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M. Josy Dubié (ECOLO). - Dans le cadre géographique du pourtour méditerranéen, l'attention du monde entier - et en particulier de beaucoup de membres de cette assemblée - se porte généralement sur la situation totalement intenable au Proche-Orient, c'est-à-dire en Israël et en Palestine. Cependant, en Algérie et en Tunisie, de nombreux problèmes subsistent, qui méritent eux aussi toute notre attention.
En Algérie, on peut dire à tout le moins que la situation, un an après les événements dramatiques qui avaient entraîné ici le dépôt d'une proposition de résolution de mon groupe, ne va pas en s'améliorant : réformes sociales et économiques en panne, taux de chômage effrayant, problèmes quotidiens en matière de ravitaillement en eau, attentats barbares aux origines pas toujours très claires, mais dont les principales victimes sont les populations civiles.
Selon de nombreux spécialistes, cette situation trouve sa source dans l'appropriation par une caste de militaires très haut placés des richesses du pays, notamment la manne pétrolière. Les élections législatives, qui ont eu lieu ce 30 mai, semblent entachées de nombreuses irrégularités et ont notamment été largement boycottées en Kabylie où seulement 3% des électeurs ont pris part au vote.
En Tunisie, l'actualité récente montre que la situation politique est, là aussi, en quelque sorte dans une « impasse démocratique ». Le référendum proposé aux Tunisiens sur la réforme de la Constitution a été approuvé à 99,52% ! Je pense que personne dans cette assemblée ne rêverait d'atteindre un tel score aux prochaines élections. Ce score stalinien ou nord-coréen est pour le moins troublant et amène à se poser des questions sur son honnêteté. Cette réforme de la Constitution prévoit notamment la non-limitation des mandats présidentiels, une immunité pénale à vie du chef de l'État pour l'ensemble des actes commis par celui-ci pendant ses mandats, la condamnation des « activités antinationales », terme qui ouvre évidemment la porte à tous les abus.
M. Zine El Abidine Ben Ali pourra donc être président à vie, à moins qu'il ne soit un jour destitué à son tour par le même type de « coup d'État médical » qui lui avait permis en son temps de déposer le Président Bourguiba, atteint de sénilité.
La situation intérieure dans ces deux pays pose question au regard de pratiques politiques discutables et d'accords d'association passés avec l'Union européenne, apparemment dans un étrange et lourd silence européen. Monsieur le ministre, les événements politiques en Tunisie et en Algérie m'amènent à vous poser les questions suivantes :
1) Quelle est l'appréciation générale qui se dégage au sein du Conseil Affaires générales envers cette situation, notamment au regard des accords de partenariat euro-mediterranéen passés avec ces deux États ?
2) Ne serait-il pas judicieux d'entamer désormais une réflexion approfondie à l'égard des mesures à prendre en cas de non-respect de la philosophie et des dispositions contenues dans les accords Euromed qui prévoient expressément le respect des droits de l'homme ?
Mme Anne-Marie Lizin (PS). - En tant que présidente de la commission de l'Union interparlementaire Belgique-Algérie, je désire quelque peu nuancer ce qui vient d'être dit au sujet de la situation en Algérie. Nous avons reçu au Sénat M. Bouteflika au moment de la signature de l'accord Union européenne-Algérie. Dans une situation extrêmement difficile, c'est à mon sens un pas très important dans le soutien à un gouvernement qui n'a peut-être pas toutes les caractéristiques de la démocratie mais qui, pour le moment en tout cas, essaie de maintenir en Algérie un début de croissance et de prise en compte des programmes sociaux.
Il y a actuellement une reprise des actes terroristes dans Alger et je ne pense pas, monsieur Dubié, que l'on puisse se permettre d'avoir encore le moindre doute à cet égard. Je vous suggère de lire le rapport que nous sommes en train d'élaborer avec M. Hordies ainsi qu'avec M. le président au sein de la commission du suivi du comité R. Je pense que les tueries de policiers à l'arme automatique dans Alger depuis plusieurs semaines sont le signe d'une reprise catastrophique du comportement des fondamentalistes dans la ville. S'ils sont à l'intérieur de celle-ci, cela signifie qu'en termes de sécurité, la situation est objectivement très dangereuse. Nous souhaitons, monsieur le ministre, que vous soyez attentif à cela.
Nous n'avons pas dit que des choses positives lorsque nous avons reçu M. Bouteflika. Nous sommes sensibles aux difficultés que cet énorme pays, extrêmement amical avec la Belgique, rencontre pour mener des politiques sociales. La signature de l'accord avec l'UE a été vécue par la population algérienne comme un moment de reconnaissance du fait que l'Europe ne les excluait pas et ne les laissait s'enfoncer dans le clan des terroristes.
Il y a vraiment en cette matière des analyses importantes à faire. Le procès en cours à Paris aujourd'hui à la demande d'un ancien ministre de la défense permet de mettre en évidence la complexité du débat sur la sécurité en Algérie. Je ne crois qu'au détour d'une interpellation beaucoup trop rapide, nous puissions résumer le problème et demander qu'on isole à nouveau l'Algérie. Nous avons lutté pendant dix ans pour que ce pays cesse d'être isolé par l'UE. Je vous demande dès lors d'apprécier les efforts faits non seulement par le gouvernement de M. Bouteflika mais aussi par une vie civile algérienne en plein développement et qui ne mérite pas de tomber sous la coupe des fondamentalistes.
