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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 20 JUIN 2002 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Josy Dubié au vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères sur «les compagnies d'électricité au Pérou» (nº 2-1027)

M. le président. - M. Rik Daems, ministre des Télécommunications et des Entreprises et Participations publiques, chargé des Classes moyennes, répondra au nom de M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères.

M. Josy Dubié (ECOLO). - Le Pérou, l'un des pays parmi les plus pauvres de l'Amérique latine, a connu sous le règne du président Fujimori une privatisation accélérée et souvent brutale de toute une série de services publics. En dépit de ses affirmations au cours de la campagne électorale, son successeur, le président Toledo, entend visiblement poursuivre sur la voie de son prédécesseur, mais la privatisation annoncée de deux compagnies électriques du sud du pays a déclenché un véritable soulèvement de la part de la population locale.

Devant cette révolte, le gouvernement péruvien a décidé de suspendre la privatisation de ces deux sociétés dont le repreneur était, depuis au moins une semaine, la société belge Tractebel.

Selon les opposants à cette privatisation qui manifestent dans le sud du Pérou, cette vente serait entachée d'irrégularités et il se confirme qu'une information judiciaire a bel et bien été ouverte par la justice péruvienne du chef de corruption présumée de la part de la compagnie belge. Il s'agirait d'une somme de dix millions de dollars versée par Tractebel à l'ancien président Fujimori, vraisemblablement dans le cadre de l'acquisition de ces deux compagnies électriques.

La justice péruvienne a déjà établi que l'ancien président-dictateur Fujimori, actuellement en fuite au Japon, avait envoyé plus de 373 millions de dollars sur des comptes à l'étranger, notamment au Luxembourg, à destination de sa famille. Permettez-moi de rappeler que le Pérou est un des pays les plus pauvres d'Amérique latine. La justice péruvienne cherche à connaître l'origine de ces sommes considérables et a ouvert une enquête pour délit présumé d'enrichissement. La compagnie belge Tractebel a déjà été mise en cause dans un dossier de corruption avec versement de pots-de-vin au Kazakhstan.

Le ministre peut-il nous dire de quelles informations il dispose sur cette affaire ? La justice belge est-elle disposée à collaborer complètement avec la justice péruvienne pour cherche à établir la vérité dans cette affaire ? Dans le cas où la corruption serait avérée, quelles seront les mesures prises ?

M. Rik Daems, ministre des Télécommunications et des Entreprises et Participations publiques, chargé des Classes moyennes. - Je connais assez bien le Pérou pour avoir visité ce pays à l'époque où je travaillais pour l'ONU, en Amérique centrale. Je ne suis donc pas surpris par ces vives réactions face à la situation économique actuelle.

Mon collègue des Affaires étrangères m'a prié de vous communiquer les informations suivantes. La privatisation de EGASA et EGESUR et l'achat de ces entreprises par la société belge Tractebel a suscité une vive opposition à l'intérieur du Pérou et ce, à cause de soupçons de malversations mais aussi pour des motifs idéologiques.

À ce jour, le ministère des Affaires étrangères ne dispose pas d'informations précises sur le déroulement des négociations concernant l'achat des deux centrales électriques qui ont eu lieu entre la société privé Tractebel et le gouvernement péruvien entre 1996 et 1998. Il semble que Tractebel ait été le seul candidat repreneur après le désistement d'autres candidats, pour des motifs non éclaircis.

Notre ambassade a informé le ministre des Affaires étrangères que la justice péruvienne avait ouvert une enquête afin de faire la lumière sur d'importantes sommes d'argent qui pourraient avoir été versées sur des comptes étrangers. Ses services ne manqueront pas de suivre cette affaire de près.

En ce qui concerne la décision de coopération de la justice belge dans ce type d'affaire, qui relève du ministère de la Justice, je ne puis vous communiquer d'informations à l'heure actuelle, si ce n'est que le ministre de la Justice examine actuellement le dossier pour savoir s'il est opportun d'agir sur ce plan.

Dans le cas où une corruption serait avérée, les mesures à prendre relèveraient du domaine judiciaire. Je puis cependant vous dire qu'en matière d'investissements à l'étranger par des sociétés privées, il existe dans le cadre de l'OCDE une convention contre la corruption, qui a été ratifiée par la Belgique. Le gouvernement veillera à ce que celle-ci soit dûment appliquée.

Si j'interprète la réponse de mon collègue des Affaires étrangères, je crois pouvoir dire qu'il lui appartient actuellement de compléter les informations reçues, avant de prendre attitude en concertation avec son collègue de la Justice.

M. Josy Dubié (ECOLO). - Je remercie le ministre de sa réponse. Nous avons au moins un point en commun, puisque nous avons tous deux travaillé pour les Nations unies, particulièrement en Amérique latine.

Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que d'après vos informations, la société Tractebel aurait été le seul candidat repreneur. Cela semble justifier une des critiques émises par les contestataires, à savoir qu'en l'absence d'autres repreneurs, il n'a pas été véritablement possible de fixer un prix de vente correct. Cela pourrait confirmer les informations que j'ai reçues.

J'entends bien qu'il n'est pas du ressort du ministre des Affaires étrangères de se prononcer sur un problème de justice. J'espère cependant que la justice péruvienne pourra compter sur la collaboration totale de la justice belge afin d'essayer de faire toute la lumière sur cette affaire. Je souligne cependant que si les manifestants sont descendus dans les rues, c'est aussi parce que le président Toledo, qui a été élu à une large majorité, avait déclaré dans son programme qu'il mettrait fin aux privatisations. Les événements auxquels on assiste aujourd'hui sont liés au fait que le président a trahi ses engagements.

J'espère que la Belgique suivra cette affaire et que la justice belge offrira toute sa collaboration à la justice péruvienne pour essayer de retrouver la trace de ces 373 millions de dollars qui ont été apparemment soustraits à ce pays pauvre et dont une partie se trouve selon toute vraisemblance au Luxembourg. Je ne sais pas si une partie se trouve en Belgique.