2-1279/2 | 2-1279/2 |
12 NOVEMBRE 2002
Procédure d'évocation
Art. 2
Ajouter à l'article 1erbis proposé un § 6 (nouveau), rédigé comme suit :
« § 6. Le présent article n'est pas applicable dans le cadre de la construction d'habitations groupées. Pour l'application de la présente loi, l'on entend par construction d'habitations groupées un projet de construction d'habitations pour lequel la construction simultanée d'au moins cinq maisons, sur chantier commun, a été autorisée en vertu de la réglementation régionale sur l'aménagement du territoire. »
Justification
L'interdiction de la vente couplée aura des effets néfastes considérables pour les projets de logements groupés, ce plus particulièrement dans le cadre de relations de coopération entre les secteurs public et privé.
À l'heure actuelle, bon nombre de propriétaires fonciers non professionnels (privés ou publics) concluent des conventions en matière de droit de superficie avec des promoteurs immobiliers professionnels et avec des entrepreneurs. Le propriétaire foncier accorde au promoteur immobilier ou à l'entrepreneur la faculté d'aménager sur son terrain une infrastructure (voirie et utilités) et de réaliser un projet de construction d'habitations.
Le promoteur ou l'entrepreneur qui veut réaliser un projet de logements aménagera, le cas échéant, l'infrastructure et construira ensuite les logements conformément au permis urbanistique accordé et selon que des contrats ont été conclus avec des candidats maîtres d'ouvrage.
Le propriétaire foncier accorde, en effet, invariablement au promoteur immobilier ou à l'entrepreneur le droit de conclure avec des tiers, soit des accords d'entreprise pour la construction d'une habitation, soit pour vendre des habitations sur plan.
Une « vente sur plan » est la vente d'une habitation encore à construire; à l'inverse du contrat d'entreprise, la vente doit toujours avoir lieu par acte authentique pour être opposable à tiers. Une vente sur plan est précédée, en règle générale, d'un « compromis » qui prévoit clairement la date à laquelle l'acte authentique sera établi, ainsi que le notaire instrumentant.
Le propriétaire foncier s'engage dès lors envers le promoteur ou envers l'entrepreneur à vendre au tiers la parcelle de terrain sur laquelle le logement sera construit, ce au moment où le promoteur ou l'entrepreneur conclura avec ce tiers une vente sur plan (compromis) ou un contrat d'entreprise. Dans certains cas, le propriétaire foncier donne même au promoteur ou à l'entrepreneur un mandat afin de vendre la parcelle de terrain en son nom et pour son compte, de manière à ne pas devoir être présent chaque fois au moment de la signature des contrats.
Le maître d'ouvrage ne sera évidemment disposé à conclure avec l'entrepreneur ou avec le promoteur les contrats d'entreprise ou les ventes sur plan que pour autant qu'il devienne propriétaire du terrain sur lequel les constructions seront érigées.
Le prix de chaque parcelle est préalablement fixé par le propriétaire du terrain. Si ce dernier est un pouvoir public, il peut mener une politique foncière sociale et veiller à ce que le prix du terrain reste relativement peu élevé. Dans certains cas, une politique foncière sociale n'est pas indiquée par exemple, parce qu'il existe d'ores et déjà un nombre suffisant de lotissements sociaux aux alentours ou parce que le projet ne s'y prête pas. C'est donc le propriétaire foncier lui-même qui décide du prix qu'il veut obtenir pour son terrain. Le promoteur ou l'entrepreneur ne peuvent dès lors fixer eux-mêmes ce prix, n'étant pas propriétaire du terrain.
Au moment où le promoteur ou l'entrepreneur négocie avec des candidats maîtres d'ouvrage, le prix du terrain est donc d'ores et déjà connu. Si le candidat maître d'ouvrage est d'accord, il conclut le contrat d'entreprise pour la construction d'un logement avec l'entrepreneur, ou alors une vente sur plan avec le promoteur (compromis). Simultanément, un accord est conclu pour l'acquisition d'une parcelle (également par voie de compromis).
La vente du terrain est ensuite fixée dans la convention à une date ultérieure, par acte authentique devant notaire. Si sur le terrain concerné, une habitation est vendue sur plan, cela est constaté d'emblée dans ce même acte authentique, afin de gagner du temps et d'éviter des frais.
Toutes les parties concernées sont satisfaites : le propriétaire non professionnel (particulier ou pouvoir public) parce que son terrain a acquis une plus-value le cas échéant « sociale » dans le cadre d'une politique foncière sociale sans avoir dû fournir lui-même un effort, le promoteur professionnel ou l'entrepreneur parce qu'il peut développer des terrains sans devoir d'abord les acquérir, et le consommateur parce qu'il peut occuper rapidement un logement sur un terrain qui, dans bon nombre de cas, a été acquis à un prix abordable, ce certainement dans le cadre de projets de coopération entre les secteurs public et privé.
