoir le bilinguisme, avec des classes « immersion ». Il pourrait faire une très longue liste de toutes sortes d'initiatives qui n'ont jamais été réalisées. Récemment, il a réintroduit auprès du premier ministre, dans le cadre des négociations avec les bourgmestres de Bruxelles sur l'accord de coopération concernant les élèves-policiers, sa demande pour des cours de langues. Il espère que ce projet sera réalisé cette fois-ci parce que c'est une matière sur laquelle on est en général très enthousiaste mais finalement très peu performant.
Mme De Schamphelaere souligne tout d'abord que, dans les grandes villes, l'attention doit surtout aller à la langue « principale ». Une connaissance approfondie des langues officielles de notre pays est une condition essentielle pour être compétitif sur le marché du travail. Au cours de la présente législature, on a déploré à plusieurs reprises de devoir constater officiellement que le bilinguisme et le multilinguisme étaient en régression dans notre pays.
Le groupe politique auquel elle appartient partage en partie la préoccupation des auteurs de la proposition, mais il n'approuve pas la méthode préconisée pour atteindre l'objectif. Comme dans le domaine de la justice et dans celui des soins de santé, on veut promouvoir le multilinguisme en assouplissant les exigences linguistiques. Pourquoi faut-il donner aux élèves le signal qu'il est important de bien connaître les langues, si l'on ne fait pas la même chose à l'égard de leurs enseignants ?
Un affaiblissement de la connaissance de la langue de l'établissement où l'on enseigne peut aussi entraîner de nombreux problèmes pratiques. En effet, enseigner ne se résume pas à présenter des matières aux élèves pendant les heures de cours : il faut aussi élaborer des programmes de prévention en concertation avec tous les enseignants et savoir entretenir un bon contact avec les parents des élèves. Il est dès lors indispensable que les enseignants aient une connaissance approfondie de la langue parlée dans l'établissement et dans l'environnement familial des élèves.
M. Wille note que s'il y a une tendance à accueillir favorablement de telles initiatives, ce n'est pourtant pas en assouplissant les conditions pour ce qui est des connaissances linguistiques des professeurs que l'on améliorera le bilinguisme des élèves. S'il était simplement question de l'enseignement de l'autre langue nationale, il pourrait marquer son accord sur les propositions, mais il peut difficilement accepter que les mesures prévues puissent être utilisées pour permettre à des instituteurs dont la connaissance en néerlandais laisse à désirer, d'enseigner d'autres matières (histoire, géographie, ...). Il y a à cet égard, dans les propositions, un problème à résoudre.
M. Malmendier demande pourquoi les propositions s'adressent uniquement à la Région de Bruxelles et aux communes à facilités. De telles mesures devraient s'étendre à l'ensemble de l'enseignement du pays étant donné l'importance d'une bonne connaissance de plusieurs langues. Il propose dès lors de se référer aux critères de connaissances linguistiques en vigueur dans les différentes communautés du pays et d'insister sur l'élément de base : une bonne connaissance de la langue maternelle. Il vient d'une région bilingue, allemande-française, et éprouve lui-même des problèmes pour s'exprimer aisément dans les deux langues.
M. Verreycken estime que la connaissance de toute langue est un enrichissement. Il souligne néanmoins aussi que l'histoire est importante. Si on compare le découpage linguistique de l'entre-deux-guerres à celui qui a été consacré par la frontière linguistique actuelle, on constate que le bilinguisme obligatoire entraîne systématiquement la régression ou, à tout le moins, l'appauvrissement d'une culture. Dans ce sens, les propositions font preuve d'une certaine naïveté. Il rappelle qu'une proposition similaire figurait aussi dans le programme électoral du parti BEB qui n'a obtenu que 0,4 % des suffrages lors des dernières élections. Il estime par conséquent que les électeurs ne sont certainement pas demandeurs de telles propositions.
