(Fr.): Question posée en français - (N.): Question posée en néerlandais
Les ministres de la Justice et de l'Intérieur préparent un projet de loi visant à supprimer l'avis préalable du Conseil d'État pour la majorité des projets d'arrêtés royaux, d'arrêtés ministériels (au niveau fédéral) et de règlements (communautés et régions). L'objectif est de réduire la charge de travail du Conseil. Il est à remarquer qu'en juillet 2001, le gouvernement voulait encore résorber l'arrière du Conseil d'État en recrutant des effectifs supplémentaires.
Lorsque le Conseil d'État examine les projet de normes d'exécution, il contrôle si leur rédaction est correcte, si leur cadre légal est suffisant, si la terminologie utilisée est adéquate (conformité avec les objectifs du projets) et si l'uniformité terminologique est respectée (utilisation des mêmes termes pour des notions identiques et concordance entre les textes français et néerlandais).
Bref, le Conseil d'État constitue une garantie de l'indispensable uniformité de la réglementation qui est un des fondements de tout État de droit.
Le projet de loi va totalement à l'encontre de la ratio legis qui sous-tend la loi du 23 décembre 1946 créant le Conseil d'État. La principale raison d'être de la section de législation du Conseil d'État, qui était appelée à reprendre les tâches des diverses conseils consultatifs existants au sein des différents départements ministériels, résidait dans les substantielles économies que cela permettrait de réaliser.
Par la réforme envisagée, les divers organes exécutifs devront soit recourir à des cabinets spécialisés, soit se doter eux-mêmes de nouveaux organes consultatifs qui ne pourront pas offrir les mêmes garanties d'indépendance que le Conseil d'État.
Ce sont surtout les justiciables qui devront supporter les conséquences de cette réforme. Le droit se compose pour l'essentiel non pas de lois, mais bien de normes d'exécution qui constituent un écheveau particulièrement inextricable. C'est néanmoins par le biais de ces normes d'exécution que les libertés individuelles courent le plus grand risque de se voir restreindre, déclare notamment le professeur Nicolas De Sadeleer dans une interview récente à propos de cette réforme.
Restreindre les compétences de la section de législation du Conseil d'État aura plusieurs effets pervers : une prolifération des lois-cadres et, dans le prolongement de celles-ci, l'annulation a posteriori de règlements et arrêtés.
Le Conseil d'État constate que les gouvernements successifs ont de plus en plus tendance à édicter des normes d'exécution dénuées de tout fondement légal. Certains professeurs font ici état de « faux pouvoirs spéciaux » échappant à tout contrôle démocratique. Si le Conseil d'État ne peut pas émettre un avis sur ces normes, le gouvernement pourra, tel un voleur dans la nuit, continuer tranquillement à édicter pareilles normes d'exécution.
Cette évolution est néfaste pour la démocratie et indigne d'un État de droit.
C'est pourquoi j'aimerais que l'honorable ministre réponde aux questions suivantes :
1. Peut-il expliquer pourquoi l'on renonce à l'idée de résorber l'arrière du Conseil d'État en recrutant des effectifs supplémentaires ?
2. Peut-il expliquer dans le détail pourquoi il estime que l'instauration de divers conseils consultatifs au sein des départements tant fédéraux que régionaux ou communautaires est économiquement plus efficace que le maintien d'un organe consultatif central indépendant comme la section de législation du Conseil d'État ? Peut-il également indiquer quel serait le prix de ce changement ?
3. Peut-il indiquer comment il pourra garantir que l'indépendance de ces nouveaux organes consultatifs (qu'il s'agisse de cabinets spécialisés, de conseils consultatifs ou d'autres organes) sera à tout le moins équivalente à celle dont fait actuellement preuve la section de législation du Conseil d'État ?
4. Peut-il expliquer de manière circonstanciée comment il garantira l'uniformité de ces organes consultatifs compte tenu notamment de la grande complexité de l'ordre juridique actuel (songeons seulement aux nombreux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme qui ont une influence sur la réglementation) ? Peut-il également dire comment il pourra garantir l'uniformité linguistique nécessaire dans la réglementation, uniformité qui est un des fondements de l'État de droit [sont visés ici la rédaction correcte des projets, leur cadre légal, la terminologie adéquate (sont visés ici la rédaction correcte du projet) et l'uniformité terminologique (utilisation des mêmes termes pour couvrir les mêmes notions, concordance entre les textes français et néerlandais)] ?
5. Peut-il dire combien d'avis du Conseil d'État ont conclu à l'insuffisance de base légale des arrêtés royaux et des arrêtés ministériels qui lui étaient soumis et ce, pour chaque année de la législature actuelle ? Peut-il indiquer, pour la même période, toujours sur une base annuelle, le nombre d'avis négatifs rendus par le Conseil d'État ? Quelle est son opinion sur la question ?
6. Peut-il dire quelles garanties prémuniront le citoyen contre une politique arbitraire menée par l'Exécutif, étant donné que c'est précisément par ces normes d'exécution que les libertés individuelles courent les plus grands risques d'être mises en coupe réglée ?
7. Ne craint-il pas que les mesures promulguées par les divers organes exécutifs ne fassent davantage l'objet de condamnations a posteriori par les cours et les tribunaux dan un système décentralisé que dans un système à caractère préventif ? Dans la négative, peut-il expliquer en détail pourquoi ?
8. Les avis de la section de législation du Conseil d'État relèvent aujourd'hui de la transparence administrative. Par conséquent, chaque citoyen peut en prendre connaissance. Comment va-t-on organiser ce droit de consultation et d'accès à ces avis s'ils sont émis par des cabinets privés spécialisés ?