2-1302/1

2-1302/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2002-2003

11 OCTOBRE 2002


Proposition de loi modifiant la loi du 10 août 2001 portant réforme de l'impôt des personnes physiques, en vue d'améliorer la capacité financière des isolés et des familles monoparentales

(Déposée par MM. Patrik Vankrunkelsven et Vincent Van Quickenborne)


DÉVELOPPEMENTS


1. INTRODUCTION

Tout comme les réformes fiscales de 1988 et de 1993, les réformes récentes profitent surtout aux ménages à double revenu et aux familles recomposées. Elles ne servent guère les intérêts des ménages à un seul revenu, des isolés et des familles monoparentales. On peut déjà déduire de la loi même qui en sont les principaux bénéficiaires. Cette analyse a été confirmée en seconde instance sur la base de simulations. Il ressort d'études socio-économiques que ce dernier groupe de population éprouve d'énormes difficultés et se retrouve souvent juste au-dessous ou juste au-dessus du seuil de pauvreté. J'ai adressé à ce sujet à la Cour d'arbitrage une requête en annulation de l'article 23 de la loi portant réforme de l'impôt des personnes physiques.

2. ANALYSE DE LA « LOI PORTANT RÉFORME DE L'IMPÔT DES PERSONNES PHYSIQUES » (PLAN REYNDERS)

a) Moyens disponibles

À terme, 135 milliards de francs d'impôts seront « restitués » au contribuable. Il s'agit d'une somme colossale. Des simulations montrent que la loi n'améliorera pas le sort de ceux qui éprouvent de véritables difficultés dans la société (cf. infra). L'on peut même déjà déduire de l'analyse de la loi proprement dite que la volonté de remédier à la situation des plus démunis a été extrêmement faible. Elle est conçue selon quatre lignes de force :

a) réduction de la pression fiscale sur les revenus du travail (69 milliards de francs);

b) neutralité vis-à-vis des choix de vie (59 milliards de francs);

c) compensation de la charge d'enfants (5 milliards de francs)

d) fiscalité plus écologique (p.m).

(a) La première ligne de force permet, certes, aux isolés de bénéficier dans une certaine mesure du crédit d'impôt (18 milliards de francs), mais, pour le reste, ce sont surtout les catégories supérieures de revenus qui profitent du réaménagement des barèmes fiscaux.

(b) La deuxième ligne de force profite intégralement aux « non-isolés ». Un ménage moyen bénéficie d'un avantage de (40 000 × 2) × 25 % = 20 000 francs (495 euros). Au total, 44 milliards de francs sont en jeu (20 000 × 2,22 millions de couples mariés). Il s'agit d'un avantage dont les isolés ne bénéficient absolument pas.

(c) La troisième ligne de force concerne des mesures favorables aux ménages ayant des enfants à charge et aux isolés, mais la masse disponible est ridiculement basse. Cette ligne de force génère trois mesures :

* Les ménages ayant des enfants à charge dont le revenu est inférieur au montant exonéré théorique total bénéficient d'un crédit de 10 000 francs (250 euros) au maximum par enfant. Au total, 3 milliards de francs sont en jeu.

* Les veuves, veufs et les parents célibataires isolés ayant au moins un enfant à charge bénéficiaient déjà d'une exonération fiscale supplémentaire de 35 000 francs (870 euros). Cette mesure deviendra applicable désormais aussi en faveur des parents séparés. Au total, 2 milliards de francs.

* En ce qui concerne spécifiquement les isolés, on a relevé le montant que peuvent gagner les enfants à charge [on passe de 90 000 francs (2 250 euros) à 105 000 francs (2 600 euros)].

L'impact de ces mesures est beaucoup plus grand sur papier que dans les comptes.

