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M. Georges Dallemagne (CDH). - Le problème de mobilité auquel se trouvent confrontés les navetteurs travaillant dans les grandes villes de notre pays s'aggrave de jour en jour. Chaque matin et chaque soir, des milliers d'automobilistes forment, aux portes de notre capitale, des bouchons toujours plus longs. Et encore ont-ils la chance d'avoir du travail, contrairement à de nombreuses autres personnes.
Grâce aux techniques modernes, la plupart des travailleurs pourraient effectuer une partie des tâches qui leur incombent, soit à partir de leur domicile, soit à partir d'un télécentre. Cela leur éviterait de se déplacer aux heures de pointe.
Le télétravail, car c'est bien de cela qu'il s'agit, offre de nombreux avantages. Le premier est, bien entendu, de diminuer le nombres de véhicules sur nos routes aux heures de pointe. Par ailleurs, grâce à la flexibilité de cette forme d'organisation, de nombreuses personnes aujourd'hui sans emploi pourraient sans doute exercer leur profession. D'autres personnes pourraient mieux aménager le temps consacré au travail, aux loisirs, à la vie de famille ou à la formation.
Plusieurs entreprises offrent, aujourd'hui déjà, à leurs employés la possibilité de télétravailler, sur base volontaire, bien entendu. Selon certains sondages, 95% d'entre elles se déclarent satisfaites ou très satisfaites et 87% des télétravailleurs sont satisfaits ou très satisfaits de cette option. La Belgique compterait déjà plus de 300.000 télétravailleurs.
En proposant le télétravail à temps partiel, il est donc possible de réduire les embouteillages et d'augmenter le taux d'emploi, tout en maintenant intact le tissu social et en améliorant la qualité de la vie, moyennant, bien sûr, la prise de certaines précautions. J'ajouterai qu'en juillet 2002, un accord entre partenaires sociaux a été conclu à l'échelon européen, à la suite d'encouragements fermes de la part de la Commission européenne. Tous les États membres de l'Union européenne se sont d'ailleurs réunis, fin septembre, à Paris, pour débattre du télétravail.
Ma questions est simple. Au vu des nombreux avantages offerts par le télétravail - réduction du chômage, diminution des embouteillages, donc de la pollution, mais aussi réduction des coûts, augmentation de la productivité, diminution du stress, meilleur équilibre famille-travail, etc. - le gouvernement compte-t-il prendre des mesures pour encourager la mise en oeuvre de cette forme d'organisation dans nos entreprises ?
Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre de l'Emploi. - Nous devons, pour commencer, nous mettre d'accord sur une définition. Le télétravail est une forme de travail à distance qui suppose l'utilisation de moyens télématiques de communication, par lesquels le travailleur, qui n'est pas sous l'autorité directe de l'employeur, va pouvoir effectuer les tâches qui lui incombent.
Cette définition est communément acceptée, mais ne fait pas l'objet, en Belgique, de dispositions légales spécifiques. Aucune loi ne traite de ce mode particulier d'organisation du travail, qui s'inscrit d'ailleurs, comme vous venez de le rappeler, dans le cadre de recherches nouvelles en matière de flexibilité. Cela ne signifie pas, pour autant, que le télétravail ne soit pas pris en considération. En effet, la loi du 6 décembre 1996 sur le travail à domicile, non seulement, évoque cette possibilité, mais, en quelque sorte, l'organise.
En effet, cette loi règle les relations entre l'employeur et le travailleur lorsqu'ils décident de manière contractuelle que tout ou partie des fonctions du travailleur s'exerceront chez lui ou dans tout autre endroit choisi par lui, y compris sous forme de télétravail. Elle ne vise pas les situations de télétravail qui se déroulent sur les lieux de l'entreprise ni sur un lieu imposé par l'employeur, par exemple, un télécentre ou le télétravail mobile du délégué commercial, par exemple.
Cette loi de 1996 est un incitant important en cette matière, parce qu'elle fait entrer le contrat de travail à domicile dans le champ d'application de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail et met donc le travailleur à domicile sur pied d'égalité avec les autres travailleurs.
Elle sort, dès lors, le travail à distance du cadre informel, en offrant une protection unique aux relations ainsi créées, par l'énumération des droits et obligations des parties et en évoquant les modalités particulières que ce type d'organisation implique. Par exemple, elle règle la question des frais d'équipement, de chauffage, d'électricité et de téléphone. Elle fixe également des règles protectrices. Le contrat doit être établi par écrit et doit reprendre toute une série de mentions déterminées.
