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M. Philippe Mahoux (PS). - L'inclusion des services dans la catégorie des biens négociables est relativement récente. Conclu en avril 1994, l'AGCS, c'est-à-dire l'Accord général sur le commerce des services, est le premier accord international de vaste portée relatif au commerce des services ; son objectif est de libéraliser celui-ci le plus tôt possible. Des négociations concernant la libéralisation des services ont lieu dans le cadre de l'OMC et ce, depuis l'année 2000.
Dans ces accords, chaque État membre stipule ses demandes pour un plus grand accès aux marchés des services dans des secteurs qu'ils jugent trop protectionnistes. Les services représentent le secteur à plus forte croissance du commerce international. La santé et l'éducation sont jugées par certains comme les marchés les plus attrayants et, éventuellement, les plus rentables qui soient. Cependant, comme l'indiquait encore récemment la presse et comme nous le signalions nous-mêmes voici quelques mois, certains domaines relèvent de l'intérêt général et non de la logique économique.
Pourquoi l'AGCS représente-t-il une menace pour ceux qui voient dans l'autorité publique la gardienne de la primauté de l'intérêt général ? La réponse est claire. Si ces services sont soumis aux règles de la concurrence, on peut émettre des doutes quant aux objectifs qui seront poursuivis, y compris par rapport à la nécessité de rendre ces services accessibles à tous.
Il y a lieu de s'inquiéter, par ailleurs, de l'interprétation possible de l'article premier de l'AGCS, et notamment des alinéas 3 (b) et 3 (c). Le premier stipule que « les services comprennent tous les services de tous les secteurs, à l'exception des services fournis dans l'exercice du pouvoir gouvernemental ». Selon le second, « un service fourni dans l'exercice du pouvoir gouvernemental s'entend de tout service qui n'est fourni ni sur base commerciale ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services ».
Il serait indigne que l'Union européenne développe peu à peu une politique communautaire de promotion des services publics si, dans le même temps, elle adopte une position offensive risquant de mettre à mal les services publics des pays du Sud. Une position offensive est, à mes yeux, une position qui irait, dans le cadre de l'interprétation de l'AGCS, vers une conception totalement restrictive de la notion de service public et qui soumettrait ainsi certains services publics aux règles de la concurrence.
L'Union européenne, et donc la Belgique, doivent dès lors adopter une position cohérente.
Il est évident que certains services doivent continuer à faire exception à la libéralisation des échanges. En ce qui concerne la santé, l'éducation et le secteur de l'emploi, il va de soi qu'une libéralisation accrue du commerce des services ne peut en aucun cas porter atteinte à des secteurs qui portent une reconnaissance universelle de l'égalité entre les êtres humains. Ma conviction est qu'une libéralisation de ces services constituerait automatiquement une atteinte au principe universel de l'égalité entre les êtres humains. Il faut l'exprimer avec force, dans la mesure où la pression des nouvelles technologies de l'information et de la communication modifie considérablement les paramètres économiques de la fourniture de plusieurs services publics.
D'aucuns pensent même que les départements d'autorité pourraient entrer dans le cadre de l'AGCS. On sait d'ailleurs que dans certains pays, certaines fonctions relevant des départements d'autorité sont soumises à concurrence et gérées par le privé, ce qui me paraît tout à fait inacceptable.
La vigilance est de mise pour veiller à ce que les accords commerciaux ne mettent pas en péril les politiques nationales et régionales ni l'engagement d'offrir une éducation publique et des services de santé de qualité à l'ensemble de la population.
La question des services représente un enjeu national, mais surtout européen et mondial. Que ce soit dans les pays du Sud ou chez nous, l'apport du secteur privé ne fournit qu'une partie de la réponse aux besoins fondamentaux. Je dirais même que s'il y répond, c'est vraiment de manière accessoire.
Bien entendu, aucune réponse globale à la problématique des services que sont l'éducation, la santé, le secteur de l'emploi, ne peut être assurée dans un cadre concurrentiel.
Je pense également qu'en ce qui concerne l'OMC, on se focalise surtout sur les grandes réunions. On a beaucoup parlé du sommet de Doha. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion d'en débattre ici. On oublie souvent qu'entre ces grandes réunions largement médiatisées, un travail important est également fourni par les structures présentes à Genève. On est parfois surpris de l'absence de publicité qui entoure ces travaux. C'est la raison pour laquelle, en rappelant les principes que nous défendons sur les services publics, je vous demande, madame la ministre, quelles sont les informations dont vous disposez sur le déroulement des négociations à Genève.
Je voudrais également que vous nous rappeliez la position du gouvernement belge à cet égard et que vous nous informiez sur le point de vue que l'Union européenne adopte sur ce problème tout à fait fondamental au regard du bien général, non seulement dans notre pays et en Europe mais aussi pour l'ensemble des hommes et des femmes qui habitent ce monde.