On peut estimer que les ménages moyens tireront un maximum des lignes de force 1 et 2 et qu'ils gagneront entre 20 000 francs (500 euros) et 50 000 francs (1 250 euros). Les isolés gagneront à peine quelques milliers de francs, quant à eux, sauf s'ils ont de hauts revenus (surtout grâce à la ligne de force 1).

b) La philosophie de la loi méconnaît la situation des isolés

L'article 131 actuel du CIR 1992 prévoit que la quotité exonérée pour les isolés est supérieure à la quotité exonérée pour les conjoints. En traitant les uns et les autres différemment, le législateur a voulu tenir compte des différences qui existent entre leurs situations respectives : la capacité financière des premiers est inférieure à celle des seconds. Les conjoints peuvent partager les frais forfaitaires (montant de base de l'abonnement téléphonique, électricité, loyer ou hypothèque, ....)

En effet, les frais forfaitaires sont indépendants de la composition des ménages. Leur montant est le même pour les isolés et pour les ménages à double revenu.

En outre, la garde des enfants est plus coûteuse pour les parents isolés que pour les ménages à double revenu, étant donné que les isolés doivent confier plus fréquemment leurs enfants à des tiers ou à des personnes extérieures à leur ménage.

Il est évident que la capacité financière d'un « véritable » isolé est inférieure à la moitié de celle de deux cohabitants ou d'un couple marié.

La nouvelle loi fait disparaître la discrimination entre les gens mariés et les cohabitants, mais aussi la différence raisonnable entre la quotité exonérée des « véritables » isolés, ayant ou non des enfants à charge, et la quotité exonérée des cohabitants mariés ou non mariés, qui est fondée sur le fait que les uns n'ont pas la même capacité financière que les autres.

« Le ratio entre la capacité financière que confère le revenu et la répartition de la charge fiscale est le (en italique dans le texte original) critère pertinent » (Traduction) (1).

La capacité financière est l'ultime critère d'appréciation à prendre en compte pour pouvoir élaborer une fiscalité équitable sur les revenus.

L'article 23 de la loi du 10 août 2001 portant réforme de l'impôt des personnes physiques, qui remplace l'article 131 du Code des impôts sur les revenus de 1992, méconnaît la notion de la capacité financière, ce qui entraîne une discrimination aux dépens du « véritable isolé », lequel a droit, comme le prévoyait la réforme de 1998, à une quotité exonérée plus élevée.

Divers commentateurs fiscaux ont fait part de leur désapprobation. « Une seule catégorie sociale risque toutefois d'être dupe de l'évolution qui se dessine, à savoir celle des véritables isolés. Plusieurs avantages dont ils bénéficient aujourd'hui par rapport aux couples mariés sont étroitement liés au fait que vivre seul entraîne des frais relativement plus élevés » (2) (Traduction).

Le professeur Frans Vanistendael commente comme suit la mesure en question : « Eu égard au principe selon lequel il faut tenir compte de la capacité financière, c'est précisément le reproche que l'on peut faire à la décision d'octroyer la même exonération de base aux gens mariés et aux isolés. De par celle-ci, les isolés sont redevables d'un impôt relativement plus élevé que celui des gens mariés ou les cohabitants enregistrés comme tels » (3) (Traduction).

Dans son arrêt du 6 novembre 2001, numéro de rôle 140/2001, la Cour d'arbitrage souscrit au principe selon lequel il faut tenir compte de la capacité financière, étant donné que les frais qu'un isolé doit exposer pour pourvoir à ses besoins sont plus élevés que ceux d'un conjoint.

On a mis fin à une discrimination (la discrimination aux dépens des gens mariés par rapport aux « cohabitants ») en en créant une autre (une discrimination aux dépens des « véritables isolés » par rapport aux gens mariés et aux cohabitants). Le véritable problème vient de ce que la notion de cohabitation en dehors du mariage n'existe pas pour le fisc, ce qui a entraîné des disparités entre cohabitants et gens mariés. Il aurait fallu résoudre ce problème en créant une nouvelle catégorie, à savoir celle des « cohabitants ».

Au cours des travaux préparatoires à la Chambre, le ministre a déclaré qu'il était impossible de prévoir une augmentation supplémentaire, étant donné que « le fisc n'est pas à même de contrôler si le contribuable est ou non véritablement un isolé » (doc. Chambre, nº 50-1270/006, p. 92). Dans la partie de l'exposé des motifs consacrée à l'article en question, le ministre s'est contenté de parler de « neutralité vis-à-vis des choix de vie ».

