2-1256/5

2-1256/5

Sénat de Belgique

SESSION DE 2002-2003

28 JANVIER 2003


Proposition de loi modifiant la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR MME LEDUC


La commission de la Justice a examiné la proposition de loi en question au cours de ses réunions des 19 et 25 septembre 2002 et des 8, 15 et 28 janvier 2003.

Cette proposition de loi présente un lien de connexité étroit avec la proposition de loi interprétative de l'article 7, alinéa 1er, de la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire, qui a été déposée par M. Destexhe et consorts (doc. Sénat, nº 2-1255/1).

Dès lors que ces deux propositions de loi ont généralement été discutées ensemble, l'on peut aussi se référer au rapport sur l'autre proposition de loi (doc. Sénat, nº 1255/4).

Le 19 septembre 2002, le Président du Sénat a adressé au Conseil d'État une demande d'avis sur les deux propositions de loi.

Cet avis a été rendu (chambres réunies) le 16 décembre 1992 (doc. Sénat, nº 2-1256/3).

Au cours de la discussion et, plus précisément, au cours de la réunion du 22 janvier 2003, M. Mahoux et consorts ont déposé une note répondant aux observations du Conseil d'État. Cette note est jointe en annexe au présent rapport.

I. EXPOSÉ INTRODUCTIF PAR L'AUTEUR PRINCIPAL DE LA PROPOSITION

La proposition vise à adapter la loi du 16 juin 1993, dite loi de compétence universelle, aux évolutions récentes du droit international. Elle a pour origine la création de la Cour pénale internationale et la jurisprudence de la Cour internationale de justice en matière d'immunités internationales. Il s'agit bien de réaffirmer le principe de compétence universelle, en adaptant les qualifications à celles de la Cour internationale. La compétence universelle peut être exercée quelle que soit la localisation géographique des faits, des auteurs et des victimes.

L'auteur principal rappelle les grandes lignes de la proposition :

1) la problématique de l'immunité (article 4 de la proposition)

L'article 4 prévoit que l'immunité internationale attachée à la qualité officielle d'une personne n'empêche l'application de la présente loi que dans les limites établies par le droit international. Cette disposition permet d'aligner le droit belge sur le droit international et d'y intégrer automatiquement toute évolution du droit international. Cet article prend acte de l'arrêt rendu le 14 février 2002 par la Cour internationale de justice dans l'affaire Yerodia Ndombasi.

L'auteur principal souligne que les objectifs des propositions à l'examen ne visent pas qu'un cas particulier. Il ne s'agit en aucun cas de législations élaborées en fonction d'un cas particulier.

2) La problématique de la compétence universelle et des relations entre les tribunaux belges et la Cour pénale internationale (article 5 de la proposition).

L'auteur principal de la proposition se réfère à la création de la Cour pénale internationale (soutenue par la Belgique et plus particulièrement, par le Sénat) dont découle la nécessité de trouver une adéquation entre le travail et les compétences de cette Cour et les compétences des cours et tribunaux belges. Le système pourrait se baser sur la loi existante qui règle déjà la problématique du dessaisissement des tribunaux belges par rapport aux tribunaux internationaux (Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie de La Haye et Tribunal d'Arusha pour le Rwanda). Le système élaboré n'a pas posé de problèmes trop importants jusqu'à présent. De plus, la procédure semble transparente pour toutes les parties.

3) Le principe de la compétence universelle

La volonté des auteurs est claire; les considérations de territorialité ne sont pas des entraves à l'exercice de cette compétence universelle. Certaines exceptions de procédure sont toutefois prévues.

Les tribunaux belges sont compétents indépendamment du lieu où les infractions ont été commises et même si l'auteur présumé ne se trouve pas en Belgique. La procédure de droit commun est d'application et le responsable des poursuites sera donc le parquet. L'action publique ne pourra être engagée que sur réquisition du procureur fédéral lorsque les conditions suivantes sont remplies : l'infraction n'a pas été commise sur le territoire du Royaume, l'auteur présumé n'est pas Belge et ne se trouve pas sur le territoire du Royaume, et la victime n'est pas belge ou ne réside pas en Belgique depuis au moins un an. L'alinéa 3 du § 1er vise à maintenir la possibilité de se constituer partie civile dans une affaire n'ayant pas de rattachement avec la Belgique (ni faits, ni auteur, ni victime), dès lors que la Cour pénale internationale ne peut pas exercer sa compétence à l'égard des faits considérés (faits commis sur le territoire d'un État non partie au Statut de Rome et par un ressortissant d'un État non partie au Statut).

M. Mahoux fait enfin référence à la coopération avec le gouvernement et au large consensus qui s'est dégagé autour de ces propositions de loi. Le rôle du ministre en cas de dessaisissement de la juridiction belge devra probablement être revu.

II. POINT DE VUE DU MINISTRE

Le ministre confirme que plusieurs départements, à savoir la Justice et les Affaires étrangères et le premier ministre, ont effectivement prêté leur concours à l'élaboration de la présente proposition. Pour arriver à une solution pouvant recueillir un large consensus, il a aussi été tenu compte d'un rapport de juin 2002 de la commission interministérielle de droit humanitaire (organe consultatif du gouvernement en matière de droit humanitaire international).

L'adaptation de la loi sur les génocides, que vise à apporter la présente proposition de loi, est basée sur trois grandes tendances, qui justifient pleinement cette adaptation.

Il y a tout d'abord l'arrêt rendu dans l'affaire Yerodia Ndombasi qui portait sur la problématique de l'exécutabilité du mandat d'arrêt à l'égard d'un ressortissant jouissant d'une qualité particulière dans un autre pays. La décision s'est basée sur le droit coutumier international.

Ensuite, la proposition de loi tient compte de l'entrée en vigueur, le 1er juillet 2002, du statut de la Cour pénale internationale de La Haye.

Le troisième élément, enfin, est la signature du Deuxième Protocole relatif à la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé.

La proposition a été soumise pour avis au Conseil d'État. En attendant cet avis, le ministre peut cependant émettre déjà quelques réflexions.

C'est la première fois que l'on définit les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. Outre la clarté qui s'en trouve bien sûr améliorée, cela représente aussi un pas en avant par rapport à la loi de 1993. Les définitions sont basées sur une jurisprudence existante, mais aussi sur le droit international, notamment le droit coutumier international.

La deuxième modification importante figure à l'article 4 qui a trait à l'immunité internationale : elle tient donc compte de l'arrêt rendu le 14 février 2002 par la Cour internationale dans l'affaire Yerodia Ndombasi, cet arrêt constituant une véritable source de droit.

L'article 5 de la proposition de loi (article 7 proposé), qui reste un point névralgique, fournit un moyen permettant de lutter contre le shopping juridictionnel (« forum shopping »). Mais il faudrait aussi trouver une solution pour les pays qui n'ont pas encore reconnu la compétence de la Cour pénale internationale.

Le ministre s'arrête par ailleurs un instant sur l'entrée en vigueur de la présente loi. La date du 1er juillet 2002 est importante, car elle correspond au début de la compétence temporelle de la Cour pénale internationale qui, depuis lors, n'a fait que gagner en importance.

Le ministre souligne enfin que certains intérêts de la Belgique dans les échanges internationaux ont parfois été remis en cause. Le Parlement ne pourra pas éviter cette discussion. Il faudra procéder à une mise en balance des intérêts en jeu.

Le gouvernement continue en tout cas à soutenir la proposition à l'examen. (Voir également p. 27, B.)

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

M. Van Quickenborne estime que la proposition de loi perpétue le rôle précurseur traditionnel de la Belgique dans le domaine de la justice internationale. Une des conséquences de ce rôle précurseur de la Belgique a été l'adoption, en Allemagne, d'une loi reconnaissant la compétence universelle en tant que telle, même en l'absence de tout élément de rattachement avec l'Allemagne. La Belgique a donc servi d'exemple à l'Allemagne et une évolution similaire serait en cours en Espagne.

Un deuxième élément important est que l'on place la césure au 1er juillet 2002. On incite ainsi les pays à adhérer au statut de la Cour pénale internationale. On prévoit un mécanisme juridique différent pour les faits commis avant le 1er juillet 2002.

Le ministre fait référence au problème du shopping en matière de tribunaux. L'intervenant estime qu'il faut être prudent vis-à-vis de l'ajout d'un critère de rattachement. Il faut préserver autant que possible la compétence universelle. Il n'empêche qu'on pourrait prévoir, dans le cours de la procédure, la possibilité pour un juge d'instruction saisi d'une plainte, de s'adresser à la chambre du conseil en vue de vérifier si cette plainte n'est pas manifestement sans fondement (article 136bis et article 236 du Code d'instruction criminelle). En cas de doute, le juge d'instruction doit avoir la possibilité de soumettre l'affaire à la chambre du conseil.

Un troisième élément concerne la proposition de loi interprétative. Selon cette proposition, la présence de l'inculpé sur le territoire belge n'a jamais été une condition depuis 1993. La proposition de loi à l'examen dispose, en son article 5 (article 7, § 1er, proposé), que les juridictions belges sont compétentes pour connaître des infractions définies dans la loi, indépendamment du lieu où celles-ci auront été commises et même si l'auteur présumé ne se trouve pas en Belgique. Si on n'adoptait pas la proposition de loi interprétative, on supprimerait la condition en question et on rétablirait la compétence universelle in absentia. La suppression de cette condition serait alors applicable à tout procès et à toute instruction en cours.

Un autre élément concerne la possibilité qu'a le ministre de la Justice de renvoyer le dossier à la Cour pénale internationale. Le ministre peut en outre signaler les faits portés à sa connaissance à l'État sur le territoire duquel l'infraction a été commise. La remarque selon laquelle il faut se demander si le ministre de la Justice est bien la personne idéale pour ce faire et s'il ne serait pas préférable de s'adresser en la matière à la Cour de cassation, semble pertinente.

Un dernier élément concerne les immunités. Il est exact que l'on a tenu compte de l'arrêt de la Cour internationale du 14 février 2002. La définition de l'immunité est toutefois très dynamique et permet d'intégrer automatiquement l'évolution du droit international.

Mme Nyssens peut se rallier à une proposition qui inclut des critères de rattachement et un ordre de priorité des compétences (subsidiartité par rapport à la Cour internationale).

Il lui semble évident que les actes déja posés et le travail effectué dans certains dossiers depuis 1993 ne peuvent être annulés par une modification de la loi. Il faut être attentif au sort des victimes qui ont déjà déposé des plaintes et aux magistrats qui ont déjà effectué un travail important dans ces dossiers. Il faut donc bien veiller aux dispositions transitoires.

L'oratrice attire l'attention sur quelques points techniques.

La première remarque concerne la condition de résidence d'un an, prévue à l'article 5. Ce délai d'un an convient-il ? Qu'en est-il de l'étranger qui rentre en Belgique et qui demande le statut de réfugié politique. Peut-il invoquer le fait que la procédure n'est pas terminée, que la plainte n'est pas instruite, pour rester plus longtemps ? Il faut éviter que la demande de statut de réfugié devienne une possibilité pour faire ce shopping.

Une deuxième question qui se pose est de savoir si juridiquement, il est possible de limiter les possibilités de constitution de partie civile (voir article 7 proposé, § 1er, alinéa 2); la constitution de partie civile est en effet un droit fondamental.

La troisième question concerne le dessaisissement. Le rôle du ministre semble poser problème. Ne s'agit-il pas de mêler deux pouvoirs ?

La Cour pénale internationale est en général compétente pour certains crimes quand l'État d'origine n'est pas compétent. Le mécanisme de saisine proposé par l'article 7, § 2, est nouveau.

Le ministre déclare ne pas être particulièrement partisan d'une intervention du ministre de la Justice. La seule raison pour laquelle on attribue ce rôle au ministre de la Justice est qu'en droit international et en droit ayant une certaine connotation internationale, les autorités sont toujours représentées par le ministre de la Justice (et, dans certains cas, par le premier ministre).

En l'occurrence, on se trouve en présence de la compétence des tribunaux belges (par l'intermédiaire de la loi de 1993) et de la compétence de la Cour pénale internationale (Statut de Rome). Le principe « pacta sunt servanda » est également applicable en droit public et en droit international. Si on prévoit qu'une cour internationale supérieure est compétente, il faut également accepter ce principe.

Selon Mme Nyssens, l'argument de l'inconstitutionnalité des textes (article 13) est réfutable. Il y a, en effet, le statut de la Cour internationale de justice et il appartient au législateur de déterminer qui, exactement, est compétent.

L'intervenante espère par ailleurs que les délais de procédure devant la Cour internationale de justice ne seront pas trop longs; la procédure de dessaisissement doit être réglée de manière à ne pas ralentir les affaires.

Une dernière question concerne l'immunité. La proposition de loi n'institue-t-elle pas une différence de traitement entre les anciens ministres belges qui sont couverts par la Constitution (articles 103 et 125) et les ministres étrangers ? Quel système appliquera-t-on ? En quoi consiste précisément l'immunité ? L'article 4 fait référence au droit international. Le droit international règle-t-il également la situation des ministres qui ne sont plus en fonction ?

Le ministre répond que le droit international ne concerne que les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. Dans ces cas-là, le droit international prime l'application des articles de la Constitution belge. « Pacta sunt servanda ». Le droit international se situe au-dessus du droit national, même s'il s'agit de la Constitution.

M. Van Quickenborne demande s'il ne faut pas adapter la Constitution belge en ce qui concerne l'inviolabilité du Roi. Il ne serait pas possible de Lui accorder une inviolabilité éternelle.

Le ministre répond que l'on n'attribue aucune responsabilité au Roi. La discussion n'est donc pas liée au problème de l'inviolabilité. En outre, cet article n'a pas été déclaré soumis à révision.

Mme Nyssens renvoie à l'article 16 du statut de la Cour de justice internationale.

Cette disposition prévoit que le Conseil de sécurité des Nations unies peut estimer devoir geler des poursuites judiciaires pour des raisons de sécurité et de paix internationales. Dans ce cas, l'action publique par constitution de partie civile reste-t-elle possible ?

Une dernière question concerne la participation. Les articles 66 et 67 du Code pénal sont applicables. L'oratrice suppose que la notion de participation n'est pas modifiée par la proposition. En droit pénal, un lien direct entre la commission de l'infraction et l'auteur lui semble nécessaire. Ainsi, un lien indirect, tel que l'établissement d'une entreprise dans un pays où il y a violation du droit international, ne semble pas suffisant.

M. Mahoux estime que la thèse selon laquelle une personne ne peut être poursuivie comme coauteur ou complice que si l'auteur lui-même est poursuivi vide de toute sa substance le principe de la compétence universelle. Si l'on opte pour une compétence universelle, les entreprises doivent réfléchir à l'endroit où elles veulent s'établir et à la façon dont elles vont investir. On ne doit pas oublier qu'il s'agit ici d'infractions très graves, à savoir le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Il lui semble inacceptable de protéger des entreprises qui investissent dans de tels pays.

Pour ce qui est du délai en matière de résidence, le ministre répond qu'il est bien conscient que tout délai est d'une certaine façon arbitraire. Le fait d'opter pour un délai d'un an signifie qu'on ne vise que les gens résidant réellement en Belgique, et pas des gens qui ne sont ici que temporairement.

Une personne lésée peut bien entendu toujours se constituer partie civile, même si l'affaire est pendante à la Cour pénale internationale. En ce qui concerne la durée de la procédure, le ministre souligne qu'à l'heure actuelle, les délais semblent en principe être plus courts dans les cours internationales que pour les affaires graves ou les procès d'assises jugés dans les pays européens. Il est probablement plus facile pour les tribunaux internationaux d'obtenir l'assistance et le soutien de certains organes d'enquête, et même des parquets.

Pour ce qui est des chefs d'entreprise qui s'établissent dans des pays à réputation douteuse, M. Van Quickenborne estime qu'il faut réserver un traitement identique à tous les suspects, que leur participation ait été active ou passive. L'intervenant estime toutefois que la loi à l'examen n'a pas été conçue pour poursuivre sur-le-champ les entreprises qui investissent dans des pays frappés d'embargo ou qui se sont discrédités.

En outre, eu égard à la médiatisation actuelle, il y a lieu de faire aussi vite que possible la clarté sur toute plainte contre une entreprise ou un personnage politique qui est manifestement infondée et n'a rien à voir avec le génocide ou des crimes de guerre. Il convient de déterminer aussi vite que possible si la plainte en question est recevable ou non. L'intervenant renvoie aux articles 136bis et 236 du Code d'instruction criminelle qui permettent au juge d'instruction, par l'intermédiaire du procureur, de soumettre l'affaire sans délai à la chambre du conseil, pour vérifier si l'on peut ou non mettre l'affaire en état. Plutôt que d'exiger un lien déterminé, il faudrait peut-être envisager de renforcer les mesures procédurales afin de permettre à la justice d'apprécier dans un délai relativement court, si une affaire est manifestement infondée ou non.

Selon M. Destexhe, les remarques qui viennent d'être faites concernant les chefs d'entreprise ont apparemment été inspirées par la FEB. À première vue, les craintes des entreprises sont excessives. Les entreprises doivent prendre leurs responsabilités dans une certaine mesure, eu égard surtout à la gravité des infractions en question, et elles doivent apprécier les risques qu'elles peuvent courir. Ce ne sont là que les principes ordinaires régissant le monde des affaires.

Mme de T' Serclaes fait observer qu'il y a tout de même de nombreuses remarques techniques et qu'il faudra donc examiner l'avis du Conseil d'État de manière approfondie. Si l'on décide de modifier la loi de 1993, ce doit être pour la rendre plus claire et plus facilement applicable, et non l'inverse.

L'intervenante espère que le gouvernement et tous les départements concernés (qui ont apporté leur collaboration à la proposition) ont bien calculé les conséquences de pareille modification législative et ont bien mis en balance une loi de compétence universelle et les relations de la Belgique avec le reste du monde, au plan tant politique qu'économique. En effet, un débat comme celui que nous menons actuellement a également des prolongements sur la scène internationale. C'est d'ailleurs à cause de la justice belge qu'un certain nombre de plaintes déposées reçoivent une suite appropriée.

Plusieurs éléments doivent faire l'objet d'une discussion. Il y a tout d'abord le rôle du ministre de la Justice. Il convient de peser nettement le pour et le contre de son intervention. Il faut veiller à ce que le ministre de la Justice ne se retrouve pas dans une situation très délicate. Il ne semble pas sain que le pouvoir exécutif intervienne dans des procédures judiciaires.

Il faut ensuite que la loi définisse très clairement l'articulation des compétences de la Cour pénale internationale et de celles des tribunaux belges. Sans quoi, l'on risque d'être confronté à des procédures interminables portant sur des conflits de compétence.

Un autre élément concerne le fait que la nouvelle procédure, qui tient compte de la création de la Cour pénale internationale, ne pourra pas être appliquée aux personnes appelées à comparaître devant nos tribunaux, mais qui ne sont pas résidentes d'une partie contractante, ou lorsque les faits datent d'avant le 1er juillet 2002. Ces personnes seront justiciables en principe non pas de la nouvelle procédure, mais de celle prévue dans la loi de 1993 (article 7, § 1er, alinéa 3, proposé). On n'a pas prévu de prescription pour les infractions commises, ce qui fait que l'ancienne procédure pourra être invoquée à l'infini.

Une question suivante concerne les moyens mis à la disposition pour pouvoir appliquer réellement la compétence universelle. En effet, si quelqu'un dépose une plainte en Belgique, il faut également que les juges aient la possibilité d'y donner la suite qui s'impose.

Une dernière question porte sur la compatibilité de la proposition de loi et des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme en ce qui concerne le principe du procès équitable.

Le ministre souhaite répondre à la question concernant les moyens qui sont actuellement disponibles pour appliquer la loi de 1993.