Mon administration veille, par ailleurs, à diffuser toute information sur cette législation et toute explication quant à son application, que ce soit de manière individuelle, sur demande d'employeurs ou de travailleurs intéressés ou, à portée générale, par le biais du Meta-guide également accessible via le site internet du ministère fédéral de l'Emploi et du Travail.
En ce qui concerne la possibilité d'introduire des incitants spécifiques, le gouvernement n'a pas pris de position officielle et, pour ma part, je n'ai pas pris d'initiative particulière en la matière.
Il conviendra de voir ce qu'en feront les partenaires sociaux. La réflexion sur le travail est très vaste et fait l'objet de nombreux rapports au niveau de la Commission européenne. Je m'en suis occupée lorsque j'étais au Comité des Régions.
Cette formule comporte une série d'avantages. Vous avez parlé, à juste titre, d'une harmonisation entre la vie au travail et la vie hors travail mais ce type d'activité encadré par la loi de 1996 comporte aussi des dangers qu'il faut oser évoquer. Ils proviennent d'une sorte de solitude du travailleur qui n'est plus protégé dans le cadre habituel des relations entre travailleur et employeur. Cela peut comporter des effets pervers.
Je le répète, nous sommes au début de ce processus. Je suis persuadée que nous connaîtrons, dans les années à venir, une extension de ce phénomène qui, actuellement, concerne essentiellement les cadres. Il faudra prévoir un meilleur encadrement du télétravail. Cela mérite une réflexion en profondeur.
J'ai travaillé sur de nombreux sujets, mais je n'ai pas eu le temps de me pencher sur le télétravail. Je ne pense pas pouvoir proposer une législation-cadre en la matière, avant la fin de la législature. Ce thème sera certainement, en matière d'emploi, un des enjeux de la prochaine législature. On verra qui pourra le prendre en charge.
Vous savez sans doute qu'un accord est intervenu entre les partenaires sociaux européens, le 16 juillet 2002, en matière de télétravail, accord qui confirme que le recours à la concertation pour cette problématique est indispensable.
L'accord des partenaires sociaux dit clairement qu'on laisse aux partenaires sociaux belges le soin de travailler sur un cadre général. Je ne plaide pas pour que les partenaires sociaux soient les seuls à imaginer des incitants particuliers. Je considère qu'il faudra non seulement une étude approfondie mais aussi une concertation large avec les partenaires sociaux.
J'ai aussi consulté ma collègue, la ministre de la Mobilité, votre demande d'explications lui étant également adressée. Comme vous, Mme Durant pense que le télétravail seul ne pourra pas résoudre les problèmes de mobilité mais il aura évidemment un impact sur celle-ci, principalement sur les déplacements entre le domicile et le lieu de travail, aux heures de pointe, ce qui n'est pas négligeable.
Elle précise néanmoins qu'il ne faut pas perdre de vue que certaines études ont démontré que le télétravail peut aussi contribuer à augmenter la mobilité pendant la journée, parce que les trajets pour les loisirs ou les achats qui, auparavant, étaient combinés avec des déplacements entre le lieu de travail et le domicile, se font désormais en dehors des heures de pointe.
Selon Mme Durant, une sensibilisation au télétravail pourrait certainement contribuer à faire augmenter davantage le nombre de télétravailleurs. La fonction publique pourrait se joindre au nombre croissant d'entreprises qui proposent déjà le télétravail en donnant plus de possibilités à ses agents et fonctionnaires de travailler un ou plusieurs jours par semaine depuis leur domicile.
Il ressort d'une enquête réalisée cette année par le bureau d'études Inside Consulting, pour le compte d'Alcatel, que parmi les non-télétravailleurs, quatre employés sur dix ont déjà envisagé de changer de travail en raison de problèmes de déplacement entre le domicile et le lieu de travail. Cela démontre clairement que les problèmes de mobilité sont ressentis par un nombre croissant de travailleurs comme un fardeau de plus en plus insupportable.
On peut penser que l'impact le plus tangible du télétravail sera d'amener une plus grande flexibilité dans le schéma de déplacement des individus. Même si cela ne fera pas diminuer le nombre global de déplacements, cela aura tout de même un effet positif en ce qui concerne la diminution du trafic aux heures de pointe.
Les effets des technologies de l'information et de la communication sur la mobilité en termes de fréquence des déplacements ne seront ni automatiques ni indépendants des contextes économiques, sociaux et politiques. Force est de constater qu'à l'heure actuelle, il n'existe pas de données fiables sur les déplacements des travailleurs entre leur domicile et leur lieu de travail. Dans le but d'une meilleure gestion de la mobilité des travailleurs, par exemple sous la forme de plans de mobilité au niveau des entreprises, un tel diagnostic serait évidemment fort utile, tant pour les autorités que pour les entreprises.