Il va de soi que l'on peut difficilement qualifier de raisonnable la justification d'une égalité de traitement entre des personnes qui se trouvent dans des situations essentiellement différentes. On peut tout au plus considérer qu'elle repose sur des considérations pratiques qui ne contiennent aucun argument fondamental. En outre, la notion d'« isolé » est bel et bien utilisée dans le secteur de la sécurité sociale (allocations de chômage, minimum vital, ...).

L'une des conclusions politiques tirées de l'étude consacrée en 1999 (c'est-à-dire d'avant la réforme fiscale) par la professeur Bea Cantillon et la chercheuse Gerlinde Verbist à la redistribution sociale et fiscale en Belgique, est révélatrice. « Le facteur stratégique de la politique en question se situe dans la dimension familiale de la redistribution fiscale et sociale. L'individualisation accrue qui marque la société oriente la fiscalité et la sécurité sociale dans le sens de charges et de profits individualisés. Toutefois, malgré cette individualisation accrue qui se dessine dans la réalité sociale, la capacité financière des individus reste déterminée dans une large mesure par la structure et par la composition du groupe social auquel ils appartiennent. Si l'on veut vraiment développer une société solidaire par le biais de la fiscalité et la sécurité sociale, on doit tenir compte de ces facteurs dans le cadre de celles-ci. Une individualisation complète se traduit en effet inévitablement par une moindre redistribution et par une multiplication des inégalités » (4) (Traduction).

Il y a du reste des parallèles frappants avec les précédentes réformes fiscales de 1988 et 1993, qui ont été étudiées en détail par les chercheurs André Decoster et Guy Van Camp (5). Comme à l'époque, le gain relatif et le gain absolu sont plus élevés pour les ménages à double revenu et les familles recomposées que pour les ménages à un seul revenu, les familles monoparentales et ­ surtout ­ les isolés; telle est une des conclusions de l'étude relative aux effets de redistribution du projet de réforme fiscale (plan Reynders) d'octobre 2000 (6).

On accorde un avantage fiscal de 44 milliards de francs aux gens mariés, mais on ne prévoit aucune réduction d'impôts en faveur des isolés. Pourtant, personne ne conteste la logique de la distinction initiale.

3. CONTEXTE : SITUATION SOCIO-ÉCONOMIQUE DES ISOLÉS/DES FAMILLES MONOPARENTALES

Selon une étude de l'INS, il y avait 1 321 599 isolés en Belgique le 1er janvier 2000 auxquels il faut ajouter quelque 450 000 familles monoparentales; 600 000 enfants vivent avec un parent isolé.

Les chercheurs, la docteur Bea Van den Bergh et Walter Van Dongen, attachés au « Centrum voor bevolkings- en gezinsstudie » (dénommé ci-après CBGS), affirment, dans une étude réalisée pour le CBGS, que le revenu familial total des familles monoparentales est inférieur de plus d'un quart à celui des ménages à un seul revenu, et inférieur de moitié à celui des ménages à double revenu. 44 % des parents isolés arrivent à peine à joindre les deux bouts (7).

Il ressort d'une étude sur l'inégalité socio-économique dans le secteur des soins de santé qui a été réalisée par le professeur Fred Louckx, que ce sont surtout les mères isolées qui ne peuvent pas payer les soins de santé (8). Dans une interview de M. Jos Vranx réalisée à l'occasion de cette étude, il affirme que les familles monoparentales constituent un groupe croissant dans notre société et que les politiques ne s'intéressent guère à leur situation difficile (9).

En 1997, le Rapport bruxellois sur la pauvreté pour l'année 1997 confirmait déjà, sur la base de données des CPAS bruxellois de la fin de 1996, l'existence des groupes à risque que l'on pouvait distinguer clairement dans les rapports précédents, et, en particulier, de celui des femmes isolées ayant des enfants à charge. À cet égard, il précisait les choses comme suit : « Les femmes isolées avec enfants à charge vivant d'un travail précaire ou d'allocations sociales cumulent plusieurs facteurs d'exclusion sociale dans une société où le double revenu est devenu le revenu de référence. Il faut attirer ici l'attention sur le nombre élevé de femmes isolées (1 816 en 1996 contre 1 335 trois ans auparavant, soit une augmentation de 36 %) et sur le nombre élevé d'hommes isolés qui ont des enfants à charge et qui font appel au CPAS (412 en 1996 contre 102 en 1996, soit une augmentation de 39 %) » (10) (Traduction).