Le noyau se trouve à Bruxelles, notamment un substitut du procureur du Roi spécialisé en la matière, qui est promu au parquet fédéral, tout en continuant, dans les compétences accordées à ce parquet fédéral, de faire la coordination et de mener l'action publique. Il y a également un juge d'instruction spécialisé et un noyau d'une dizaine d'enquêteurs spécialisés en la matière (dans la police fédérale de Bruxelles).

Cela paraît suffisant, aux yeux du ministre, pour pouvoir réserver aux plaintes la suite appropriée. Il est évident que la Cour pénale internationale demandera également une aide aux autorités nationales. Cela sera prévu dans les accords internationaux. En fonction du nombre d'affaires, on vérifiera à chaque fois quels sont les moyens nécessaires.

M. Destexhe estime qu'il ne faut pas que le travail que la justice belge a déjà fourni dans certains dossiers ne serve à rien. Il convient de trouver une solution.

M. Van Quickenborne est d'avis que les arguments invoqués à l'encontre de la proposition de loi interprétative ne sont pas fondés. L'intervenant précise que les doutes concernant la loi interprétative portent essentiellement sur la crainte que le pouvoir législatif puisse s'ingérer dans le travail du pouvoir judiciaire, étant donné que la Cour de cassation ne s'est pas encore prononcée. M. Van Quickenborne rappelle pourtant un certain nombre d'affaires, comme l'affaire Securitas et l'affaire des tueurs du Brabant, dans lesquelles le législateur est intervenu spécifiquement pour adapter le délai de prescription, afin d'éviter que certaines personnes ne soient mises en liberté. On a également recours au principe de la loi interprétative dans d'autres domaines; c'est ainsi que la loi du 12 mars 2000 sur les faillites a été modifiée parce que le législateur ne pouvait pas souscrire à un certain nombre de décisions judiciaires. De plus, il n'y a pas encore d'arrêt de la Cour de cassation, lequel pourrait donner lieu à des difficultés supplémentaires s'il s'avérait aller à l'encontre des intentions du législateur. L'intervenant renvoie enfin à l'article 84 de la Constitution, selon lequel il appartient au législateur de donner une interprétation authentique des lois.

Il n'y a du reste pas d'autre solution que celle d'une loi interprétative.

M. Mahoux déclare pouvoir marquer son accord en la matière. Les intentions du législateur de 1993 ne font aucun doute.

Mme de T' Serclaes souligne qu'il convient d'attendre l'avis du Conseil d'État. Lorsque celui-ci sera disponible, il sera encore temps de voir si on ne peut pas trouver une autre solution permettant de sauvegarder tous les actes posés. L'intervenante est convaincue que cela est possible sans loi interprétative.

M. Galand s'étonne de la crainte qu'éprouvent les chefs d'entreprise de faire éventuellement l'objet de poursuites pour cause de participation aux infractions commises. Il lui semble clair qu'on ne peut leur accorder de protection particulière.

Il s'inquiète ensuite de ce que les juridictions belges puissent être dessaisies de l'affaire.

L'intervenant souligne que la compétence de la Cour pénale internationale, conformément au statut de Rome, est complémentaire et subsidiaire à celle des juridictions nationales. Les tribunaux nationaux ont donc l'obligation de juger et s'ils peuvent se dessaisir en raison de compétence, ils ne peuvent eux-mêmes saisir la Cour internationale. La Cour pénale internationale apprécie elle-même sa saisine. Autre chose est l'organisation de la collaboration en faveur de la Cour pénale internationale, dans l'hypothèse où la Cour pénale est saisie. Au sein de l'Union européenne, il est important que la Belgique donne l'exemple. Cette marque de participation à l'effort d'une justice internationale peut devenir une caractéristique de l'Union européenne. Il s'agit aussi d'un facteur important de prévention (peur d'être jugé).

Enfin, ne faut-il pas ultérieurement envisager certaines modifications dans la Convention de Vienne du 18 avril 1961, concernant l'immunité des chefs d'État et des diplomates ?

IV. AVIS DU CONSEIL D'ÉTAT

Le 19 septembre 2002, le président du Sénat a adressé au Conseil d'État une demande d'avis sur les deux propositions de loi.

Cet avis a été rendu le 16 décembre 1992, en chambres réunies (doc. Sénat, nº 2-1256/3).

V. REPRISE DE LA DISCUSSION GÉNÉRALE, APRÈS L'AVIS DU CONSEIL D'ÉTAT

A. Observations des membres

Au cours des discussions, une note a été déposée par M. Mahoux et consorts, en réponse aux observations formulées par le Conseil d'État. Comme l'on fait souvent référence à cette note au cours de la discussion, elle sera publiée en annexe nº 1 au présent rapport.

Mme Nyssens se réjouit que les avis du Conseil d'État concernant les deux propositions de loi soient disponibles. Déjà dans l'avis relatif à la proposition de loi 2-1255, on constate que le législateur devra faire un choix politique entre une loi interprétative et une loi modificative. Diverses interprétations sont possibles.

L'intervenante est tout à fait d'accord avec l'idée qu'il faudra revoir le principe de la compétence universelle dans une perspective d'avenir, en vue de définir des critères de rattachement et de limiter quelque peu les ambitions. La question se pose toutefois de savoir ce que l'on va faire pour ce qui est du passé. Il est clair que le législateur doit également prendre ses responsabilités sur ce plan. On a en effet donné suite à des plaintes de victimes, par exemple dans le dossier du Rwanda. On peut dire que l'objectif du législateur était évident; en 1993, la présence de l'inculpé sur le territoire belge n'était pas requise. Il apparaît que les lois successives de 1993, de 1999 et de 2001 n'ont pas assuré une cohérence optimale à la loi de 1993 et aux articles 12 et 12bis. Il importe de dire clairement ce que l'on pense de la loi de 1993, à la lumière des modifications de 1999 et 2001. Le Conseil d'État estime que l'on ne peut plus jeter le même regard qu'avant sur la loi de 1993 depuis l'insertion de l'article 12bis en 2001. L'intervenante fait référence à l'interpellation qu'elle a adressée au ministre de la Justice en juillet 2001 et à l'occasion de laquelle elle lui remettait une demande écrite pour savoir si le choix politique fait en 2001 aurait une incidence sur la loi de 1993 et, plus précisément, sur le principe selon lequel la présence de l'inculpé sur le territoire n'était pas requise. Le ministre avait répondu que le choix fait en 2001 n'aurait aucune influence sur la loi de 1993.

L'avis du Conseil d'État dit que le contexte législatif de 2001 fait en sorte que l'interprétation donnée par la loi de 1993 ne peut plus être appliquée aux crimes et infractions visées par les conventions internationales, vu l'article 12bis. La seule porte ouverte serait une loi interprétative pour les crimes et les infractions qui ne sont pas visés par l'article 12bis (donc les crimes contre l'humanité et le génocide). L'oratrice estime qu'il n'est pas possible de faire une loi interprétative pour certains crimes de droit international et pas pour d'autres. Qu'en est-il pour les affaires pendantes ? Dans ces affaires sensibles est-ce que les infractions pour lesquelles les inculpés sont poursuivis, ressortissent au droit international ou pas ? Comment va-t-on sauver les dossiers pendants pour être cohérent avec la volonté du législateur de 1993, tout en respectant l'avis du Conseil d'État ? Il faut éviter de voter une loi interprétative qui ne serait pas considérée comme interprétative par la Cour de cassation et n'intervendrait que pour les affaires ultérieures. On serait alors au point de départ. L'oratrice se pose la question de savoir si, en droit pénal, on ne pourrait pas considérer l'intervention du législateur comme une loi de procédure, qui s'appliquerait sans contestation aux procès en cours et qui laisserait intact l'article 7 de la loi de 1993. Pourquoi ne change-t-on pas l'article 12 ? Le problème est alors de savoir ce qu'on fait de l'article 12bis.

À propos de l'article 12bis, l'oratrice renvoie à son interpellation et la réponse du ministre à ce sujet et plus particulièrement à la note jointe au rapport du projet de loi de 2001 sur les problèmes de la rétroactivité de la loi pénale et de la loi spéciale. Le ministre a clairement dit que la loi de 2001 ne change pas la loi de 1993. Il faut que ceci soit clair pour qu'une loi interprétative puisse être adoptée.

De plus, l'intervenante est d'avis qu'une loi spéciale peut déroger au droit général. La loi de 1993 relève du droit spécial. Les articles 12 et 12bis sont du droit général. Ne peut-on pas dire que ce droit général laisse intact le droit exceptionnel spécial de 1993 ? Le Conseil d'État est d'avis qu'on ne peut interpréter selon la loi de 1993, sans tenir compte de la loi de 2001.

M. Mahoux souligne que l'article 12bis n'a pas été fait en fonction de la loi de 1993, mais pour une tout autre raison, notamment appliquer les dispositions des conventions internationales et obliger la Belgique à respecter ses engagements internationaux.

Mme Nyssens estime qu'il faut quand même tenir compte de l'avis du Conseil d'État. Si l'on décide de voter une loi interprétative, il faut que l'on soit sûr que les cours et tribunaux la considéreront vraiment comme telle et qu'ils l'appliqueront aussi comme telle.

Les arguments avancés par la chambre des mises en accusation offrent une autre piste de réflexion. Elle a déclaré que la compétence n'est pas contestée, mais que les poursuites sont irrecevables. La loi de 1993 concerne uniquement une règle de compétence. La formulation initiale de la proposition de loi pourrait donner lieu à une interprétation qui limiterait la portée de la loi proposée à la seule compétence en tant que telle.

Mme Nyssens conclut qu'une succession de lois diverses n'est pas une chose très heureuse (1993, 1999 et 2001). Bien que l'intention du législateur de 1993 soit claire, les lois en question sont mal harmonisées entre elles et elles ont donné naissance à des interprétations divergentes. Le législateur doit, aujourd'hui, prendre ses responsabilités.

M. Mahoux souligne qu'il n'y a aucun doute sur les intentions du législateur de 1993. S'il y a quelque confusion, c'est sans doute parce que le législateur de 1993 a dit que l'article 12 devait être modifié. Or, il s'avère que cela n'est pas nécessaire (voir la loi spéciale). Bref, le problème est purement technique et l'on ne saurait en tirer prétexte pour remettre en question la compétence universelle.

Mme Nyssens fait référence à l'avis du Conseil d'État.

L'avis note qu'une loi particulière peut déroger au droit général, à condition que ce soit de manière expresse.

Force est en tout cas de reconnaître que le droit actuel donne lieu à des conclusions diverses. D'un point de vue juridique, il faut faire preuve d'une grande prudence pour répondre aux arguments du Conseil d'État.

M. Mahoux estime que les propositions à l'examen comportent non seulement une dimension juridique, mais également une dimension politique. La dimension politique concerne le principe de la compétence universelle en général et pas des cas particuliers. Cette dimension, en 1993 et maintenant, est tout à fait claire et générale, et vise à empêcher l'impunité pour des incriminations bien précises.

Il est d'ailleurs très étrange de constater qu'on a attendu jusqu'à maintenant pour formuler toute une série d'observations, alors que la loi existe depuis 1993.

La proposition de loi à l'examen vise à confirmer cette compétence universelle. La volonté que cette compétence universelle soit une réalité se confirme dans la législation belge, et parallèlement, dans le soutien de la création de la Cour internationale.

D'autre part, il est clair qu'il faut tenir compte de l'avis du Conseil d'État.

Cet avis donne lieu à des interprétations divergentes.

Le Conseil d'État ne conteste pas la légitimité de déposer une proposition de loi interprétative. Il souligne que l'article 12bis serait en contradiction avec la loi de 1993. L'orateur réplique que la loi de 1993 peut être considérée comme une loi spéciale et n'est donc pas en contradiction avec les articles 12 et 12bis. La loi spéciale prime sur le droit commun et doit s'appliquer dans le cadre des incriminations déterminées.

Comment résoudre ce problème ? Selon l'orateur, il faut clairement réaffirmer l'interprétation de la loi de 1993 et confirmer l'intention du législateur de 1993. La compétence universelle, pour les incriminations prévues en 1993, est une réalité, quels que soient les autres textes.

Cette démarche politique est inévitable.

L'observation selon laquelle la loi interprétative doit préciser que ce qui est visé, ce n'est pas uniquement la compétence, mais aussi la recevabilité, est une observation fondée.

M. Monfils estime que la proposition de loi comporte deux volets. Il y a un volet politique et un volet juridique. Sur le plan politique, le débat parlementaire a été alimenté par une série d'affaires dont la justice a été saisie. C'est ainsi que se pose le problème urgent concernant la sauvegarde des devoirs d'instruction qui ont déjà été accomplis dans le dossier de l'assassinat des 10 paras au Rwanda. Il faut examiner s'il n'y a pas d'autre solution que le vote d'une loi interprétative pour assurer la sauvegarde de ces actes d'instruction. Il sera en tout cas nécessaire, dans une perspective d'avenir, de modifier les articles 12 et 12bis, comme le Conseil d'État l'a lui aussi confirmé. S'agissant de la proposition de loi modifiant la loi de 1993, l'intervenant s'interroge à propos du rôle du ministre de la Justice en cas de renvoi devant la Cour pénale internationale. L'on peut se poser à cet égard des questions sur le respect du principe de la séparation des pouvoirs. La problématique des critères de rattachement requiert elle aussi un débat.

En ce qui concerne la loi interprétative, l'intervenant renvoie à l'avis du Conseil d'État qui a déclaré qu'il existe effectivement des lois interprétatives mais que de telles lois doivent rester l'exception.

Le Conseil note également qu'une telle loi n'a pas pour objet d'ajouter des règles nouvelles à l'ordonnancement juridique existant.

De plus, il se pose le problème de l'intervention du législateur, qui peut avoir une incidence sur les procès en cours.

Enfin, la Cour de cassation pourrait considérer qu'il s'agit d'un loi modificative, et non d'une loi interprétative.

Dans ce cas, la loi en projet ne sera pas applicable pour le passé et l'on se retrouvera dans une situation d'insécurité juridique.

La réponse du ministre de la Justice à une question écrite de Mme Nyssens n'est pas non plus un véritable argument. Ce n'est en effet qu'une réponse, et le but n'était donc pas d'interpréter la loi.

L'intervenant reconnaît l'existence de divergences dans la doctrine et la jurisprudence concernant la loi de 1993. Il convient toutefois d'éviter que la loi interprétative vise aussi les articles 12 et 12bis. Il est tout à fait exclu qu'elle puisse les viser. En 1999 et en 2001, la loi de 1993 était en effet déjà connue.

L'intervenant conclut qu'il faut plutôt envisager de voter une loi modificative. Il importe à cet égard de garder à l'esprit la nécessité de sauvegarder les devoirs d'enquête qui ont été accomplis. Il convient en outre de réfléchir à l'article 12bis et à la nécessité de définir des critères de rattachement. Il y a actuellement deux procédures différentes pour des délits pourtant parfaitement comparables.

M. Destexhe se réjouit que tous les commissaires soient conscients de la nécessité de sauvegarder les devoirs d'enquête qui ont déjà été accomplis dans les affaires en cours. Il estime cependant qu'il n'y a pas d'autre solution juridique que celle qui consiste à voter une loi interprétative. Il n'en reste pas moins disposé à débattre d'autres suggestions éventuelles.

L'intervenant souligne que les auteurs de la proposition ont l'intention non seulement de conserver les actes d'instruction déjà effectués, mais aussi de donner à la Belgique un rôle précurseur dans le cadre de la lutte contre l'impunité en cas de génocide et de crimes contre l'humanité. Dans le cadre des dossiers Rwanda et Chili, il est d'ailleurs clair que l'intervention de la justice belge a été soutenue par les victimes.

M. Destexhe se réjouit aussi que la démarche visant à prendre une loi interprétative ait reçu l'aval du Conseil d'État, même si celui-ci eût préféré une autre solution.

L'orateur confirme qu'on est confronté à un véritable « magma » juridique.

Il est exact que les interprétations des éminents juristes divergent. C'est dû à la multiplication des lois à laquelle on est confronté. Une coordination normative ne serait pas un luxe. D'autre part, aucun problème n'a été signalé à l'occasion des travaux préparatoires de 2001 et la réponse du ministre de la Justice à la question de Mme Nyssens était très claire.

M. Destexhe en revient ainsi à la philosophie de la proposition de loi interprétative, qui est de rétablir clarté, simplicité et cohérence par rapport à l'intention initiale du législateur. Cette intention est extrêmement claire et n'a pas été contestée par des faits probants. Le problème juridique réel ne remonte pas à 1993, mais à 2001, au moment où Me Hirsch, dans l'affaire Sharon, a soulevé ce point de droit. Avant, ce point n'avait jamais été soulevé, ni par le Parlement, ni par les autorités judiciaires qui avaient dû appliquer la loi de compétence universelle (par exemple ni par la Cour de cassation quand elle a accepté le désaissement de la Belgique dans l'affaire Rwanda, ni dans l'affaire Pinochet, ni dans les actes d'instruction commis contre les assassins des paras belges au Rwanda).

En ce qui concerne la proposition de loi modificative, l'orateur trouve les arguments du Conseil d'État pertinents. Des amendements pourront être déposés à ce sujet.

L'intervenant ne peut se départir de l'impression que l'on se sert de l'argumentation juridique pour remettre en question le principe de la compétence universelle. En effet, il y a eu une opposition politique intense après le vote de la loi sur le génocide. Il y a aussi une opposition au sein de la magistrature où des dossiers ont été bloqués. Ce mouvement d'opposition montre de nouveau le bout du nez.

M. Van Quickenborne souligne l'importance de la discussion qui est menée. Non seulement l'opinion publique attend un résultat, mais la justice manifestement aussi. La Cour de cassation a cassé l'arrêt de la chambre des mises en accusation dans l'affaire Yerodia et renvoyé l'affaire devant une autre chambre des mises en accusation et l'affaire Shabra a été reportée sine die. Cela montre que l'on préfère laisser au législateur le soin de trancher la question.

L'intervenant renvoie à l'avis du Conseil d'État, qui est positif sur certains points, mais qui laisse une marge d'interprétation sur d'autres points. Il est positif en ce qu'il dit clairement que ce que la chambre des mises en accusation a affirmé est contraire à l'opinion majoritaire prévalant dans la jurisprudence et dans la doctrine. En outre, il indique également que toutes les conditions sont remplies pour une proposition de loi interprétative. Le Conseil d'État ne s'oppose pas à une loi interprétative et n'affirme nulle part que la proposition de loi serait inconstitutionnelle ou contraire aux conventions internationales. Par ailleurs, l'avis est quelque peu singulier, dans la mesure où le Conseil d'État dit qu'une interprétation différente est possible. Soit on estime, comme la jurisprudence et la doctrine majoritaires et comme le ministre de la Justice dans sa réponse, que la loi de 1993 est une loi totalement autonome et, en d'autres termes, qu'elle est indépendante de toutes autres dispositions en la matière soit on estime, comme la chambre des mises en accusation, que la loi de 1993 ne dispose que d'une autonomie limitée.

Si on adopte ce dernier point de vue, l'article 12bis prime sur la loi de 1993 pour certaines infractions. Le Conseil d'État affirme que l'article 12bis prévaut en cas de génocide et en cas de crimes de guerre ayant un caractère international. Bien que le Conseil d'État reconnaisse que le législateur peut faire un choix ­ qui est donc de nature politique ­ entre ces deux interprétations, ce même Conseil se base sur la deuxième interprétation lorsqu'il s'agit d'apprécier l'article 12bis. Cette attitude n'est pas très conséquente. L'intervenant estime que cette interprétation du Conseil d'État est erronée, car ni la convention réprimant le génocide, ni le premier protocole additionnel relatif aux crimes de guerre ayant un caractère international n'obligeraient la Belgique à porter l'affaire devant le juge en vue des poursuites. Cette interprétation est en outre dangereuse, parce qu'elle pourrait avoir pour conséquence que les auteurs belges de génocides et de crimes de guerre soient exempts de poursuites, tant qu'ils se trouvent sur le territoire d'un autre pays. On créerait ainsi une sorte d'impunité, pour les auteurs belges également.

