2-1157/5

2-1157/5

Sénat de Belgique

SESSION DE 2002-2003

25 MARS 2003


Projet de loi modifiant certaines dispositions du Code civil relatives aux droits successoraux du conjoint survivant


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR MME TAELMAN


I. PROCÉDURE

Le présent projet de loi, qui relève de la procédure facultativement bicamérale, trouve son origine dans une proposition de loi déposée à la Chambre des représentants par M. Valkeniers et consorts le 13 juillet 2001.

Le 16 mai 2002, la Chambre a adopté, par 134 voix et 9 abstentions, le texte tel qu'amendé par la commission de la Justice, et l'a transmis au Sénat le 17 mai 2002.

Le Sénat a usé de son droit d'évocation le 3 juin 2002.

La commission de la Justice a examiné le projet lors de ses réunions des 13, 19 et 26 novembre 2002, 11 décembre 2002, 18 et 25 mars 2003 en présence du ministre de la Justice.

II. EXPOSÉ DU MINISTRE DE LA JUSTICE

Le projet à l'examen concerne la possibilité de renoncer par contrat de mariage à la réserve ou, à tout le moins, à une partie de la réserve du conjoint survivant.

Dans le cadre d'un remariage, et s'il existe des enfants du premier lit, la réserve dont bénéficie le second époux peut en effet être un frein au remariage, le second époux étant parfois perçu comme susceptible de capter une partie de l'héritage des enfants du premier lit.

Le but du projet est de permettre au second époux, qui n'a pas de telles motivations financières, de renoncer à sa réserve successorale par la voie contractuelle.

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

M. Mahoux demande s'il existe d'autres cas où l'on peut renoncer de manière semblable à un droit.

Le ministre cite à titre d'exemples la renonciation à une succession et la renonciation à des indemnités de rupture en droit du travail.

M. Mahoux observe qu'en général, lorsqu'on renonce à un droit, c'est parce que l'acceptation de celui-ci aurait des conséquences négatives.

Or, en l'occurrence, c'est la renonciation qui a des conséquences que l'on pourrait qualifier de préjudiciables.

Mme Taelman rappelle que, lorsqu'on conclut un contrat de mariage, on a trois possibilités :

­ le régime légal de communauté réduite aux acquêts, où tous les revenus générés pendant le mariage sont communs aux époux, et où tous les biens et revenus acquis avant le mariage restent propres;

­ une séparation de biens pure et simple;

­ une communauté universelle.

En l'occurrence, il ne s'agit ici que d'un type de contrat de mariage que l'on peut conclure.

Le cas n'est pas fondamentalement différent de celui où l'époux qui dispose de revenus importants, alors que son conjoint n'en a pas, exige un contrat de séparation.

Dans cette hypothèse, le conjoint le moins nanti renonce aussi aux droits que lui donnerait le régime légal. Il appartient au notaire de vérifier que cette renonciation se fait en toute liberté.

Mme de T' Serclaes fait remarquer qu'au moment du décès, le conjoint survivant marié sous le régime de la séparation de biens pure et simple, s'il ne se voit pas attribuer la nue-propriété du logement familial (laquelle revient aux enfants), en devient cependant usufruitier.

Telle était la philosophie de la loi de 1981, qui entendait protéger la femme dans le mariage, et empêcher qu'elle ne soit, au décès du mari, expulsée de la résidence conjugale par les enfants. Cette protection est fondamentale, et doit subsister car dans ce type de contrat, c'est la partie la plus forte qui impose son point de vue à la plus faible.

Mme Taelman répond que le texte à l'examen laisse subsister la protection spéciale de la résidence conjugale pendant un an, ce qui se justifie parfaitement. Autre chose est du reste des biens, où le texte à l'examen répond à une réalité sociologique.

Mme de T' Serclaes estime que limiter la protection du logement familial, comme le fait le projet, est tout à fait insuffisant.

Le ministre rappelle que la commission de la Justice de la Chambre a procédé à l'audition de Mme Casman, de la Fédération royale du notariat belge. Il semble que le texte en discussion réponde à une demande des praticiens qui, à l'heure actuelle, doivent recourir à d'autres mécanismes contractuels, moins clairs, pour tenter d'arriver au même résultat.

M. Mahoux demande si le but du texte est, comme le dit l'exposé des motifs, de permettre aux enfants du premier mariage de réoccuper le logement familial après le décès de leur père ou mère remarié(e) et si, dans cette hypothèse, le conjoint survivant titulaire de l'usufruit sur ce logement recevra une rente en contrepartie.

Le ministre répond que le texte a subi des amendements à la Chambre. Il vise l'hypothèse où une personne hésite à contracter un second mariage lorsqu'il existe des enfants d'un premier lit, parce que ces derniers considèrent le second conjoint comme un « prédateur », animé uniquement d'intentions financières.

C'est pourquoi la possibilité est donnée au second époux de renoncer, par contrat de mariage, aux droits qu'il aurait en cas de décès de son conjoint.

Il pourrait aussi renoncer à l'usufruit du logement familial, mais on a prévu dans le projet une protection minimale d'un an par rapport à ce logement.

L'intervenant pense du reste que, dans bien des cas, les problèmes risquent de se poser davantage pour les autres biens que pour le logement familial.

IV. DÉBUT DE LA DISCUSSION DES ARTICLES

Article 1erbis (nouveau)

Amendement nº 5

MM. Vandenberghe et D'Hooghe déposent un amendement (doc. Sénat, nº 2-1157/2, amendement nº 5) subsidiaire à l'amendement nº 1, et tendant à insérer un article 1erbis (nouveau).

Il importe de protéger le conjoint survivant, lorsque celui-ci n'a que le droit « d'utiliser gratuitement » l'immeuble affecté au logement principal de la famille et les meubles meublants, et que cette utilisation est limitée dans le temps.

On peut imaginer, par exemple, que le conjoint survivant soit confronté à une action en paiement de rente alimentaire contre la succession, intentée soit par un enfant du prémourant, soit par une personne dont la filiation n'était pas encore établie au moment du décès (articles 336 et suivants du Code civil).

Dans certains cas (utilisation représentant une part importante de l'ensemble de la succession ou utilisation de longue durée), il peut arriver que ce droit d'usage soit lui-même menacé.

Dans tous les cas d'action en paiement de rente alimentaire, cette utilisation ne sera en tout état de cause plus « gratuite », dès lors qu'elle sera valorisée en tant que partie de la succession globale (article 205, § 3).

Il convient donc de sauvegarder à tout moment la « gratuité » en pareils cas. Il faut en effet éviter qu'en cas d'action en paiement de rente alimentaire, le conjoint survivant ne soit obligé de contribuer sur ses fonds propres pour conserver l'utilisation du logement et des meubles meublants.

Article 1erter (nouveau)

Amendement nº 6

MM. Vandenberghe et D'Hooghe déposent un amendement (doc. Sénat, nº 2-1157/2, amendement nº 6), tendant à insérer un article 1erter (nouveau) dans le projet de loi.

Cet amendement est subsidiaire à l'amendement nº 1.

Il tend à prévoir les mêmes protections pour l'« utilisation gratuite » que pour l'usufruit, et à empêcher que l'article 745quater du Code civil ne soit interprété de telle manière que l'accord obligatoire ne soit nécessaire que durant le délai minimum d'un an.

Le ministre observe que l'on ne se trouve pas, en l'occurrence, dans l'hypothèse d'une conversion d'usufruit.

Article 5

Amendement nº 1

MM. Vandenberghe et D'Hooghe déposent un amendement (doc. Sénat, nº 2-1157/1) tendant à supprimer l'article 5.

Cet article est en effet tout à fait contraire à la ratio legis de la proposition de loi, qui fixait une fois pour toutes les droits des personnes concernées, en vue de garantir une paix familiale durable.

Le principe d'égalité, invoqué pour justifier la possibilité d'apporter des modifications, ne doit pas être considéré comme absolu. Selon une jurisprudence constante, la Cour d'arbitrage et le Conseil d'État permettent d'ailleurs des réglementations inégales dans des cas dissemblables.

Amendement nº 2

MM. Vandenberghe et D'Hooghe déposent un amendement (doc. Sénat, nº 2-1157/2, amendement nº 2), subsidiaire à l'amendement nº 1, et par lequel ils proposent de supprimer les mots « ne porte pas préjudice au droit de l'un de disposer, par testament ou par acte entre vifs, au profit de l'autre, et ».