La situation financière précaire des familles monoparentales se traduit non seulement par les difficultés qu'elles éprouvent à payer les soins de santé, mais aussi par des difficultés financières qu'engendre le paiement des études des enfants.

À cet égard, il est question, dans une synthèse de la Fondation Roi Baudouin concernant un colloque relatif aux familles monoparentales, d'une étude que la chercheuse Diana Smedts réalisa à la demande du « Stuurgroep sociale gegevens » et pour les besoins de laquelle des étudiants reçurent un questionnaire lors de leur inscription. On leur demanda notamment dans quelle mesure leurs parents éprouvaient des difficultés à financer leurs études et quelle était la composition du ménage de ceux-ci. Les réponses indiquèrent que c'étaient surtout les familles monoparentales composées de mères isolées ayant des enfants à charge qui éprouvaient des difficultés à cet égard. 75 % des familles monoparentales éprouvent des difficultés à payer des études universitaires, soit plus de deux fois le pourcentage de familles en difficulté pour ce qui est de l'ensemble du groupe des étudiants interrogés (11).

La vulnérabilité des enfants d'isolés est également attestée par les chiffres pour 1999 de la cellule de prévention du « Comité voor bijzondere jeugdzorg Sint-Niklaas ». Ils indiquent que trois enfants sur dix qui relèvent de l'aide spéciale à la jeunesse font partie de familles monoparentales.

4. IMPACT DE LA LOI REYNDERS

Si l'on applique la réforme fiscale de M. Reynders à la population, on constate qu'elle a surtout un impact favorable sur les ménages à double revenu. Les revenus sont exprimés en déciles du revenu standardisé, compte tenu de la composition des ménages et des avantages d'échelle dans la consommation. Les facteurs d'équivalence sont : 1 pour le premier adulte, 0,5 pour chaque adulte supplémentaire et 0,3 pour chaque enfant.

Il ressort des simulations du CSB (Cantillon/Verbist) que plus de 90 % des ménages à double revenu bénéficient de la réduction d'impôts, contre 78 % seulement des ménages à un seul revenu, 73 % des familles monoparentales et 49 % des isolés. Les mesures proposées profitent toutes davantage aux ménages à plusieurs revenus qu'aux ménages à un seul revenu.

5. NOTRE PROPOSITION DE LOI

La présente proposition de loi comporte trois mesures de politique fiscale qui apportent une réponse équilibrée aux critiques fondées de la doctrine et de la jurisprudence, d'autant plus que toutes les études relatives à la pauvreté confirment que les isolés et les familles monoparentales se trouvent dans une situation financière précaire.

Loin de nous l'idée de stigmatiser les « véritables » isolés, avec ou sans enfants à charge, mais il faut leur donner la possibilité de briser le cercle vicieux de la pauvreté.

(1) Premièrement, nous proposons de rétablir la philosophie initiale de l'article 131 et de prévoir à nouveau une différenciation entre la quotité exonérée des « véritables » isolés et la quotité exonérée des cohabitants.

(2) Le crédit d'impôt institué par la loi du 10 août 2001 portant réforme de l'impôt des personnes physiques constitue, en théorie, un outil efficace de revalorisation substantielle du revenu des travailleurs au profit surtout des bas revenus. Mais, de par l'« individualisation » des impôts, ce sont surtout les ménages à revenu unique peu élevé qui en bénéficient. Les isolés n'en bénéficient que dans une moindre mesure. C'est pourquoi nous accentuons cette mesure en faveur des isolés en relevant de 50 % le crédit en leur faveur.