Il renvoie également à deux publications qui sont parues sur le sujet : Do you speak franglais ? et Sprechen Sie Engleutsch ? Ces deux livres attirent l'attention sur le fait que le recours aux native speakers est une anomalie, étant donné qu'ils ne saisissent pas les nuances que recèlent les questions des élèves dans la mesure où ils n'ont qu'une connaissance fonctionnelle de la langue de ceux-ci. Pour pouvoir donner cours, il est clair qu'il faut plus qu'une connaissance fonctionnelle de la langue des élèves. Cela ne l'empêche pas de soutenir sans réserve les programmes Erasmus et Socrates qui permettent à des diplômés d'écoles supérieures d'aller étudier pendant un an dans une école supérieure à l'étranger. Ces étudiants ont déjà fait des études supérieures dans leur langue maternelle, qu'ils maîtrisent donc de manière très approfondie. L'immersion linguistique en question est synonyme d'enrichissement culturel pour ces étudiants.
Il se demande d'ailleurs ce qui se passerait, à supposer que les propositions deviennent lois, si une école néerlandophone de Bruxelles refusait d'engager un professeur pour cause de connaissance insuffisante du néerlandais. L'enseignant débouté pourra alors introduire un recours sur la base de la loi anti-discriminatoire parce qu'il aura été débouté en raison de sa langue.
M. Lozie souligne que les propositions de loi ne visent que les professeurs de langues qui donnent cours dans l'autre langue.
M. Verreycken souligne que l'article 2 des propositions de loi ne fait pas cette distinction. Il se borne à prévoir que les professeurs dont la langue est différente de celle de l'enseignement ne doivent avoir qu'une connaissance fonctionnelle de la langue de l'établissement où ils donnent cours.
M. Lozie répond que, si le texte des propositions n'est pas suffisamment clair, il doit être amendé. Il est exclu qu'un professeur qui n'a qu'une connaissance fonctionnelle de la langue de l'établissement puisse enseigner d'autres branches que la deuxième langue nationale. Le seul objectif des propositions est de permettre, dans le cadre des cours de langues, à des personnes d'enseigner une langue qui est leur langue maternelle.
M. Verreycken signale que cette interprétation est contraire aux articles 2 des propositions de loi qui disposent qu'une connaissance fonctionnelle suffit pour pouvoir enseigner. Il n'est pas précisé en l'espèce qu'il s'agit de cours de langues. La précision donnée ne le réjouit pas davantage parce qu'il estime qu'un élève ne peut recevoir des cours de langues que d'un enseignant qui comprend sa langue maternelle. Il ne souhaite pas non plus que l'accord conclu péniblement en 1963 sur les équilibres linguistiques dans notre pays soit remis en question.
Mme Pehlivan approuve les propositions pour autant qu'elles portent sur l'enseignement de l'autre langue nationale. Le bilinguisme en question est d'ailleurs une des richesses de la Belgique et il importe d'encourager cette connaissance linguistique chez les jeunes. Elle estime néanmoins qu'il faudra amender les propositions pour mieux définir leur champ d'application.
Le problème qu'a soulevé M. Moureaux, à savoir celui qui est lié au cas où la langue de l'établissement est différente de la langue maternelle d'un élève, est un problème réel mais qui ne fait pas l'objet des propositions à l'examen, lesquelles concernent la connaissance de l'autre langue nationale. Par ailleurs, les communautés sont compétentes pour régler la question soulevée par M. Moureaux.
Elle se demande aussi pourquoi les propositions devraient engendrer des problèmes budgétaires. Il y a en effet déjà des cours de langues à l'heure actuelle.
Aucune proposition de décret n'a été déposée jusqu'à présent au Parlement flamand, mais on a commencé à y examiner la question au sein de la commission compétente, à l'initiative de M. André Van Hoven.
M. Picqué estime qu'il est souhaitable de consulter le Conseil d'État, pour vérifier non seulement si les propositions sont compatibles avec la loi de 1963, mais aussi si elles ne peuvent pas avoir des effets secondaires pervers.