M. Paul Galand (ECOLO). - J'avais eu l'honneur, le 16 mai, d'adresser à Mme la ministre une question orale sur le thème. Je me joins donc aux questions pertinentes posées par M. Mahoux.
J'ajouterai qu'au sein de l'Union européenne, certains pays essaient de protéger la spécificité de leurs propres services, notamment la Communauté française. Mme Dupuis est ainsi intervenue fréquemment au cours des réunions préparatoires.
Il y a aussi l'autre volet, à savoir la liste des demandes déposées à l'OMC par l'Union européenne. Il s'agit d'une liste des services que l'Union veut voir privatiser dans les autres pays membres de l'OMC. Il semble qu'il y ait des contradictions entre les protections que l'on réclame pour soi et les libéralisations que l'on exigerait des autres.
Pouvez-vous nous donner des précisons à ce sujet ? Si vous pouviez nous rassurer, j'en serais bien heureux.
Mme Annemie Neyts-Uyttebroeck, ministre adjointe au ministre des Affaires étrangères, chargée de l'Agriculture. - Les débats concernant l'accord général sur le commerce des services (AGCS) sont extrêmement difficiles dans la mesure où, en général, ceux d'entre vous qui posent des questions et formulent des interpellations à ce sujet n'accordent pas foi aux réponses données. Dans ces circonstances, je ne peux que m'efforcer de vous convaincre, ce que je vais tenter de faire.
Permettez-moi de rappeler la situation. Les négociations concernant la libéralisation des services, dites de l'AGCS, ont débuté en 2000. Elles font partie de la politique commerciale de l'UE et ne sont donc plus de compétence nationale mais communautaire.
Le 26 octobre 1999, avant la conférence ministérielle de l'OMC, qui se tenait à Seattle, la Commission européenne a reçu du Conseil « Affaires générales » de l'UE un mandat de négociatrice pour le nouveau cycle de négociations commerciales, cycle qui comprend également un volet « services ».
Conformément aux dispositions de l'article 133 du Traité de l'Union, la Commission négocie sur la base de ce mandat de 1999, lequel a été confirmé lors de la préparation de la quatrième conférence ministérielle de Doha. Le résultat des négociations du cycle global sera soumis pour approbation au Conseil des ministres de l'UE.
La fin des négociations du Doha Development Round est prévue pour fin 2004.
La Commission européenne négocie donc pour les États membres, pour l'Union, sur la base d'un mandat qui a été dûment confirmé. Le résultat de ces négociations devra être expressément approuvé par le Conseil avant de pouvoir entrer en vigueur.
En vertu de l'article 133 du Traité, un comité d'avis, le Comité 133, au sein duquel siègent les experts commerciaux des États membre, accompagne les négociations et donne des avis.
En ce qui concerne les services, l'UE a déposé à Genève, entre décembre 2000 et mars 2001, onze propositions sectorielles de négociation qui, comme toutes les propositions des États membres de l'OMC, ont été publiquement affichées sur le site web de l'OMC. Quiconque le souhaite peut donc consulter ces propositions.
Nous sommes à présent dans la phase de préparation des requêtes, lesquelles devront être adressées aux partenaires de l'OMC au plus tard le 30 juin prochain. Ces requêtes, qui sont l'explicitation, par pays, des propositions formulées antérieurement, tiennent compte du niveau de développement de chaque pays, en vertu des articles IV et XIX.2 du GATS et des lignes directrices pour les négociations. Ces propositions de requête, qui doivent encore parcourir le processus interne du Comité 133 relatif à la consultation des États membres, sont des documents de négociation et ont donc encore un caractère confidentiel.
Sur le plan belge, cette matière relevant de mes compétences parce qu'il s'agit des aspects multilatéraux du commerce extérieur, mes services ont organisé des réunions de la Commission économique interministérielle, avec toutes les administrations concernées, y compris les entités fédérées, pour obtenir leur avis sur le premier lot de requêtes présentées par la Commission. Les commentaires reçus ont également été transmis à la Commission. Finalement, mes services ont organisé des réunions ad hoc sur les secteurs sensibles comme la culture, pour informer et consulter les communautés en Belgique, avec lesquelles nous collaborons étroitement.
S'agissant des services publics, il est vrai que l'article I. 3 de l'AGCS présente une certaine ambiguïté, comme d'ailleurs de nombreux autres textes de traités internationaux, mais ce texte est le résultat d'une négociation entre tous les États membres de l'OMC. En pratique, il n'a jamais posé de problèmes, parce que la structure même de l'AGCS contient suffisamment de mesures de sauvegarde pour permettre aux États de ne pas prendre des engagements dans des domaines qu'ils estiment sensibles.