(3) Comme toutes les études indiquent que les familles monoparentales se trouvent dans une situation précaire, la présente proposition de loi prévoit outre deux mesures dont bénéficient tous les « véritables » isolés, une mesure concrète (article 3) qui profite spécifiquement aux familles monoparentales.

À l'heure actuelle, elles ne bénéficient bien souvent pas de l'exonération fiscale pour enfants à charge, parce que leur revenu est tellement faible qu'il n'atteint même pas le seuil imposable. Elles tombent dès lors en dehors du champ d'application de la politique familiale que l'on mène par le biais de cette exonération.

Voici ce que dit à ce sujet le Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes : « Cette exclusion (...) est tellement occultée que ni la Commission interdépartementale de lutte contre la pauvreté, ni le Rapport général sur la pauvreté n'ont soulevé la problématique du rapport entre dépenses fiscales et pauvreté » (12).

C'est pourquoi nous prévoyons une mesure spécifique en faveur des familles monoparentales en vue de porter à leur intention le crédit d'impôt pour enfants à charge, qui sera applicable à partie de l'exercice d'imposition 2003, à 500 euros (20 170 francs) au maximum par enfant à charge.

6. COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi portant réforme de l'impôt des personnes physiques, le principal avantage fiscal dont bénéficiaient les isolés par rapport aux personnes mariées venait du fait que la quotité exonérée de leur revenu était inférieure à la leur. En ce qui concerne l'exercice d'imposition 2001, elle s'élevait à 167 000 francs pour chaque conjoint, mais à 210 000 francs pour un isolé (13).

L'un des principaux objectifs de ladite loi était d'assurer la neutralité vis-à-vis des choix de vie.

L'une des mesures traduisant cet objectif principal a consisté à relever le minimum imposable des personnes mariées jusqu'au niveau de celui des isolés, ce qui a permis de supprimer une importante discrimination fiscale entre les gens mariés et les cohabitants de fait, mais a du même coup fait disparaître la différence raisonnable entre la quotité exonérée d'impôts du revenu des « véritables » isolés et celle du revenu des cohabitants, mariés ou non, qui a été basée sur la capacité financière différente des uns et des autres et qui est admise par la Cour d'arbitrage.

Dans notre système étatique, les impôts sont nécessaires à la fois pour financer les dépenses des pouvoirs publics et pour redistribuer les revenus des contribuables en fonction de leur capacité financière (14).

Désormais, l'on va imposer les isolés de manière relativement plus lourde que les personnes mariées et les cohabitants enregistrés comme tels, ce qui ne peut pas avoir été le but poursuivi (15).

La catégorie sociale des véritables isolés risque dès lors d'être la dupe de toute l'évolution qui est envisagée.

Cet article remédie à la plus grave discrimination dont ces « véritables » isolés risquent d'être les victimes.

Diverses études ont largement montré que cette discrimination fiscale a des conséquences financières désastreuses pour les « véritables » isolés et pour les familles monoparentales. Tel fut le cas, notamment, de l'étude d'Eurostat intitulée « Social exclusion in EU member states », nº 1/2000, de l'étude du professeur Fred Louckx relative à l'inégalité socio-économique dans les soins de santé (supra), du Rapport bruxellois sur la pauvreté pour l'année 1997 (supra), de l'étude que consacrèrent en décembre 1999 la professeur Bea Cantillon, Birgit Kerstens et Gerlinde Verbist (supra), à la demande du CSB, à la redistribution sociale et fiscale en Belgique, et de l'étude circonstanciée de Bea Van den Bergh et Walter Van Dongen, tous deux chercheurs au CBGS (supra). Toutes ces études ont confirmé que de nombreuses familles monoparentales et de nombreux isolés vivent sous le seuil de pauvreté.

Nous commençons par insérer à l'article 23A un alinéa qui ajoute, au minimum exonéré des isolés, pour l'exercice d'imposition 2004, un montant identique à la majoration accordée à chaque conjoint pour cet exercice.

En outre, nous prévoyons à l'article 23B, qui sera applicable à partir de l'exercice d'imposition 2005, un minimum exonéré plus élevé, à savoir 1 065 euros, pour les véritables isolés.

