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M. Jean-François Istasse (PS). - Alors que la police locale d'Anvers relançait la semaine dernière son plan relatif à la petite criminalité, la Ligue arabe européenne - AEL - annonçait la création de patrouilles musulmanes dans les rues d'Anvers, et ce, afin de surveiller les policiers au cours de différents contrôles et interventions. En effet, selon la Ligue, ce plan viserait surtout les jeunes d'origine marocaine. Ces patrouilles auraient dès lors pour mission de dénoncer les comportements racistes dont pourraient se rendre coupables les policiers anversois à l'encontre de jeunes musulmans. L'AEL souhaite ainsi que soient photographiés et filmés les contrôles effectués par la police. Un rapport serait ensuite établi et adressé à des avocats au service de la ligue, afin de poursuivre en justice les auteurs des agressions racistes.
On peut se demander, au vu de ces informations, si nous n'allons pas assister à la création de zones de non-droit, voire au contrôle de quartiers, de communautés ou de personnes par ce que nous devons bien appeler des milices. Or, la Belgique dispose d'un service de police étatique. En cas de plaintes relatives à des comportements racistes de la part de certains policiers, il appartient à l'État d'organiser ces contrôles, l'organe compétent étant bien sûr le Comité permanent de contrôle des services de police, le Comité P. Ce dernier exerce notamment une fonction de contrôle sur la protection des droits que la Constitution et la loi confèrent aux personnes, sur la coordination et, enfin, sur l'efficacité des services de police.
Il est donc absolument inadmissible que ce genre de problèmes soient pris en charge par des « milices privées », le risque de dérives pour l'avenir étant inéluctable. L'AEL annonce déjà que de semblables actions pourraient être lancées à Bruxelles, Charleroi, Liège, Gand... La Belgique ne peut accepter ce type de patrouilles privées. Nous disposons, je le répète, d'un système de police étatique, dont le contrôle doit être organisé par le Comité P.
Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous confirmiez la position du gouvernement en la matière. Quelles mesures avez-vous prises ? Des directives relatives au comportement à adopter par les policiers ont-elles déjà été transmises aux différents corps de police ?
M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur. - Comme je l'ai dit à plusieurs reprises ces derniers jours, l'organisation de patrouilles composées de citoyens, formées dans le but de remplacer les services de police ou d'effectuer certaines tâches de compétence policière, est interdite. Il s'agit, dans ce cas, de milices privées prohibées par la loi. Il appert des explications fournies par l'AEL dans les médias que cette organisation demandera à ses membres d'intervenir en vue de vérifier que les services de police agissent bien selon les termes de la loi.
Chaque citoyen peut, bien entendu, avoir son opinion sur la manière dont les services de police remplissent leur mission. Une sorte de contrôle démocratique permanent est d'ailleurs exercé par l'ensemble de la population. Si un citoyen constate ce qui lui apparaît être un dysfonctionnement, il peut - je serais tenté de dire « il doit » - le dénoncer auprès des instances de la police elle-même ou auprès des autorités judiciaires. Il existe par ailleurs nombre d'instances chargées de contrôler les interventions policières. À côté des autorités hiérarchiques, je citerai, comme vous, le Comité P et l'Inspection générale de la police fédérale et de la police locale.
À partir du moment où des personnes, vêtues de manière quasi identique, s'organisent pour procéder à des contrôles systématiques ou pour prendre des photos, sans égard au prescrit de la loi sur la protection de la vie privée, j'estime que l'on se situe au delà de l'acceptable et en marge de la légalité, et que le risque est grand de franchir le pas qui transforme ce genre d'initiative en la constitution d'une véritable milice.
En tout état de cause, de telles initiatives sont tout à fait malsaines et contestables. Elles constituent des actes de provocation et doivent être combattues avec la plus grande énergie, ne serait-ce que parce qu'elles font peser un doute injustifié sur le fonctionnement correct de notre État de droit en général et des services de police en particulier. Elles constituent une contestation de l'autorité de l'État et s'accompagnent d'une volonté de se substituer à lui. En outre, ces initiatives émanent d'un groupement minoritaire et radical qui, en donnant l'impression fausse que sa conviction est partagée par l'ensemble de la communauté qu'il entend représenter, porte préjudice à cette communauté, en raison des amalgames possibles, sans compter les risques de manipulation d'un certain nombre de jeunes parfaitement de bonne foi.
Pour l'heure, j'ai demandé au ministre de la Justice de faire usage de son droit d'injonction positive pour requérir du parquet d'Anvers qu'une information judiciaire soit diligentée à l'égard de ces patrouilles, non seulement au regard de la loi sur les milices privées, mais aussi compte tenu d'autres infractions qui pourraient être commises. Le ministre de la Justice a effectivement fait usage de son droit d'injonction positive et a adressé un courrier en ce sens au procureur général près la Cour d'appel d'Anvers. J'examine en outre avec le gouvernement quelles mesures pourraient être prises pour empêcher la répétition de telles initiatives à l'avenir.
Quant aux directives adressées au corps de police concerné, je puis vous dire que le chef de corps a simplement prescrit au personnel d'effectuer son travail sans tenir compte de la présence de telles patrouilles. Si les membres de ces patrouilles devaient commettre des infractions, les policiers présents informeront un officier qui rédigera procès-verbal sur-le-champ.
Quant aux accusations de racisme dont feraient l'objet les membres des services de police - formulation très générale -, je puis vous dire que pour l'année 2000, 25 plaintes ont été enregistrées par le Comité P pour des faits de racisme et xénophobie lors d'interventions de la police. Pour 2001, 52 plaintes ont été enregistrées. Pour l'année en cours, le nombre s'élève à 68 plaintes à ce jour. Il appert cependant que moins de 10% seulement des plaintes sont recevables, ce qui ne signifie pas nécessairement qu'elles soient fondées. Pour cette année, sept plaintes doivent encore être examinées au fond. Si l'on met ce chiffre en relation avec les quelque 38.000 policiers que compte notre pays, force est de constater le caractère tout à fait marginal - et c'est heureux - de ce genre de plainte.
M. Jean-François Istasse (PS). - Je voudrais remercier le ministre de sa réponse et me réjouir de la position ferme adoptée par le gouvernement. Comme vous, monsieur le ministre, je trouve la situation inacceptable. La police d'Anvers ne peut admettre une immixtion dans son rôle en laissant s'exercer une surveillance systématique et organisée de ses services. On touche effectivement à l'État de droit et aux fondements mêmes de notre démocratie, car il est évident que le contrôle de l'autorité publique appartient bien évidemment à l'autorité publique elle-même.
Il faut rappeler que tout le monde doit respecter le droit et qu'il n'est pas question de jeter l'opprobre sur quelque communauté que ce soit et sûrement pas sur la communauté musulmane. Cependant, on atteint ici les limites du tolérable ; c'est pourquoi une réaction claire et démocratique s'impose absolument. Nous ne pourrons que soutenir le gouvernement dans sa volonté de faire respecter l'État de droit.
M. le président. - Votre question portait sur un problème de fond dans un État de droit. L'article 1er de la loi du 4 mai 1936 traite de l'immixtion dans l'action de la police. À mes yeux, ce genre d'activité viole la loi.