D'ailleurs, le droit de réglementer les services - et même de déréglementer les services ou d'introduire de nouvelles réglementations - est pleinement reconnu par le GATS. Je vous renvoie à cet égard au préambule de l'accord, article XIX.2. De plus, les exceptions générales à cet accord prévoient explicitement qu'aucune disposition de l'accord ne pourra porter atteinte aux mesures prises pour sauvegarder la vie humaine, animalière ou végétale, ou la santé publique. Ce sont les principales raisons pour lesquelles l'article I. 3 n'a donc jamais soulevé de débats au sein du GATS. Un nombre croissant de délégations nationales, dont celle de la Commission, font d'ailleurs savoir que ce principe doit être respecté lors des négociations.
Les États membres de l'OMC ne sont obligés de fournir l'accès à leur marché et de garantir un traitement national aux entreprises étrangères que pour des services qu'ils incluent à la liste des concessions.
Dans le cadre de l'Uruguay Round, l'UE a pris des engagements limités dans le secteur des professions médicales, vétérinaires, paramédicales, pharmaceutiques ainsi que dans le secteur des services d'éducation, à financement privé uniquement. J'y reviendrai tout à l'heure.
Chaque État membre de l'UE a pourtant pu faire valoir des réserves liées à sa propre législation en la matière. La Belgique a fait inscrire des réserves visant à souligner qu'il convient de respecter notre législation nationale.
Ces engagements sont également conditionnés par une réserve horizontale que l'UE a prise dans tous les secteurs de services, selon laquelle ces engagements n'excluent pas la possibilité de subsidier des institutions publiques.
Je reviens aux propositions concernant les services d'éducation à financement privé. Il s'agit, par exemple, de cours du soir ou de langues qui sont déjà donnés en Belgique par des instituts spécialisés et privés. Je ne ferai pas de publicité ici, mais vous les connaissez suffisamment bien. C'est un domaine où d'autres acteurs peuvent également intervenir. Nous avons formulé cela ainsi parce que nous avons adressé une demande aux États-Unis afin de pouvoir y déployer de telles activités dans ce secteur qu'ils réservent aux acteurs privés américains. Je souligne qu'il s'agit de services de formation et d'éducation à financement privé.
Je rappelle que la Commission a émis, au nom de l'UE, une réserve horizontale, qui concerne l'ensemble des propositions formulées.
J'ajoute que le fait qu'un secteur soit soumis aux règles de l'AGCS ne préjuge en aucune façon du droit de réglementer ledit secteur tant que les règles sont transparentes et applicables sans discrimination.
Je ne puis être d'accord avec vous quand vous confondez une demande d'ouverture de marché dans un service avec une demande d'abolition du service public, de libéralisation sauvage. Ce n'est pas la même chose. Quand on introduit une requête concernant un secteur bien précis, on demande que des acteurs éventuels en provenance de nos pays aient les mêmes droits et les mêmes obligations que les acteurs nationaux, tout en reconnaissant le droit pour les autorités de l'État en question de réglementer le secteur comme elles l'entendent ou de continuer à lui fournir des aides.
Je répète que chaque pays demeure libre d'organiser les secteurs de santé et d'éducation selon ses propres préférences ou décisions.
Pour le nouveau Round, la Commission n'a pas l'intention de formuler des propositions pour une libéralisation ou une ouverture plus grande dans les domaines de santé et d'éducation, estimant que les engagements pris dans le cadre de l'Uruguay Round sont suffisants. L'UE est uniquement intéressée par l'ouverture de certaines parties de marché pouvant concerner les fournisseurs de services européens, par exemple la fourniture de services dentaires dans les pays tiers.
Finalement, je veux souligner que mes services et moi-même apprécions beaucoup l'intérêt que le parlement témoigne pour les négociations à l'OMC en général et les négociations-services en particulier. Cet intérêt se manifeste aussi sur le terrain puisque sur les douze derniers mois, notre représentation permanente à Genève a reçu, une fois par mois au moins en moyenne, la visite d'un membre du parlement belge qui obtient toujours toutes les informations souhaitées sur l'OMC et les négociations en cours.
J'irai personnellement demain à Genève pour avoir tout au long de la journée, des entretiens à propos, entre autre, de ces négociations puisque j'y rencontrerai M. Mike Moore, directeur général de l'OMC, M. Recupero, secrétaire général de la CNUCED et M. Somavia, directeur général de l'Organisation internationale du travail. Je me rendrai en outre à l'Organisation mondiale de la santé pour voir où l'on en est en ce qui concerne l'accès aux médicaments.