Le montant de 1 065 euros correspond à la différence qui existait entre les personnes mariées et les isolés cohabitants ou non (43 000 francs), en ce qui concerne l'exercice d'imposition 2001, étant entendu que selon la réglementation prévue, seuls les « véritables » isolés bénéficient de la mesure en question.

Le coût de celle-ci tourne autour de 10 milliards de francs, soit 205 millions d'euros.

Seul le contribuable qui est isolé a un minimum exonéré plus élevé.

Le Roi doit veiller au respect de toutes les lois. Le pouvoir exécutif doit, s'il y a lieu, élaborer un cadre réglementaire en vue de prendre des mesures de contrôle lui permettant de vérifier si celui qui fait valoir un droit à un minimum exonéré plus élevé est effectivement isolé. À cet égard, le fait de partager un domicile avec autrui constitue un indice clair.

Dans le secteur de la sécurité sociale (par exemple pour ce qui est des allocations de chômage), on utilise depuis longtemps la notion d'isolé et on contrôle effectivement si les intéressés sont vraiment des isolés.

Il va de soi que les sanctions administratives prévues par les articles 444 et 445 du CIR 1992 (majoration de l'impôt, amende administrative) et les sanctions pénales (articles 449 à 463 du CIR 1992) sont intégralement applicables dans le cadre de cet article.

Article 3

À partir de l'exercice d'imposition 2003, la part non utilisée de la quotité exonérée qui concerne les enfants à charge est convertie en un crédit d'impôt remboursable, pouvant atteindre 250 euros (10 084 francs) au maximum par enfant à charge. Concrètement, on calcule le crédit d'impôt en multipliant la partie prise en compte pour la conversion par le taux de la tranche de revenu correspondante. Le crédit d'impôt ainsi calculé est versé au contribuable si le solde s'élève à 2,50 euros au moins.

Actuellement, bon nombre de ménages ayant des enfants à charge et, plus particulièrement, les familles monoparentales, dont le revenu oscille souvent autour du seuil de pauvreté, ne peuvent pas bénéficier pleinement de l'exonération pour enfants à charge.

À cet égard, le premier Plan national pour l'inclusion sociale du gouvernement fédéral concernant l'image structurelle de la pauvreté dit ce qui suit : « Le rétrécissement de la famille diminue les moyens financiers du ménage. Les personnes isolées et les familles à revenu unique courent plus de risques de se retrouver dans une situation de bas revenu (...) De ce fait, les familles monoparentales constituent un groupe à risque spécifique (29 % de bas revenu, tant pour les hommes que pour les femmes isolés avec enfants à charge). »

Cela influe sur l'éducation des enfants. C'est ainsi que l'enquête de Diane Smedts (voir supra) a révélé que ce sont surtout les familles monoparentales composées d'une mère isolée et d'enfants qui ont du mal à financer les études de ces derniers. 75 % des familles monoparentales éprouvent des difficultés à payer les études universitaires, soit plus du double du pourcentage de familles en difficulté à cet égard pour l'ensemble du groupe d'étudiants interrogés.

Il faut donner à tous la possibilité de suivre un bon enseignement, quelle que soit l'origine sociale.

C'est pourquoi l'article 3 prévoit une mesure spécifique en faveur des familles monoparentales, qui ne peuvent pas bénéficier pleinement de l'exonération fiscale pour enfants à charge à l'heure actuelle.

Eu égard à la précarité de la situation de ces familles, l'on prévoit de leur accorder un crédit d'impôt de 500 euros au maximum (20 170 francs) par enfant à charge, en vue d'alléger la charge que représente le coût des études.

Il est, en effet, peu utile de prévoir un supplément exonéré de plus (c'est-à-dire en sus du supplément exonéré « ordinaire » pour enfants à charge) de 870 euros en faveur de chaque contribuable qui est imposé isolément et qui a un ou plusieurs enfants à charge, étant donné que la plupart des isolés ne pourraient pas en bénéficier de facto en raison de la modicité de leur revenu.

Note : dans tous ces articles, les montants mentionnés sont des montants non indexés, comme d'ailleurs dans tous les articles de la loi portant réforme de l'impôt des personnes physiques.