On pourrait résoudre le problème en remplaçant les mots « s'appliquant » par les mots « permettant des poursuites ». On préciserait ainsi que l'absence d'auteur présumé ne saurait influencer la compétence, ni la recevabilité de l'action publique (voir également l'amendement nº 1 de Mme Nyssens, doc. Sénat, nº 2-1255/3).

L'intervenant pense que le raisonnement de plusieurs orateurs qui s'opposent à la loi interprétative, cache des raisons plus profondes. La compétence universelle et la Cour pénale internationale sont liées. L'intervenant renvoie au texte de M. Henri Kissinger, « The pittfalls of Universal Jurisdiction ». En adoptant la loi sur le génocide, notre pays a amorcé l'installation de la Cour pénale internationale. La compétence universelle et la Cour internationale procèdent en effet de l'idée que certains crimes ont un impact tel sur l'humanité qu'ils ne peuvent rester impunis. En vidant la loi sur le génocide de sa substance, on s'oppose en réalité également à la compétence universelle.

L'intervenant estime que les deux propositions de loi sont une reprise équilibrée et neutre de la jurisprudence internationale. Leurs auteurs souhaitent adapter la loi sur le génocide dans le respect de l'ordre international. Il renvoie aux dispositions relatives à l'immunité. Les auteurs ne retiennent donc pas uniquement de la jurisprudence internationale ce qui leur convient.

M. Monfils ne croit pas que ce serait utile que la Belgique soit le gendarme juridictionnel du monde (absence de tout critère de rattachement). Par contre, il est tout à fait favorable à l'installation et au développement d'une Cour pénale internationale.

Mme Nyssens estime qu'il faut veiller à ce que la modification de la loi de 1993 ne porte pas atteinte aux compétences de la Cour pénale internationale qui sera, à terme, la solution pour les affaires à caractère international.

M. Dubié attire l'attention sur le fait que Mme Del Ponte, procureur général de la Cour pénale internationale, a accueilli avec enthousiasme la loi belge relative à la compétence universelle.

M. Destexhe précise qu'il ne veut pas non plus que la Belgique soit le gendarme juridictionnel du monde. Il veut uniquement que la Belgique soit le pionnier en matière de justice internationale.

L'orateur ne s'oppose pas aux critères de rattachement, en ce qui concerne les victimes (victime directe résidant en Belgique, soit Belge, soit réfugié politique); il faut en effet trouver un moyen de limiter les plaintes devant la justice belge. Il faut peut-être aussi prévoir un système de classement des plaintes.

M. Mahoux rappelle le principe de la séparation des pouvoirs. Le déroulement des procédures est l'affaire du pouvoir judiciaire.

En ce qui concerne le développement de la Cour pénale internationale, l'intervenant souligne que tous les pays n'y sont pas favorables (voir notamment la Roumanie). Il considère qu'il convient en tout cas de poursuivre sur la voie de la compétence universelle, qu'il faut tenter de convaincre les pays de l'Union européenne d'inscrire ce principe dans leur législation et qu'il faut s'efforcer, dans le même temps, de renforcer l'efficacité de la Cour pénale internationale, de lui donner davantage de moyens et d'inciter un plus grand nombre de pays à adhérer à son statut.

M. Monfils souhaite approfondir deux points concrets.

Le premier point concerne la rétroactivité de la loi interprétative. L'intervenant renvoie à un arrêt de la Cour d'arbitrage du 19 décembre 2002, qui traite d'une loi interprétative, qui est en fait une loi à effet rétroactif, à propos d'un décret interprétatif de la Communauté flamande en matière d'enseignement.

« ... la non-rétroactivité des lois est une garantie ayant pour but de préserver la sécurité juridique. Cette garantie exige que le contenu du droit soit prévisible et accessible, de sorte que chacun puisse prévoir, à un degré raisonnable, les conséquences d'un acte déterminé au moment où cet acte se réalise. Cette garantie ne pourrait être éludée par le seul fait qu'une loi ayant un effet rétroactif, serait présentée comme une loi interprétative. La Cour ne pourra donc se dispenser d'examiner si une loi qualifiée d'interprétative est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Abstraction faite du droit répressif, l'effet rétroactif qui s'attache à une disposition législative interprétative est justifié lorsque la disposition interprétée ne pouvait dès l'origine être raisonnablement comprise autrement que de la manière indiquée dans la disposition interprétative ... »

Selon l'intervenant, les mots « abstraction faite du droit répressif » impliquent que la Cour d'arbitrage exclut une loi interprétative en matière pénale. La poursuite des criminels, visée par la loi de 1993, se situe bien entendu dans ce droit répressif.

La Cour continue ainsi : « Si tel n'est pas le cas, la disposition dite interprétative est en réalité une disposition rétroactive pure et simple; par conséquent, sa rétroactivité ne peut se justifier que lorsqu'elle est indispensable pour réaliser un objectif d'interêt général, tel que le bon fonctionnement ou la continuité du service public. S'il s'avère que la rétroactivité a en outre pour effet d'influencer dans un sens déterminé, l'issue de procédures judiciaires, ou d'empêcher les juridictions de se prononcer sur une question de droit dont elles ont été saisies, la nature du principe en cause exige que des circonstances exceptionnelles justifient cette intervention du législateur qui porte atteinte, au détriment d'une catégorie de citoyens, aux garanties juridictionnelles offertes à tous. »

Sur la base de cette disposition, la Cour d'arbitrage a annulé le décret de la Communauté flamande.

L'intervenant en tire les conclusions suivantes.

La première est que la Cour d'arbitrage pourrait annuler la loi interprétative, sur la base des effets rétroactifs. Ceci porterait atteinte à la sécurité juridique.

La deuxième conclusion est qu'une loi interprétative ne peut être votée en matière répressive.

La troisième conclusion est que la loi interprétative mettrait en cause les garanties juridictionnelles offertes aux citoyens, dans la mesure où des procédures sont en cours.

La deuxième remarque concerne les motivations des auteurs de la loi interprétative, par rapport au maintien des actes d'instruction déja posés sur la base de la loi de 1993.

Il est clair que les statuts du Tribunal international pour le Rwanda ont été intégrés dans le droit belge (1994 -1996) et que le droit international prime le droit national. L'article 8 prévoit que le Tribunal international pour le Rwanda et les juridictions nationales sont concurremment compétents pour juger les personnes présumées responsables en cette matière. Le Tribunal international peut se saisir, dans certaines circonstances, et demander à un certain moment officiellement aux tribunaux nationaux d'être dessaisi.

Vu la primauté du droit international sur le droit national, la compétence concurrente et le fait qu'aucune disposition des statuts du Tribunal international ne prévoit la nécessité que le prévenu soit trouvé sur le territoire national, les actes d'instruction déjà posés peuvent être continués sur ces bases. Une loi interprétative de l'article 7 ne s'avère pas nécessaire.

Mme Nyssens demande si les conventions internationales prévoient la nécessité de présence de l'inculpé sur le territoire. L'article 12bis renvoie uniquement au droit conventionnel et ne dit rien sur cette présence. La question se pose de savoir si la présence de l'inculpé est un critère classique du droit international.

M. Van Quickenborne n'est pas d'accord avec l'affirmation selon laquelle une loi interprétative en matière pénale serait exclue.

L'intervenant se réfère à l'article 84 de la Constitution, qui prévoit que seul le législateur est habilité à interpréter les lois par voie d'autorité. Le constituant craignait en effet que le pouvoir exécutif n'interprète pas les lois de manière autonome.

Par ailleurs, l'article 7 du Code judiciaire dispose que les juges sont tenus de se conformer aux lois interprétatives dans toutes les affaires où le point de droit n'est pas définitivement jugé au moment où ces lois deviennent obligatoires.

L'orateur cite l'exemple d'un arrêt rendu le 4 novembre 1996 par la Cour de cassation, qui avait été saisie d'un pourvoi contre un arrêt de la cour du travail de Liège du 10 novembre 1995. Une loi interprétative est intervenue le 19 juillet 1996 (et entrée en vigueur le 30 juillet 1996) et la Cour ne s'est prononcée que le 4 novembre 1996. Voilà un exemple de loi interprétative intervenant durant la procédure.

Dans le passé, on trouve d'ailleurs cinq exemples de lois interprétatives en matière pénale, à savoir la loi du 31 mars 1984 portant interprétation de l'article 139 du Code pénal, la loi du 31 mars 1841 portant interprétation de la loi du 24 mars 1838 relative aux ventes à l'encan, la loi du 27 mars 1853 portant interprétation de l'article 18 de la loi du 12 mars 1818 sur l'art de guérir, l'arrêté-loi du 17 décembre 1942 complétant et modifiant les articles 113, 117, 118bis et 121bis du Code pénal et la loi du 20 juin 1947 concernant les crimes de guerre.

L'intervenant évoque également l'avis du Conseil d'État, lequel renvoie à la définition de la loi interprétative par la Cour d'arbitrage et affirme qu'une telle loi interprétative ne soulève aucune objection en l'espèce. Il s'agit donc uniquement d'opter pour l'interprétation entre deux possibilités (voir supra). La loi de 1993 est-elle une loi autonome ou l'article 12bis l'emporte-t-il ? Il importe de clarifier la situation à ce propos.

M. Dubié renvoie à l'avis du Conseil d'État, où J. Velu est cité : « Il n'est pas contestable que l'interprétation authentique d'une loi se justifie lorsque, malgré l'intervention de la Cour de cassation, les divergences existant au sein du pouvoir judiciaire quant à l'intreprétation d'une loi créent une insécurité juridique qui porte atteinte tant à l'interêt général qu'aux interêts des justiciables, ou lorsque, en l'absence de divergences au sein du pouvoir judiciaire quant à l'interprétation d'une loi, le pouvoir législatif considère que l'interprétation donnée par les cours et tribunaux s'écarte du sens et de la portée qui, selon lui, doivent être reconnus à cette loi. »

M. Monfils estime qu'il faut éviter de citer des passages de l'avis du Conseil d'État hors contexte, car cela en donne une image déformée. L'avis du Conseil d'État est nuancé. L'intervenant renvoie surtout à l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 19 décembre 2002 (voir supra), qui ne peut être ignoré.

M. Mahoux tient à souligner que la proposition de loi n'a pas pour but de solutionner une affaire déterminée.

Il s'agit d'une démarche d'ordre général en vue d'avoir une compétence universelle, qui est un moyen (parmi d'autres) de lutter contre l'impunité par rapport à des incriminations spécifiques. L'orateur admet qu'il est nécessaire d'examiner l'avis du Conseil d'État et la jurisprudence et la doctrine dans leur totalité. Il ne convient pas d'être sélectif. Toutefois, il lui semble que l'avis du Conseil d'État n'est pas fort impératif. Il parle de « préférence » d'un système par rapport à un autre.

D'autre part, l'intervenant ne voit pas en quoi la loi interprétative peut être rétroactive par rapport aux affaires initiées et pourrait annihiler les actes posés.

L'orateur répète qu'à partir de 1993, plus aucune question n'a été posée, pas plus que la moindre objection n'a été faite, à propos de l'accomplissement d'actes d'instruction. Seules l'affaire Yerodia et l'affaire Sharon ont mis le problème en évidence. Aucun problème n'a été soulevé à propos des 25 autres affaires. Il serait inadmissible que tous ces actes d'instruction deviennent caducs. L'orateur n'aperçoit pas d'autre possibilité qu'une loi interprétative.

Mme Nyssens se réfère à la citation de M. Velu, avancée par M. Dubié. Elle suscite chez elle un certain embarras, puisqu'il n'y a pas d'arrêt en l'espèce malgré l'intervention de la Cour de cassation. Il s'agit ici d'un choix politique à faire par le législateur sur le point d'intervenir par voie de loi interprétative ou d'une autre manière, sans que la Cour de cassation n'ait statué. Le législateur pourrait tout autant attendre que la Cour ait statué.

L'oratrice se rend compte que l'inaction du législateur pourrait conduire à la nullité des actes d'instruction déjà accomplis. De toute évidence, cela serait inadmissible.

L'oratrice a tenté de trouver une solution autre qu'une loi interprétative. Elle se réfère à son amendement nº 3 (doc. Sénat, nº 2-1256/3) proposant de compléter l'article 12 du Code d'instruction criminelle. Étant donné qu'il est généralement admis qu'une loi relative à la procédure pénale est d'application immédiate, la proposition ainsi amendée serait applicable aux procédures pendantes.

M. Monfils peut se rallier à ce point de vue. Une loi interprétative ne s'impose pas, puisqu'une loi de procédure est d'application immédiate, même aux procédures en cours (arrêt de la Cour de Cassation du 5 juin 1950). Il se présente cependant un problème si, par exemple, certains actes d'instruction ont été accomplis en l'absence de tout lien avec la Belgique, alors que la loi modificative prescrirait de tels liens de rattachement.

Sur ce dernier point, M. Dallemagne note que la discussion relative aux liens de rattachement indispensables doit encore avoir lieu. Il est important de trouver rapidement une solution pour les procédures pendantes, ce qui facilitera également les discussions à propos d'une loi modificative. Sur ce point, l'orateur estime qu'il ne faut pas trop surcharger les tribunaux avec des plaintes de tout genre.

M. Monfils déplore que la note de M. Mahoux et consorts sur la présente proposition de loi, ainsi que la note de M. Destexhe et consorts sur la proposition de loi interprétative de la loi de 1993, notes qui visent à rencontrer les arguments du Conseil d'État, n'aient pas été remises en temps utile à tous les membres de la commission (voir annexe 1). L'orateur voudrait se voir accorder le temps nécessaire pour pouvoir examiner ces notes et formuler une réponse (cette réponse sera finalement formulée ultérieurement et figure en annexe au présent rapport, cf. annexe 2).

M. Mahoux répond que sa note ne fait que traduire dans un texte écrit les arguments avancés au cours de la discussion générale.

L'orateur insiste qu'il existe une volonté politique pour que les propositions de loi soient approuvées dans le plus bref délai.

M. Vandenberghe est d'avis qu'une fois de plus, un sujet fort important ne fait pas l'objet d'une discussion sérieuse.

La presse a déjà exposé dans tous les détails quelle serait la solution adoptée et quels amendements seraient déposés.

Pour tous les problèmes importants, la majorité se réunit manifestement en vase clos. Qu'en est-il de la culture du débat ouvert ? Dans une démocratie parlementaire, un débat ouvert et honnête doit être possible.

La majorité actuelle énerve la conception libérale classique du fonctionnement de l'État de droit.

Une loi doit être formulée correctement et être prévisible dans son application. La majorité actuelle ne cesse de trahir cette conception de base.

La compétence universelle constitue un problème très important et difficile. Deux approches sont possibles dans ce domaine :

­ soit on intervient comme law-maker et l'on sert les principes de l'État de droit;

­ soit on va « idéologiser » et politiser toute discussion importante sur des problèmes juridiques.

Cette dernière option est fort dangereuse en matière pénale.

Il faut se montrer disposé à mettre sur table tous les problèmes juridiques et à statuer à leur sujet.

La scission de la discussion, sur la loi interprétative d'une part, sur les adaptations indispensables à la loi sur le génocide même, d'autre part, est une opération théorique dénuée de sens.

En effet, la demande d'une loi interprétative et celle de l'adaptation de la législation de base présentent une connexité. Cette connexité ressort clairement du caractère des avis du Conseil d'État. Le Conseil d'État a émis deux avis d'une très haute qualité juridique, qui définissent les problèmes de manière claire et nette.

Le Conseil d'État énonce qu'en 1993, une loi sur la compétence universelle a été adoptée.

La question se pose de savoir si une telle compétence est conciliable à tous égards avec les normes supérieures du droit international.

« Le Conseil d'État estime néanmoins devoir signaler que des contestations sont pendantes quant à savoir si la compétence universelle et, en particulier, la compétence universelle « par défaut », est conciliable à tous égards avec les normes supérieures du droit international.

Ainsi, dans l'affaire Congo contre Belgique, la question de la compétence universelle des juridictions belges a été initialement contestée par le Congo à propos du mandat d'arrêt décerné à l'encontre de l'ancien ministre des Affaires étrangères du Congo, M. Yerodia. Dans sa requête, le Congo invoquait entre autres que la compétence universelle visée à l'article 7 de la loi du 16 juin 1993 constituait une violation du principe selon lequel un État ne peut exercer son pouvoir sur le territoire d'un autre État et du principe de l'égalité souveraine entre tous les membres de l'Organisation des Nations unies (Cour internationale de justice, 14 février 2002, République démocratique du Congo contre Belgique, § 17).

Le Congo n'a toutefois pas maintenu ce grief au cours de la procédure, de sorte que la Cour ne s'est pas prononcée sur cette question et que, pour examiner le grief restant (relatif à l'immunité de M. Yerodia en tant que ministre), elle a simplement considéré que la compétence universelle était conciliable avec le droit international (même arrêt, §§ 43 et 46.)

Cela n'a toutefois pas empêché un certain nombre de juges de la Cour d'émettre une opinion individuelle sur la question de la compétence universelle. Il ressort des opinions individuelles qu'il existe au sein de la Cour d'importantes divergences d'opinion à ce sujet. Manifestement, il ne se dégage pas, en ce moment, de tendance claire dans l'un ou l'autre sens. Il y a donc aujourd'hui contestation sur la mesure dans laquelle la compétence universelle des juridictions d'un État déterminé peut être regardée comme conciliable avec le droit international [L'établissement, par un État, d'une compétence extra-territoriale pour ses juridictions n'est pas en soi incompatible avec le droit international, ainsi que l'a reconnu la Cour permanente de justice internationale (arrêt du 7 septembre 1927, France contre Turquie (affaire Lotus), série A, nº 10, p. 19). La question est toutefois de savoir quelles sont les limites précises que le droit international pose à la compétence discrétionnaire des États en la matière (ibidem)]. »

L'orateur constate que cette question n'a pas été résolue à ce jour. Si cette discussion reste indécise, peut-on dès lors marquer son accord sur la première proposition ?

Le principe de légalité relève de l'essence même de notre culture juridique. Il se retrouve à l'article 7 de la CEDH qui énonce clairement que tant la punition que le délit doivent avoir un fondement légal. Aucune exception n'est permise. La loi pénale est de stricte interprétation.

Ce principe de légalité revêt non seulement un sens à l'égard de la loi pénale en tant que telle, mais elle vaut également en tant que politique générale en matière pénale.

Le principe de légalité implique qu'aucune confusion entre différents domaines ne peut s'instaurer. Il y a confusion entre plusieurs domaines lorsque l'on se trouve en présence d'un recours excessif au droit pénal. En effet, le principe de légalité implique que l'on fasse preuve d'une certaine réserve en adoptant des lois pénales.

Dans la coalition actuelle l'on se trouve en présence d'une confusion totale entre les domaines, due à des motifs idéologiques, aussi bien sur le plan de la politique législative que dans d'autres problèmes qui se présentent dans la société et qui ne peuvent être résolus par des lois pénales.

L'orateur se réfère par exemple à l'instauration de la répression pénale du harcèlement au travail.

Ce n'est pas la loi pénale, mais le fonctionnement spontané de la société qui doit garder de tels problèmes sous son contrôle.

Ainsi qu'il a déjà été dit, à propos de la loi interprétative, il se pose la question de la compatibilité de la loi de 1993 avec des normes supérieures du droit international.

L'orateur comprend que les parties plaignantes dans des affaires pendantes souhaitent ne pas voir se perdre les efforts de l'instruction belge.

À l'heure actuelle, la chambre des mises en accusation, après la cassation d'un arrêt d'une autre chambre des mises en accusation, est saisie d'un problème d'interprétation de la loi de 1993.

La question se pose de savoir s'il est indiqué que, dans l'état des choses actuel, le législateur intervienne dans la procédure.

L'orateur se réfère à l'arrêt Van Noppen, où l'intervention du législateur n'a pas soutenu le contrôle à la lumière de la Constitution. La Cour d'arbitrage a annulé la loi.