Avant les vacances parlementaires encore, j'organiserai une rencontre avec les ONG sur ces thèmes car je voudrais que nous puissions lever un certain nombre de malentendus.
Enfin, je me permets de rappeler que dans toute une série de pays en voie de développement et certainement dans les moins développés, les pauvres n'ont pas du tout accès aux services. Ce dont souffrent ces populations, ce n'est pas tant d'une menace de libéralisation sauvage du service public universel, c'est de l'absence de tout service public, privé ou universel. Il faudrait également songer au fait que lorsque nous parlons de services, il ne s'agit pas uniquement de l'éducation, qui est importante, et de la santé publique, mais également des assurances, des banques, des institutions financières.
Lorsque je me suis rendue récemment en Chine, nous avons soutenu le dossier d'une institution financière bancaire belge, qui est depuis longtemps sur la place en Chine, et qui jusqu'à présent, contrairement à ses consoeurs chinoises, n'a toujours pas la possibilité d'effectuer des transactions en monnaie chinoise mais uniquement en devises étrangères. Nous avons demandé que la Chine, qui est devenue membre de l'OMC, mette fin à cette discrimination manifeste. Ces thèmes relèvent également de ce type de négociations.
M. Philippe Mahoux (PS). - Je vous remercie, madame la ministre, pour votre réponse et je vous trouve trop modeste car son contenu informatif me paraît extrêmement important. Par ailleurs, n'imaginez pas que nous mettions en doute la sincérité des réponses mais en termes d'histoire récente, vous savez comment s'est négocié l'AMI, l'Accord multilatéral sur l'investissement. Vous savez comment cet accord a été affecté et vous connaissez l'absence de transparence qui a présidé à ces négociations.
C'est grâce à des questions parlementaires légitimes que nous avons pu être informés. Il me paraît donc légitime de vous interroger, même si c'est de manière récurrente, mais c'est parce que les négociations avancent.
Je me réjouis que vous organisiez des contacts avec les ONG. Je vous demanderais peut-être plus particulièrement, puisque l'on parle du marché de l'emploi et du secteur de l'éducation, de rencontrer à la fois les organisations syndicales et les organisations mutualistes.
Enfin, en ce qui concerne les pays du sud, je suis d'accord avec vous pour considérer que c'est l'absence de services qui constitue le problème fondamental. Toutefois, j'estime que développer dans ces pays des services à l'éducation, à la santé, éventuellement à l'emploi, qui seraient réservés à l'initiative privée, ne favorisera pas nécessairement l'accès de ces populations aux services précités.
Il conviendrait donc d'y développer une structure publique ouverte à tous.
Mme Annemie Neyts-Uyttebroeck, ministre adjointe au ministre des Affaires étrangères, chargée de l'Agriculture. - Le projet d'AMI est le résultat d'une négociation entamée au sein de l'OCDE, un type d'organisation totalement différent de l'OMC. J'ai présidé le forum organisé avec la société civile, forum qui a précédé la dernière réunion ministérielle qui s'est tenue à Paris voici un mois. J'y ai appris à connaître un peu l'OCDE. J'ai toujours considéré que ses tentatives d'accord étaient particulièrement maladroites, pour ne pas utiliser de terme plus lourd. Je peux vous assurer que l'OCDE a quand même tiré des leçons de ce qui est arrivé à l'époque. Cet accord est donc enterré et ne ressuscitera pas de sitôt, voire pas du tout.
L'OMC est une organisation toute jeune puisqu'elle n'a vu le jour qu'en 1998. Elle n'est pas très importante. Il y travaille, par exemple, nettement moins de personnes qu'à l'OCDE. L'OMC a, elle aussi, tiré les leçons de ce qui est arrivé à Seattle et elle fait un effort sérieux et soutenu de transparence. Il faut s'en féliciter.
Enfin, lors de mes consultations avec la société civile, j'ai demandé au Conseil fédéral du développement durable de bien vouloir constituer une ou plusieurs délégations représentatives de tous les segments présents au Conseil. Or, les organisations syndicales en font toujours partie.
M. Philippe Mahoux (PS). - L'OCDE siège toujours au Château de la Muette. J'espère que ce nom ne se traduit pas dans le comportement de l'Organisation et que les négociations seront donc transparentes.
Pour le reste, je me réjouis que l'OCDE et l'OMC fassent preuve de davantage de transparence et que les débats bénéficient d'une plus grande publicité. Reconnaissez que, si ces organisations ont tiré des leçons, c'est peut-être parce que des ONG, voire des parlementaires ont posé des questions qui ont engendré ces changements d'attitude.
-L'incident est clos.
Mme la présidente. - Nous poursuivrons nos travaux cet après-midi à 15 h.
(La séance est levée à 13 h 15.)