M. Josy Dubié (ECOLO). - Vous caricaturez ma position ; je n'ai jamais demandé qu'on isole ce régime. Je demande qu'on lui applique les mêmes règles qu'à tous les autres.
M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères. - Les discussions au sein du Conseil européen des Affaires générales concernent aussi les imperfections dans les systèmes politiques et économiques de nos partenaires tunisiens et algériens. Des missions d'évaluation tant nationales que communautaires se rendent régulièrement à Alger, comme ce 5 juin 2002 encore, et à Tunis.
Les ambassadeurs des pays membres de l'UE sur place suivent avec attention et de manière critique les manquements au respect des règles démocratiques, aux droits de l'homme et à l'État de droit. De même, les rapports des organisations de défense des droits de l'homme sont-ils étudiés attentivement comme le sera le rapport pour 2001 de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'homme.
Bien des points que vous citez, monsieur Dubié, dans votre demande d'explications sont très régulièrement évalués. La position unanime du Conseil est cependant que le dialogue politique régulier instauré tant avec Tunis qu'avec Alger permette d'aborder dans un esprit de partenariat, de manière franche et constructive, tous les sujets d'intérêt commun et ce, sans tabou. C'est de ce dialogue permanent entre culture et civilisation différentes que les valeurs universelles des droits de l'homme, qui sont des éléments essentiels de ces accords d'association, s'établiront de part et d'autre de la Méditerranée.
Vous m'avez posé la question de savoir s'il ne serait pas judicieux d'entamer désormais une réflexion approfondie sur des mesures à prendre en cas d'inobservation de la philosophie et des dispositions contenues dans les accords Euromed qui prévoient expressément le respect des droits de l'homme. Les discussions avec la Tunisie et l'Algérie sont franches et sans tabous. Il est connu que j'ai une ligne directe, un contact assez régulier avec le président Bouteflika. Très régulièrement, tous ces sujets sont abordés avec lui. Je dois dire que cela se réalise dans un climat de totale franchise.
Nos exigences en matière de droits de l'homme seront de plus en plus pressantes mais cela requiert cependant une stabilité politique et économique dans les pays partenaires. Cette stabilité est aussi une finalité des accords d'association. Lorsque l'Union estime avoir des motifs de préoccupation, des démarches sont entreprises, des déclarations publiques sont faites par la présidence et des pressions sont exercées au cas par cas. Je n'ai pas le sentiment, et c'est la conclusion de la concertation avec nos partenaires, que le contexte dans ces deux pays évolue dans le sens d'une aggravation de la situation des droits de l'homme et nécessiterait donc actuellement une action commune rompant avec le dialogue politique engagé. Il va s'en dire que cette situation sera suivie au jour le jour.
Je voudrais terminer d'une manière plus générale. Même si je partage vos inquiétudes, il est extrêmement important qu'à partir du moment où un accord d'association est signé, on lui donne une chance d'être un catalyseur du dialogue politique. C'est le sens même de cette signature.
Comme vous le savez, j'ai défendu un accord d'association limité à l'aspect économique et commercial avec l'Iran. Je sais que vous n'êtes pas d'accord avec moi, Mme Lizin, mais je l'ai fait pour les mêmes raisons. Quand on pratique la politique de sanctions trop rapides, on laisse dans l'isolement et la solitude toutes les forces démocratiques émergentes. À ce moment, il est extrêmement difficile d'offrir une écoute à ces gens.
Dans l'état actuel des choses - ce n'est pas une position définitive - et en concertation avec les Quinze, nous n'estimons pas que le moment soit venu d'entamer une politique ou d'adopter une attitude trop dures à l'égard de ces deux pays.
M. Josy Dubié (ECOLO). - Je remercie le ministre de ses réponses. Je voudrais répéter que, contrairement à ce que Mme Lizin a insinué, je n'ai pas du tout parlé d'une demande d'exclusion de ces pays. Je voudrais simplement que l'on applique les mêmes critères d'évaluation à ces deux pays, comme à tous les autres d'ailleurs. Je suis un peu rassuré après vous avoir entendu, monsieur le ministre, notamment quand vous dites que ces critères d'évaluation sont systématiquement pris en compte.
Cela dit, si vous estimez que la situation ne s'aggrave pas, permettez-moi de ne pas partager votre avis quand on voit ce qui se passe en Tunisie où la répression est terrible pour toutes les personnes qui essaient d'avoir une attitude différente de celle du régime. Des représentants des ligues des droits de l'homme se trouvent actuellement en prison et des gens font la grève de la faim. Si vous considérez que c'est une évolution positive, ce n'est en tout cas pas mon analyse.
Je souhaite effectivement que l'on continue à évaluer de manière systématique et régulière le respect des droits de l'homme dans le cadre des conventions signées et qu'on en tire éventuellement les conclusions à terme. Je n'ai pas dit qu'il fallait isoler ces pays aujourd'hui.
-Het incident is gesloten.