C'est dans ce but que la ministre de la Mobilité et moi-même avons déposé, à la Chambre, un projet de loi relatif à la collecte de données concernant les déplacements des travailleurs entre leur domicile et leur lieu de travail. Cela participera certainement à l'examen en profondeur de la situation actuelle avant de travailler sur une législation-cadre. L'option prise dans le projet est d'obliger les entreprises et organisations qui occupent plus de 100 travailleurs d'établir un diagnostic triennal des déplacements entre le domicile et le lieu de travail. Dans une deuxième phase, elles pourront, sur une base volontaire, instaurer un plan de mobilité. Le télétravail pourrait être un des multiples éléments de tels plans. Ce projet a fait l'objet d'une large concertation et d'un accord avec les partenaires sociaux.
Cette demande d'explications montre que nous avons besoin, outre ce qui existe déjà, outre les petits éléments que nous mettons en place, d'une réflexion cadre sur l'intérêt des travailleurs et sur la protection de leurs droits, mais aussi sur la dimension d'intégration sociale du travail qui n'est pas nécessairement rencontrée par le télétravail.
M. Georges Dallemagne (CDH). - Je vous remercie, madame la ministre, de nous avoir livré ces réflexions détaillées, avec toutes les nuances qui s'imposent pour une question comme celle-là. Je note que vous souhaitez démarrer une réflexion cadre à ce sujet. Je partage certaines de vos préoccupations, notamment en ce qui concerne une certaine forme de solitude ou d'isolement social. C'est d'ailleurs une question qui est souvent posée.
Je rappelle que l'idée souvent défendue par les personnes ou les associations qui essaient de promouvoir le télétravail est que celui-ci s'effectue toujours sur une base volontaire et à temps partiel. Il n'est nullement question de pouvoir délocaliser complètement un travailleur à son domicile durant toute la semaine. Il doit pouvoir travailler chez lui pendant un, deux, voire trois jours au maximum.
Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre de l'Emploi. - Vous savez très bien que lorsqu'on parle de base volontaire, c'est toujours sujet à appréciation.
M. Georges Dallemagne (CDH). - C'est exact et c'est pourquoi j'ai ajouté « à temps partiel ». Il peut effectivement arriver que des « volontaires » soient quelque peu contraints.
Ces deux éléments sont en tout cas un premier filet de protection, mais il faut certainement en ajouter d'autres. Étant donné que 300.000 travailleurs sont déjà dans ce cas en Belgique, j'estime important de bien veiller à ce que les principes mis en place par les organisations sociales sur le plan européen, début juillet, comme vous l'avez rappelé madame la ministre, soient effectivement traduits en termes de loi dans notre pays et que l'ensemble des principes sur lesquels les partenaires sociaux se sont accordés soient réellement mis en oeuvre.
J'ai personnellement expérimenté le télétravail. Je puis vous dire que lorsqu'il est accompli durant un ou deux jours par semaine, il permet de diversifier les relations sociales, qui ne sont plus exclusivement limitées à celles du milieu professionnel. Elles peuvent à nouveau être celles du quartier, de l'école des enfants et d'autres lieux où l'on peut rencontrer des personnes que l'on ne pouvait plus fréquenter en raison d'impératifs d'horaires et d'éloignement.
Je suis quelque peu surpris que votre collègue chargée de la Mobilité utilise l'argument selon lequel la personne qui travaillera à domicile risque de prendre sa voiture et de faire beaucoup de kilomètres. Je crois que les personnes souhaitant travailler à domicile sont très heureuses de rester tranquillement chez elles ce jour-là et de ne pas devoir faire de nombreux déplacements. Cet argument me semble donc quelque peu théorique. Il y a, à mon sens, d'autres manières d'éviter les déplacements superflus, éventuellement à travers la fiscalité ou d'autres moyens.
Je vous encourage vraiment à faire en sorte que la loi actuelle puisse évoluer parce qu'elle présente des lacunes et ne tient pas compte de toute l'évolution ayant eu lieu en matière de télétravail. Il faut absolument que les travailleurs et les entreprises qui ont fait ce choix et continueront à le faire puissent agir dans de bonnes conditions à l'avenir.
-Het incident is gesloten.
(Voorzitter: mevrouw Sabine de Bethune, eerste ondervoorzitter.)