Mme De Schampelaere renvoie à l'exposé introductif de M. Valkeniers à la Chambre, où l'on peut lire : « Lorsque l'on sait que c'est généralement au cours d'un premier mariage que l'on épargne et bâtit, alors qu'au cours d'un second mariage, l'on tient essentiellement à profiter encore un peu de la vie et l'on est dès lors plus dépensier, les enfants sont déjà enclins à dire que la mère ou le père a épargné et que le nouvel époux ou la nouvelle épouse n'a fait que « profiter » (doc. Chambre, nº 50-1353/1, p. 6).

L'intervenante et son groupe sont favorables au fait de clarifier, dans le contrat de mariage, tant vis-à-vis des enfants du premier lit que du second conjoint, la situation successorale qui peut se présenter en cas de décès de l'époux remarié.

La loi de 1981 sur les droits successoraux du conjoint survivant a incontestablement eu un effet émancipateur, et a favorisé l'égalité des conjoints, mais elle ne doit pas nécessairement être appliquée aux seconds mariages.

Il faut donc prévoir la possibilité d'y déroger par contrat de mariage. La transparence offerte aux enfants du premier lit par ce système ne doit cependant pas être mise en péril par la possibilité, actuellement prévue à l'article 5, d'y déroger en cours de mariage par un acte entre vifs ou par un testament, dont ces enfants n'ont pas connaissance.

Une telle dérogation était d'ailleurs exclue dans les développements précédant la proposition de loi de M. Valkeniers.

Le ministre répond que le texte crée la possibilité pour le second époux de renoncer, par contrat de mariage, à une partie de ses droits successoraux. Cette possibilité est également offerte par une modification du contrat de mariage.

La proposition précise par ailleurs que cet accord ne porte pas préjudice au droit de l'un de disposer par testament ou par acte entre vifs au profit de l'autre.

Cela signifie que l'époux en question pourrait, par testament, donner à l'autre plus que ce qui a été prévu au départ, mais pas moins.

L'intervenant ne voit pas comment on pourrait limiter la capacité de disposer d'une personne. Cependant, on ne pourra évidemment pas, par un testament, porter atteinte à la réserve successorale des enfants.

De ce point de vue, la situation ne sera donc ni pire ni meilleure qu'à l'heure actuelle.

Amendement nº 3

MM. Vandenberghe et D'Hooghe déposent un amendement subsidiaire à l'amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 2- 1157/2, amendement nº 3), tendant précisément à compléter l'alinéa proposé en indiquant qu'il ne peut être dérogé à la réserve légale visée à l'article 913 du Code civil.

Cette précision faciliterait l'interprétation du texte.

Le ministre répète que le texte à l'examen ne change rien, sur ce point, à la situation actuelle. L'article 913 est d'ordre public.

Si l'on adoptait l'amendement, il faudrait insérer la même précision dans beaucoup d'autres articles du Code civil.

Amendement nº 4

MM. Vandenberghe et D'Hooghe déposent un amendement (doc. Sénat, nº 2-1157/2, amendement nº 4), subsidiaire à l'amendement nº 1, ayant pour but de remplacer les mots « ten gunste » par les mots « ten aanzien ».

Les mots « ten gunste » donnent l'impression que les modifications, y compris celles apportées à un contrat de mariage antérieur à la loi en projet, ne peuvent se faire qu'en faveur de l'autre conjoint. Ne pourraient-elles l'être aussi en faveur des enfants ?

Le ministre répond qu'il ne voit pas comment l'on pourrait disposer en faveur des enfants, puisqu'il s'agit d'une modification à l'article 1388, qui concerne les régimes matrimoniaux.

Une disposition relative aux enfants aurait davantage sa place au chapitre III (articles 913 et suivants).

Le fait pour le conjoint d'avoir, par contrat, renoncé à la réserve, est sans incidence sur le droit de disposer ultérieurement par donation en faveur de ses enfants.

Mme De Schamphelaere fait observer que, puisque le texte parle de disposer « en faveur » du conjoint, cela ne peut être qu'au détriment des enfants, ce qui est contraire à la ratio legis du texte.

Le ministre répète que l'on ne peut empêcher quelqu'un de disposer par acte entre vifs ou par testament, pour autant que la réserve successorale soit respectée.

Amendement nº 7

MM. Vandenberghe et D'Hooghe déposent un amendement (doc. Sénat, nº 2-1157/2, amendement nº 7) subsidiaire à l'amendement nº 1, et tendant à compléter l'alinéa proposé par un alinéa nouveau.

Cet amendement vise à préserver les droits des enfants sur les biens qui leur ont déjà été donnés avant l'acte entre vifs ou le testament dont il est question à l'article 5.

Les droits des descendants sur des biens que le prémourant a donnés à ceux-ci de son vivant doivent être sauvegardés en cas de modification ultérieure du contrat de mariage faite en faveur du conjoint survivant, au cours du mariage.

Dans son exposé, la professeur Casman donne l'exemple d'un homme qui a 4 enfants d'un mariage précédent (doc. Chambre, nº 50-1353/005, p. 13). Il a réparti entre ses enfants un important paquet d'actions de son entreprise. Souhaitant contracter un nouveau mariage, il apprend que, selon la législation en vigueur à ce moment, la femme qu'il compte épouser obtiendra l'usufruit de l'ensemble de sa succession, donc également de toutes les actions (certes réductibles à la moitié de leur valeur ­ article 915bis). Il décide donc de ne pas se marier.

L'amendement déposé a pour but de prévenir ce genre de situations, dès lors qu'en cas de modification au cours du mariage, l'usufruit de biens ayant déjà fait l'objet d'un partage ou d'une donation peut « retrouver vie ».

Mme Taelman rappelle qu'un testament est, par nature, toujours révocable.

L'intervenante renvoie à ce sujet à un arrêt de la Cour de cassation du 29 mars 1958.

L'amendement est en contradiction avec ce principe.

Mme De Schamphelaere répond que là n'est pas l'objet principal de l'amendement. Celui-ci porte sur les biens (hors réserve) qui peuvent revenir aux enfants, et sur l'absence de transparence, à leur égard, de modifications ultérieures des dispositions du contrat.

M. Mahoux observe que le projet est muet quant à l'hypothèse où des enfants naissent non seulement du premier, mais aussi du second mariage. Que se passe-t-il, en particulier, en ce qui concerne l'occupation du logement familial ?

Mme De Schamphelaere a le sentiment que le texte à l'examen vise certaines situations très spécifiques de
remariage, alors qu'il existe beaucoup d'autres cas de figure.

Amendements nºs 8 à 10

Mme de T' Serclaes dépose un amendement (doc. Sénat, nº 2-1157/2, amendement nº 8) subsidiaire à l'amendement nº 1 de MM. Vandenberghe et D'Hooghe, et tendant à remplacer le délai d'un an donné au conjoint survivant pour trouver un nouveau logement, par un délai de 3 ans.

L'auteur estime en effet que le délai d'un an est beaucoup trop court, car l'époux survivant accusera le décès de son conjoint et que, d'autre part, le règlement de la succession pourrait prendre du temps.

Mme de T' Serclaes dépose un autre amendement (doc. Sénat, nº 2-1157/2, amendement nº 9) subsidiaire à l'amendement nº 1, et visant à remplacer les mots « du droit d'utiliser gratuitement pendant un an au moins, à compter de l'ouverture de la succession du prémourant » par les mots « de droit d'habitation portant sur ».

L'auteur de l'amendement estime en effet qu'un droit d'habitation illimité sur le logement familial doit être garanti au conjoint survivant.

Le droit d'habitation étant personnel et incessible, cela garantit au conjoint survivant de pouvoir habiter jusqu'à son décès dans le logement familial.

Enfin, Mme de T' Serclaes dépose un troisième amendement (doc. Sénat, nº 2-1157/2, amendement nº 10) visant à remplacer les mots « du droit d'utiliser gratuitement pendant un an au moins, à compter de l'ouverture de la succession du prémourant » par les mots « du droit d'usufruit portant sur ».

Cet amendement, qui a la préférence de l'auteur, est le plus radical des trois puisque c'est celui qui ouvre le plus de possibilités au conjoint survivant. Il s'agit d'une protection qui n'a qu'une portée limitée car, de façon générale, la disposition en projet concernera surtout les familles où il existe un patrimoine important dont le logement familial ne constitue qu'un élément.

