2-1261/3

2-1261/3

Sénat de Belgique

SESSION DE 2002-2003

10 DÉCEMBRE 2002


Projet de loi modifiant les articles 308 et 309 du Code judiciaire


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR M. RAMOUDT


I. PROCÉDURE

Le présent projet de loi, qui est soumis à la procédure obligatoirement bicamérale, a été adopté par la Chambre des représentants le 20 juillet 2002, par 97 voix et 28 abstentions, et a été transmis au Sénat le 23 juillet 2002.

La commission de la Justice l'a examiné lors de ses réunions des 26 novembre et 10 décembre 2002, en présence du ministre de la Justice.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU MINISTRE DE LA JUSTICE

Sur la base de l'article 308 du Code judiciaire, les magistrats de l'ordre judiciaire peuvent être autorisés par le Roi, sur l'avis du chef de corps ou du magistrat dont ils dépendent hiérarchiquement, à accomplir des missions auprès d'institutions supranationales, internationales ou étrangères.

Les modifications qui sont apportées par le projet de loi visent à :

1. assurer aux magistrats autorisés par le Roi à accomplir une mission auprès d'une institution internationale, supranationale ou étrangère, le maintien de leur traitement dans le cas où la législation qui crée cette mission prévoit que le traitement reste à la charge de son État d'origine.

2. déterminer le sort de l'éventuel mandat du magistrat, en alignant l'article 308 sur l'article 323bis du Code judiciaire;

3. adapter l'article 309, qui prévoit le remplacement en surnombre, au Code judiciaire, qui établit une distinction entre les nominations et les désignations.

Une mission exercée sur la base de l'article 308 se distingue d'une mission exercée sur base de l'article 323bis du Code judiciaire par le fait que le magistrat qui exerce une mission dans une institution internationale ne peut plus exercer temporairement les prérogatives liées à sa qualité de magistrat de l'ordre judiciaire belge. C'est la raison principale pour laquelle la mission de membre belge d'Eurojust n'aurait pas pu être exercée sur la base de l'article 308 du Code judiciaire. Cette fonction, qui s'inscrit dans le prolongement des fonctions exercées par le ministère public belge, requiert en effet que son titulaire puisse exercer les prérogatives liées à sa qualité de magistrat de l'ordre judiciaire belge.

L'autorisation donnée par le Roi vaut pour un an mais peut être prolongée. Si le magistrat entend remplir la mission au-delà de 6 ans, il est réputé démissionnaire.

Toutefois, un second congé de maximum six ans peut à nouveau lui être accordé si, entre les 2 missions, il exerce à nouveau des fonctions de magistrat.

Certaines missions exercées auprès de l'Union européenne, telle la mission d'expert auprès du Conseil de l'Union européenne, restent financièrement à la charge de l'État d'où provient le chargé de mission. Dans ce cas, où aucun traitement n'est attaché à la mission, il est prévu que la rémunération reste à la charge de l'ordre judiciaire.

Il va de soi que le magistrat qui exerce une mission temporaire doit disposer de garanties financières. C'est pourquoi il est prévu que l'intéressé conserve son traitement et les avantages y afférents, pourvu qu'il s'agisse d'une mission non rémunérée.

Par suite de l'entrée en vigueur, le 2 août 2000, des dispositions du Code judiciaire relatives aux mandats, l'article 308 règle le sort réservé aux mandats des magistrats qui exercent une mission auprès d'une institution internationale, supranationale ou étrangère.

Le sort des mandats a été copié sur celui prévu à l'article 323bis du Code judiciaire pour les missions qui sont prévues par une loi.

Contrairement à ce que prévoit l'article 308 actuel, il n'est plus interdit à un chef de corps d'exercer une mission internationale mais, dans ce cas, il perd son mandat tout en préservant sa situation financière.

Étant donné que l'acceptation d'une mission met un terme au mandat de chef de corps, la procédure de réintégration prévue à l'article 259quater, § 5, s'applique à l'expiration de cette mission.

Les titulaires d'un mandat spécifique qui exercent une mission sur la base de l'article 308 du Code judiciaire perdent leur mandat. Une telle disposition est d'ailleurs déjà prévue à l'égard des magistrats fédéraux et des magistrats d'assistance dans l'article 259sexies, § 3, in fine du Code judiciaire.

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

Mme Taelman rappelle que chaque année, la personne qui exerce une mission à l'étranger doit demander l'autorisation du Roi. La loi prévoit aussi que lorsque la mission se prolonge au-delà de 6 ans, la personne est considérée comme démissionnaire.

L'intervenante aimerait connaître la ratio legis de cette disposition, qui lui semble de nature à décourager les personnes encore assez jeunes qui exercent ce type de fonction et qui souhaiteraient, par exemple, renouveler un mandat de 5 ans.