Lorsque des affaires pendantes sont fixées et une loi est adoptée qui est susceptible d'influencer l'affaire fixée, il peut en résulter une violation de l'article 6 CEDH.

L'orateur se réfère en outre aux observations du Conseil d'État, dont il convient de tenir compte.

Ainsi, il se pose des questions au sujet d'un renvoi structurel devant la Cour internationale de justice.

Le Conseil d'État souligne également que, dans la lutte contre les infractions très graves, il est fait une distinction de principe entre celles qui sont commises dans des conflits internationaux et celles commises dans des conflits internes. Une difficulté supplémentaire résulte du fait que la loi de 1993 habilite également la Belgique pour intervenir en cas de conflit interne.

Le Conseil d'État a formulé encore d'autres observations, par exemple au sujet de l'infraction par négligence.

Ainsi, il déclare également :

« Si le principe de la compétence universelle des juridictions belges tel que consacré à l'article 7 de la loi du 16 juin 1993 précitée, s'exerce sans avoir égard au droit applicable au locus delicti commissi, lorsqu'il s'agit d'infractions graves commises dans le cadre d'un conflit armé international au sens des quatre Conventions de Genève et du Protocole additionnel I à ces Conventions, il ne peut s'appliquer dans les mêmes conditions lorsqu'il s'agit de poursuivre des infractions commises dans le cadre d'un conflit armé non international qui ne sont pas reconnues comme des infractions graves sur le plan du droit international, alors qu'elles le sont au regard de la proposition examinée. »

Selon l'orateur, la loi interprétative ne contient pas la réponse aux questions posées.

B. Point de vue du ministre de la Justice

Le ministre affirme que le gouvernement sait que la loi sur le génocide est née grâce à une initiative parlementaire. Le gouvernement entend être prudent vis-à-vis de cette loi.

Il souligne qu'il expose ici son point de vue de ministre de la Justice. Il y a quatre thèmes à développer.

1. Lutte contre l'impunité

Dans le cadre de ce débat, on perd trop souvent de vue que le but ultime de notre action est de lutter sans merci contre l'impunité des auteurs de crimes contre l'humanité. En sa qualité de ministre de la Justice, l'intervenant approuve tout à fait la volonté et l'intention des auteurs des propositions de loi à l'examen en matière de compétence universelle. Nous payons tous, vainqueurs et vaincus, un prix très élevé à la barbarie et à l'inhumanité, nous pouvons tous être rendus responsables de l'action des bourreaux. Quoi qu'il en soit, nous ne saurions perdre de vue qu'in fine, nous devons juger de manière aussi sereine que possible, c'est là un minimum. Les progrès que l'on réalise actuellement en ce qui concerne l'aspect universel du droit international pénal annoncent la fin de l'impunité.

2. Compétence universelle

L'action des sénateurs est honorable. Comme l'écrivait Paul Claudel, « il n'y a de société vivante que celle qui est animée par la lutte contre l'inégalité et l'injustice ». En inscrivant au pilori de l'humanité les crimes intolérables, commis au nom d'un État, d'une cause, d'une ethnie, la Belgique contribue à la construction d'une société vivante, fière et humaniste. Les crimes contre l'humanité relèvent d'un ordre répressif international auquel la notion de frontière et les règles extraditionnelles qui en découlent sont fondamentalement étrangères. Grotius écrivait déjà en 1729 que « tous les souverains ont droit de punir non seulement les injures faites à eux ou à leurs sujets, mais encore celles qui ne les regardent point en particulier, lorsqu'elles renferment une violation énorme du droit de la nature ou celui des gens, envers qui que ce soit. Je dis envers qui ce soit, et non pas seulement envers leurs sujets (Le droit de la guerre et de la paix) ». Le ministre ajoute que nous avons le droit, mais également le devoir, de punir.

Il faut lutter contre toutes les formes d'impunité et le ministre est partisan d'une compétence universelle.

Il exprime toutefois quelques réserves lorsqu'il s'agit d'une compétence universelle dite « absolue », à savoir sans exiger au préalable que l'auteur présumé ne soit trouvé sur le territoire belge. Il se soumettra bien entendu à la volonté d'arriver à un consensus large sur cette question.

3. Séparation des pouvoirs, indépendance de la justice

En interprétant la volonté du législateur en 1993 par une nouvelle loi interprétative en 2003, alors que des procédures sont toujours en cours, on court le risque d'interférer dans le cours d'un jugement, interférence qui ébranle le sacro-saint principe de l'indépendance des pouvoirs judiciaire et législatif. C'est une interférence sérieuse que de prétendre, comme l'indiquent les auteurs de la loi interprétative, que les arrêts rendus par la chambre des mises en accusation de Bruxelles des 16 avril et 26 juin 2002, « vont clairement à l'encontre de la volonté du législateur ». Or, le pouvoir judiciaire postule que les articles 6 et 14 du titre préliminaire du Code de procédure pénale sont applicables à toutes les lois dites de compétence territoriale, et que l'article 12 s'applique. Cette indépendance reste inattaquable, quoi qu'en pense le législateur, en particulier lorsque le pouvoir judiciaire est amené à juger de la prééminence de la norme générale sur la loi particulière.

Bien que cette intervention ne soit pas interdite par la Constitution, sauf en des circonstances exceptionnelles, il faut la considérer comme une immixtion regrettable dans l'administration de la justice.

Au cours des travaux préparatoires relatifs à la révision de l'article 28 de la Constitution (en 1979-1981), il est apparu qu'aucune interprétation authentique n'est possible quand la norme est univoque, et qu'on ne peut procéder à pareille interprétation qu'en cas de doute sur la signification de la norme, en particulier si cette signification est contestée au cours des travaux préparatoires ou si rien n'a été dit à son propos. En cas de doute, il est préférable de modifier la norme plutôt que de l'interpréter, en raison de la rétroactivité qui découle de la loi interprétative.

Les principes auxquels le constituant souscrit sont tout à fait applicables à l'article 7 de la loi du 16 juin 1993.

En la matière, il faut sans aucun doute renvoyer à la formulation de l'article 7 : « Les juridictions belges sont compétentes pour connaître des infractions prévues à la présente loi, indépendamment du lieu où celles-ci auront été commises. » Au cours des travaux préparatoires de la loi du 16 juin 1993, on a souligné, il est vrai, que les juridictions belges doivent également être compétentes si l'auteur présumé du fait constitutif d'infraction n'a pas été trouvé sur le territoire belge.

L'article 7 de la loi du 16 juin 1993 ne fait nulle part mention d'une dérogation à l'article 12 du titre préliminaire, et ce, à juste titre, car le Conseil d'État a souligné, dans son avis, qu'on avait affirmé, au cours des travaux préparatoires de la loi du 13 juin 1993, qu'un autre projet abrogerait définitivement et absolument l'article 12 du titre préliminaire.

Il n'en a cependant rien été et l'article 12 du titre préliminaire existe toujours.

La méthode qui consiste à déroger à une disposition en prévoyant son abrogation ultérieure par le biais d'un projet de loi distinct peut étonner, mais le fait que l'on veuille déduire la volonté univoque du législateur du fait qu'il avait prévu l'abrogation de l'article 12 du titre préliminaire ­ il n'était donc abrogé que virtuellement ­ peut étonner tout autant.

Le recours à une loi interprétative ne permet pas de clarifier la signification de l'article 7. Au contraire, on ne peut le faire qu'en modifiant l'article 7 de la loi du 16 juin 1993.

Dans ce cas, la loi interprétative est appliquée avec pour véritable objectif de réparer une erreur qui vient du fait que l'on n'a pas prévu expressément que l'article 12 du titre préliminaire n'est pas applicable.

Comme l'indique à juste titre le Conseil d'État, le législateur qui procède de la sorte doit prendre en considération les principes constitutionnels et ceux du droit international public et il doit les respecter.

Il n'est par conséquent pas exclu qu'en interprétant l'article 7 dans le sens proposé, le législateur procède à une véritable modification.

Il se pourrait fort bien que la Cour d'arbitrage se penche sur la question comme elle l'a fait dans son arrêt du 19 décembre 2002. Le ministre craint par conséquent que le but poursuivi par la proposition 1255/1 ne soit pas atteint et que l'insécurité juridique s'en trouve au contraire aggravée.

4. Multiplication des procédures

Au cours de la lente mais incontestable émergence de la règle de compétence universelle, les instances belges ont, plus que toute autre, atteint au sommet des choses. Elles se sont même surpassées en consacrant le principe de la compétence universelle absolue. Étaient-elles légitimées à le faire ? Elles ont en tout cas pris en son temps une noble initiative.

Peut-on dire que ce fut une initiative opportune ? Peut-être, si l'on suit le point de vue du professeur E. David, selon lequel le principe de la compétence universelle est une « règle à valeur de symbole ». Il faut toutefois répondre de manière plus nuancée dès que l'on quitte la sphère symbolique pour entrer dans celle du pragmatisme et de la réalité.

Antonio Cassese, ancien président du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie s'est exprimé sans aucune ambiguïté en déclarant « je ne suis pas favorable à un système de juridiction universelle tel qu'il a été adopté par l'Espagne et la Belgique » .

Reconnaissant l'idée généreuse qui a présidé aux initiatives espagnoles et belges, il ajoute et cite in extenso : « Quatre raisons militent à l'encontre de cette compétence tous azimuts.

1) Tout d'abord, si l'accusé ne se rend jamais sur le territoire du juge ou n'est pas extradé, ce qui paraît fort probable, le juge finit par être saisi de dizaines d'affaires pour lesquelles il reste impuissant.

2) Ensuite, si le juge décide néanmoins de statuer en l'absence de l'accusé, donc par contumace, il risque de se voir reprocher de violer certains droits fondamentaux de l'accusé. En outre, l'absence de l'accusé, normalement liée au fait que son État refuse de l'extrader, pourrait aggraver le problème de l'établissement des faits, donc de l'administration de la preuve.

3) Une troisième objection est que si tous les pays se mettaient à pratiquer un système modelé sur la loi belge (et espagnole), les risques d'appréciation divergente deviendraient très grands, et l'on ne saurait pas comment trouver un système de priorité entre compétences pénales concurrentes.

4) Enfin, et c'est ma quatrième objection au regard de la quantité d'affaires retentissantes sur le plan politique et diplomatique dont il serait saisi, le juge national finirait par être investi de fonctions qui, normalement, devraient revenir aux autorités politiques et diplomatiques. Il s'en suivrait une entorse dangereuse au principe de la séparation des pouvoirs. »

Damien Vandermeersch indique que « l'exercice de cette compétence ne peut que s'accompagner d'une grande modestie » : il relève l'ampleur des crimes de droit international excédant les capacités de la justice, les énormes attentes des victimes auxquelles les autorités judiciaires ne sont pas en mesure de répondre correctement, l'ampleur de la tâche et la limite des moyens, la nécessité d'une harmonisation des incriminations, le développement d'une coopération judiciaire réellement efficace, la difficulté de l'administration de la preuve, la procédure in abstentia et le respect des droits de la défense et enfin la question des immunités.

La Belgique estime qu'elle a compétence judiciaire pour connaître de tous les crimes qui sont commis dans un État qui ne ressortit pas à la Cour pénale internationale ou que cette Cour déclare ne pas pouvoir examiner. Le ministre estime qu'il serait dangereux et illusoire de transformer notre appareil judiciaire en une espèce de redresseur universel des dérives de la nature humaine sans lui donner un cadre de travail valable et fiable ni les moyens humains nécessaires pour qu'il puisse exercer effectivement la compétence en question.

L'opinion publique comprend difficilement pourquoi il y a un tel arriéré en ce qui concerne les procès nationaux importants. Le ministre peut comprendre cette indignation. Certains citoyens ont choisi d'attaquer la Belgique devant la Cour européenne des droits de l'homme faute de délai raisonnable dans le cadre de procédures judiciaires qui durent beaucoup trop longtemps. Il est donc vraisemblable qu'ils comprendront encore moins facilement que la justice belge s'érige en juridiction universelle, qui intervient au cas où les juges nationaux du pays où les crimes ont été commis omettent de le faire ou, en seconde instance, au cas où la Cour pénale internationale considérerait une cause comme irrecevable.

La proposition de modification est manifestement généreuse, peut-être même trop.

Le ministre tient à souligner une nouvelle fois et de manière claire son attachement à la compétence universelle, mais il souhaite néanmoins insister sur le fait qu'elle suppose un encadrement et doit être proportionnée aux moyens qui sont mis à notre disposition.

C. Autres observations des membres

M. Mahoux se réfère à la remarque de M. Vandenberghe sur la difficulté que peut représenter une loi de compétence universelle sur le plan de l'organisation de la justice.

L'intervenant estime que l'argument tiré de la difficulté ne doit pas jouer par rapport à des questions de principe, mais que le législateur doit sans doute le prendre en compte, et prendre les mesures qui s'imposent, notamment pour résorber l'arriéré.

Le 24 juillet 2001, le ministre de la Justice concluait, en réponse à une question de Mme Nyssens sur les articles 12bis et 7 : « La loi du 18 juillet dernier ne porte donc aucunement atteinte à l'article 7 de la loi du 16 juin 1993 concernant la compétence universelle des juridictions belges en matière de crimes de génocide, crimes contre l'humanité, et crimes de guerre. Seul un amendement à cet article pourrait en modifier la portée. »

Dans le rapport entre l'article 7 de la loi de 1993 et l'article 12bis précité, il convient d'appliquer le principe « lex specialis derogat generali ».

C'est l'article 7, article d'une loi particulière, donc en soi dérogatoire au Code pénal et au droit commun ­ qui déroge à l'article 12bis du titre préliminaire du Code de procédure pénale, énoncé en termes généraux, et non l'inverse.

L'intervenant pense que c'est à tort que le législateur de 1993 a considéré qu'une modification de l'article 12bis était nécessaire.

Par contre, cela exclut toute ambiguïté quant au fait que le législateur a bien voulu dire qu'il s'agissait véritablement de compétence universelle, indépendamment de critères de rattachement.

Quant à l'argument tiré de la séparation des pouvoirs, il peut être invoqué dans un sens comme dans l'autre.

C'est parce que le problème a été soulevé que le législateur croit nécessaire de repréciser la portée de la loi de 1993, sans interférer pour autant dans le cours de la justice.

Le groupe de l'intervenant estime qu'une loi interprétative et une loi modificative sont toutes deux nécessaires, la seconde pour tenir compte de l'arrêt de La Haye et de la création de la Cour pénale internationale.

En ce qui concerne la seconde proposition de loi, le Conseil d'État a développé certains arguments qui paraissent devoir être suivis.

L'intervenant se réfère à la discussion sur la procédure de dessaisissement de la Belgique en faveur du Tribunal pénal international.

Considérer que c'est l'exécutif, c'est-à-dire le ministre de la Justice, qui pourrait prendre, par simple communication à la Cour pénale internationale, une décision de dessaisissement, n'est pas acceptable.

Le groupe de l'intervenant propose que, si la communication est faite par le gouvernement, par l'intermédiaire du ministre de la Justice, à la Cour pénale internationale, la Cour de cassation décide si la Belgique se dessaisit ou non.

Les composantes juridiques, mais aussi éthiques, des propositions à l'examen sont fondamentales.

Il est donc souhaitable que ces textes soient votés avant la fin de la législature.

Une série d'amendements sont déposés qui concernent notamment ce que l'on a qualifié de « filtre », la possibilité d'un recours après la décision du parquet sur l'opportunité des poursuites, et le dessaisissement de la Belgique au profit de la Cour pénale internationale.

M. Van Quickenborne fait observer que la commission de la Justice a bel et bien eu un débat ouvert sur le thème de la compétence universelle.

Il peut se rallier à l'appel du ministre à la prudence.

Les auteurs des propositions de loi n'ont pas uniquement pour objectif de régler les affaires pendantes, ils souhaitent en outre une transposition en droit national des solutions qu'offre, pour certaines affaires, le droit international.

On peut parler d'une transposition équilibrée qui tient compte de différents facteurs.

Il va de soi que la volonté politique est de maintenir les actes d'instruction déjà accomplis sur la base de la loi de 1993. On peut opter pour une loi modificative ou pour une loi interprétative.

En cas de loi modificative, il ne faut pas perdre de vue que celle-ci ne change les choses que pour l'avenir. La Cour de cassation a dit que les lois modificatives qui étendent le pouvoir de juridiction ne concernent pas de simples questions de procédure. Elles ne peuvent donc valoir que pour l'avenir, ce qui a pour effet que les actes existants deviennent caducs.

À propos d'une loi interprétative, on a posé la question de la constitutionnalité et de la conformité au droit international.

Différents arguments peuvent être invoqués :

­ lex specialis derogat generali;

­ la réponse du ministre à la question écrite de Mme Nyssens;

­ le deuxième avis du Conseil d'État (doc. Sénat, nº 2-1256/3) ne mentionne pas l'article 12bis. Il n'est donc pas tout à fait conséquent;

­ l'article 84 de la Constitution dispose qu'il appartient au législateur d'interpréter la loi par voie d'autorité.

L'intervenant fait référence à la note de M. Destexhe et consorts, qui répond aux observations de fond du Conseil d'État (voir l'annexe).

En ce qui concerne la proposition de loi modificative, le Conseil d'État s'est surtout limité à des observations techniques. Ici aussi, l'intervenant renvoie à la note de M. Mahoux et consorts.

M. Monfils demeure convaincu que les arguments visant à réfuter les observations du Conseil d'État ne sont pas suffisamment pertinents. Le fait que l'application de la loi de 1993 n'ait par exemple posé aucun problème pendant dix ans constitue un argument vide de sens, qui ne tient pas juridiquement.

L'intervenant reste d'avis que l'on ne peut modifier les règles du jeu en cours de procès.

Il insiste sur les arguments suivants :

1. la sécurité juridique,

2. la Belgique ne doit pas devenir le gendarme juridictionnel du monde,

3. la position des entreprises dans les pays en difficultés.

Mme Kaçar dément que la proposition de loi interprétative ait été déposée pour des motifs purement politiques. Elle renvoie à l'avis du Conseil d'État (doc. Sénat, nº 2-1255/3) selon lequel la loi interprétative de la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire doit donner une interprétation univoque sur le plan juridique.

L'intervenante affirme qu'il ne peut y avoir aucune confusion entre, d'une part, l'article 12bis du titre préliminaire du Code de procédure pénale et, d'autre part, l'article 7 de la loi du 16 juin 1993 concernant le champ d'application de la loi.

L'article 12bis dispose que les juridictions belges sont compétentes pour connaître des infractions commises hors du territoire du Royaume et visées par une convention internationale liant la Belgique, lorsque cette convention lui impose, de quelque manière que ce soit, de soumettre l'affaire à ses autorités compétentes pour l'exercice des poursuites. L'article 7 de la loi du 16 juin 1993 prévoit que les juridictions belges sont compétentes pour connaître des infractions prévues à la présente loi, indépendamment du lieu où celles-ci auront été commises. Pour les infractions commises à l'étranger par un Belge contre un étranger, la plainte de l'étranger ou de sa famille ou l'avis officiel de l'autorité du pays où l'infraction a été commise n'est pas requis.

L'intervenante estime qu'en application du principe « lex specialis derogat lege generali », l'article 7 de la loi du 16 juin 1993 prime l'article 12bis du titre préliminaire du Code de procédure pénale.

La proposition de loi interprétative s'applique aux affaires pendantes dans le cadre de la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire. La proposition de loi modifiant la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire vaut pour l'avenir et adapte la loi de 1993 au droit international en vigueur.

L'intervenante est d'avis que les deux propositions de loi doivent être traitées conjointement et qu'elles constituent un compromis acceptable.

Mme Nyssens s'étonne de la divergence de vues entre, d'une part, le ministre de la Justice et, d'autre part, le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères sur l'interprétation de la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire.

L'oratrice considère que la proposition de loi interprétative devrait, dans l'intérêt de la sécurité juridique, fixer une interprétation définitive de la loi de 1993. Il convient de laisser en état les procédures judiciaires déjà engagées en vertu de la loi du 16 juin 1993.