Amendements nº 11

M. Dubié dépose un amendement (doc. Sénat, nº 2-1157/2, amendement nº 11) tendant à supprimer les mots « pendant un an au moins, à compter de l'ouverture de la succession du prémourant ».

L'auteur de l'amendement estime en effet inacceptable de limiter le droit du conjoint survivant d'utiliser le logement familial et les meubles qui le garnissent.

Il s'agit là d'un minimum qui doit être maintenu, car il existe malheureusement des cas où le conjoint survivant risquerait d'être expulsé du logement familial, et d'autres où le conjoint doit le cas échéant être protégé contre sa volonté de renoncer à ce droit.

Mme de T' Serclaes fait observer que la notion d'utilisation gratuite n'est peut-être pas aussi claire que celle d'usufruit.

M. Mahoux évoque le cas d'un remariage, où un conjoint décède après un ou deux mois de mariage. Cela signifierait que, dans une telle hypothèse, le conjoint survivant pourrait occuper l'ancien logement familial jusqu'à sa mort ­ ce qui est la situation actuelle ­ mais que, selon l'amendement, il ne pourrait pas renoncer à ce droit.

Il faut donc trouver une solution qui tienne compte de toutes les situations.

Mme Nyssens se demande si l'amendement nº 10 n'est pas trop large, le but du législateur étant de protéger le droit à l'occupation du logement familial.

Mme De Schamphelaere estime que, vu la diversité des situations qui peuvent se présenter, il faut éviter de légiférer de façon précipitée.

Mme Taelman fait remarquer que, si l'on parle d'usufruit, la protection accordée dépasse l'intention du législateur, qui semble être de garantir l'occupation du logement familial.

En effet, l'usufruit permettrait au conjoint survivant de louer l'ancien logement familial et d'en percevoir les loyers, ou encore d'en provoquer la vente publique pour sortir d'indivision.

Enfin, l'intervenante souligne que le texte à l'examen ouvre une faculté, mais n'impose aucune obligation.

Les notaires, qui sont soumis à des règles déontologiques, ne manqueront pas d'attirer l'attention du conjoint qui veut user de cette faculté sur les conséquences de sa renonciation.

L'intervenante peut donc se rallier à l'idée d'une protection minimale mais estime qu'elle ne doit pas s'appliquer à vie.

L'intervenante pourrait éventuellement se rallier à l'amendement nº 8 de Mme de T'Serclaes qui prévoit une protection de 3 ans. Elle évoque l'hypothèse où une personne venant d'un milieu très modeste amasse une fortune importante grâce à son travail, et place l'intégralité de celle-ci dans un château, qu'elle habite avec son second conjoint jusqu'à son décès. Une protection illimitée de ce logement aboutirait à bloquer la totalité du patrimoine du conjoint prédécédé, pour toute la durée de la vie du conjoint survivant.

Le ministre fait remarquer que le délai d'un an figurant dans le texte à l'examen constitue un minimum, mais que rien n'empêche les parties, par la voie contractuelle, d'en prévoir un ( beaucoup) plus long.

L'intervenant estime que la discussion est quelque peu contradictoire. En effet, classiquement, le Code civil a entendu protéger le conjoint survivant, de manière à lui assurer la jouissance du logement principal dans lequel il cohabitait avec le conjoint prédécédé. Il y a une certaine logique à assurer le droit d'habitation de ce logement.

Par ailleurs, il est vrai que les articles 745 et 915 du Code Civil parlent toujours de l'usufruit et de sa conversion.

La proposition de M. Valkeniers parle plutôt du droit d'utilisation gratuite.

M. Vandenberghe déclare qu'avec le texte en projet, on en revient à l'Ancien Régime. Avant le Code civil, les donations entre époux étaient interdites, parce que l'on estimait qu'elles risquaient d'être inspirées par des considérations plus émotionnelles que rationnelles et pouvaient donner lieu à des manipulations.

En 1804, le Code civil a quelque peu affaibli l'image péjorative de la femme qui existait avant son entrée en vigueur. Les donations entre époux étaient possibles, mais étaient révocables ad nutum.

De plus, le Code civil ne reconnaissait pas la femme comme héritière légale de son mari, mais la plaçait au rang de successeurs irréguliers, après les enfants naturels. La solution était un règlement successoral particulier, prévu aux articles 1094 et 1098 du Code civil ­ revus depuis lors ­ et qui prévoyait la possibilité d'une portion disponible dans le cadre du premier mariage, et d'une portion disponible moindre dans le cadre d'un second mariage. À cette époque déjà se manifestait donc une méfiance à l'égard des remariages. Le problème n'est dès lors pas nouveau.

Ce type de discrimination repose sur des préjugés qui datent d'avant la Révolution française.

La loi de 1981 sur le droit du conjoint survivant les a abrogés, et a fait de ce conjoint un héritier légal.

Le texte adopté revient sur cet acquis, en le faisant dépendre de la volonté exprimée entre les parties durant leur vie.

Le conjoint survivant peut être privé irrévocablement de sa réserve légale par contrat de mariage, et comme condition à ce mariage.

Cela est contraire au principe même de la réserve, qui est d'ordre public et ne peut faire l'objet d'accords contractuels.

Celui qui est privé de sa réserve par testament y a néanmoins droit. Les donations qui y portent atteinte doivent être rapportées à la masse. On ne peut pas davantage renoncer à la réserve.

De plus, le texte à l'examen permet en fait de conclure des conventions relatives à une succession future, ce qui n'est pas permis à l'heure actuelle.

De surcroît, cela porterait en l'occurrence préjudice aux enfants qui naîtraient éventuellement du second mariage, et créerait à leur égard une discrimination par rapport aux enfants du premier lit.

L'intervenant conclut que les réticences qu'il exprime ne sont pas inspirées par des motifs politiques, mais par des raisons techniques objectives, et par la conviction que ce dossier n'est pas mûr.

Les intérêts particuliers exprimés par l'un ou l'autre à propos de ce projet sont respectables, mais les considérations auxquelles le législateur doit avoir égard sont d'un autre ordre. Il est évident que les réglementations contraignantes limitent la marge de manoeuvre des individus. En l'occurrence, on veut éviter que des contraintes puissent être exercées, ou que l'on abuse de situations émotionnelles, et l'on veut aussi avoir égard à la situation des enfants.

En conclusion, l'intervenant propose de demander l'avis du Conseil d'État.

Mme Taelman constate qu'au vu des précédentes discussions, le texte sera très probablement amendé, et devra donc en tout état de cause retourner à la Chambre. Elle rappelle également qu'à la Chambre, le texte a été discuté de manière approfondie, et que des auditions ont été organisées, qui ont livré une contribution intéressante sur le plan juridique.

Par ailleurs, le projet à l'examen n'a qu'une portée très limitée. L'intervenante ne voit donc pas l'utilité de consulter le Conseil d'État. Elle propose, à titre de solution intermédiaire, de consulter deux professeurs spécialisés en droit successoral.

Au terme de cet échange de vues, la commission formule le souhait que l'avis du Conseil d'État soit recueilli sur le texte transmis par la Chambre, ainsi que sur les amendements nos 1 à 11 (doc. Sénat, nº 2-1157/2).

La commission décide également de procéder à l'audition de Mme Puelinckx-Coene, professeur à l'UIA, et de M. Renchon, professeur à l'UCL.

V. AUDITIONS

A. Audition de Mme Puelinckx-Coene, professeur à l'UIA

L'oratrice déclare qu'elle est favorable au projet de loi en discussion, parce qu'il permet aux conjoints de régler dans un seul et même contrat l'ensemble de leur situation patrimoniale.

Depuis la loi de 1981 sur les droits successoraux du conjoint survivant, ce n'était plus possible, puisqu'il était exclu de régler dans un contrat de mariage les dispositions successorales des époux, en ce compris la renonciation de ceux-ci à leurs droits successoraux à l'égard du prémourant.

Or, la pratique démontre que, lorsque deux personnes d'un certain âge veulent se remarier, elles cherchent généralement à éviter les problèmes que ce remariage pourrait susciter par rapport aux enfants d'un premier lit, et préfèrent que chacun conserve son patrimoine, y compris pour le futur.