Dès lors que, selon l'article 2 de la loi, le contrat d'entreprise ou le contrat de vente sur plan d'une habitation peut être conclu au plus tôt au moment de la passation de l'acte authentique de vente du terrain, et que le candidat maître d'ouvrage dispose d'un délai d'un mois après la passation de l'acte pour invoquer la nullité du contrat d'entreprise ou d'un acte juridique assimilé à ce contrat d'entreprise (il faut entendre par là : l'achat sur plan d'une habitation), cela équivaut à un coup mortel porté à de tels projets. Et pourtant, ils constituent à l'heure actuelle pour ainsi dire la seule manière de réaliser les projets de coopération entre les secteurs public et privé dans le secteur du bâtiment.
À la suite de l'interdiction de la vente couplée, le promoteur ou l'entrepreneur devra désormais s'engager dans la construction d'habitations sans avoir la certitude d'avoir un client. Notamment du fait de ce préfinancement et d'une plus grande incertitude, les frais des candidats maîtres d'ouvrage iront en augmentant et le promoteur ou l'entrepreneur pourra tenir compte dans une moindre mesure, voire aucunement, des desiderata du candidat maître d'ouvrage. En outre, seuls les grands promoteurs seront en mesure d'assumer le coût du préfinancement des logements groupés et le risque afférent. Les promoteurs moins importants déserteront le marché.
Feu M. Aimé Desimpel déposa jadis à la Chambre des représentants un amendement tendant à soustraire les projets de logements groupés à l'interdiction de la vente couplée (doc. 1201/011). La commission chargée des problèmes de droit commercial et économique approuva cet amendement. Toutefois, lors du vote du texte en séance plénière, quelques députés introduisirent un nouvel amendement, tendant à supprimer la proposition de feu M. Desimpel (doc. 1201/14).
Ce dernier amendement n'était pas motivé, mais il fut allégué en séance plénière que la proposition de feu M. Desimpel ne contenait aucune définition de la notion de logements groupés. Cela ouvrirait la porte à des abus. En outre, seules les Régions seraient compétentes pour arrêter pareille définition dans le cadre de leur compétence en matière d'aménagement du territoire. Il fut allégué que la notion de « logements groupés » est d'ailleurs inconnue dans les différentes régions. La séance plénière adopta dès lors ce dernier amendement (voir doc. 1201/015).
La motivation de la suppression de la proposition de M. Desimpel doit toutefois être mise en question. Il convient de souligner tout d'abord que la notion de « construction groupée d'habitations » fut introduite dans l'ordre juridique belge en 1972 c'est-à-dire avant la régionalisation des compétences en matière d'aménagement du territoire par l'arrêté royal du 28 décembre 1972 relatif à la présentation et à la mise en oeuvre des projets de plans et des plans de secteur (Moniteur belge du 10 février 1973) (en abrégé : « l'arrêté organique »). L'article 5.1.1. de l'arrêté organique dispose que les zones d'extension d'habitat sont réservées exclusivement à la construction groupée d'habitations tant que l'autorité compétente ne s'est pas prononcée sur l'aménagement de la zone. Il est vrai que le texte même ne contient aucune définition, mais la doctrine et les circulaires ministérielles ont toujours fait usage de ce terme dans son acception normale, à savoir, la construction simultanée de plusieurs habitations avec un chantier commun. L'arrêté organique est d'ailleurs toujours d'application dans la Région flamande. Il ressort en outre de la jurisprudence du Conseil d'État que le terme « construction groupée d'habitations » autorise quelque chose de plus que la construction de logements sociaux et que l'initiative privée n'est donc certainement pas exclue (Conseil d'État, 24 septembre 1992, De Brabandere, nº 40.491).
Il n'est donc pas possible de soutenir que la notion de « logements groupés » soit inconnue.
D'autre part, l'intention ne peut être, toutefois, qu'un propriétaire de deux parcelles de terrain à bâtir avoisinantes puisse échapper à l'interdiction de la vente couplée en prévoyant un projet de logements groupés relatif à deux habitations. Afin d'éviter pareils abus, il faut inscrire dans la loi que l'exemption de l'interdiction de la vente couplée n'est applicable qu'aux projets de logements groupés qui portent sur la construction d'au moins cinq habitations.
Il n'est pas question d'excès de compétence, puisque cette règle s'applique exclusivement dans le contexte de la loi Breyne et ne vise aucunement à soumettre les différentes régions à une définition impérieuse des logements groupés en vue de l'application de la législation sur l'aménagement du territoire. L'autonomie des régions n'est donc pas mise en cause.
Didier RAMOUDT. |