Lorsqu'on prévoit que des cours peuvent être donnés dans l'autre langue, beaucoup de cours pourraient l'être. Une école néerlandophone pourrait alors donner beaucoup de cours en français et vice versa, en violant l'esprit de la loi de 1963.
Mme Willame-Boonen ne s'oppose pas à un avis du Conseil d'État, notamment sur la notion de « connaissance fonctionnelle », mais elle demande que cet avis soit rendu dans un certain délai.
Elle est d'accord pour dire que le problème doit être examiné dans son ensemble, mais souligne que ses propositions ne concernent que l'enseignement pour lequel le Parlement fédéral est resté compétent. Les auteurs sont prêts à sensibiliser les parlementaires des autres Parlements pour réfléchir sur le sujet.
Elle ne souhaite pas qu'on généralise les classes d'immersion linguistique ou qu'on remplace tous les professeurs de langues par des native speakers. Elle propose tout simplement que des professeurs de langues puissent plus facilement enseigner leur langue maternelle.
Aussi dans son propre parti, elle a dû entendre la remarque que ces propositions s'adressent aux gens des beaux quartiers. Elle fait remarquer que les gens des beaux quartiers n'ont pas beaucoup de problèmes pour envoyer, pendant les vacances, leurs enfants à des stages linguistiques. Les familles aisées arrivent toujours à assurer que leurs enfants seront parfaitement bilingues ou trilingues. Elle souligne que ses propositions sont essentiellement sociales. Dans les écoles européennes, les élèves changent de langue avec une grande aisance. Ces écoles sont toutefois exclusivement réservées à un public élitaire. Elle se bat pour que ce type d'avantage soit accessible à tout le monde. Elle n'apprécie pas qu'on lui reproche un certain élitisme alors que sa démarche vise absolument l'inverse.
À propos de l'argument selon lequel la connaissance de la langue maternelle ou principale est la plus grande richesse et une priorité absolue, elle fait remarquer qu'elle a enseigné pendant 20 ans le français en dernière année des humanités et sait dès lors que les jeunes qui avaient des problèmes avec le français ne l'avaient souvent pas assez utilisé. Le problème, c'est que l'on ne s'adresse pas aux enfants au moment opportun pour leur apprendre la langue maternelle ou la deuxième langue. Tous les experts sont d'accord pour dire qu'il faut apprendre une langue aussi jeune que possible.
M. Moureaux estime que ce sont des conclusions théoriques et peu crédibles parce qu'elles ne tiennent pas compte de la réalité. Pour beaucoup d'élèves, le français ou le néerlandais sont déjà la deuxième langue parce qu'ils parlent une autre langue à la maison. Leur imposer l'enseignement de la deuxième langue nationale alors qu'ils maîtrisent à peine la langue principale de l'enseignement ne lui semble dès lors pas une priorité pour l'enseignement.
Mme Willame-Boonen répond que l'apprentissage d'une autre langue ne pose pas problème pourvu que l'on commence assez tôt.
Quant à la sécurité judiciaire, elle attend l'avis du Conseil d'État.
Mme Leduc déplore également que la deuxième langue soit enseignée d'aussi piètre manière. Elle estime donc que cela ne serait pas une mauvaise idée de confier ces cours à des enseignants qui maîtrisent sur le bout des doigts la culture de la langue enseignée. Si la manière dont les cours de langues sont dispensés ne s'améliore pas, ces cours n'ont plus aucun sens.
M. Moureaux indique que si cette possibilité est circonscrite à l'enseignement de la deuxième langue, tel que prévu par la législation, il peut marquer son accord avec les propositions. Il faut réfléchir alors aux conséquences financières et prévoir des heures supplémentaires pour ces enseignants. Si on tient compte de ce surcoût, cela peut donner des résultats intéressants.
Il voudrait aussi que l'on précise dans la demande d'avis adressée au Conseil d'État que les propositions sont limitées à l'enseignement de la deuxième langue et ne visent pas à établir une règle générale pour tous les cours enseignés.
Mme Pehlivan souscrit à l'observation de Mme Leduc concernant la qualité des cours de langues.