Elles peuvent, depuis le Code Napoléon, opter pour une séparation de biens pure et simple, et cela ne suscite aucune objection.

Par contre, elles ne peuvent, en l'état actuel des choses, convenir qu'en cas de décès de l'une d'elles, le conjoint survivant n'aura aucun droit successoral sur le patrimoine du prémourant, même si ce patrimoine a été constitué bien avant le second mariage, et que le conjoint survivant n'a donc nullement contribué à sa constitution.

Pour des raisons juridico-techniques, cela ne peut être réglé dans le contrat de mariage. L'article 1388 du Code civil prévoit en effet que l'on ne peut déroger au droit successoral par contrat de mariage.

Le projet à l'examen introduit une exception à cette règle, et paraît répondre ainsi au souhait de bon nombre de couples qui souhaitent se remarier.

Un point délicat concerne le logement familial. Chacun des futurs conjoints en a généralement un, et il va falloir décider lequel des deux va habiter chez l'autre. C'est là que se situera le nouveau logement familial.

Cependant, celui-ci a souvent aussi une valeur sentimentale pour d'autres personnes, en particulier les enfants du premier lit.

Le texte à l'examen offre aux conjoints une liberté bienvenue, sans rien imposer à personne.

Aux Pays-Bas, une nouvelle législation en matière successorale, en préparation depuis 50 ans, entrera en vigueur le 1er janvier 2003.

L'un des points de discussion concernait précisément les droits successoraux du conjoint survivant. On a procédé en 1992 à une étude de droit comparé à propos de 6 ou 7 pays voisins, dont la Belgique, en recherchant quels étaient, dans ces différents pays, les problèmes essentiels en matière de droit successoral.

En ce qui concerne la Belgique, l'un de ces problèmes était précisément que, lors d'un second mariage, les époux ne pouvaient pas, par contrat de mariage, renoncer à tout ou partie de leurs droits successoraux à l'égard du prémourant.

L'oratrice indique que son expérience professionnelle va dans le même sens. Elle a pu constater que, dans l'état actuel de la législation, un certain nombre de personnes renoncent à se remarier, pour éviter de susciter des problèmes par rapport à leurs enfants d'un premier lit.

Le projet à l'examen correspond donc à un besoin et est conforme à l'optique libérale du Code civil qui pose comme principe la liberté contractuelle, sous réserve des exceptions prévues par la loi.

Le texte à l'examen n'est pas non plus en contradiction avec la philosophie de la loi de 1981 sur les droits successoraux du conjoint survivant.

En effet, celle-ci prévoit par exemple la possibilité pour les conjoints qui souhaitent divorcer par consentement mutuel de renoncer dès avant le prononcé du divorce aux droits successoraux qu'ils ont l'un à l'égard de l'autre.

Mme Vanlerberghe demande quelles sont les conséquences juridiques lorsque des enfants naissent du second mariage. Elle se demande en outre si le fait de créer par la loi une telle possibilité de renonciation à des droits successoraux ne risque pas d'avoir pour conséquence que les enfants du premier lit exerceront une pression pour que le nouveau conjoint fasse usage de cette possibilité, ce qui pourrait susciter davantage de conflits qu'aujourd'hui.

Mme Puelinckx-Coene répond, sur le premier point, que pour les enfants issus du second mariage la renonciation n'a aucune incidence, car ces enfants ont pour mère et père les conjoints remariés. Dès lors, ce qu'ils ne reçoivent pas de l'un parce qu'il a renoncé à ses droits successoraux, ils le recevront de l'autre.

Quant au risque de pression, il existe en tout état de cause, quelle que soit la solution choisie.

M. Mahoux demande si l'on dispose de données statistiques sur la proportion de personnes qui demandent une telle solution, par rapport à l'ensemble des personnes qui se trouvent dans la situation visée. Il souligne en outre que les remariages dont il s'agit, même s'ils sont tardifs, ne sont pas nécessairement stériles et que, dans ce cas, ce ne sont pas les enfants du second lit qui sont en cause, mais bien la protection du second conjoint qu'est le père ou la mère de ces enfants.

L'intervenant fait remarquer que, si le conjoint survivant veut renoncer à ses droits successoraux, il peut toujours le faire lorsque la succession du prémourant s'ouvre.

Il se demande aussi quel sens cela peut avoir de contracter mariage si l'on donne la possibilité de renoncer à ce qui en constitue une des conséquences essentielles. Enfin, il souligne que les rapports entre les personnes ne sont pas toujours égalitaires, et qu'il peut être nécessaire de protéger les personnes, à travers les contrats de mariage, contre les pressions qu'elles peuvent subir, même si celles-ci sont camouflées derrière des sentiments.

L'intervenant ajoute que son groupe est très attaché aux droits du conjoint survivant (qui, sur le plan statistique, est le plus souvent une femme) et en particulier au droit d'usufruit ou d'habitation du logement familial. De plus, le conjoint qui renoncerait à ces droits, ne le ferait pas en connaissance de cause, puisque la situation pourrait se dégrader ultérieurement dans le cadre du second mariage.

Le conjoint resterait néanmoins lié par la renonciation concédée avant mariage.

Mme Puelinckx-Coene répond qu'il n'y a plus de statistiques depuis 1977 à propos du contenu des contrats de mariage. L'intervenante est intervenue à plusieurs reprises à ce sujet auprès du directeur de l'administration de l'Enregistrement et des Domaines, mais sans succès. Elle renvoie à l'étude précitée faite par l'Institut juridique international des Pays-Bas qui aborde notamment les problèmes qui se posent dans le cadre de la législation belge.

L'intervenante s'accorde avec l'idée que le mariage se fonde pour une part sur l'idée de solidarité, et que cette solidarité doit avoir quelque effet patrimonial.

Mais, dans cette logique, il faudrait aussi récuser la possibilité pour les époux de choisir le régime de la séparation de biens pure et simple, étant donné que la solidarité s'applique en premier lieu aux revenus générés durant le mariage. Cependant, personne ne s'offusque de la possibilité de choisir un tel régime matrimonial.

M. Mahoux répond qu'à ses yeux, le problème ne porte pas sur la propriété, mais sur l'usufruit ou l'occupation du logement familial et sur le risque d'expulsion du conjoint survivant, fût-ce en vertu d'une renonciation faite volontairement par ce dernier à un moment où il n'existait pas de conflit.

Mme Puelinckx-Coene répète que, pour les enfants du premier lit, le logement familial et son contenu peuvent avoir une valeur sentimentale très importante, et que beaucoup ne comprennent pas pourquoi, pour la jouissance de ces biens, ils passent après le second conjoint, même si le second mariage n'a duré que peu de temps.

La question est de savoir qui on veut protéger, et si les conjoints peuvent eux-mêmes juger de la réponse à donner à cette question.

L'intervenante souligne par ailleurs que si le conjoint survivant renonce à la succession au moment de l'ouverture de celle-ci, il fait en réalité une donation à ses beaux-enfants, ce qui a des conséquences fiscales.

Il faut donc savoir combien de liberté on veut laisser aux gens, et jusqu'à quel point on veut leur imposer des dispositions contraignantes.

C'est là une question d'ordre philosophique et politique.

M. Mahoux répond qu'il ne s'agit pas seulement de cela. Le but est aussi, dans la société, de protéger les plus faibles contre les plus forts.

La précédente intervenante raisonne comme si tous les rapports entre les personnes étaient égalitaires.

Par ailleurs, le texte à l'examen permet aux conjoints de prendre des engagements par rapport à des situations qu'ils ne connaissent pas.

Mme Puelinckx-Coene répond que le contrat de mariage peut toujours être modifié ultérieurement. S'agissant de biens propres, un testament peut aussi être établi, sans modification du régime matrimonial, en vue d'accroître la protection du conjoint survivant.

M. Vandenberghe s'interroge sur la cohérence du texte à l'examen par rapport aux principes généraux du droit successoral et du droit des régimes matrimoniaux. En 1804, on est parti d'une situation où l'épouse survivante était un successeur irrégulier, avec une quotité disponible spéciale fixée par les articles 1094 et 1098 du Code civil dans le cas d'un second mariage.

Les arguments invoqués à l'appui de ce système rejoignent, dans une certaine mesure, ceux développés à l'appui du projet à l'examen.