La membre estime en outre que la loi du 16 juin 1993 ne peut pas devenir un instrument de poursuite judiciaire à l'encontre des entreprises ou des organisations sociales qui s'installent dans des pays où les droits de l'homme sont violés. Les liens qui pourraient exister entre ces entreprises et organisations, d'une part, et un tel État, d'autre part, dépassent le cadre cette discussion.

M. Mahoux renvoie à l'article 4 de la loi du 16 juin 1993; cette disposition est applicable aux entreprises.

Mme Nyssens estime que la proposition de loi modificative devrait clarifier l'articulation entre le droit belge, d'une part, et la compétence de la Cour pénale internationale, d'autre part.

L'oratrice craint qu'en dépit d'une loi de procédure, les actes accomplis dans le passé soient nuls si une instance judiciaire comme la chambre des mises en accusation en décide ainsi. La membre, se référant à l'avis du Conseil d'État, estime également que les lois spéciales ne peuvent déroger au droit commun que s'il y a dérogation expresse.

En ce qui concerne la note en réponse à l'avis du Conseil d'État concernant la proposition de loi interprétative, l'objection concernant la loi de procédure n'est, à son sens, pas exacte.

La piste de la loi de procédure doit être écartée pour une autre raison que celle invoquée.

L'objection selon laquelle les lois de procédure pénale ne peuvent étendre rétroactivement la compétence des tribunaux pour connaître rétroactivement de certaines infractions n'est pas exacte.

En effet, l'article 10ter du titre préliminaire du Code de procédure modifié par l'article 8 de la loi du 13 avril 1995, aux termes duquel le Belge ou l'étranger ayant commis hors le territoire national certaines infractions graves contre la moralité publique, peut être poursuivi en Belgique même si l'autorité belge n'a reçu aucune plainte ou avis officiel de l'autorité étrangère, est une disposition qui étend la compétence extra-territoriale des tribunaux belges (comme dans le cas relaté de l'arrêt de la Cour de cassation du 5 juin 1950). Or, cette disposition est d'application immédiate et donc s'applique aux infractions commises avant son entrée en vigueur et non encore jugées définitivement ou prescrites. Le tribunal correctionnel de Bruxelles en avait décidé autrement dans un arrêt du 25 septembre 1997, mais cette décision a été réformée en appel.

La véritable objection à cette solution est en réalité que la loi nouvelle, bien qu'applicable dès son entrée en vigueur aux procès en cours, n'atteint pas, sauf disposition contraire, la validité des actes accomplis sous l'empire de la loi antérieure et ne relève pas de la nullité ou de la déchéance les actes de procédure qui, suivant cette loi, étaient nuls ou tardifs (Cass. 29 april 1993, Pas., 415; aussi Cour d'arbitrage, 20 décembre 1985, Moniteur belge du 21 janvier 1986).

Dans les trois arrêts rendus par la chambre des mises en accusation de Bruxelles (Yerodia, Sabra et Chatila et Gbagbo), les actions pénales ont été déclarées irrecevables. Il s'agit de l'invalidité d'actes accomplis sous l'empire de l'ancienne loi, qui ne peuvent donc être « relevés d'invalidité » par la loi nouvelle en projet.

La note devrait, selon l'oratrice, être corrigée en ce sens.

Même si une loi de procédure pouvait s'appliquer aux dossiers en cours, le problème de l'invalidité des actes accomplis demeurerait. Il faut à tout prix éviter que les actes accomplis par les magistrats à ce jour soient considérés comme nuls. L'intervenante répond ainsi à la note des auteurs (annexe).

Sa dernière remarque porte également sur la note relative à la loi interprétative (voir annexe). À raison, une loi spéciale déroge au droit commun mais il faut cependant tenir compte de la remarque du Conseil d'État selon laquelle une loi spéciale ne peut déroger au droit commun que s'il y a dérogation expresse. Si on désire assurer un maximum de sécurité juridique grâce à cette note, il faut impérativement répondre à cet argument et être plus précis sur ce point.

Enfin, sur le principe de la compétence universelle, il est évident que la deuxième proposition de loi maintient l'idée d'une compétence universelle. Mais il faut bien reconnaître qu'elle représente un net recul par rapport à la volonté du législateur de 1993. Les filtres prévus, en donnant un pouvoir au procureur fédéral et en organisant un recours devant la chambre des mises en accusation, constituent un véritable rétrécissement de la compétence universelle. Tout dépendra de l'attitude du procureur fédéral et de la chambre des mises en accusation.

On peut légitimement craindre que de nombreux recours risquent d'être jugés non fondés.

M. Vandenberghe affirme que si cette loi est votée, elle ne sera qu'une victoire apparente parce qu'elle ne résout pas les problèmes juridiques graves qui se posent.

Tout d'abord, la note ne répond pas à l'argument relatif à l'effet de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, à savoir la séparation des pouvoirs et le droit de légiférer dans des affaires qui ont été fixées.

L'on part d'une hypothèse qui est une fiction. Il n'y a en effet aucun arrêt de la cour d'appel de Bruxelles, étant donné que l'arrêt rendu a été cassé par la Cour de cassation et que l'affaire a été renvoyée devant la cour d'appel. Nul ne sait quelle sera l'interprétation qui sera donnée cette fois par la cour d'appel. Y a-t-il exemple plus éclatant d'immixtion dans le fonctionnement de l'ordre judiciaire que de partir de l'hypothèse qu'après l'arrêt de la Cour de cassation, la chambre des mises en accusation s'en tiendra à la même lecture que celle du premier arrêt de la chambre des mises en accusation ?

L'on se base sur un point de vue erroné et très dangereux, car on s'immisce par une loi dans des procédures qui ont été fixées.

Ensuite, on ne résout pas le point de savoir si la compétence universelle viole ou non les principes du droit international. L'on craint manifestement d'ouvrir le débat sur cette question.

Enfin, la loi interprétative ne tient pas compte de l'arrêt Yerodia. Les problèmes posés par l'arrêt Yerodia rendu par la Cour pénale internationale concernant la question de l'immunité sont tout bonnement gommés de la carte.

La loi interprétative ne résout en effet pas la question de l'immunité telle qu'elle existait en 1993.

La problématique de l'immunité n'est abordée que dans la deuxième proposition de loi, mais cette dernière n'a pas d'effet rétroactif.

À la réplique selon laquelle la deuxième proposition prévoit bel et bien la rétroactivité, l'intervenant répond qu'il serait déjà stupéfiant qu'on adopte une loi interprétative, mais encore plus qu'on adopte une loi prévoyant la rétroactivité en matière pénale.

L'arrêt Yerodia, qui fixe les immunités internationales dans les limites très strictes de la Cour internationale, sera applicable en Belgique à tous les faits, à partir de 1993, jusqu'à ce que la nouvelle loi soit éventuellement adoptée. Mais quid de l'immunité avant la date d'adoption de la deuxième loi ?

Il y a donc un double problème : pour commencer, la deuxième loi définit des immunités et il y a lieu d'examiner si les définitions correspondent à celles du droit international.

Ensuite, la nouvelle loi serait applicable à des faits datant de 1993, 1994, 1995, etc. Pareille rétroactivité est-elle admissible sans plus ? Selon lui, les conditions d'incrimination des faits à partir de 1993 ne sont pas réglées dans la nouvelle loi.

Enfin, dans un État de droit, le droit ne saurait dépendre du pouvoir ni de majorités fortuites. Sinon, il n'y a plus de démocratie. Les faits qui font l'objet de plaintes à Bruxelles sont évidemment des faits très graves. On ne veut absolument pas nier la chose, au contraire.

Ces dossiers cachent beaucoup de souffrances et il faut dès lors que le droit y donne une réponse. Il arrive souvent, en cas de déni de droit, que l'on recoure à des arguments de procédure pour ne pas aborder le fond de l'affaire. Les plaintes concernent toujours le fond des affaires et non pas la procédure. Mais on ne résoudra pas ce problème par une pirouette juridique.

Dans l'argumentation en faveur des deux propositions de loi, on a toujours fait référence aux affaires du Rwanda et du Guatemala. Mais ces dossiers satisfont à suffisamment de critères de rattachement pour pouvoir être traités en Belgique. Au Guatemala, deux Belges ont été assassinés. Le même raisonnement est applicable à l'affaire du Rwanda.

Pourquoi faudrait-il une loi interprétative pour pareils cas, puisqu'il existe des critères de rattachement et que la compétence de la Belgique ne peut pas être mise en doute ?

En outre, l'intervenant estime qu'il est inacceptable que le législateur se prononce sur des instructions juridiques concrètes en cours qui ont été confiées au parquet ou à un juge d'instruction.

M. Mahoux est entièrement d'accord sur le fait qu'il existe une série de dossiers pendants qui ne nécessitent pas l'application de la compétence universelle parce qu'il y a un critère de rattachement. Mais les propositions de loi à l'examen visent à réaffirmer ce qui a été consacré en 1993, précisément parce que si, dans une affaire en cours, il devait ne pas y avoir de critère de rattachement, il faut confirmer que déjà en 1993 la volonté était de donner compétence aux tribunaux belges.

Mme Leduc défend entièrement les droits des victimes, qui ont été en grande partie méconnus par le passé. C'est pourquoi elle estime qu'il faut adopter les deux propositions de loi à l'examen.

Mme Taelman renvoie à l'arrêt Yerodia. Elle souligne que notre pays a été l'un des premiers à accepter la hiérarchie des normes.

Cela ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation des années 1970. Le droit coutumier international est une source de droit qui prime nos lois nationales. Il va de soi que la loi de 1993 doit en tenir compte et que le législateur belge devra s'accommoder de cette réalité en ce qui concerne les immunités.

Enfin, elle attire l'attention sur le fait que les membres de la commission doivent, en tant qu'hommes politiques, faire à un certain moment un choix entre les diverses possibilités juridiques qui sont offertes. Il serait absurde de noyer le débat en l'inondant d'arguments juridiques. Les membres de la commission doivent choisir la solution qui leur semble la meilleure en tant que tels.

M. Monfils souligne certaines difficultés suscitées par la note des auteurs de la proposition. Ce document évoque la légitime confiance de l'auteur présumé d'une des infractions dans la prévisibilité de la procédure pénale et tire argument que la chambre des mises en accusation de Bruxelles retient une thèse inverse à celle défendue par le parquet et à l'interprétation qui a prévalu pendant près de dix ans. Pour l'orateur, le vote de la proposition de loi mettra incontestablement en cause certaines instances en cours.

En ce qui concerne la question de la non-rétroactivité de la loi pénale, il est étonnant de constater que la rétroactivité est justifiée sur deux points. En premier lieu, on tire argument du fait que l'on a suivi une certaine interpétation pendant dix ans et qu'il n'est pas normal de la changer. Ce raisonnement est incompréhensible.

Le deuxième argument est tiré de la jurisprudence de la Cour d'abitrage. Celle-ci considérerait que son analyse relative aux critères de validité d'une loi interprétative en matière de prescription civile ne vaut pas pour les lois répressives et qu'il convient donc de se fonder sur la jurisprudence traditionnelle de la Cour d'arbitrage en matière de loi interprétative.

C'est une interprétation étonnante de l'arrêt de la Cour d'arbitrage qui dit en substance : « Abstraction faite du droit répressif, l'effet rétroactif qui s'attâche à une disposition administrative rétroactive est justifié lorsque la disposition interprétée ne pouvait, dès l'origine, être raisonnablement comprise autrement que de la manière indiquée dans la disposition interprétative. »

Selon M. Monfils, a fortiori cela vaut pour le droit répressif. S'il y a vraiment un principe fondamental, c'est celui de la non-rétroactivité de la loi pénale. Arguer qu'il y a des limites à une disposition interprétative en matière civile mais qu'il y n'en a pas en matière pénale est inacceptable. Bien plus qu'en matière civile, il faut être prudent avec la rétroactivité en matière pénale. L'orateur se réfère à ce propos aux articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme.

M. Monfils souligne que les notes des auteurs ne peuvent être considérées comme reflétant la position de l'ensemble de la commission.

La deuxième note (doc. Sénat, nº 2-1256) fait état d'un amendement qui sera déposé concernant la procédure de dénonciation des faits à la Cour pénale internationale. Dans le texte initial, cette compétence revenait au ministre de la Justice. Les auteurs veulent attribuer cette décision à la Cour de cassation et justifient cette procédure en s'appuyant sur l'article 14 du statut de la Cour pénale internationale.

Il n'est pas certain que ce soit une bonne solution parce que l'article 14 ne vise nullement des faits dont les autorités judiciaires sont saisies. Tout État partie peut déférer au procureur une situation dans laquelle un des crimes, relevant de la compétence de la Cour, paraît avoir été commis. Ce n'est pas la même situation que celle visée dans la proposition à l'examen. Dans ce dernier cas, l'on vise des faits dont le parquet ou une juridiction est saisie.

Selon M. Monfils il y a donc dessaisissement de la juridiction belge. Or, l'article 14 du statut de la Cour pénale internationale porte sur la recevabilité de l'action. Selon l'intervenant, cela pose dès lors la question de la compatibilité de la procédure proposée par rapport au renvoi qui est fait au statut de la Cour pénale internationale.

M. Van Quickenborne estime qu'il faut faire un choix politique. À cet égard, il est inconcevable de se retrancher derrière des arguments tirés de la science du droit.

En ce qui concerne la compatibilité avec l'article 6 de la CEDH, régissant la séparation des pouvoirs, il répète une fois encore qu'aux termes de l'article 84 de la Constitution, seul le pouvoir législatif est compétent pour donner une interprétation authentique de la législation en vigueur. Par ailleurs, l'article 7 du Code judiciaire, applicable également en matière pénale, prévoit que les juges doivent s'en tenir aux lois interprétatives dans toutes les affaires qui n'ont pas été réglées définitivement au moment où ces lois deviennent contraignantes. La loi dispose, en d'autres termes, explicitement qu'une interprétation authentique intervient dans des dossiers pendants.

En réponse à l'intervention d'un honorable collègue qui n'était pas présent lors de la discussion précédente, M. Van Quickenborne se voit obligé de répéter qu'il existe des précédents. Un arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 1996 illustre en détail l'application des principes qui découlent de l'article 84 de la Constitution. Dans le cadre d'un appel devant la Cour de cassation contre un arrêt de la cour du travail de Liège du 10 novembre 1995, concernant une loi interprétative du 19 juin 1996 qui était entrée en vigueur le 30 juillet 1996, la Cour de cassation a jugé, le 4 novembre 1996, que la loi initiale manquait de clarté et que le législateur était intervenu à bon escient pour indiquer comment l'interpréter. Si la Cour de cassation avait jugé qu'une loi interprétative ne pouvait avoir aucune incidence sur une procédure en cours, elle l'aurait indiqué dans son arrêt.

Le Conseil d'État a aussi souligné qu'une loi interprétative en cette matière ne posait aucun problème. L'intervenant en conclut que la proposition ne porte pas préjudice à l'article 6 de la CEDH.

En ce qui concerne la question de fond, celle de la constitutionnalité de la compétence universelle, M. Van Quickenborne souligne que ce principe est conforme à la Constitution dans la mesure où, dans ses avis tant sur la loi de 1993 que sur celle de 1999, le Conseil d'État n'a fait aucune remarque à ce sujet.

Quant à savoir si la compétence universelle est conforme à l'ordre juridique international, il renvoie à l'arrêt Congo/Belgique contre M. Yerodia de la Cour internationale de justice. Le Conseil d'État renvoie lui aussi, dans son avis, à la question qui a été posée par une minorité des juges de la Cour internationale de justice. La majorité des juges n'ont toutefois pas posé cette question, d'où l'on peut déduire qu'il n'y a pas le moindre problème en l'espèce.

En ce qui concerne les conséquences de l'arrêt Yerodia sur l'immunité, M. Van Quickenborne conclut que le droit international prime l'ordre juridique national et qu'il faut par conséquent accorder l'immunité dans les affaires en cours concernant des chefs d'État en exercice.

La FEB dit que l'on pourrait inférer de la proposition que les entreprises qui n'exercent aucune pression sur ceux qui détiennent le pouvoir dans des États où elles sont actives pourraient être attaquées en justice pour omission d'agir.

M. Van Quickenborne assure que les propositions de loi ne visent nullement à intégrer la non-assistance à personne en danger dans le droit international pénal, mais exclusivement à confirmer le principe de la « responsabilité de commandement », qui est reconnu en droit international. On n'impose donc pas aux entreprises de conditions plus strictes que celles imposées aux personnes physiques. Ce n'est pas parce qu'une entreprise investit dans un pays qui se permet quelques écarts en matière de droits de l'homme qu'elle peut être poursuivie automatiquement en vertu des propositions de loi à l'examen.

Cependant, les auteurs ne souhaitent pas non plus instaurer une responsabilité moins lourde pour les entreprises que pour les personnes physiques. Tout le monde est égal devant la loi.

Afin d'éviter que des plaintes soient déposées à la légère contre des entreprises, on a prévu un filtre qui doit permettre au procureur de prendre une décision à court terme, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il y a constitution de partie civile auprès du juge d'instruction. Le fait qu'une plainte soit déposée peut certes avoir des conséquences gênantes pour certaines entreprises, mais il importe d'établir une distinction entre une plainte et une condamnation. C'est au juge qu'il appartient de rendre un jugement dans le cadre d'un dossier déterminé.

En ce qui concerne le caractère rétroactif des propositions, M. Van Quickenborne fait observer qu'une loi interprétative n'est pas rétroactive. Selon la Cour de cassation, une loi n'a un effet rétroactif que lorsque la règle n'existait pas auparavant ou, en d'autres termes, lorsque le cadre normatif d'une loi déterminée fait l'objet d'ajouts, de modifications ou de suppressions d'éléments. Tel n'est pas le cas d'une loi interprétative qui ne fait qu'ériger en interprétation authentique l'un des modes d'application de la loi. Certes, l'interprétation intervient ultérieurement et produit des effets pour le passé, mais cela ne signifie pas pour autant que la loi soit rétroactive.

M. Monfils répète pour la troisième fois qu'il faut agir avec beaucoup de prudence en ce qui concerne la rétroactivité en matière pénale.

M. Van Quickenborne fait toutefois observer qu'il a déjà présenté, au cours d'une précédente réunion, des exemples de lois interprétatives en matière pénale. Chacun a eu largement le temps d'en prendre connaissance.

La loi du 27 mars 1853 portant interprétation de l'article 18 de la loi du 12 mars 1818 sur l'art de guérir était une loi interprétative qui faisait suite à une discussion au sein du pouvoir judiciaire siégeant en matière pénale, entre les juges de fond et la Cour de cassation, concernant la portée de la notion d'actes médicaux à caractère pénal, tels que définie dans la loi précitée. La loi interprétative est donc intervenue dans une procédure pénale en cours et la Cour de cassation a marqué son approbation à ce propos dans un arrêté du 22 mai 1935.

M. Vandenberghe souligne qu'une loi interprétative constitue une matière technique. Le fait qu'une telle loi fasse l'objet d'une approche politique prouve qu'en fait, elle n'est pas une loi interprétative.

M. Vandenberghe reproche à la proposition de la majorité de règler un problème sans le résoudre vraiment, dans la mesure où elle élude deux questions de droit international fondamentales.

Une discussion sur l'application d'une loi nationale à la lumière du droit international est toujours particulièrement difficile. On ne peut pas nécessairement la mener sur la base d'une seule décision judiciaire, car on ne connaît pas les arguments juridiques qui ont été invoqués par les différentes parties à la cause.

Or, la qualité d'une décision dépend en grande partie des arguments soumis à la Cour.

Toute la difficulté vient de ce que l'on se livre à une interprétation néopositiviste classique du droit en se fondant sur tel et tel article, sans vue d'ensemble.

L'intervenant estime qu'une telle approche, fondée sur des sources aussi restreintes, est incomplète.