Le ministre répond qu'une mission internationale de ce type est généralement confiée à des personnes disposant déjà d'une certaine expérience en tant que magistrat. Le gouvernement est d'avis qu'il convient de maintenir la limite de 6 ans. Passé ce délai, l'intéressé doit choisir. Il lui est loisible de prolonger son mandat international mais dans ce cas, son statut sera modifié. C'est ce qui se passe, par exemple, au niveau de l'Union européenne. Le magistrat appelé à exercer une fonction à ce niveau reçoit une mission temporaire, et est considéré comme fonctionnaire temporaire de l'Union européenne. Si sa mission dure plus de 3 ou 4 ans, il a la possibilité d'être nommé à titre définitif à cette fonction. Le ministre ne connaît qu'un seul exemple où un magistrat a effectué un tel choix.

Mme de T' Serclaes rappelle que le Conseil d'État avait soulevé, dans son avis, le problème relatif aux titulaires d'un mandat adjoint, qui n'étaient pas désignés à titre définitif.

Le Conseil d'État n'apercevait pas la raison pour laquelle, pour ces mandats, il est uniquement fait référence, dans le calcul de l'ancienneté, à la fonction pour laquelle les magistrats étaient nommés, alors qu'avant leur congé pour cause de mission, ils étaient déjà titulaires d'un mandat, même si ce n'était pas encore à titre définitif. De même, pourquoi les titulaires de mandats spécifiques, comme par exemple les juges d'instruction, perdraient-ils leur mandat et tous les avantages qui y sont liés en ce qui concerne l'ancienneté et le traitement, alors que, par ailleurs, le chef de corps perd également son mandat mais conserve pendant un certain temps les avantages liés à celui-ci ?

Le ministre répond que l'on a calqué l'article 308 sur ce qui est prévu à l'article 323bis du Code judiciaire, qui règle toute mission prévue par la loi qui peut être exercée par un magistrat.

IV. DISCUSSION DES ARTICLES

Articles 1er et 2

Amendements nºs 1 à 3

M. Vandenberghe dépose à ces articles trois amendements (doc. Sénat, nº 2-1261/2, amendements nºs 1 à 3), visant à apporter au texte des améliorations linguistiques.

Ces amendements sont retirés et seront apportés au texte à titre de corrections formelles.

Amendement nº 4

M. Vandenberghe dépose un amendement (doc. Sénat, nº 2-1261/2, amendement nº 4), tendant à traduire une remarque technique du Conseil d'État, portant sur l'exclusion des titulaires d'un mandat spécifique du champ d'application du nouvel article 308 du Code judiciaire.

Pourquoi, en outre, avoir recours à une fiction juridique pour régler le calcul de l'ancienneté des magistrats concernés ?

Enfin, l'intervenant se réfère au projet de loi attribuant le titre d'avocat général au membre du ministère public représentant la Belgique au sein de l'unité Eurojust et réglant sa situation financière, récemment adopté par la présente commission (doc. Sénat, nº 2-1220/1). On se trouve donc en présence de deux lois : une loi spéciale relative à un mandat spécifique assorti d'une indemnité supplémentaire, et une autre, générale, pour les missions auprès d'institutions supranationales, internationales ou étrangères qui, elles, ne sont pas assorties d'une telle indemnité.

Pourquoi cette différence ?

Le ministre répond qu'il faut distinguer les situations visées par l'article 308 de celle du magistrat « Eurojust », régie, elle, par l'article 323bis du Code judiciaire. L'article 308 prévoit qu'un magistrat peut être autorisé à exercer une mission spéciale, par exemple, auprès de la Commission européenne.

En 1998 et 1999, le gouvernement belge fut pratiquement contraint de désigner des magistrats au niveau de l'Union européenne, mais leur rémunération était à charge du budget ordinaire du ministère de la Justice.

Dans certains cas, on ne peut donc pas désigner des magistrats pour exercer des missions internationales sur la base de l'article 308 dans sa formulation actuelle. Or, il arrive de plus en plus souvent que le Conseil de l'Europe, l'OTAN, le Secrétariat général de l'Union européenne ou la Commission demandent des magistrats sans les payer.

La différence entre le magistrat Eurojust concerné et les magistrats visés à l'article 308 est que le premier ne reçoit que la rémunération et l'indemnité prévues par la loi belge tandis que les seconds recevront soit leur salaire en Belgique plus une petite indemnité de l'instance internationale concernée, soit un salaire de la part de cette dernière. En ce qui concerne la question de l'ancienneté, on n'a fait qu'adapter l'article 308 pour tenir compte de certaines situations particulières, à savoir celles dans lesquelles la rémunération doit être payée par l'État belge, et la terminologie de l'article 323bis du Code judiciaire réglant les mandats des magistrats chargés d'une mission dans les cas prévus par la loi.