Le mouvement d'émancipation de la femme a considéré comme inacceptable le fait que le conjoint survivant soit considéré comme un successeur irrégulier, estimant qu'il devait être un héritier réservataire.

Tel fut l'objet des discussions qui précédèrent la loi de 1981 : la réserve à accorder au conjoint survivant devait-elle consister en un usufruit ou en une nue-propriété ?

L'octroi d'un usufruit est le compromis-type en matière de droit successoral, car il ne lèse pas les descendants, qui reçoivent la nue-propriété et obtiendront ultérieurement la pleine propriété au décès de l'usufruitier.

Le système de la réserve s'inspire de la considération que, dans un contexte émotionnel, le risque d'être influencé et lésé est beaucoup plus grand. Ce système doit être lu conjointement avec l'interdiction ­ existant depuis 1804 ­ des pactes sur succession future, y compris dans le cadre d'un contrat de mariage. Ces règles sont d'ordre public. Le projet à l'examen s'inspire d'une toute autre option, puisqu'il permet les pactes sur succession future, et propose une modification de l'article 791 du Code civil, qui doit être combiné avec l'article 1130 du même code.

Il prévoit donc une exception à une règle d'ordre public en faveur de seconds mariages.

La liberté contractuelle en matière de successions futures n'a jamais existé au cours des deux derniers siècles.

Si l'on veut modifier cette règle, pourquoi limiter cette modification aux seconds mariages alors que les mêmes arguments sont aussi valables pour les premiers mariages ?

L'intervenant ajoute qu'à ses yeux, l'argument tiré de la comparaison entre les droits successoraux et la séparation de biens pure et simple n'est pas convaincant.

En effet, la séparation de biens pure et simple, qui peut être choisie, par exemple, parce qu'un des époux est commerçant, n'exclut pas la solidarité entre époux sur le plan patrimonial. Ce régime matrimonial n'a jamais permis aux conjoints de décider des droits successoraux de leurs enfants.

De plus, l'intervenant ne croit pas que le texte à l'examen soit sans incidence sur les droits successoraux des enfants du second lit.

Il rappelle que l'usufruit du conjoint survivant peut être converti en capital (à l'exception de celui qui porte sur la résidence conjugale).

Si cette conversion a lieu, la valeur de l'usufruit, et donc la part qui échoira aux enfants du second lit, et uniquement à ceux-ci, sera, notamment en fonction de l'âge du conjoint survivant titulaire de ce droit, différente de celle qu'ils auraient recueillie dans le cadre d'un premier mariage.

Mme Puelinckx-Coene répond qu'invoquer les principes qui prévalaient en 1804 n'est pas un argument. Les dispositions légales de l'époque ont été plusieurs fois modifiées depuis lors, précisément parce que ces principes étaient dépassés.

La règle de la réserve est remise en question partout en Europe.

En octobre 2002, l'oratrice a été rapporteuse générale d'un congrès du Conseil de l'Europe sur ce sujet. De façon générale, partout où de nouvelles législations successorales sont adoptées, et en particulier aux Pays-Bas, le principe de la réserve se trouve considérablement affaibli.

Quant à l'interdiction du pacte sur succession future, qui apparaît à trois reprises dans le Code civil, il n'y a pas de consensus sur le point de savoir s'il s'agit ou non d'un principe général. Le fait est que les lois de 1976 sur les régimes matrimoniaux, de 1981 sur les droits successoraux du conjoint survivant, et de 1987 sur le droit de la filiation, ont toutes trois prévu des exceptions nouvelles à ce principe. Sur le plan du droit comparé, on constate qu'en droit anglo-saxon, mais aussi dans les systèmes de droit germanique (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Grèce, Suisse), on ne connaît pas une telle interdiction qui, du reste, peut aisément être contournée par certaines clauses bien conçues.

La réserve du conjoint survivant est une réserve particulière. Tout le monde parle des acquis de la loi de 1981, mais, à l'époque, il n'y avait pas de consensus, et la solution retenue constitue un compromis : la réserve est seulement en usufruit et, par dérogation à l'interdiction du pacte sur succession future, les époux en instance de divorce par consentement mutuel peuvent renoncer à leurs droits successoraux l'un à l'égard de l'autre. Or, s'il est un moment où il faut protéger la partie la plus faible, c'est bien lors d'un divorce.

M. Vandenberghe fait observer que la comparaison n'est pas pertinente, car il s'agit dans ce cas de modalités d'une situation qui se produira de toute façon, à savoir le divorce.

M. Mahoux ajoute que la situation du conjoint le plus faible sera d'autant plus précaire qu'il aura renoncé à ses droits au moment du mariage.

Mme Puelinckx-Coene répète que la réserve du conjoint survivant instituée par la loi de 1981 n'est pas absolue. Ainsi, lorsqu'un des époux quitte le domicile conjugal et demande une résidence séparée, il peut déshériter son conjoint par simple testament.

Le texte à l'examen n'a donc rien de révolutionnaire sur ce point.

Par contre, l'oratrice partage le point de vue selon lequel il n'y a aucune raison de limiter le champ d'application de ce texte aux seconds mariages.

Enfin, elle rappelle qu'elle a répondu à une question sur l'incidence du projet sur la situation des enfants du deuxième lit, et non sur l'existence d'une éventuelle discrimination entre ceux-ci et les enfants du premier lit. La situation de ces derniers est améliorée par le texte à l'examen, tandis que celle des premiers ne change pas selon qu'ils héritent de leur mère ou de leur père.

Mme Nyssens demande s'il est exact que le texte à l'examen se justifie par une augmentation du nombre des seconds mariages, et par une demande grandissante du terrain d'organiser des secondes familles.

Sur le plan juridique, l'intervenante regrette elle aussi que l'on opère une distinction entre premier et second mariage. Le législateur de 1981 avait choisi de protéger particulièrement le conjoint survivant. Il semble, pour des raisons sociologiques, que le texte en discussion envisage les choses différemment dans le cadre d'un remariage.

S'il existe un conflit de valeurs ou d'intérêts, lié à l'existence d'enfants d'un premier lit, il doit être tranché sur le plan politique. Mais l'intervenante aimerait s'assurer qu'il existe réellement une demande importante en la matière.

Enfin, il a beaucoup été question de liberté contractuelle. L'intervenante se demande si l'on peut, en matière de réserve successorale, innover à ce point.

Mme Puelinckx-Coene renvoie, à propos du caractère innovant ou non du texte à l'examen, à ce qu'elle a précédemment exposé à propos du divorce par consentement mutuel, ainsi qu'à l'article 918 du Code civil.

B. Audition de M. Jean-Louis Renchon, professeur à l'UCL

L'orateur indique que son exposé répondra à trois questions qui paraissent ressortir des débats.

1. ne porte-t-on pas atteinte à des droits acquis ?

2. peut-on porter atteinte à la réserve concrète du conjoint survivant, c'est-à-dire au droit d'occuper le logement principal de la famille et de garder l'usage des meubles ?

3. peut-on imaginer de revenir, en cours de mariage, sur la décision qui aurait été prise d'exhéréder le conjoint survivant ?

1. Ne porte-t-on pas atteinte à des droits acquis mis en évidence par la loi de 1981 et salués par beaucoup comme une révolution assurant définitivement la protection du conjoint survivant ?

L'orateur souhaite indiquer les conséquences, à son sens exagérées, de la loi de 1981, dont on ne s'était pas rendu compte à l'époque.

En vingt ans, les conceptions, mais aussi les situations familiales, se sont considérablement modifiées.

Lors de l'élaboration de la loi de 1981, sur la base d'un projet du gouvernement déposé quinze ans plus tôt, on était à l'époque de la famille nucléaire.

La loi de 1981 avait été pensée à partir de l'idée que les époux avaient vécu toute leur vie ensemble, qu'ils avaient construit ensemble un patrimoine, et qu'il était normal que l'on ne prive pas le conjoint survivant, au minimum de l'usufruit de ce patrimoine, et même qu'on lui attribue, le cas échéant, une part de ce patrimoine en pleine propriété.

Quant aux enfants, il était normal qu'ils attendent, sachant qu'ils recueilleraient le patrimoine construit pendant le mariage au décès du conjoint survivant.

Ce schéma correspondait à la sensibilité de l'époque, et au comportement des enfants dans cette structure familiale classique où, la plupart du temps, on ne détermine même pas la consistance exacte de la succession.