M. Verreycken pense que la commission fait preuve d'un certain manque de réalisme dans l'examen de ces propositions. Il conseille aux membres d'aller visiter une école primaire. En tant que membre du conseil de district de Borgerhout, il visite régulièrement des écoles de concentration, où la langue maternelle des élèves est l'arabe ou le berbère. Ils ne parlent pas complètement cette langue et sont confrontés, dans le milieu scolaire, à des enseignants d'expression néerlandaise. Ces écoles produisent de 12 à 15 % d'analphabètes contre 1 à 2 % dans les autres types d'écoles. Ces enfants ne maîtrisent ni leur langue maternelle, ni le néerlandais et perdent ainsi une partie de leur propre culture, sans faire par ailleurs l'acquisition de l'autre. Ces chiffres sont inattaquables.
Mme Leduc pense que l'on ne résoudra pas ce problème en empêchant que le cours dans la deuxième langue soit donné par une personne dont c'est la langue maternelle.
Pour M. Verreycken, cela ne change rien au fait que quelqu'un qui ne maîtrise pas sa langue maternelle, quelle qu'elle soit, a beaucoup moins de chances dans les deux cultures. Ces gens sont assis entre deux chaises. Celui qui est fragilisé sur le plan culturel l'est également sur le plan socio-économique.
Selon M. Lozie, le raisonnement de M. Verreycken implique qu'un enseignement dispensé dans l'autre langue nationale ne peut être que de piètre qualité. La connaissance approfondie de la langue dans laquelle les cours sont donnés conditionne de façon évidente les chances de réussite dans l'enseignement, mais elle n'est pas réglée par les propositions à l'examen parce que le législateur fédéral n'est pas compétent en la matière.
Après cette première discussion, la commission a décidé de soumettre les deux propositions de loi pour avis au Conseil d'État (doc. Sénat, nº 2-1272/2).
L'avis du Conseil d'État souligne notamment l'absence de définition de la notion de « connaissance fonctionnelle » qui est introduite par les propositions de loi :
« La première proposition de loi soumise pour avis entend ajouter un troisième alinéa à l'article 13 de la loi du 30 juillet 1963 concernant le régime linguistique dans l'enseignement (ci-après : loi linguistique sur l'enseignement). Aux termes de ce nouvel alinéa, les professeurs qui, dans un établissement d'enseignement de la région bilingue de Bruxelles-Capitale, enseignent dans une langue autre que la langue de l'enseignement, doivent apporter la preuve de la « connaissance fonctionnelle » de la langue de l'enseignement.
Le nouvel alinéa 3 déroge ainsi à l'alinéa 1er, qui requiert, en principe, du personnel une connaissance approfondie de la langue de l'enseignement de l'établissement, et à l'alinéa 2, aux termes duquel une connaissance suffisante suffit pour les professeurs de langues vivantes autres que la langue de l'enseignement. L'assouplissement proposé vise à favoriser l'enseignement par des native speakers.
Le texte même de la proposition ne précise pas comment la connaissance fonctionnelle de la langue doit être établie ou comment elle peut être vérifiée. La portée de la notion de « connaissance fonctionnelle de la langue » est définie, non pas dans le texte des propositions, mais bien dans les développements.
La seconde proposition de loi (spéciale) soumise pour avis entend également compléter l'article 13 de la loi linguistique sur l'enseignement par un alinéa nouveau. La modification proposée a le même objet mais concerne les établissements d'enseignement des communes visées à l'article 129, § 2, premier tiret, de la Constitution, à savoir les communes ou groupes de communes contigus à une autre région linguistique et où la loi prescrit ou permet l'emploi d'une autre langue que celle de la région dans laquelle ils sont situés. »
M. Happart estime qu'il serait utile et nécessaire, puisqu'on discute d'une matière résiduelle restée fédérale, que l'on demande l'avis des trois communautés puisqu'elles seront chargées de l'application éventuelle de ces lois. Bien que le législateur fédéral ait la compétence de décider, la mise en oeuvre concrète sera du ressort des communautés.