Lors du vote de la loi de 1993, une série de conventions internationales ont également été ratifiées, intégrées au droit belge, et bénéficient de la primauté du droit international sur le droit interne.

L'arrêt qui a été cassé par la Cour de cassation n'a pas examiné l'argument de cette primauté.

Une série d'arguments, à l'appui de la thèse selon laquelle une application judicieuse des textes existants et du droit international devrait suffire, n'ont pas davantage été examinés.

Un certain nombre de conventions internationales ont été adoptées, qui rendent punissables les délits en question, et qui priment le droit interne.

On prépare par ailleurs une loi de compétence universelle.

On peut parfaitement défendre une interprétation juridique selon laquelle la loi de 1993 doit être lue à la lumière des conventions internationales précitées, et le législateur de 1993 a voulu dire que les juges belges sont compétents dans le cadre de ce droit international.

Les seuls problèmes qui subsistent alors concernent tout d'abord l'affaire Yérodia, où l'intervenant demande ce qu'il advient des personnes qui, au moment des faits, étaient couvertes par une immunité dont elles ne bénéficient plus aujourd'hui.

D'autre part, si le droit international reconnaît la compétence universelle, subsiste la question de savoir quelles en sont les limites intrinsèques.

La Cour internationale ne s'est pas prononcée sur cette question.

Le point de vue personnel de l'intervenant est que les conventions internationales ratifiées, lues conjointement avec la loi de 1993, confèrent une telle compétence aux tribunaux belges, dans les seules limites du droit international.

Mme de T' Serclaes rappelle que, bien avant que l'on ne consulte le Conseil d'État, elle avait déjà eu l'occasion de faire part de ses réticences quant à une loi interprétative.

Ces réticences subsistent, car elle estime que, si une telle technique législative est incontestablement conforme à la Constitution, le législateur doit, pour des raisons démocratiques, en user avec prudence.

L'intervenante rappelle que l'on poursuit deux objectifs. Il s'agit, d'une part, de répondre à l'évolution du droit international qui s'est fait jour depuis 1993, notamment avec l'arrêt Yérodia, l'entrée en vigueur du statut de la Cour pénale internationale, ou encore la récente signature par la Belgique du 2e protocole relatif à la Convention de la Haye de 1954, comme le rappellent les développements précédant la proposition de loi modificative de M. Mahoux et consorts.

L'intervenante préfère de loin ce dernier instrument législatif, parce qu'il est plus clair et lui paraît plus adéquat.

D'autres moyens auraient pu être envisagés pour que ceux qui ont fait confiance au législateur en 1993 et ont déposé plainte, dans des affaires qui ont donné lieu à des actes d'instruction, ne soient pas déçus.

Pour l'intervenante, la responsabilité incombe au législateur, qui n'a pas été suffisamment attentif à l'évolution de la loi de 1993, même s'il avait aperçu certaines difficulté à l'époque.

Aujourd'hui, plusieurs problèmes risquent de se poser, qui auraient pour conséquence que les personnes précitées qui ont déposé plainte se trouveraient confrontées à l'annulation des procédures.

La préoccupation principale de l'intervenante est de leur apporter une réponse.

Par rapport à la loi interprétative, plusieurs points de vue se sont exprimés : celui du Conseil d'État (qui est plutôt mitigé), celui des auteurs des différentes notes déposées et aujourd'hui, celui du ministre de la Justice, qui a émis des réserves.

L'intervenante souligne dès lors qu'il n'est pas certain qu'une loi interprétative règle tous les problèmes, et qu'il n'est pas exclu qu'elle donne lieu à des recours, notamment devant la Cour d'arbitrage, dans les années à venir.

M. Monfils déclare, en réponse aux arguments de M. Van Quickenborne, qu'il ne suffit pas d'affirmer que le texte à l'examen est une loi interprétative pour qu'il en soit une.

La Cour d'arbitrage a dit clairement, dans un arrêt précité du 15 décembre 2002 annulant un décret, qu'il fallait examiner si l'on avait affaire à un texte rétroactif, soulignant que la rétroactivité risquait d'avoir une incidence sur l'issue de procédures judiciaires, et d'empêcher les juridictions de se prononcer sur des questions de droit.

Il faut éviter, en votant une loi interprétative, de se retrouver au point de départ dans quelques mois, parce que la Cour d'arbitrage l'aurait annulée, ou que la Cour de cassation aurait refusé de l'appliquer.

Mme Nyssens rappelle qu'en droit international, il existe un principe selon lequel, soit on juge, soit on extrade.

En outre, le principe d'une compétence universelle par défaut n'est pas exclu par le droit international.

L'intervenante aurait souhaité de la part du gouvernement un point de vue plus étayé sur le plan technique.

M. Destexhe constate que le ministre de la Justice a fait volte-face, et que sa dernière déclaration contredit toutes les autres.

L'intervenant relève, à titre de point positif, qu'à trois reprises, le ministre a évoqué l'Espagne, où il existe apparemment une loi assez radicale de compétence universelle.

L'idée de la juridiction universelle, même si elle suscite certaines difficultés, est donc une idée qui avance.

En revanche, l'intervenant s'insurge contre le fait que le ministre ait cité M. Damien Vandermeersch comme « témoin à charge » des propositions à l'examen.

M. Vandermeersch indique que l'exercice de cette compétence ne peut que s'accompagner d'une grande modestie.

Il a écrit de nombreux articles, notamment en tant que professeur de droit à l'UCL, où il s'exprime clairement en faveur de l'exercice de cette compétence universelle.

L'intervenant estime par ailleurs que M. Vandenberghe fait une interprétation assez contestable du droit international.

En effet, celui-ci fixe, dans la plupart des cas, des minima.

Dans un grand nombre de domaines, les juridictions nationales sont autorisées à aller bien au-delà de ce qui est accepté dans des conventions internationales.

De plus, le droit international évolue et le but des auteurs des propositions à l'examen est de le faire avancer.

Enfin, l'intervenant déplore une fois de plus la manière dont le législateur élabore certaines lois.

L'article 12bis visait à mettre la législation belge en conformité avec une obligation internationale, et certainement pas à « détricoter » la loi de 1993.

Aujourd'hui, certains s'emparent de cet article 12bis et lui font dire ce qu'il ne visait pas.

Il est évident qu'avec ou sans loi interprétative, on n'épuisera pas la question, et qu'elle donnera encore lieu à des recours et à des décisions de justice.

Cependant, la manière dont on multiplie les textes ­ et la compétence universelle en est une illustration ­ est génératrice d'insécurité juridique.

Le vrai débat concerne le rétablissement de ce que le législateur a voulu en 1993.

Or, l'intervenant estime que cette volonté était claire, indépendamment des arguments juridiques que l'on peut développer dans un sens ou dans l'autre.

V. Discussion des articles

Article 1er

Cet article est adopté par 8 voix et 2 abstentions.

Article 2

Cet article est adopté par 8 voix et 2 abstentions.

Article 2bis nouveau

Amendement nº 2

M. Monfils explique que la disposition qu'il propose concerne la problématique des entreprises. La question est de savoir si une personne morale dont la mission consiste à effectuer des investissements ou des transactions peut être poursuivie pour les actes qu'elle a commis dans ou avec un État où des crimes sont commis. L'intervenant est convaincu qu'un tel raisonnement ne tient pas debout et il dépose dès lors l'amendement nº 2, qui tend à clarifier les choses (doc. Sénat, nº 2-1256/2, amendement nº 2).

L'amendement est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

Amendement nº 5

M. Monfils dépose l'amendement nº 5 (doc. Sénat, nº 2-1256/4), qui est un sous-amendement à l'amendement nº 2 et vise à rendre ce dernier plus conforme à l'article 67 du Code pénal.

L'intervenant note que jusqu'à présent, personne n'a manifestement songé à certaines conséquences. C'est pourquoi il plaide pour que le seul fait, pour une entreprise, d'investir ou de déployer une activité économique dans un pays déterminé, ne soit pas punissable, sauf si l'on constate qu'au moment où a commencé l'investissement ou a été conclu le contrat, l'entreprise devait savoir que l'investissement ou l'activité pouvait être considéré comme une collaboration à des crimes contre le droit humanitaire.

Une fois que l'investissement a débuté, l'entreprise doit pouvoir poursuivre ses activités. La cessation de l'investissement ou de l'activité économique peut engendrer des difficultés considérables pour l'entreprise, sur le plan tant économique que commercial. De peur d'être poursuivies, des entreprises quitteront le pays, cesseront les investissements et devront payer des indemnisations, avec toutes les conséquences commerciales négatives que cela implique.

M. Monfils craint en effet que des entreprises belges ne perdent des marchés internationaux, que d'autres ­ cela ne fait aucun doute ­ ne tarderont pas à reprendre.

L'intervenant ne veut absolument pas placer les entreprises au-dessus de la loi, mais il ne faut pas perdre de vue qu'il y a aussi des investissements qui profitent à tous. Un exemple : une entreprise belge établie au Myanmar produit des bouteilles d'eau minérale. Cette eau est consommée à la fois par l'armée et par la population. Devons-nous automatiquement en conclure que cette entreprise est parvenue à s'entendre avec les militaires ? Cette entreprise doit-elle alors prouver qu'en investissant, elle n'avait pas une idée derrière la tête ?

L'intervenant plaide pour un texte clair et estime que l'amendement répond à cette préoccupation. Mieux vaut le préciser dans la loi elle-même, plutôt que de devoir renvoyer aux travaux préparatoires pour clarifier le point de vue du législateur.

Il est évident qu'une entreprise doit être poursuivie si elle était, d'emblée, au courant du fait que son activité économique contribuait, directement ou non, à la perpétration de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Mais pour chaque crime, nous devons savoir précisément quand une activité économique devient un crime dans le « pays à risque ». Si, compte tenu des circonstances données, l'entreprise ne pouvait pas savoir que son investissement ou sa transaction économique contribue à la perpétration de pareilles infractions, elle ne peut pas non plus être poursuivie. Il faut le prévoir dans la loi proprement dite.

Pour Mme Nyssens, il est évident que le simple fait d'être présent dans un pays et d'y exercer des activités économiques ou autres, sociales ou culturelles, par exemple, ne constitue pas, en soi, une infraction au droit humanitaire.

En outre, le problème de l'intention doit être posé de manière claire et nette. L'entreprise doit-elle savoir à l'avance que sa présence dans un pays déterminé fait d'elle une complice ? La complicité est réglée par le Code pénal : il y a complicité s'il y a un lien direct avec la perpétration de l'infraction.

En outre, la jurisprudence interprète la complicité d'une manière plutôt restrictive.

En ce qui concerne le sous-amendement de M. Monfils qui modifie l'amendement nº 2, il paraît absurde d'affirmer que l'entreprise ou la personne physique qui exerce une activité quelconque dans un pays doit savoir à l'avance qu'elle participe, par définition, à des crimes relevant du droit humanitaire. C'est pourquoi il convient de préciser la notion d'intention ou de dol.

M. Monfils cite un exemple concret : si les autorités vénézuéliennes demandent à des promoteurs de construire quatre prisons, ceux-ci doivent, dans l'état actuel des choses, savoir qu'il y a de fortes chances que ces prisons servent à d'autres fins que le seul enfermement de délinquants. Si l'entreprise accepte le marché et construit les prisons, elle pourra faire l'objet de poursuites. En revanche, si une entreprise avait déjà investi au Venezuela, à une époque où la situation était tout autre, elle pourrait mener à bien l'investissement entamé.

M. Mahoux trouve que l'article 66 du Code pénal donne une réponse suffisante à cette question. Comme il a déjà été dit, l'article 66 est reproduit à l'article 4.

M. Destexhe partage quelque peu la préoccupation de M. Monfils, même si les exemples cités par ce dernier ne sont pas convaincants.

L'intervenant partage la thèse selon laquelle une personne morale qui fait un simple investissement ou conclut une simple transaction économique ou commerciale dans ou avec un État où pareils crimes sont commis, n'est passible d'aucune sanction. Le simple fait d'investir n'est pas punissable, ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il faille l'inscrire dans le texte de la loi même; les travaux préparatoires suffisent.

M. Destexhe rappelle que la loi vise le crime de génocide, les crimes de guerre et ceux contre l'humanité. Par conséquent, même si le Venezuela décidait d'emprisonner des prisonniers politiques, cela n'entrerait pas dans le cadre de la loi. L'exemple du Venezuela n'est donc pas probant.

Il est évident que tout citoyen comme toute entreprise est responsable de ses actes. C'est un principe de base dans la société. Le fait de construire des wagons de chemin de fer n'est en aucun cas punissable. En revanche, si un gouvernement sous-traite la déportation de personnes à une entreprise en utilisant ces wagons, il s'agit d'une participation active ou d'une complicité à un acte qui est répréhensible.

Quoiqu'il en soit, il appartiendra toujours à la Justice de trancher, au cas par cas, en tenant compte des circonstances particulières de la cause. Ainsi, l'entreprise qui construit une route en Birmanie, si elle-même emploie directement des travailleurs forcés, pour M. Destexhe, cela peut tomber sous le coup de la loi si cela se déroule dans le cadre d'un génocide.

M. Monfils estime qu'il faut distinguer le problème des sociétés qui investissent de celui des personnes qui omettent d'agir dans les limites de leurs possibilités d'action, alors qu'elles avaient connaissance d'ordres donnés en vue de la commission d'une infraction ou de faits qui en commencent l'exécution et pouvaient en empêcher la perpétration et y mettre fin. Historiquement, cette deuxième hypothèse visait les crimes de guerre et la voie hiérarchique militaire.

D'après, M. Monfils, l'on peut difficilement appliquer cette règle aux sociétés commerciales et aux autres personnes morales. Dans une telle logique, l'on pourrait poursuivre les organisations internationales qui sont restées passives face à un génocide. Cela mérite réflexion.

M. Monfils se dit que le seul fait de ne pas quitter un pays qui commet une série d'actions visées dans le cadre de la proposition à l'examen, ne peut pas être considéré comme passible de poursuites pénales. L'intervenant souhaite que les travaux préparatoires lèvent tout équivoque sur ce point.

Par exemple, un constructeur automobile qui vend des voitures dans un pays où des pratiques douteuses existent, mais qui n'a pas de lien avec les autorités officielles dudit pays, doit-il cesser ses ventes et quitter ce pays ?

Selon le raisonnement de certains, ce fabricant aurait dû empêcher la consommation des infractions humanitaires. Ils prétendent qu'il n'est pas normal que des entreprises se trouvent dans des États qui ont des comportements génocidaires, etc. Il n'est pas acceptable qu'elles restent. Elles doivent rentrer, faute de quoi elles peuvent être poursuivies comme responsables, du fait qu'elles auraient dû essayer d'empêcher les exécutions, etc.

Pour M. Monfils, la confirmation par les auteurs de la proposition que le seul fait de rester commercialement présent dans un tel pays n'est pas répréhensible constitue un élément positif qui rassurera les entreprises.

Selon Mme Nyssens, la loi de 1993 était claire sur ce point. Cette loi, quand elle visait le supérieur hiérarchique, le faisait dans le cadre militaire. L'adoption d'une proposition de loi modificative ne va pas modifier la ratio legis de la loi de 1993.

En lisant les travaux préparatoires de la loi de 1993, il est clair que l'on était dans le cadre de forces armées, du militaire qui doit obéir à ses supérieurs. Il n'a jamais été question d'une hiérarchie entrepreneuriale.

M. Mahoux déclare que s'il avait l'occasion, comme individu, d'empêcher à un moment ou un autre, des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou un génocide, et ne le ferait pas, il considère qu'une telle attitude serait condamnable et pourrait faire l'objet de poursuites. Bien entendu, il revient aux plaignants d'apporter la preuve de l'omission coupable.

A fortiori, depuis que la responsabilité pénale des personnes morales a été instaurée en droit belge, il est clair que ce qui est opposable à une personne physique, l'est aussi aux personnes morales. Pour M. Mahoux ce principe ne fait pas problème.

M. Monfils répond qu'il ne voit pas comment une entreprise qui n'a rien à voir avec des génocidaires pourrait faire pression d'une manière ou d'une autre pour empêcher des crimes graves d'être commis.

M. Mahoux rappelle le conditionnel dans ses propos « si l'entreprise en a les moyens ... ». Il faut aussi apporter la preuve du compotement fautif. De toute façon, l'on ne peut pas exonérer a priori les personnes morales de règles qui vallent pour les personnes physiques.

Mme Nyssens estime que cette discussion n'est pas anodine. En fait, les personnes morales peuvent être traduites devant nos tribunaux belges en vertu du principe de la compétence universelle. Elles ne peuvent par contre pas être traduites devant la Cour pénale internationale qui n'est pas compétente à leur égard.

En ce qui concerne les inquiétudes formulées par le monde des entreprises, Mme Nyssens renvoie au droit commun. Il n'y a aucune raison de changer le droit pénal commun sur la complicité et la participation à l'occasion d'une loi pénale spéciale de droit humanitaire.

M. Van Quickenborne déclare que son groupe politique partage expressément les préoccupations des entreprises qui craignent de se voir condamnées sur la base de plaintes peu fondées. S'agissant de la complicité, le VLD s'en tient strictement à l'article 66 du Code pénal et aux règles générales applicables en la matière. S'agissant de la négligence, M. Van Quickenborne a déjà fait référence précédemment aux travaux préparatoires de la loi de 1993 (doc. Sénat, nº 481/3, p. 14 et 15).

M. Van Quickenborne trouve que l'amendement nº 5 de M. Monfils est discriminatoire. En effet, une personne physique qui fait un investissement et qui n'entretient aucun rapport avec une personne morale n'obtiendrait pas d'exonération de ce type, mais une personne morale qui fait un investissement, bien. Cela ne passera jamais le cap du contrôle de constitutionnalité par la Cour d'arbitrage.

M. Monfils estime que cette vision de l'égalité n'est pas exacte. Une entreprise investit, obtient des parts de marché, a un capital humain, etc. L'égalité consiste à aboutir au même traitement en tenant compte de situations différenciées.

L'amendement nº 5 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

Article 3

Cet article est adopté par 8 voix et 2 abstentions.

Article 4

Cet article est adopté par 8 voix et 2 abstentions.

Article 5

Amendement nº 1

M. Monfils dépose l'amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 2-1256/2) qui vise à remplacer le § 1er de l'article 7 proposé.

M. Monfils fait remarquer que cet amendement est basé sur une logique différente de celle retenue par les auteurs de la proposition. Les auteurs proposent, pour apprécier la recevabilité de la plainte, d'utiliser le procureur fédéral en tant que « filtre ». Le procureur fédéral examine si la plainte est légale et sérieuse. Le cas échéant, en cas de non-lieu, un recours est ouvert devant la chambre des mises en accusation.

Selon l'intervenant, il est pour le moins curieux de prévoir une possibilité d'appel en cas de non-lieu. En général, ce n'est pas le cas et le dossier est classé sans suite.

D'autre part, M. Monfils est convaincu que l'option retenue par les auteurs de la proposition, à savoir la définition d'une procédure de recevabilité, n'est pas la bonne. L'intervenant plaide pour la définition de règles de compétence claires dans le texte de loi. Il renvoie à son amendement. Pour l'orateur, il ne faudrait pas que la Belgique devienne le gendarme juridictionnel du monde.

M. Monfils rappelle que le procureur fédéral est sous l'autorité du ministre de la Justice. Dès lors, si l'on ne définit pas des règles très strictes de compétence, l'on risque d'avoir des interventions politiques et ce, malgré la procédure d'appel qui est prévue. Dès lors, la proposition mène à une absence totale de sécurité juridique. Il est nettement préférable d'opter pour un système de règles de rattachement fondées sur des règles de compétences précises. Le système de filtre laisse trop de marge d'appréciation. C'est un problème de fond.

Mme Nyssens reconnaît que l'amendement nº 1 de M. Monfils (doc. Sénat, nº 2-1256/2) a le mérite de la clarté au niveau de la compétence des juridictions belges car il crée un lien de rattachement entre l'infraction et notre pays.