Or, ce schéma, s'il ne pose toujours pas de problème dans les situations familiales ordinaires, cause des difficultés considérables dans toutes les situations où il y a des enfants d'une précédente union.

La première raison en est que dans ces situations familiales moins classiques, le patrimoine dont il sera question au décès n'est généralement plus le patrimoine construit durant le mariage mais bien, le plus souvent, celui constitué avant celui-ci.

Le conjoint survivant n'est alors pas du tout dans la même situation que celui qui a contribué parfois durant plusieurs dizaines d'années à construire un patrimoine commun.

Le patrimoine est perçu par les enfants de la première union comme un patrimoine à l'égard duquel le conjoint survivant n'a pas de titre à revendiquer.

La seconde raison est que, souvent, la durée de ces mariages subséquents sera relativement brève. Parfois même, ils sont contractés dans une perspective successorale, à quelques mois d'un décès.

Le titre que le conjoint survivant peut faire valoir est donc relativement récent, et est, du point de vue de la durée, sans comparaison avec le titre de filiation des enfants.

La troisième raison est que le conjoint survivant est souvent beaucoup plus jeune que le conjoint prédécédé, mais aussi plus jeune que les enfants nés d'une précédente union.

Dès lors, son droit d'usufruit met un terme définitif aux droits successoraux de ces enfants.

Ainsi, si le conjoint survivant est une femme de 50 ans, son usufruit, selon la table de conversion Ledoux qui est la plus utilisée, vaut 67 % de la succession. S'il y a 3 enfants, chacun recueillera dès lors 11 % de la succession.

Si l'on a attribué au surplus la pleine propriété d'une partie de la succession au conjoint survivant, celui-ci recueille la pleine propriété de la quotité disponible, plus l'usufruit du reste : il reçoit donc 25 % en pleine propriété, plus 67 % en usufruit sur les 75 % restants, soit près de 80 % au total.

Il est dès lors compréhensible que certains veuillent légiférer pour aménager ce type de situations en vue de rééquilibrer les choses.

Le vrai problème vient de ce que, dans ces cas, la loi est trop généreuse par rapport au conjoint survivant, et prive les enfants d'une trop grande partie de leurs droits.

La véritable réforme, si l'on voulait éviter des discriminations, serait non pas de permettre aux époux de réduire les droits successoraux du conjoint survivant, mais de les réduire en vertu de la loi.

En France, une nouvelle loi vient d'être adoptée, selon laquelle le conjoint survivant reçoit l'usufruit ou un quart en pleine propriété.

M. Mahoux fait observer que cette deuxième option conduit à une indivision, dont chacun peut sortir à volonté. Que devient, dans ce cas, la protection quant à l'occupation du logement familial ?

M. Renchon répond qu'à ce stade, il se situe toujours dans le cadre de la première question, à savoir la possibilité de réduire les droits successoraux du conjoint. Il peut paraître choquant, voire discriminatoire, que des régimes successoraux différents s'appliqueraient selon que l'on aurait ou non pris des dispositions.

L'intervenant pense personnellement que la proposition est, dans son ensemble, justifiée, parce qu'il existe des situations qui méritent vraiment que l'on prenne d'autres dispositions légales.

L'autre option serait, comme indiqué ci-avant, de modifier les droits successoraux par la loi pour toutes les situations familiales ne rentrant pas dans le schéma « nucléaire » traditionnel.

On ne peut parler de discrimination, puisque les situations sont fort différentes : dans un cas, les enfants recueillent le patrimoine du conjoint survivant; dans l'autre, ils ne le recueillent pas, tout ce qui a été attribué au conjoint survivant allant aux enfants de ce dernier.

À l'heure actuelle, la pratique montre que c'est dans ce dernier schéma que se posent les conflits familiaux les plus graves.

2. Peut-on ainsi porter atteinte à la réserve concrète, puisque le texte permet de priver le conjoint survivant de tout, y compris de son droit d'occuper la résidence familiale et de bénéficier des meubles, sauf pendant un an ?

À titre informatif, il faut noter que ce délai est le même que celui retenu dans la loi française de 2001.

Selon celle-ci, la seule « réserve » du conjoint survivant est le droit d'occuper pendant un an la résidence familiale. Lorsque celle-ci était prise en location par les époux, la succession doit rembourser 12 mois de loyer à l'époux locataire, pour qu'il puisse aussi, dans cette hypothèse, occuper gratuitement la résidence.

On voit donc que l'idée même d'une réserve n'est pas partagée par tous les pays européens, car on ne place plus aujourd'hui le mariage sur le même plan que la filiation.

Cependant, il est vrai que c'est sur ce point que l'on porte le plus atteinte aux droits acquis de 1981.

Une solution technique pourrait consister à prévoir un délai d'un an obligatoire, assorti d'une possibilité pour le juge de paix de prolonger ce délai en fonction de la situation financière du conjoint survivant.

En effet, un défaut majeur de la loi de 1981 est qu'elle ne tient pas compte des situations patrimoniales respectives.

De plus, dans les cas de remariage, la résidence conjugale est souvent aussi l'ancienne résidence familiale des premiers conjoints, qui a pour les enfants du premier lit une valeur sentimentale particulière.

3. Si l'on admet le principe du texte à l'examen, faut-il considérer la décision des époux comme irréversible, ou leur permettre de la modifier durant le mariage en fonction de l'évolution de la situation ?

Dans une perspective de contractualisation du mariage, où l'on a fait de l'exhérédation du conjoint une condition du mariage, il est vrai qu'il peut être contestable de modifier ultérieurement la convention conclue entre les époux, d'autant plus qu'au fur et à mesure que les époux avancent en âge, les pressions de l'un sur l'autre se manifestent davantage.

Inversement, il y aurait quelque contradiction à permettre aux époux de modifier l'ensemble de leur régime patrimonial, mais pas leurs décisions sur le plan successoral.

M. Dubié fait observer que, si l'on autorise les époux à revenir sur ce qu'ils ont convenu, les enfants du premier lit qui ont accepté le remariage de leur parent en raison de la renonciation du nouveau conjoint à ses droits successoraux se sentiront abusés.

M. Renchon répond que cette situation risque effectivement de susciter de graves conflits et des procédures judiciaires en annulation.

Le caractère irréversible des dispositions prises présente en tout cas l'avantage de la sécurité juridique.

La solution inverse répond davantage à la tendance actuelle du droit de la famille où l'on cherche à s'adapter à l'évolution des situations.

M. Mahoux estime qu'il faut se demander quelle solution protège le plus faible par rapport au plus fort. C'est le but poursuivi par le législateur de 1981, qui avait estimé que c'était le conjoint survivant ­ souvent la femme ­ qui risquait de se trouver dans une situation précaire.

De plus, le mariage est souvent contracté pour garantir les intérêts du conjoint survivant. Quel serait, dans bien des cas, l'intérêt d'encore contracter mariage, si ce conjoint pourrait être privé ainsi de ses droits ?

Enfin, rien n'empêche le conjoint survivant de renoncer ­ cette fois en toute connaissance de cause ­ à ses droits successoraux au moment où la succession s'ouvre.

M. de Clippele souligne que généralement les héritiers souhaitent avant tout une situation claire et non conflictuelle.

L'intervenant n'est dès lors pas favorable à une solution où des droits pourraient être aménagés en fonction de la durée du mariage ou de l'état de fortune du conjoint survivant.

De plus, on sait que l'essentiel du patrimoine des Belges est constitué de titres et de valeurs mobilières, sur lesquels les droits à la réserve ne jouent pas toujours pleinement, et sur lesquels portent souvent les discussions.

Il est donc souhaitable de disposer d'une législation qui ramène ce patrimoine dans la sphère de ce qui est vérifiable en droit, et par l'ensemble des héritiers.

L'intervenant est favorable à une solution claire faisant appel à des figures de droit connues.

Enfin, en ce qui concerne la réserve, les notaires se sont, lors d'un sondage, massivement prononcés en faveur de son maintien, parce que cela évite des captations d'héritage.

L'intervenant est lui aussi favorable au maintien de la réserve telle qu'elle existe actuellement.

M. Renchon fait observer que le conjoint survivant n'est pas nécessairement la partie la plus faible.

Tous les enjeux successoraux ne sont pas nécessairement de nature matérielle. Pour un certain nombre de personnes, la question est de savoir quelle place elles occupent dans la famille. La perception que la répartition n'est pas juste est un élément de perturbation sociale.