Mme Willame-Boonen constate que son collègue Happart, après que l'on ait déjà demandé l'avis du Conseil d'État, demande à présent l'avis des communautés. Cette demande lui semble particulière puisqu'il faut rappeler que les propositions de loi introduites ne concernent que Bruxelles-Capitale et les communes à régime particulier.
Si pour chaque matière qui relève de la compétence fédérale et qui toucherait de près ou de loin les communautés, il fallait demander l'avis de ces dernières, il est clair que le législateur fédéral serait paralysé.
Mme Willame-Boonen rappelle également que le Conseil d'État confirme que le niveau fédéral est compétent pour les communes dotées d'un régime spécial. Il n'est pas nécessaire de mettre en doute l'avis du Conseil d'État en exigeant des avis supplémentaires.
Ses propositions visent simplement à permettre que des native speakers puissent enseigner le néerlandais ou le français, en d'autres termes leur langue maternelle. Il n'est nullement question que ces native speakers puissent enseigner l'histoire, la géographie ou d'autres matières, les propositions se limitant aux cours de langues.
Sur cet aspect d'enseignement des langues vivantes, le Conseil d'État rend un avis visiblement mitigé. Il reconnaît que l'enseignement de la seconde langue et des langues étrangères constitue une exception à la règle selon laquelle la langue de l'enseignement à Bruxelles est soit le français soit le néerlandais sans qu'il soit possible d'enseigner dans une autre langue. Dans sa note intra-paginale, le Conseil d'État stipule (à la p. 2 de l'avis) :
« Un professeur qui enseigne une langue autre que la langue de l'enseignement de l'établissement ne peut pas non plus se limiter à parler exclusivement cette autre langue. En effet, la transmission passe nécessairement aussi par l'usage de la langue de l'enseignement. La question se pose dès lors de savoir si un professeur qui peut « se faire comprendre (...) dans le cadre de conversations courantes » est suffisamment armé pour donner des explications aux élèves dans la langue de l'enseignement. »
Le doute ainsi formulé par le Conseil d'État semble reposer sur une prémisse pédagogique et non juridique, contestable et contestée par les auteurs de la proposition de loi.
L'intervenante demande simplement que l'examen qui va permettre à des professeurs de donner des cours de néerlandais en Communauté française, par exemple, soit ouvert à des native speakers, c'est-à-dire des gens dont la langue maternelle est le néerlandais. Ils seront inconsciemment à même d'enseigner davantage les subtilités d'une langue à leurs élèves.
Il est évidemment certain qu'ils doivent disposer d'une certaine connaissance de la langue de l'établissement où ils travaillent pour assister aux réunions de parents, de classe etc. Le but est qu'ils comprennent la langue de l'établissement et puissent s'exprimer un minimum dans la langue de la communauté où ils sont occupés.
V. PROPOSITION DE LOI MODIFIANT LA LOI DU 30 JUILLET 1963 CONCERNANT LE RÉGIME LINGUISTIQUE DANS L'ENSEIGNEMENT (DOC. SÉNAT, Nº 2-1227/1)
Comme le suggère le Conseil d'État, Mme Willame-Boonen dépose un amendement (doc. Sénat, nº 2-1227/3, amendement nº 1) visant :
A) à définir concrètement ce que l'on entend par « connaissance fonctionnelle » dans un nouvel alinéa, rédigé comme suit :
« Par connaissance fonctionnelle au sens du présent article, on entend une connaissance écrite et orale passive qui permette à l'enseignant de comprendre ses collègues, ses élèves et leurs parents dans le cadre de conversations courantes relatives à la vie quotidienne dans l'établissement scolaire et une connaissance orale active qui permette à l'enseignant de se faire comprendre de ces personnes dans le cadre de conversations courantes relatives à la vie quotidienne dans l'établissement scolaire. »;
B) à habiliter le Roi à déterminer concrètement comment la preuve de la connaissance fonctionnelle doit être apportée.