Article 4

Le crédit d'impôt qui a été institué par la loi du 10 août 2001 portant réforme de l'impôt des personnes physiques est un outil de revalorisation substantielle du revenu des travailleurs, qui profite surtout aux bas revenus. Il ressort toutefois de simulations que c'est surtout le groupe qui bénéficie de revenus moyens qui en profite, parce que l'on octroie l'avantage sur une base individuelle sans tenir compte, dès lors, de la capacité financière des ménages; même le titulaire d'un bas salaire qui fait partie d'un ménage à double revenu atteignant un total raisonnable bénéficie de cette mesure.

C'est pourquoi il y a absolument lieu d'apporter ici une correction en faveur des véritables isolés, eu égard au principe voulant que l'on tienne compte de la capacité financière.

Comme le montrent les études citées, le passage au marché du travail est très difficile pour les véritables isolés et, en particulier, pour les personnes qui ont la charge de familles monoparentales. C'est ainsi que, selon le Rapport bruxellois sur la pauvreté d'avril 1995, il y a un groupe en croissance rapide de parents isolés qui ne disposent que d'une allocation minimale de 19 200 francs pour assurer leur subsistance.

Dans une interview, le conseiller en prévention de la cellule de prévention du « Comité voor bijzondere jeugdzorg Sint-Niklaas », M. Jurgen Cap, a déclaré ce qui suit : « Nous observons que peu de parents isolés se présentent sur le marché du travail. Du coup, ils se retrouvent dans une situation financièrement très précaire oscillant autour du seuil de pauvreté » (Traduction).

Concernant l'octroi d'un crédit d'impôt, le ministre Reynders affirme qu'il résulte de la constatation que l'organisation de la solidarité doit aller au-delà du paiement passif d'une allocation aux chômeurs. Il faut l'étendre aux titulaires d'emplois faiblement rémunérés. Cet instrument doit donc servir à la fois à promouvoir l'emploi et à lutter contre la pauvreté. Le crédit d'impôt vise à supprimer les pièges au chômage.

Comme le seuil à franchir pour accéder au marché au travail est plus élevé pour les « véritables » isolés qui ont ou non des enfants à charge, et ce, en raison de leur capacité financière relative (qui accroît leurs frais), il est nécessaire aussi d'intervenir à cet égard en leur faveur.

Un autre avantage réside dans le fait que la note de frais est compensée en partie de par l'accession des intéressés au marché du travail qui leur permet de ne plus dépendre de revenus de remplacement. Les intéressés doivent en effet tirer un minimum de revenu d'un travail pour pouvoir prétendre à un crédit d'impôt.

En application de cet article, les « véritables » isolés recevront un crédit d'impôt supérieur de 50 % au crédit d'impôt en faveur des autres contribuables.

En vertu de l'article 49A proposé, le crédit d'impôt en faveur des « véritables » isolés s'élèvera ainsi à 117 euros (4 719 francs) pour l'exercice d'imposition 2003.

En vertu de l'article 49B proposé, il s'élèvera à 330 euros (13 312 francs) pour l'exercice d'imposition 2004.

En vertu de l'article 49C proposé, il s'élèvera à 660 euros (26 624 francs) pour l'exercice d'imposition 2005.

Nous tenons également à souligner à cet égard que le Roi veille au respect de la loi. Le pouvoir exécutif doit élaborer un cadre réglementaire en vue de prendre des mesures de contrôle lui permettant de vérifier si celui qui fait valoir un droit au bénéfice d'un minimum exonéré plus élevé est effectivement un isolé. À cet égard, le partage d'un domicile avec autrui constitue un indice clair.

Dans le secteur de la sécurité sociale (par exemple en ce qui concerne les allocations de chômage), on utilise depuis longtemps la notion d'isolé et l'on contrôle effectivement si les bénéficiaires sont bel et bien des isolés.

Il va de soi que les sanctions administratives (majoration de l'impôt, amende administrative) et pénales sont intégralement applicables dans le cadre de cet article.