M. de Clippele pense que si l'on stipule dans le contrat de mariage que la réserve ne s'appliquera que sur le logement familial, le conjoint ne peut, par testament, disposer que de sa quotité disponible. Il ne peut plus réintégrer la réserve du conjoint survivant portant sur la moitié (ou, éventuellement, la totalité) de l'usufruit. Dans ce cas, les enfants auront une réserve en pleine propriété, sauf pour ce qui concerne le logement familial.

M. Renchon répond que c'est bien ainsi qu'il interprète le texte adopté par la Chambre, mais que cela ne ressort pas des travaux parlementaires.

Ce que l'on a voulu, c'est permettre que les époux se fassent des donations pendant le mariage.

M. de Clippele signale qu'il existe aussi une réserve des ascendants, mais que la loi actuelle permet de s'en dispenser en faveur du conjoint survivant.

Mme Nyssens se demande si, en cas d'adoption du texte à l'examen, il existerait un risque que la Cour d'arbitrage considère qu'il y a discrimination entre le premier et le deuxième conjoint survivant.

M. Renchon répond que ce qui lui paraît poser problème dans le texte de la Chambre, c'est le fait que l'on n'exige pas de réciprocité.

Cependant, le fait qu'il y ait des enfants d'une précédente union constitue déjà en soi une différence objective.

La loi actuelle prévoit d'ailleurs déjà une protection pour les enfants d'un précédent mariage, qui peuvent faire prendre en compte dans la succession des avantages consentis dans le cadre du régime matrimonial, alors que les enfants issus du mariage ne le peuvent pas. Personne n'a soulevé le caractère discriminatoire d'une telle distinction.

M. de Clippele fait observer qu'à l'heure actuelle, on peut déjà prévoir des clauses de partage inégal. À la Chambre, on semble avoir confondu réserve héréditaire et droits successoraux.

VI. AVIS DU CONSEIL D'ÉTAT

Voir le doc. Sénat, nº 2-1157/3.

VII. SUITE DE LA DISCUSSION DES ARTICLES

Le ministre se déclare globalement satisfait de l'avis du Conseil d'État.

Celui-ci a compris l'objectif sociologique du texte à l'examen.

L'idée même de modifier le régime de la réserve du conjoint survivant ne semble pas soulever d'objection majeure de la part du Conseil d'État.

La remarque essentielle du Conseil d'État porte sur la (non-)conformité du texte aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Il s'agit là d'un choix politique. Il y a par ailleurs une certaine logique à ce que l'on n'ait visé que les deuxièmes mariages, puisque c'est essentiellement dans ce cadre que le problème se pose, en cas de conflit avec les enfants d'un premier lit.

L'option consistant à viser également les premiers mariages est possible. Elle avait été discutée à la Chambre, où elle avait été rejetée.

Enfin, un argument souvent avancé à l'encontre du texte est que celui-ci va faire perdre au conjoint son droit à la réserve.

Or, à l'heure actuelle, à cause des conflits entre les enfants d'un premier lit et le second époux potentiel, un certain nombre de personnes renoncent à se marier, auquel cas elles n'ont droit à aucune réserve.

M. Mahoux répond que certains passent outre, et se marient quand même.

En ce qui concerne la discrimination éventuelle créée par le texte, il faut rappeler que tout traitement différencié n'est pas nécessairement discriminatoire, pour autant que la différence opérée soit objectivement justifiable.

Or, on ne voit pas ce qui, en l'espèce, peut justifier de façon objective la différence de traitement entre les premiers et les deuxièmes mariages.

En outre, sur le plan des principes, le projet à l'examen soulève la question de la liberté de chaque individu par rapport à ses choix de vie.

Le texte concerne en effet un « droit de suite » des enfants d'un premier lit par rapport aux décisions de vie de leurs parents.

Mme de T' Serclaes déclare retirer ses amendements nºs 8 et 9 au profit de son amendement nº 10, qui lui paraît le plus susceptible de rallier une majorité, parce qu'il vise à sauvegarder le droit d'usufruit du conjoint survivant sur le logement familial.

M. Vandenberghe estime que seule une discussion globale sur le champ d'application du projet à l'examen permettra de l'évaluer dans son ensemble. Le projet est très contestable. Il revient sur les grands acquis de la loi du 14 mai 1981 modifiant les droits successoraux du conjoint survivant, qui accordait des droits successoraux étendus, ab intestat et réservataires, au conjoint survivant sans faire de distinction entre le premier et le second mariage, hormis la correction portant sur la conversion d'usufruit (article 745quinquies, § 3, du Code civil). L'étendue des droits réservataires est effectivement un problème qui affecte parfois la relation entre le beau-père ou la belle-mère et les enfants d'un autre lit et qui peut conduire les intéressés à renoncer à se marier. Il n'est nulle part démontré que le problème a pris des proportions telles qu'il faille prévoir un régime spécifique. Ce problème requiert une vaste étude sociologique.

Toutefois, comme le projet permet de déshériter le conjoint qui a des enfants issus d'une relation antérieure, ainsi que le conjoint sans enfant issu d'une relation antérieure, avec ou sans réciprocité, et comme cette exhérédation peut intervenir tant avant que pendant le mariage, il apparaît que l'on crée pour les conjoints d'un second mariage des possibilités très vastes et variables de moduler la réserve à la carte. L'étendue des possibilités ainsi offertes contraste fortement avec l'absence totale de possibilités pour les conjoints du premier mariage ou les conjoints du second mariage sans enfant, qui peuvent également avoir des motifs valables et justifiés d'adapter la part réservataire. Se justifie-t-il dès lors encore, compte tenu de l'étendue des possibilités offertes dans le cadre du second mariage, que, par exemple, un conjoint du premier mariage qui possède un patrimoine très important, ne puisse en aucune manière limiter, d'un commun accord, les droits réservataires de son conjoint ?

Cette réglementation est discriminatoire non seulement par rapport aux enfants qui ne peuvent tirer profit de l'exhérédation du conjoint survivant parce qu'ils ne relèvent pas du régime envisagé de renonciation aux droits successoraux ­ comme le souligne le Conseil d'État ­ mais aussi par rapport au conjoint qui ne tombe pas sous l'application de la présente réglementation.

Même si un premier et un second mariage font naître des situations différentes, on est en droit de se demander si le seul fait qu'il s'agit d'un second mariage suffit à justifier que l'on réserve la mesure envisagée aux cas de remariage incluant des enfants d'une relation précédente et que l'on institue ainsi deux régimes successoraux du conjoint survivant dans le Code civil.

S'il est vrai qu'un premier et un second mariage conduisent à une situation de fait différente, cela ne signifie pas que les conjoints et les enfants issus d'un premier et d'un second mariage ne puissent pas se trouver dans une situation comparable, de sorte que l'absence de toute possibilité d'exhérédation ne s'appliquant qu'à une des catégories de conjoints et d'enfants peut constituer une violation des articles 10 et 11 de la Constitution.

Il ressort d'une étude du professeur Van Houtte et autres qu'une très grande majorité (81 %) des personnes interrogées sont opposées à ce que les conjoints cohabitants puissent se déshériter complètement (« De sociale betekenis van de erfrechtelijke reserve » dans KFBN, De erfrechtelijke reserve in vraag gesteld, II, Bruxelles 1997, p. 76). On ne peut toutefois en déduire que la population soit opposée à une réglementation qui serait convenue d'un commun accord par les conjoints et permettrait de moduler la réserve. Pourquoi, par exemple, des conjoints fortunés, sans enfants, convolant à un certain âge, ne pourraient-ils pas se prévaloir de la liberté contractuelle et se déshériter mutuellement d'un commun accord ? Un conjoint non fortuné ne donnera pas facilement son consentement pour un tel contrat.

On peut rouvrir la discussion par le biais d'un amendement qui, dans le respect du principe de l'égalité, supprimerait la condition d'enfants issus d'une relation antérieure. S'il devait apparaître que cette large proposition ne réunit pas de majorité, il conviendrait, eu égard au principe d'égalité, de déposer un amendement supprimant l'article 5.

