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M. Philippe Monfils (MR). - Je suis heureux de rencontrer le ministre de l' Intérieur au Sénat, car si nous nous voyions dans une camionnette de police de la ville de Gand, il nous en coûterait 100 euros chacun.
En effet, la presse a relaté, voici quelques jours, l'initiative prise par cette ville de faire payer une somme de 100 euros à toute personne qui se fera embarquer dans une camionnette de la police locale.
Cette initiative m'étonne. Je ne perçois pas bien la base légale du « prix d'utilisation » réclamé et pas davantage la nature juridique du coût ainsi porté en compte à l'intéressé.
La police a évidemment l'obligation légale de rechercher et de poursuivre tous les contournements à la loi, ce qui implique qu'elle utilise à cette fin tous les moyens utiles ou nécessaires, lesquels sont normalement financés par l'impôt collectif. Pourquoi dès lors cette exigence financière préconisée par la ville de Gand ?
S'agit-il d'une redevance communale pour service rendu, alors que la personne concernée est embarquée « manu militari », c'est-à-dire contre son gré ?
S'agit-il d'une amende administrative ? Mais en ce cas, où est la base légale ?
Ou pire, s'agit-il, auquel cas la situation m'apparaîtrait assez inquiétante, d'une véritable amende judiciaire ?
S'il est exact que le coût d'embarquement ne sera réclamé qu'aux seules personnes qui seront, en fin de compte, condamnées pour contravention à la loi, il s'agirait effectivement alors d'une amende judiciaire, c'est-à-dire d'une peine qui ne peut être appliquée qu'en vertu d'une loi.
Et s'il s'agit de « frais de justice », ceux-ci ne peuvent être dus et réclamés que sur la base d'une décision judiciaire, selon un tarif lui aussi légalement fixé.
Je souhaiterais que le ministre précise dès lors quelle est la base légale et quelle est la nature juridique de la facturation envisagée par la ville de Gand. À moins qu'il ne s'agisse d'un bobard...
M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur. - Je remercie M. Monfils de cette question qui est un acte gratuit dans toute sa splendeur. Je sais que, respectueux comme il est des lois et règlements, même au volant d'une voiture, il ne court personnellement aucun risque, nulle part dans le pays, pas même à Gand. Ce n'est qu'ici, en vertu de son rôle de sénateur, qu'il malmène parfois la loi, mais pour la changer.
L'initiative prise par la ville de Gand de faire payer par le justiciable son embarquement dans un véhicule de la police locale correspond à la volonté de la ville de Gand de réprimer certaines nuisances. À l'origine, la taxe n'était imposée que pour le transport de personnes ivres. Depuis une récente modification du règlement communal, cette possibilité a été étendue à toutes les personnes qui sont arrêtées et transportées à bord d'un véhicule de police. Probablement la ville de Gand ne veut-elle pas faire payer l'ensemble de la population pour une charge qui résulte du comportement fautif de certains citoyens.
Juridiquement, il s'agit d'une taxe et non d'une rétribution. Cette dernière supposerait une demande ou l'accord du citoyen concerné, ce qui est invraisemblable dans ce contexte.
En principe, une administration communale a le droit de créer une taxe, comme le permet l'article 170, paragraphe 4, de la Constitution.
Un courrier m'apprend que le ministre flamand des Affaires intérieures estime que la perception d'une taxe à l'occasion du transport de personnes qui sont arrêtées est licite.
S'il s'agissait d'une indemnisation, j'émettrais des doutes quant à cette pratique.
En ce qui concerne les arrestations judiciaires, j'ai l'impression - mais le ministre de la Justice doit s'exprimer à ce sujet - qu'un tel transport d'une personne arrêtée judiciairement ne peut être réglementé que par l'autorité fédérale, à savoir le ministre de la Justice, dans le cadre de la réglementation des frais de justice.
En ce qui concerne les personnes arrêtées administrativement, une indemnisation analogue ne me semble pas possible. Le législateur s'est prononcé dans l'article 90 de la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré structuré à deux niveaux. Cet article dispose que le conseil communal ou le conseil de police peut arrêter un règlement relatif à la perception d'une rétribution pour des missions de police administrative de la police locale, selon les conditions et modalités fixées par le roi.
Le projet d'arrêté royal d'exécution de cet article, adopté par le gouvernement, ne prévoit pas de facturation pour ce genre de mission.
Personnellement, je suis très dubitatif en ce qui concerne cette pratique. Comme vous l'avez dit, l'imposition fédérale et communale, qui contribue au budget de fonctionnement de la police, me paraît déjà prendre en compte ce genre de mission, somme toute normale pour un service de police. On peut se poser d'autres questions, mais je ne prendrai que l'exemple suivant : quid si l'on se trouve en présence d'une arrestation inopportune, arbitraire ou que sais-je encore ? Il faut donc continuer à réfléchir à cette affaire.
M. Philippe Monfils (MR). - Je remercie le ministre de sa réponse « bien calibrée » juridiquement mais aussi très franche. Je crains, moi aussi, une certaine dérive. Je n'irai pas jusqu'à dire que pour se faire du fric, on embarquera n'importe qui à la sortie d'un match de football, mais la distance n'est pas grande entre, d'une part, l'arrestation administrative de quelqu'un qui, vraiment, a commis une série de faits et, d'autre part, le fait de mettre dans le panier à salade une vingtaine de personnes dont chacune aurait à payer 100 euros. Cela devient extrêmement dangereux. Ce n'est certainement pas moi qui vais aller parler de la privatisation des services publics dans le cadre des altermondialistes mais je tiens à dire qu'ici, on s'engage sur une pente qu'il ne faudrait pas continuer à descendre.
On peut se poser la question de savoir si un détenu qui serait transféré au tribunal aura à payer 100 euros parce que, par hasard, il se trouve dans une camionnette de police. On peut se poser toute une série de questions de ce type-là, qui sont évidemment inquiétantes pour le maintien du service public de la sécurité. Je remercie donc le ministre de l'Intérieur d'avoir fait état de son esprit dubitatif à l'égard de cette affaire. J'espère que l'on continuera à y réfléchir et que l'on veillera à ne pas développer davantage ce type de pratique que j'estime fondamentalement contraire à l'esprit de service public de la sécurité.