Mme Van Riet estime que les propositions de loi sont bonnes, parce qu'elles veulent favoriser le bilinguisme dans notre pays dans un esprit constructif. Les auteurs cherchent manifestement une solution pratique en vue d'une contribution positive pour les personnes qui reçoivent un enseignement à Bruxelles.
Selon l'intervenante, l'initiative est donc très positive.
D'autre part, il est un fait que la Belgique est un pays complexe. Bruxelles représente même le summum de la complexité. Il convient assurément d'examiner plus avant si, en votant ces propositions de loi, le Sénat n'enfreint pas éventuellement l'une ou l'autre réglementation ou législation.
Mme Pehlivan confirme que le Parlement flamand a, lui aussi, déjà entamé des discussions sur le principe, mais elle ne connaît pas l'état d'avancement des débats.
Il s'agit toutefois d'un thème très sensible et il faut tenir compte des communautés. L'intervenante estime qu'il faut une uniformité, même si les propositions se limitent à Bruxelles.
Vu l'imminence de la dissolution, le temps presse absolument, et le thème est trop important pour que l'on vote les propositions à la sauvette. Il lui paraît dès lors opportun qu'un certain nombre d'experts communiquent leur avis sur le sujet.
Mme Leduc renvoie au texte de la législation actuelle, à savoir la loi du 30 juillet 1963 concernant le régime linguistique dans l'enseignement. L'article 13 prévoit que : « Un établissement d'enseignement ne peut recruter dans son personnel de direction, enseignant et administratif que des personnes qui ont fourni la preuve de leur connaissance approfondie de la langue de l'enseignement de l'établissement ou, dans les établissements bilingues, de la section à laquelle elles seront affectées. Pour les professeurs de langues vivantes, autres que la langue de l'enseignement, qui sont en possession du diplôme requis, la preuve de la connaissance suffisante de la langue de l'enseignement suffit. »
Le principe est encore mieux défini à l'article 15 :
« Un candidat fournit la preuve de sa connaissance approfondie d'une langue s'il a obtenu, dans cette langue, le diplôme qui est à la base de son recrutement, ou s'il produit un certificat constatant qu'il a réussi un examen sur la connaissance approfondie de cette langue, devant une commission d'examen constituée par arrêté royal.
Un candidat fait la preuve de sa connaissance suffisante d'une langue si le diplôme qui est à la base de son recrutement en fait mention, ou s'il produit un certificat constatant qu'il a réussi un examen sur la connaissance suffisante de cette langue devant une commission d'examen constituée par arrêté royal. »
Ces articles permettent donc déjà actuellement à des locuteurs natifs d'enseigner leur langue dans un établissement d'une autre langue s'ils prouvent qu'ils disposent d'une connaissance approfondie ou suffisante de la langue de l'établissement d'enseignement dans lequel ils donnent cours.
M. Happart estime que sa commune est tout aussi concernée par les propositions de loi de Mme Willame étant donné que la proposition nº 2-1228/1 s'applique aux communes à statut spécial.
Pour cette raison, il voudrait obtenir l'avis des communautés sur les propositions de loi. La législation en vigueur n'est déjà pas aisée, il ne sert à rien de créer des complications supplémentaires. L'intention sous-jacente aux propositions de loi est louable mais la manière d'y arriver est dangereuse.
Il sait hélas combien il est difficile de gérer ces matières sensibles. Les propositions débattues peuvent avoir des conséquences imprévisibles et l'avis des communautés est impératif afin de garantir la cohérence de la législation. Ce seront les communautés qui devront gérer, financer et payer les effets de la proposition de loi.
Mme Leduc pense qu'il ne serait pas sage d'adopter les propositions au pas de charge, sans avoir un débat approfondi, même si elle soutient pleinement les objectifs des propositions de loi. C'est pourquoi elle souhaiterait instamment que cette discussion ait un prolongement au cours de la prochaine législature.