Sur le fond, l'intervenante pense que la procédure mise en place par les auteurs de la proposition à l'article 7, § 1er, proposé, de la loi du 16 juin 1993 tel que modifié par leur amendement nº 6 (doc. Sénat, nº 2-1256/4) est plus équilibrée et qu'elle respecte mieux le principe de la compétence universelle des juridictions belges.

Mme Nyssens estime que le recours au procureur fédéral, lorsqu'aucun critère de rattachement n'existe, est logique puisque celui-ci est compétent pour le droit humanitaire. Quant à la critique concernant le pouvoir important d'appréciation de l'opportunité des poursuites dont disposerait le procureur fédéral, Mme Nyssens rappelle que dans notre système judiciaire, le parquet, qui est sous l'autorité du ministre de la Justice, dispose toujours d'un tel pouvoir.

D'autre part, comme le parquet fédéral et la chambre des mises en accusation n'accepteront pas l'ensemble des plaintes déposées, l'oratrice conclut que la procédure proposée par les auteurs de la proposition de loi pourrait aboutir, dans la pratique, vu les filtres, à un résultat comparable à celui résultant de l'amendement nº 1. La différence entre les deux procédures pourrait dès lors être d'ordre purement formel.

M. Monfils ne partage pas l'analyse de la préopinante. Il faut tenir compte de la spécificité de la matière des violations graves du droit humanitaire qui est non seulement juridique mais aussi humanitaire et politique. On ne peut dès lors comparer le pouvoir d'appréciation conféré au parquet pour de simples infractions de droit commun à celui que la proposition lui confère pour des infractions humanitaires. Pour cette raison l'intervenant préfère une règle de compétence claire telle que celle qu'il propose dans son amendement nº 1 à la règle de procédure que proposent les auteurs de la proposition.

L'amendement est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

Amendements nºs 6 et 10

M. Mahoux et consorts déposent l'amendement nº 6 (doc. Sénat, nº 2-1256/4) visant à remplacer le § 1er, alinéa 3, de l'article 7 proposé de la loi du 16 juin 1993.

Au nom des auteurs, M. Mahoux signale que, même lorsqu'il n'existe pas de critère de rattachement entre l'infraction et la Belgique, les juridictions belges peuvent être compétentes pour connaître du dossier. Dans une telle hypothèse, un filtre est prévu pour éviter que des procédures ne soient initiées à la légère. C'est le procureur féréral qui appréciera la suite à réserver à la plainte. Si celui-ci décide de déclarer la plainte non recevable, le plaignant dispose d'un droit de recours devant la chambre des mises en accusation.

M. Mahoux et consorts déposent l'amendement nº 10 (amendement nº 10, sous-amendement à l'amendement nº 6, doc. Sénat, nº 2-1256/4) visant à préciser que la procédure prévue à l'article 7, § 1er, alinéa 2, proposé, ne s'applique pas aux faits commis avant le 1er juillet 2002, date d'entrée en vigueur du statut de la Cour pénale internationale.

M. Moens ne comprend pas la logique des auteurs des amendements nº 6 et 10.

Les auteurs de ces amendements se déclarent favorables à une attribution de compétence universelle aussi large que possible en faveur des juridictions belges.

Or, le texte initial de la proposition (article 7, alinéa 3, proposé) prévoyait que la procédure de filtrage des plaintes par le procureur général ne s'appliquait pas dans les affaires pour lesquelles la Cour pénale internationale ne pouvait exercer sa compétence à l'égard des faits, soit parce qu'ils étaient antérieurs à l'entrée en vigueur du statut de la Cour internationale, soit parce qu'ils avaient été commis dans un État non partie au statut de la Cour pénale internationale.

Après avoir, par leur amendement nº 6 (doc. Sénat, nº 2-1256/4), supprimé cette double exception à la règle du filtrage des demandes, les auteurs la rétablissent par leur amendement nº 10 mais uniquement pour les faits commis avant le 1er juillet 2002.

M. Moens en déduit que les auteurs veulent que le contrôle de l'opportunité des poursuites soit exercé par le procureur fédéral sur les plaintes concernant des faits commis après le 30 juin 2002 par un ressortissant d'un État non partie au statut de la Cour internationale sur le territoire d'un État non partie audit statut. Cela représente un très net recul par rapport à l'idée de compétence universelle défendue par les auteurs. L'intervenant ne peut dès lors soutenir cet amendement.

M. Mahoux répond que la procédure prévue à l'article 7 proposé et modifiée par les amendements nºs 6 et 10, offre un très bon équilibre entre le principe de compétence universelle, qui est maintenu moyennant le filtre du procureur fédéral lorsqu'aucun facteur de rattachement n'est présent, et la prise en compte de la création de la Cour pénale internationale. D'autre part, en supprimant l'exception prévue dans le texte initial de la proposition de loi, à l'article 7, alinéa 2, 2º proposé de la loi du 16 juin 1993, l'intervenant estime que l'on coupe court à toute critique de traitement discriminatoire à l'égard de ressortissants d'États non parties au statut de la Cour pénale internationale.

Mme de T' Serclaes formule une remarque d'ordre linguistique concernant l'amendement nº 6. L'intervenante considère que l'expression « partie lésée » n'est pas usuelle et qu'il faudrait la remplacer par le mot « plaignant ».

En ce qui concerne l'amendement nº 10, l'oratrice estime qu'il n'est pas nécessaire d'exclure les faits commis avant le 1er juillet 2002. Par hypothèse la nouvelle loi, qui est une loi pénale, ne s'applique pas à tous les faits commis avant son entrée en vigueur.

Mme Nyssens s'interroge sur la nature du contrôle exercé par la chambre des mises en accusation à la suite du recours qui est introduit contre la décision prise par le procureur fédéral de ne pas poursuivre. La procédure de recours mise en place par l'amendement nº 6 est assez neuve. Dans la justification de l'amendement, il est précisé que « si le ministère public estime que la gravité de la plainte dépasse la cause des points de rattachement, la procédure pénale peut néanmoins être initiée ». L'intervenante ne comprend pas la portée de cette phrase. Faut-il en déduire que la chambre des mises en accusation doit faire un premier examen de la gravité des faits ? Peut-elle avoir une autre appréciation que le procureur fédéral sur l'opportunité des poursuites ?

Mme Taelman estime que la chambre des mises en accusation appréciera le dossier de la même manière qu'elle le fait lorsqu'elle se prononce sur un renvoi.

L'amendement nº 6 est adopté par 7 voix contre 1 et 2 abstentions.

L'amendement nº 10 est adopté par 7 voix et 3 abstentions.

Amendement nº 11

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 11 (doc. Sénat, nº 2-1256/4) visant à préciser les modalités selon lesquelles la partie lésée doit introduire sa déclaration afin de saisir le procureur fédéral.

L'auteur constate que l'amendement nº 6 (doc. Sénat, nº 2-1256/4) se réfère à la notion de partie lésée, qui a été introduite dans le Code de procédure pénale par la loi Franchimont. Le texte de la proposition est cependant très lacunaire sur les modalités pratiques de la déclaration de personne lésée : où doit-elle être introduite ?

M. Van Quickenborne répond que les principes du droit commun sont applicables. Il renvoie en particulier à l'article 5bis du titre préliminaire du Code de procédure pénale. En ce qui concerne le lieu de dépôt, l'orateur renvoie aux règles générales applicables en la matière.

L'amendement est rejeté par 8 voix contre 2.

Amendement nº 7.

M. Mahoux et consorts déposent l'amendement nº 7 (doc. Sénat, nº 2-1256/4) qui vise à préciser la procédure de dessaisissement en application de l'article 14 du Statut de la Cour pénale internationale. Au nom des auteurs, M. Mahoux signale que l'amendement prévoit que la décision de dénonciation est prise par le gouvernement et transmise à la Cour internationale par le ministre de la Justice, le dessaisissement étant prononcé par la Cour de cassation. L'orateur renvoie pour le surplus à la discussion générale.

Mme Nyssens demande pour quelles raisons les auteurs de l'amendement attribuent la décision de dessaisissement au gouvernement et plus au ministre de la Justice, comme le prévoyait le texte initial de la proposition.

M. Mahoux estime que de par la nature même de la décision de dénonciation, il convient d'en confier la responsabilité au gouvernement.

M. Van Quickenborne précise que c'est l'État belge qui est lié par le statut de la Cour pénale internationale et que le gouvernement dans son ensemble est l'autorité la mieux à même d'engager la Belgique auprès de cette instance internationale. Le ministre de la Justice sert quant à lui de personne de contact.

L'amendement est adopté par 8 voix et 2 abstentions.

Amendement nº 4

M. Monfils dépose l'amendement nº 4 (doc. Sénat, nº 2-1256/4) qui vise à prolonger de un à trois ans le délai durant lequel la victime doit résider en Belgique pour pouvoir se constituer partie civile. L'auteur renvoie à sa justification écrite.

L'amendement est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

Amendement nº 8

M. Mahoux et consorts déposent l'amendement nº 8 (doc. Sénat, nº 2-1256/4) visant à mettre le libellé de l'article 7, § 2, alinéa 2, proposé, en concordance avec la modification proposée à l'amendement nº 7 relatif à la procédure de dessaisissment. Au nom des auteurs, M. Mahoux renvoie à la justification écrite.

L'amendement est adopté par 8 voix et 2 abstentions.

Amendement nº 9

M. Mahoux et consorts déposent l'amendement nº 9 (doc. Sénat, nº 2-1256/4) visant à mettre le libellé de l'article 7, § 3, alinéa 1er, proposé, en concordance avec la modification proposée à l'amendement nº 7. Au nom des auteurs, M. Mahoux renvoie à la justification écrite.

L'amendement est adopté par 8 voix et 2 abstentions.

Amendement nº 12

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 12 (doc. Sénat, nº 2-1256/4) visant à préciser la procédure selon laquelle la plainte est traitée par le parquet fédéral. Selon l'auteur, le renvoi à l'article 28sexies, § 4, du Code d'instruction criminelle posera certaines difficultés dans la pratique. Elle propose d'inscrire dans la loi les délais dans lesquels les différentes étapes de la procédure doivent être accomplies.

D'autre part, en renvoyant au droit commun, l'on impose à la chambre des mises en accusation de statuer sur l'appel dans les quinze jours du recours, ce qui semble fort court. L'amendement nº 12 porte ce délai à un mois.

M. Mahoux estime que le délai du droit commun est suffisant pour permettre à la chambre des mises en accusation de se prononcer sur le recours.

Pour M. Van Quickenborne, le renvoi aux principes généraux permet de répondre aux objectifs visés par l'amendement nº 12.

Mme Nyssens estime que le renvoi à l'article 28sexies, § 4, du Code d'instruction criminelle posera certains problèmes pratiques. Cette disposition vise des procédures devant le procureur du Roi, alors que la proposition de loi instaure une procédure devant le procureur fédéral. Il faudrait à tout le moins apporter les modifications terminologiques nécessaires pour coordonner le texte avec les autres dispositions du Code d'instruction criminelle.

Mme Kaçar ne soutient pas l'amendement nº 12. Elle estime qu'il appartiendra au procureur fédéral, compétent pour ces matières, de définir, à travers la pratique, une jurisprudence. Elle n'est par ailleurs pas favorable à l'idée de prévoir un délai spécifique pour la procédure d'appel devant la chambre des mises en accusation car cela pourrait faire croire que les infractions visées par la proposition de loi sont plus importantes que les autres infractions. Elle considère que toutes les infractions doivent être traitées de la même manière.

En ce qui concerne le délai de quinze jours dans lequel la chambre des mises en accusation statue sur la base de l'article 28sexies du Code d'instruction criminelle, M. Van Quickenborne fait remarquer que celui-ci peut être prolongé. D'autre part, sur la mise en concordance terminologique entre l'article 28sexies (qui vise le procureur du Roi) et la proposition de loi (qui vise le procureur fédéral), l'orateur renvoie à la loi sur le parquet fédéral qui précise que lorsque cela s'indique, les mots « procureurs du Roi » sont à remplacer par les mots « procureur fédéral ».

L'amendement nº 12 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

L'article 5, tel qu'amendé, est adopté par 7 voix contre 1 et 2 abstentions.

Article 6

L'article 6 est adopté par 8 voix et 2 abstentions.

Article 6bis

Amendement nº 3

M. Monfils dépose l'amendement nº 3 (doc. Sénat, nº 2-1256/4) qui vise modifier l'article 12 du titre préliminaire du Code de procédure pénale pour éviter, à l'avenir, toute discussion concernant la recevabilité des plaintes. L'auteur renvoie à sa justification écrite.

Cet amendement est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

Article 7

Cet article est adopté par 8 voix contre 2 abstentions.

VIII. VOTES

L'ensemble de la proposition amendée est adopté par 8 voix et 2 abstentions.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.


ANNEXE 1


NOTE DE M. MAHOUX ET CONSORTS
À LA COMMISSION

Proposition de loi, doc. Sénat, nº 2-1256/1

1. La présente note a pour but de répondre aux arguments avancés par le Conseil d'État dans son avis rendu le 16 décembre 2002, chambres réunies, concernant la proposition de loi à l'examen.

À l'exception d'une remarque relative aux pouvoirs du ministre de la Justice de décider du dessaisissement des juridictions belges au profit de la Cour pénale internationale, l'avis est essentiellement positif quant au contenu de la proposition de loi, mais multiplie les remarques techniques qui nécessitent souvent une explications, mais peu d'amendements.

2. L'avis du Conseil d'État présente des observations générales (I), des observations particulières (II) et une observation finale (III).

I. OBSERVATIONS GÉNÉRALES

3. Le Conseil d'État formule deux remarques concernant les modifications apportées à l'article 7, relatif à la compétence universelle.

4. D'une part, il indique que la compétence universelle « par défaut » fait l'objet de diverses critiques, y compris dans le monde juridique international. Le Conseil d'État souligne que dans le cadre des opinions individuelles des juges annexées à l'arrêt de la Cour internationale de justice, rendu le 14 février 2001 dans l'affaire du « mandat d'arrêt du 11 avril 2000 », mieux connue sous le nom d'affaire « Yerodia Ndombasi », une minorité de quatre juges contre sept ayant a développé un argumentaire mettant en doute la légalité au regard du droit international de la compétence universelle « par défaut ».

Toutefois, le Conseil d'État souligne à ce sujet, que vu l'adoption de plusieurs législations dans ce sens par le législateur, « le Conseil d'État n'a pas à se prononcer sur la question de savoir si cette option se justifie d'un point de vue juridique ». Il ne s'oppose donc pas au texte présenté.

5. D'autre part, le Conseil d'État critique le fait que la proposition prévoie au § 2 du nouvel article 7, un mécanisme par lequel la décision du ministre de la Justice de dénoncer des faits à la Cour pénale internationale entraîne automatiquement le dessaisissement des juridictions belges au profit de la Cour pénale internationale. La critique du Conseil d'État porte sur plusieurs aspects du texte.

Quant à l'autorité décidant du dessaisissement, le texte peut être adapté de manière à s'inspirer de la règle existant déjà pour les tribunaux pénaux internationaux et à établir une plus grande uniformité avec le § 3 nouveau de l'article concernant le dessaisissement en faveur de juridictions nationales étrangères : c'est la Cour de cassation sur réquisition du procureur général, qui procède au dessaisissement, dès lors que le procureur de la Cour pénale internationale a procédé à la notification prévue à l'article 18, § 1er, du Statut, soit dès lors que le procureur de la Cour pénale internationale a décidé d'ouvrir une enquête et qu'il désire savoir s'il existe un ou plusieurs État(s) qui veu(len)t mettre en oeuvre à son (leur) profit le principe de complémentarité.

En outre, le Conseil d'État désire qu'une règle de priorité de compétence soit établie pour clarifier les critères sur base desquels la décision de dénonciation, puis de dessaisissement peut être adoptée : il est proposé que la dénonciation et donc le dessaisissement concerneraient uniquement des faits qui n'ont pas été commis sur le territoire belge ou des faits qui n'ont pas été commis par un Belge ou dont un Belge n'a pas été victime, sauf si ces faits sont connexes ou identiques à des faits dont la Cour pénale internationale est déjà saisie et pour lesquels a déjà été prise une décision positive de recevabilité.

La décision de dessaisissement serait de toute façon la conséquence d'une décision de dénonciation, prise par le ministre de la Justice. Toutefois, afin que cette décision du ministre apparaisse comme une décision de la Belgique dans le cadre de l'article 14 du Statut, il est proposé d'ajouter à l'article, la précision que le ministre procède à la dénonciation, sur décision délibérée en Conseil des ministres.

Le Conseil d'État s'interroge aussi sur la compatibilité d'un tel système de dénonciation avec le Statut de la Cour et le principe de complémentarité retenu à l'article 17 du Statut.

Une telle interprétation de la part du Conseil d'État s'explique par une lecture littérale du seul article 17 du Statut. Une lecture combinée de l'article 17, avec le reste du Statut, et notamment avec l'article 18 qui organise la mise en oeuvre de l'article 17, montre que seuls les États qui veulent mettre en oeuvre le principe de complémentarité pour faire échec à la compétence de la Cour pénale internationale, peuvent mettre fin à une enquête du procureur de la Cour. Rien n'empêche un État, compétent pour connaître d'une affaire dont la Cour pénale internationale est saisie, de ne pas introduire un recours en irrecevabilité de cette affaire devant la Cour pénale internationale. Dans ce cas, l'enquête du procureur, puis le procès devant la Cour pénale internationale pourront avoir lieu normalement. Le seul frein à une décision de la Cour pénale internationale en cas de décision sur la même affaire au niveau national, sera l'application du principe ne bis in idem (article 20 du Statut), après qu'une décision définitive prise au niveau national sera intervenue.

Enfin, le Conseil d'État souligne que le droit belge ne peut imposer à la Cour des obligations qui ne sont pas fondées sur le Statut.

La proposition ne semble pas aller dans ce sens. Au contraire, elle légalise un acte de coopération prévu par le Statut entre la Cour et un État partie (article 93, § 10), dans le cadre de poursuites qui seraient menées par cet État partie, la Cour n'ayant pas mené à terme son propre dossier judiciaire. Il faut noter que l'acte d'information de la Cour à la Belgique se fonde sur une pratique déjà mise en oeuvre par les tribunaux pénaux internationaux ad hoc, alors que les statuts de ces tribunaux ne prévoient aucune règle de coopération dans ce cas, au contraire du Statut de la Cour pénale internationale.

Toutefois, afin de rencontrer la volonté du Conseil d'État d'adopter des dispositions internes correspondant au prescrit du Statut, il est proposé d'amender légèrement la phrase considérée dans le projet d'article 7, pour mieux la mettre en adéquation avec l'article 93, § 10, du Statut.

Une proposition d'amendement devrait permettre d'adapter ce paragraphe.

II. OBSERVATIONS PARTICULIÈRES

6. Le Conseil d'État examine en détails les différents articles soumis à révision.

1. Article 1er proposé (crime de génocide)

7. Le Conseil d'État s'interroge sur le sens à donner aux mots « sans préjudice des dispositions pénales applicables aux infractions commises par négligence ».

Cette précision se trouve dans la loi du 16 juin 1993 depuis l'origine. Le Conseil d'État avait déjà proposé à l'époque la suppression de ces mots (doc. Sénat, nº 1317/1, 1990-1991, p. 32), les jugeant superflus, mais le gouvernement de l'époque (doc. Sénat, nº 1317/1, 1990-1991, p. 6-7), suivi en cela par le Parlement, avait maintenu ces termes par souci de précision et pour ménager au législateur la possibilité de compléter le droit commun en matière de répression de la négligence coupable par une législation particulière, distincte de la loi de 1993, organisant la répression des violations du droit international humanitaire, n'ayant pas atteint le degré de violation grave, comme le prévoient notamment les quatre Conventions de Genève. Le législateur ayant déjà tranché en cette matière en 1993 et 1999, il n'y a pas lieu de modifier la proposition sur ce point.