Patrik VANKRUNKELSVEN.
Vincent VAN QUICKENBORNE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

À l'article 23 de la loi du 10 août 2001 portant réforme de l'impôt des personnes physiques sont apportées les modifications suivantes :

1º au point A est inséré, avant l'alinéa 1er, un alinéa rédigé comme suit :

« À l'article 131, 1º, du même Code, le montant de 4 095 EUR est remplacé par le montant de 4 232 EUR. »

2º à l'article 131 proposé au point B est inséré, entre l'alinéa 1er et l'alinéa 2, un alinéa rédigé comme suit :

« Pour le contribuable isolé, un montant de base de 5 160 EUR est exonéré d'impôt. »

Art. 3

À l'article 26 de la même loi, l'article 134, § 3, remplacé au point A est complété par un alinéa 3 rédigé comme suit :

« Pour le contribuable isolé, le crédit d'impôt est de 500 EUR au maximum par enfant à charge. »

Art. 4

À l'article 49 de la même loi sont apportées les modifications suivantes :

1º à l'article 289ter inséré par le point A, il est inséré un § 2bis rédigé comme suit :

« § 2bis. Pour le contribuable isolé, le montant de 78 EUR visé au § 2 est chaque fois majoré d'un montant de 39 EUR. »

2º le point B est complété par un alinéa 2 rédigé comme suit :

« Au § 2bis du même article, le montant de 39 EUR est remplacé par le montant de 110 EUR. »

3º le point C est complété par un alinéa 2 rédigé comme suit :

« Au § 2bis du même article, le montant de 110 EUR est remplacé par le montant de 220 EUR. »

24 juin 2002.

Patrik VANKRUNKELSVEN.
Vincent VAN QUICKENBORNE.

(1) Vanistendael, F, « De rechtsbescherming van de belastingplichtige onder de Belgische Grondwet; het gelijkheidsbeginsel », in Liber Amicorum Albert Tiberghien, Kluwer Rechtswetenschappen, Anvers.

(2) L. Coppens, « Scheiden voor de fiscus », « De Standaard », 12-13 août 2000.

(3) Vanistendael, Fr., « De belastingshervorming gewikt en gewogen », AFT, édition spéciale, novembre 2001, p. 64.

(4) Cantillon, B. et Verbist, G., « De sociale en fiscale herverdeling in België, étude CSB, décembre 1999, p. 9.

(5) Decoster, A. et Van Camp, G., « The unit of analysis in microsimulation models for personal income taxes : fiscal unit or household », discussion paper series DPS 98.33, KU Leuven, département Économie, p. 23.

(6) Cantillon, B., Kerstens, B. et Verbist, G. « De herverdelingseffecten van het ontwerp van fiscale hervorming (plan-Reynders) microsimulatieresultaten », Centrum voor sociaal Beleid, UFSIA, Université d'Anvers, octobre 2000, p. 14.

(7) Van Den Bergh, B. et Van Dongen, W., « De positie van eenoudergezinnen in Vlaanderen : probleemstelling en kanttekeningen bij het beleid », doc. CBGS 1998/4.

(8) Louckx, F., « Onderzoek naar sociaal-economische ongelijkheid in de gezondheidszorg », VUB, 2000.

(9) Vranx, J. « Vooral alleenstaande moeders kunnen de gezondheidszorg niet betalen », « Gazet van Antwerpen », 22 novembre 2000.

(10) http://www.cirb.irisnet.be/docs/Public/REGION-GEWEST/pauvreté97.doc

(11) Synthèse colloque 29 octobre 2000, Fondation Roi Baudouin, 2002, 12 p.

(12) Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes, 2000/5, cité sur www.antiracisme.be/fr/rapports/pauvreté/2001/06-viefamiliale.pdf.

(13) Étude effectuée par PricewaterhouseCooper, source : Tijdnet http ://www.tijd.be/acties/belastingactie/artikels/samenwonenden.htm.

(14) Michel Devolder, président de la Commission fiscale du LBAB, soirée d'étude consacrée à la future réforme fiscale, 14 mars 2000.

(15) Vanistendael, Fr., « De belastingshervorming gewikt en gewogen », o.c., p. 64.