Mme Willame-Boonen rappelle que l'examen de connaissance suffisante, tel que prévu par la loi du 30 juillet 1963, est particulièrement difficile.
Le but des propositions est précisément d'obtenir une troisième sorte d'examen, limité à l'enseignement des langues vivantes, et qui viserait une connaissance fonctionnelle dans le sens de l'amendement nº 1 déposé.
Elle se dit extrêmement désappointée de constater que l'on invoque le manque de temps pour ne pas voter les propositions. Elles ont été déposées le 2 juillet 2002 et ne sont venues à l'ordre du jour que début janvier 2003.
De plus, demander l'avis des communautés constitue clairement un faux-fuyant. Visiblement, on n'ose pas s'attaquer à la question et tenter d'assouplir les conditions pour favoriser le bilinguisme dans notre pays. Il n'y a visiblement pas de volonté politique pour faire avancer les choses et pour que des deux côtés de la Belgique, l'on parle l'autre langue. C'est regrettable car les mesures qu'elle propose visent à construire un meilleur avenir pour les générations futures.
Mme Leduc est convaincue que l'on s'efforce, dans les deux parties du pays, d'arriver à un enseignement convenable de la seconde langue. La proposition de Mme Willame-Boonen offre une possibilité que l'enseignement pourra exploiter avec souplesse et elle n'impose aucune obligation.
Le fait est, cependant, que la concrétisation de la possibilité ainsi offerte dépendra des communautés. Si cette préoccupation était insérée dans la prochaine déclaration gouvernementale, on pourrait poursuivre ces discussions de manière constructive au cours de la prochaine législature.
Le ministre constate qu'un consensus se dégage pour constater que l'idée initiale des propositions de loi est excellente mais qu'il faut davantage de renseignements sur le plan et légistique et pratique.
L'avis du Conseil d'État va d'ailleurs dans le même sens puisque, d'une part, il relève que le fédéral est bien compétent mais que, d'autre part, il estime qu'il faut approfondir la question de la qualification du règlement proposé sur le plan des compétences.
Il ne s'agit pas de partir du constat que l'idée est mauvaise mais voter cette loi aujourd'hui serait prématuré.
Mme Pehlivan partage la préoccupation de Mme Willame-Boonen. Nous avons la chance de vivre dans un pays trilingue et, à vrai dire, nous devrions exploiter cet atout bien davantage que nous ne le faisons. Personnellement, elle s'engage à promouvoir le bilinguisme durant la prochaine législature.
M. Lozie déclare qu'il n'est pas d'usage de demander l'avis des communautés sur des matières qui sont de la compétence du législateur fédéral. Il existe des procédures de consultation réglées par la loi et elles doivent être respectées, mais pour cette matière-ci, le législateur est la seule instance compétente.
Comme le suggère le Conseil d'État, Mme Willame-Boonen dépose un amendement (doc. Sénat 2-1228/3, amendement nº 1) visant :
A) à définir concrètement ce que l'on entend par « connaissance fonctionnelle » dans un nouvel alinéa, rédigé comme suit :
« Par connaissance fonctionnelle au sens du présent article, on entend une connaissance écrite et orale passive qui permette à l'enseignant de comprendre ses collègues, ses élèves et leurs parents dans le cadre de conversations courantes relatives à la vie quotidienne dans l'établissement scolaire et une connaissance orale active qui permette à l'enseignant de se faire comprendre de ces personnes dans le cadre de conversations courantes relatives à la vie quotidienne dans l'établissement scolaire. »;
B) à habiliter le Roi à déterminer concrètement comment la preuve de la connaissance fonctionnelle doit être apportée.
Article 1er
L'article 1er est rejeté par 2 voix contre 2 et 5 abstentions.
Par suite de ce vote, la proposition de loi est rejetée.
Article 1er
L'article 1er est rejeté par 3 voix contre 2 et 5 abstentions.
Par suite de ce vote, la proposition de loi est rejetée.
Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.
Le rapporteur, Paul WILLE. |
La présidente, Anne-Marie LIZIN. |