Enfin, l'intervenant déclare qu'au cas où il s'avérerait impossible d'élargir le champ d'application, on pourrait, faisant suite à l'avis du Conseil d'État, envisager des amendements spécifiques. Dans un premier temps, on peut se baser sur les observations techniques formulées par le Conseil d'État aux points 1 et 2 de l'article 5 (p. 2). L'observation sous le nº 3 (p. 3) semble ne pas devoir être retenue. Étant donné que les conjoints peuvent également conclure un accord au cours du mariage, ils pourront aussi revenir sur la renonciation aux droits successoraux de la même manière qu'ils peuvent revenir aujourd'hui sur l'insertion d'une clause de résidence.

L'observation nº 4 du Conseil d'État à l'article 5 (p. 3) concernant les droits au logement familial peut également se traduire dans un amendement judicieux.

L'intervenant a l'impression qu'au cours des travaux parlementaires, un glissement s'est opéré d'un droit au logement à un droit d'usufruit. Comme le Conseil d'État l'a très justement fait remarquer, il y a lieu de le préciser clairement dans le texte pour éviter que des contestations ne surgissent dans la pratique. Si l'on vise un usufruit, il convient d'employer ce terme pour désigner le droit en question et il n'y a aucune raison de recourir au terme « utiliser ». Mais, il faut alors bien se rendre compte que toutes les règles en matière d'usufruit successoral, y compris le droit de conversion à la demande du conjoint survivant, seront applicables. L'usufruit implique également que le conjoint survivant n'est pas tenu d'habiter le logement et qu'il peut le louer.

Si par contre on ne vise pas un usufruit mais un droit d'habitation, il est tout aussi indiqué d'utiliser la terminologie exacte et de parler du droit d'habiter gratuitement l'immeuble et du droit d'utiliser gratuitement les meubles meublants qui le garnissent, en précisant qu'il y a dispense de caution, afin d'exclure les règles générales relatives aux conditions d'application de l'usufruit.

À la suite de ces observations, l'intervenant dépose les amendements suivants.

Amendement nº 14

M. Vandenberghe dépose un amendement (doc. Sénat, nº 2-1157/4, amendement nº 14), tendant, comme l'amendement nº 1, à supprimer l'article 5, mais fondé sur une autre justification, consécutive à l'avis du Conseil d'État.

L'amendement nº 1 est retiré au bénéfice de l'amendement nº 14.

Amendement nº 15

M. Vandenberghe dépose un amendement (doc. Sénat, nº 2-1157/4, amendement nº 15, subsidiaire à l'amendement nº 14), en vue de modifier l'article 5.

Amendement nº 13

Mme Nyssens estime qu'il faut au minimum adopter l'amendement nº 10.

L'intervenante dépose en outre un amendement (doc. Sénat, nº 2-1157/4, amendement nº 13), en vue de compléter l'alinéa proposé par les mots « aux conditions prévues à l'article 915bis, §§ 2 à 4 ».

Plus généralement, l'auteur déclare que, dans les pays voisins, le sujet fait l'objet de discussions et de réformes.

Elle renvoie aux propos du professeur Renchon au sujet de la réforme réalisée en France.

L'intervenante se dit également frappée par la réforme qui a eu lieu aux Pays-Bas, qui s'inspire d'une philosophie nouvelle.

Chaque législateur cherche à définir un équilibre nouveau entre la première et la deuxième famille, et comment l'on organise la solidarité intergénérationnelle dans les deux familles.

Certains systèmes optent pour un régime de solidarité partagée, et d'autres pour une philosophie beaucoup plus individualiste.

La notion de réserve est aussi remise en question.

En France, on semble plaider pour son maintien. Dans d'autres pays, on est prêt à reconsidérer son existence.

Il faut considérer le problème dans son ensemble, et joindre la question des successions à celle des libéralités faites durant la vie commune.

Le projet à l'examen est donc prématuré. Il ne concerne qu'un point précis, qui devrait être envisagé dans le cadre d'une réforme globale du droit patrimonial de la famille.

Cependant, compte tenu de la marge de manoeuvre restreinte dont dispose le Sénat en l'occurrence, l'intervenante se dit prête à soutenir l'amendement nº 10, moyennant l'adoption de son amendement nº 13 précité.

Mme Taelman déclare soutenir également l'amendement nº 10.

En ce qui concerne l'observation du Conseil d'État sur une possible violation des articles 10 et 11 de la Constitution, la Cour d'arbitrage est la seule à pouvoir juger s'il y a ou non discrimination.

Le Conseil d'État envisage explicitement une discrimination à l'égard des enfants du premier lit.

À cet égard, l'intervenante renvoie à une observation de Mme Casman, selon laquelle on ne peut parler de discrimination, car les enfants du premier lit hériteront de leur mère, et les enfants du deuxième lit de la leur.

À l'égard du père, les enfants sont mis sur un pied d'égalité.

Il ne faut pas oublier non plus qu'il s'agit ici du droit d'usufruit, dont les enfants du deuxième lit ne peuvent hériter.

L'argument de la discrimination ne paraît donc pas juridiquement pertinent, de sorte que l'intervenante et son groupe soutiendront le projet.

Amendement nº 12

Mme Nyssens dépose un amendement (doc. Sénat, nº 2-1157/4, amendement nº 12), pour répondre à la remarque du Conseil d'État, selon laquelle il y a lieu de se référer explicitement aux descendants des enfants adoptés avant le mariage.

Amendement nº 16

Mme Taelman dépose un amendement (doc. Sénat, nº 2-1157/4, amendement nº 16), tendant à modifier l'article 5, en vue de préciser que c'est au moment de la conclusion du contrat de mariage ou de l'acte modificatif qu'il doit y avoir des descendants.

En réponse à l'observation d'une précédente oratrice, selon laquelle la Cour d'arbitrage serait la seule à pouvoir juger de l'inconstitutionnalité du texte, M. Vandenberghe réplique que c'est le législateur qui est le premier juge de la constitutionnalité d'un projet ou d'une proposition de loi.

La Cour d'arbitrage n'intervient qu'à titre exceptionnel, lorsque le législateur a estimé, en dépit des observations du Conseil d'État ou d'autres, que l'objection d'inconstitutionnalité n'avait pas de sens.

Le ministre déclare que les termes dans lesquels le Conseil d'État formule son observation relative à une possible discrimination ne lui paraissent guère précis. Il ne s'agit que d'une possibilité. Du reste, toute disposition peut, en germe, être source de discrimination.

M. Vandenberghe renvoie au rapport de la commission de la Justice de la Chambre, où l'on peut lire, à propos du professeur Casman (doc. Chambre nº 50-1353/5, p. 20) :

« L'intervenante souscrit entièrement à l'observation du président concernant la discrimination, qui pourrait résulter de la limitation de la disposition proposée au cas où il y a concours avec des enfants issus d'un autre lit. Mme Casman renvoie à cet égard à la troisième option, proposée par la Fédération royale du notariat belge, qui apportait une solution à ce problème, mais à propos de laquelle les membres de la commission estimaient qu'elle allait trop loin. »

L'intervenant rappelle également sa précédente intervention, inspirée de l'étude sociologique du professeur Van Houtte de 1997, dont il résultait que la population n'était pas favorable à la modification envisagée.

VIII. VOTES

Les amendements nºs 1, 5 et 6 sont retirés.

Les amendements nºs 2 et 3 sont rejetés par 7 voix contre 3 et 3 abstentions.

L'amendement nº 4 est rejeté par 7 voix contre 4 et 2 abstentions.

L'amendement nº 7 est rejeté par 6 voix contre 3 et 4 abstentions.

Les amendements nºs 8 et 9 sont retirés.

L'amendement nº 10 est adopté par 10 voix et 3 abstentions.

L'amendement nº 11 est rejeté par 9 voix et 5 abstentions.

L'amendement nº 12 est adopté par 10 voix contre 1 et 3 abstentions.

L'amendement nº 13 est adopté par 8 voix et 6 abstentions.

L'amendement nº 14 est rejeté par 8 voix contre 2 et 2 abstentions.

L'amendement nº 15 est rejeté par 10 voix contre 3 et 1 abstention.

L'amendement nº 16 est adopté par 11 voix et 3 abstentions.

L'ensemble du projet de loi amendé est adopté par 8 voix contre 3 et 3 abstentions.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.

La rapporteuse, Le président,
Martine TAELMAN. Josy DUBIÉ.