2. Article 1erbis proposé (crime contre l'humanité)

8. Le Conseil d'État formule deux remarques distinctes : l'une sur la définition générale du crime contre l'humanité (2.1), l'autre concernant un des crimes relevant dans la liste des crimes contre l'humanité (2.2).

2.1. La définition du crime
contre l'humanité en général

9. Le Conseil d'État désire s'assurer que les définitions des concepts, reprises à l'article 7, § 2, du Statut de la Cour pénale internationale, soient bien d'application pour l'interprétation de la définition de l'infraction de crime contre l'humanité, énoncée à l'article 7, § 1er, du Statut et reprise telle quelle dans la proposition de loi.

Or, l'inclusion de ces définitions est effectivement réalisée par la référence explicite ­ fait exceptionnel ­ en droit belge à la source internationale de la définition du crime contre l'humanité, intégrée par la proposition de loi au droit belge. L'article 1erbis proposé est libellé dans sa deuxième phrase de la manière suivante :

« Conformément au Statut de la Cour pénale internationale, le crime contre l'humanité s'entend de l'un des actes ci-après

(...) »

L'exposé des motifs est extrêmement clair sur ce point (doc. Sénat, nº 2-1256/1, 2001-2002) :

« Les définitions de l'article 7, § 2, du Statut de la Cour pénale internationale doivent servir de base d'interprétation pour les notions reprises dans la loi belge pour la définition du crime contre l'humanité. »

Il n'y a donc pas lieu de modifier le texte de la proposition de loi sur ce point.

2.2. Définition du crime d'actes inhumains constitutifs de crimes contre l'humanité

10. Le Conseil d'État considère que la notion d'actes inhumains n'est pas suffisamment définie dans la proposition de loi et devrait notamment s'inspirer de l'article 417bis du Code pénal.

Or, l'article 417bis définit les traitements inhumains comme étant : « tout traitement par lequel de graves souffrances mentales ou physiques sont intentionnellement infligées à une personne »; suit après la définition une liste non exhaustive d'exemples de buts dans lesquels le traitement inhumain peut être infligé.

L'article 7 du Statut, repris textuellement dans l'article 1er bis proposé, définit l'acte inhumain de la manière suivante :

« actes inhumains de caractère analogue [c'est-à-dire de nature et de gravité comparable aux autres crimes contre l'humanité pré-listés] causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou la santé physique ou mentale ». L'amélioration de la précision de la notion couverte par l'article 1erbis par le biais d'un renvoi à l'article 417bis du Code pénal ne paraît donc pas nécessaire, voire pertinente. En effet, la définition du Statut apparaît même ­ à l'analyse ­ plus précise sur la nature et le degré de gravité que doivent atteindre les actes considérés pour tomber sous le coup de cette disposition que la définition du code.

Il n'y a donc pas lieu de modifier le texte de la proposition de loi sur ce point.

3. Article 1erter proposé (crime de guerre)

11. Le Conseil d'État formule des remarques, d'une part, sur le champ d'application de cet article (3.1) et, d'autre part, sur certains crimes de guerre repris dans la proposition de loi (3.2).

3.1. Champ d'application de l'article 1erter

3.1.1. Article 1erter, § 1er (crimes de guerre constitutifs d'infractions graves aux lois et coutumes de la guerre)

12. Le Conseil d'État craint une application cumulative de la notion de conflit armé n'ayant pas un caractère international, tel que défini par le Protocole II aux Conventions de Genève (conflit entre les forces gouvernementales et des forces rebelles) et la même notion définie par l'article 8, § 2, f), du Statut qui couvre également les conflits entre forces rebelles.

En fait, il n'y a pas d'application cumulative, mais simplement le renvoi explicite aux différentes sources de droit international servant à définir les conflits armés dans le cadre desquels les crimes de guerre listés doivent être réprimés.

Il n'y a donc pas lieu de modifier le texte de la proposition de loi sur ce point.

3.1.2. Article 1erter, § 2 (crimes de guerre constitutifs de violations graves de l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève)

13. Le Conseil d'État souhaite que des explications soient apportées sur l'absence de certaines précisions dans la loi, dont notamment une référence aux dispositions de l'article 8, § 2, c) et d), du Statut, qui reprennent la substance de l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève.

Le premier point se réfère aux personnes protégées contre ces crimes de guerre. Or cette précision apparaît dans le texte proposé de l'article 1erter, § 2, par les mots suivants : « (...) lorsque ces violations portent atteinte, (...), à la protection des personnes garantie par ces Conventions ».

La seconde précision se réfère à la définition du conflit dans lequel s'inscrit ce crime. Or, le texte proposé fournit également cette précision en indiquant qu'il s'agit des violations graves à l'article 3, « en cas de conflit armé défini par cet article 3 commun », qu'il convient d'interpréter à la mesure de l'état actuel du droit international, soit tout conflit armé international ou conflit armé n'ayant pas un caractère international, sans couvrir les simples situations de tensions internes, de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues, qui ne sont pas considérés comme des conflits armés.

Cette manière de procéder permet une mise en conformité parfaite du droit belge au droit international puisqu'il s'y réfère directement, sans le paraphraser lorsque cela n'apparaît pas indispensable, afin d'éviter les divergences de texte qui conduisent souvent à des difficultés d'interprétation.

Il n'y a donc pas lieu de modifier le texte de la proposition de loi sur ce point.

3.1.3. Article 1erter, § 3 (crimes de guerre établis par le Protocole II de 1999 à la Convention de La Haye de 1954)

14. Bien que le Conseil d'État reconnaisse que le Protocole II à la Convention de La Haye ne place pas les deux dernières infractions graves définies à l'article 15 du Protocole sur un pied d'égalité avec les autres infractions graves, il ne voit pas la pertinence d'établir une distinction en droit belge. Pourtant, à la différence des autres infractions, le traité n'établit, pour ces deux infractions visées ­ qui sont d'une gravité nettement inférieure à celles des autres infractions graves couvertes ­ ni une règle de compétence universelle, ni de règle d'extradition, ni d'obligation de poursuites lorsque l'auteur se trouve sur le territoire de l'État partie, mais simplement une règle de répression. Or, ces actes sont déjà des infractions en droit commun : destruction ou tentative de destruction de biens d'autrui ou de biens publics. La Belgique respecte donc déjà son obligation d'incriminer et les règles du Code pénal semblent suffisantes pour assurer la répression adéquate de ces infractions. En outre, elles sont également largement couvertes par l'interdiction générale d'attaque contre des biens de caractère civil, érigée par la proposition de loi en crime de guerre.

Il n'y a donc pas lieu de modifier le texte de la proposition de loi sur ce point.

3.2. Nouvelles incriminations introduites à l'article 1erter

15. Le Conseil d'État formule tout d'abord une remarque générale relative à l'application du principe de la double incrimination (3.2.1), avant d'aborder le détail de certaines incriminations (3.2.2).

3.2.1. Le principe de double incrimination

16. Le Conseil d'État souligne avec raison, de manière générale puis pour certains crimes de guerre en particulier, que tous les crimes de guerre repris dans la liste du Statut ne sont pas tous érigés en infractions relevant de la compétence de la Cour pénale internationale en cas de conflit armé n'ayant pas un caractère international. Il convient toutefois de garder à l'esprit que la liste des infractions au droit international humanitaire relevant de la compétence de la Cour relève d'un choix politique et non d'un choix strictement juridique. Comme l'a montré, de manière éclatante, la jurisprudence du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, la distinction juridique entre conflit armé international et conflit armé n'ayant pas un caractère international ­ en terme de répression des crimes de guerre ­ a perdu de sa pertinence, au point que le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a déjà cité la loi du 16 juin 1993 comme exemple de mise en oeuvre d'une règle de droit coutumier supprimant une telle distinction.

Il est toutefois exact que, pour certaines infractions, il faudra que le praticien examine au cas par cas, en tenant compte de l'évolution permanente de l'universalisation de ces règles coutumières et conventionnelles (le nombre des États parties aux traités de droit international humanitaire ne cesse de croître) du fait de savoir si le principe de double incrimination est respecté. Ce principe implique ­ dans ce cas ­ qu'il existe pour l'État sur le territoire duquel a été commis le fait jugé répréhensible, une règle applicable de droit international érigeant ces faits en violations graves de droit international humanitaire. Le fait que le droit national de l'État du territoire ait ou non incorporé ces règles internationales de répression n'est pas pertinent en la matière. Enfin, pour les deux exemples cités par le Conseil d'État se pose en outre un problème d'adaptation de la règle lorsqu'il s'agit d'un conflit armé n'ayant pas un caractère international.

Ainsi comme le souligne l'exposé des motifs concernant le crime établi au point 4º du nouvel article 1erter, § 1er, la définition du crime « s'entend sans préjudice du pouvoir de mobilisation générale dont dispose un État en cas de guerre civile ».

Il n'y a donc pas lieu de modifier le texte de la proposition de loi sur ce point.

3.2.2. Nouvelles infractions

17. Le Conseil d'État formule des remarques à propos des infractions suivantes.

a) paragraphe 1er, points 3bis, 11bis et 21

18. Le Conseil d'État fonde sa remarque sur une traduction erronée du Statut en français, adoptée le 17 juillet 1998, mais modifiée depuis en application de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

Ces remarques sont donc sans objet.

b) paragraphe 2, point 8quater

19. En ce qui concerne la notion de « personne protégée par le droit international humanitaire », elle varie en fonction de la source internationale de l'incrimination applicable. Un renvoi général au droit international applicable oblige le praticien à se référer directement à la source de droit international qu'il veut mettre en oeuvre. Ce système évite de devoir inventer une définition globale de ce concept à géométrie variable qui ne pourrait que trahir, restreindre ou modifier les règles pertinentes de droit international applicables.

Il n'y a donc pas lieu de modifier le texte de la proposition de loi sur ce point.

Il convient de noter que la référence à l'article 8, § 2, e), ii), du Statut dans l'exposé des motifs de la proposition de loi concernant le point 8quater, est une erreur.

c) paragraphe 1er, point 12

20. La critique du Conseil d'État concerne une disposition adoptée en 1993 et non une modification apportée à la loi par la proposition de loi. Le législateur s'est donc déjà prononcé à ce sujet.

Il n'y a donc pas lieu de modifier le texte de la proposition de loi sur ce point.

d) paragraphe 1er, point 17

21. Le point 17 est rédigé de manière à s'appliquer de manière adéquate à la fois au conflit armé international et au conflit armé n'ayant pas un caractère international. Il englobe donc les deux infractions mentionnées par le Conseil d'État.

Il n'y a donc pas lieu de modifier le texte de la proposition de loi sur ce point.

e) paragraphe 1er, 26

22. Le Conseil d'État note avec justesse que ce point ne pourra entrer en vigueur qu'une fois qu'une annexe à laquelle il se réfère sera adoptée. Il n'est toutefois pas nécessaire d'indiquer dans la loi qu'une telle condition suspend l'entrée en vigueur de cette disposition, puisque l'infraction et sa définition n'existeront pas sans qu'une telle annexe entre en vigueur au plan international.

Il n'y a donc pas lieu de modifier le texte de la proposition de loi sur ce point.

4. Article 7 de la proposition de loi

23. Le Conseil d'État s'inquiète que le Protocole II à la Convention de La Haye soit ratifié par la Belgique avant d'avoir reçu l'assentiment parlementaire.

Or, en raison de l'article 167 de la Constitution et de sa mise en oeuvre dans la pratique constitutionnelle, le gouvernement veille systématiquement à obtenir l'assentiment parlementaire avant de déposer l'instrument liant la Belgique à un traité international (ratification, adhésion, acceptation).

Il n'y a donc pas lieu de changer le texte de la proposition de loi à ce sujet.

III. OBSERVATION FINALE

24. Le Conseil d'État se borne à rappeler que le projet de loi visant à la suppression des juridictions militaires en temps de paix aura une incidence sur la loi de 1993, s'il est adopté en sa forme actuelle.

Ceci est sans incidence sur la proposition de loi examinée.

Philippe MAHOUX.
Alain DESTEXHE.
Vincent VAN QUICKENBORNE.
Jean CORNIL.
Josy DUBIÉ.
Meryem KAÇAR.
Martine TAELMAN.

ANNEXE 2

NOTE DE M. MONFILS ET
MME de T' SERCLAES
EN REPONSE À LA NOTE DE
M. MAHOUX ET CONSORTS
(ANNEXE 1)

Point 4 de la note de M. Mahoux et consorts :

Le Conseil d'État faisait valoir que dans l'affaire Yerodia, « une minorité de quatre juges contre sept » se serait prononcée contre la compétence universelle par défaut. La note des auteurs de la proposition ne répond pas de manière satisfaisante à cette constatation du Conseil d'État et à ses implications juridiques.

En effet, trois juges ont fait valoir que l'exercice de la compétence universelle par défaut est contraire au droit international. Trois autres juges se sont prononcés plutôt en faveur d'un tel exercice de compétence, tout en indiquant que les précédents sont extrêmement rares et en énonçant une série de conditions pour qu'une telle compétence puisse être exercée dans le respect du droit international (voir ci-après). Les autres juges ne se sont pas prononcés. La question de savoir si l'exercice de la compétence universelle par défaut est conforme au droit international, reste donc entièrement ouverte, comme l'a à juste titre souligné le Conseil d'État.

Dans ces circonstances, il convient, à tout le moins, de prendre pleinement en considération les conditions énoncées par les juges selon lesquels « a State contemplating bringing criminal charges based on universal jurisdiction must first offer to the national State of the prospective accused person the opportunity itself to act upon the charges concerned ». L'État envisageant d'exercer la compétence universelle par défaut a ainsi l'obligation de droit international de proposer à l'État de la nationalité de l'auteur présumé d'engager des poursuites, comme condition préalable à l'engagement de poursuites sur la base de la compétence universelle par défaut. L'article 7, § 3, proposé ne rencontre pas cette exigence, et cela d'autant moins que, suivant les auteurs de la proposition, la dénonciation ferait désormais l'objet d'une décision politique au niveau du Conseil des ministres (voir aussi ci-après).

Si le législateur décide, en connaissance de cause, de prendre le risque de consacrer la compétence universelle par défaut, il est indispensable de remanier l'article 7, § 3, de façon à satisfaire aux conditions posées par les juges de la Cour internationale de justice qui se sont montrés plutôt favorables à un tel exercice de compétence.

Point 5, alinéa 2, de la note de M. Mahoux et consorts :

L'article 7, § 2, proposé entend satisfaire la critique du Conseil d'État relative à la violation du principe de séparation des pouvoirs en organisant désormais le dessaisissement des juridictions belges par l'intermédiaire d'une initiative du procureur général près la Cour de cassation, et non plus par le seul fait de la dénonciation opérée par le ministre de la Justice.

Ce faisant, ledit article laisse subsister des interrogations relatives aux compétences respectives des juridictions nationales et de la Cour pénale internationale.

Une nette ambiguïté subsiste entre l'alinéa 1er, qui parle des « autorités judiciaires » et l'alinéa 2 qui traite des « juridictions ».

De deux choses l'une : ou bien seul le parquet (« autorité judiciaire ») est avisé des faits présumés délictueux. En ce cas, la dénonciation de ceux-ci auprès de la Cour pénale internationale peut intervenir sans qu'il y ait lieu à dessaisissement, le parquet n'étant pas une juridiction. Ou bien une juridiction est saisie des faits reprochés, et dans ce cas, en vertu de l'article 7, § 1, qui organise le principe de la compétence universelle de nos juridictions, il n'y a pas lieu à dessaisissement en raison de la règle de complémentarité de la Cour pénale internationale (voir ci-après).

Point 5, alinéa 4, de la note de M. Mahoux et consorts :

La délibération en Conseil des ministres est inutile pour faire apparaître la décision de dénonciation à la Cour pénale internationale comme une décision de la Belgique dans le cadre de l'article 14 du Statut. Le droit international ne connaît pas les « gouvernements », seulement les États, d'une part, et les ministres qui les représentent, d'autre part. Faire dépendre la dénonciation d'une décision du Conseil des ministres plutôt que d'une décision du ministre de la Justice en tant qu'autorité hiérarchique du ministère public risque de conférer à cette décision un caractère politique inopportun (voir aussi ci-avant).

Point 5, alinéa 5/6, de la note de M. Mahoux et consorts :

Le Conseil d'État s'interrogeait également sur la compatibilité du système de dénonciation proposé par l'article 7, § 2, avec le principe de complémentarité énoncé par les Statuts de la Cour pénale internationale. La note des auteurs critique la position du Conseil d'État en avançant à tort qu'il ressortirait des articles 17 et 18 que seuls les États qui « veulent » mettre en oeuvre le principe de complémentarité « peuvent » mettre fin à une enquête du procureur de la Cour.

En vertu de l'article 17, 1 (a), la Cour, conformément au principe de complémentarité, juge une affaire irrecevable « lorsque l'affaire fait l'objet d'une enquête ou de poursuites de la part d'un État ayant compétence en l'espèce, à moins que cet État n'ait pas la volonté ou soit dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou des poursuites ». Conformément à l'article 19, 1, la Cour « peut d'office se prononcer sur la recevabilité de l'affaire conformément à l'article 17 ».

La note fait donc valoir à tort que « rien n'empêche un État, compétent pour connaître d'une affaire dont la Cour pénale internationale est saisie, de ne pas introduire un recours en irrecevabilité de cette affaire devant la Cour ». Cet argument est sans doute valable pour les États qui n'avaient pas encore engagé d'enquête ni de poursuites (hypothèse visée par l'article 18), mais non pour l'État qui a déjà engagé l'action publique (hypothèse visée par l'article 17). Or, l'article 7, § 2, proposé vise cette deuxième hypothèse ­ faute de quoi il n'y aurait d'ailleurs pas lieu de procéder au dessaisissement des juridictions belges.

L'État dans lequel des poursuites sont engagées ne peut donc pas se dessaisir en faveur de la Cour pénale internationale de par sa seule volonté discrétionnaire.

On peut ajouter à cela que la Belgique, dans l'hypothèse envisagée, ne satisferait même pas aux conditions dans lesquelles la Cour pourrait exercer sa compétence (sans pour autant pouvoir dessaisir les autorités belges) nonobstant le fait que l'action publique est engagée en Belgique. En effet, suivant l'article 17, 1 a, la Cour peut décider d'exercer sa compétence si l'État dans lequel une enquête ou des poursuites sont engagées, « n'a pas la volonté » ou est « dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites ». La portée de ces conditions est précisée dans les paragraphes subséquents de l'article 17.

L'article 17, 2, précise comment il convient de déterminer s'il y a manque de volonté de l'État dans un cas d'espèce. Il s'agit uniquement de l'hypothèse où l'État concerné cherche à assurer l'impunité des auteurs présumés. Ceci confirme encore qu'un État ne peut pas décider, de façon discrétionnaire, de se dessaisir en faveur de la Cour.

L'article 17, 3, précise comment il faut déterminer s'il y a incapacité de l'État dans un cas d'espèce. Il y est indiqué que la Cour « considère si l'État n'est pas en mesure, en raison de l'effondrement de la totalité ou d'une partie substantielle de son propre appareil judiciaire ou de l'indisponibilité de celui-ci » de mener à bien la procédure. L'incapacité ne peut donc résulter que de circonstances proprement extraordinaires. En tout état de cause, dès lors que la Belgique serait incapable de mener à bien des poursuites, il serait exclu que la Belgique « récupère » l'affaire si la Cour décidait de ne pas exercer sa compétence. Or, c'est précisément ce qu'envisage le texte proposé.

Il en résulte clairement que l'article 7, § 2, proposé est difficilement compatible avec le principe de complémentarité de la Cour pénale internationale et, comme le relevait le Conseil d'État, procède en fait à une inversion de la règle de compétence de la Cour par rapport aux compétences des juridictions nationales.

Philippe MONFILS.