Le magistrat qui reçoit un congé sur la base de l'article 308 reste néanmoins magistrat, et la fiction juridique prévue en ce qui concerne le calcul de l'ancienneté lui est applicable. Cette fiction paraît la solution la plus simple pour calculer l'ancienneté d'un magistrat qui reçoit un tel congé.

M. Vandenberghe souligne qu'à la Chambre, le ministre, confronté à la question de l'existence de deux lois distinctes, a répondu ce qui suit : « Dans le cadre de la mission de l'unité Eurojust, il y a une plus-value pour l'ordre judiciaire qui explique qu'une allocation de 20 000 euros a été attribuée au magistrat représentant la Belgique au sein d'Eurojust. Pour les missions exercées sur la base de l'article 308, il n'y a pas de plus-value pour l'ordre judiciaire » (doc. Chambre, nº 50-1482/002, p. 5).

L'intervenant ne trouve pas cette réponse convaincante.

M. Mahoux demande confirmation de ce que le système est bien le suivant. Le magistrat « Eurojust » dont il est question reste un magistrat belge, auquel on donne un grade supérieur pendant la période où il se trouve à Eurojust. Il perçoit son traitement de magistrat belge, ainsi qu'une indemnité. Quant aux magistrats visés par le projet à l'examen, il s'agit de magistrats détachés qui sont à charge du budget européen. La différence de barème est-elle significative entre les deux hypothèses ?

Le ministre cite le cas d'un substitut au parquet de Mons, détaché pendant 3 ans à la Commission européenne, à l'unité de coordination de la lutte antifraude, sous l'empire de l'ancien article 308 du Code judiciaire. Il a pour ce faire reçu un congé; il restait inscrit sur la liste des magistrats et continuait, comme tel, à bénéficier de son ancienneté, mais ne percevait plus aucun traitement à charge de l'État belge. La rémunération qu'il percevait au niveau européen était, conformément au barème européen, de l'ordre de 130 000 francs belges nets par mois, sans aucune autre forme d'indemnité.

Il est cependant difficile de faire des comparaisons car le magistrat Eurojust précité bénéficie effectivement du titre et de la rémunération d'un avocat général, ainsi que d'une indemnité, (soit au total environ 4 000 euros par mois), mais il continue à exercer des activités de magistrat, alors que les magistrats détachés dans le cadre de l'article 308 portent le titre de magistrat, mais ne peuvent plus exercer aucune activité y afférente.

La rémunération du magistrat Eurojust équivaudra à celle d'un fonctionnaire européen de niveau 1 (c'est-à-dire de niveau universitaire) ayant une dizaine d'années d'ancienneté, ce qui correspond à son profil.

La différence est que, pour ce magistrat, l'État belge doit supporter sa rémunération et son indemnité. Pour les magistrats détachés et mis en congé sur la base de l'article 308 du Code judiciaire, l'État belge ne supporte plus rien. Dans le cas où ce dernier doit encore supporter la rémunération de base, le magistrat belge détaché perçoit encore une indemnité complémentaire ainsi que, le cas échéant, un « per diem » (s'il se rend à l'étranger) que le magistrat Eurojust ne perçoit pas parce que, contrairement au premier, il conserve l'imperium et peut encore déclencher ou exercer l'action publique.

Mme Nyssens demande si l'on tient compte des années prestées à Eurojust compte pour le calcul de l'ancienneté du magistrat Eurojust.

Le ministre répond par l'affirmative.

Amendement nº 5

M. Vandenberghe dépose un amendement (doc. Sénat, nº 2-1261/2, amendement nº 5) tendant à remplacer, au dernier alinéa de l'article 308, le mot « sept » par le mot « six ».

Cet amendement répond à une observation formulée par le Conseil d'État, selon laquelle il ne se justifiait pas de prévoir un règlement spécifique pour les chefs de corps.

Articles 3 et 4

Ces articles ne donnent lieu à aucune observation.

V. VOTES

L'amendement nº 1 de M. Vandenberghe est retiré et sera apporté au texte à titre de correction formelle. L'article 1er corrigé est adopté à l'unanimité des 10 membres présents.

Les amendements nº 2 et 3 de M. Vandenberghe sont retirés et seront apportés au texte à titre de correction formelle. Les amendements nºs 4 et 5 sont rejetés par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

L'article 2 corrigé est adopté 9 voix et 1 abstention.

Les articles 3 et 4 sont adoptés par 9 voix et 1 abstention.

L'ensemble du projet de loi corrigé a été adopté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 11 membres présents.

Le rapporteur,
Didier RAMOUDT.
Le président,
Josy DUBIÉ.