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M. Marc Hordies (ECOLO). - La semaine dernière, monsieur le ministre, vous avez dû participer à Rome à une réunion des ministres de l'Intérieur des quinze États membres de l'Union européenne ainsi que de la Turquie.
La question de l'immigration clandestine y était le point principal, sinon unique, de l'ordre du jour.
Certains gouvernements, comme ceux de l'Italie, de l'Espagne ou de la Grande-Bretagne enjoignent leurs partenaires de développer une politique commune, reprenant entre autres l'idée d'un corps de police européen des frontières.
Ayant participé pour le Conseil de l'Europe, dans la région des Pouilles, à un séminaire traitant des demandeurs d `asile, j'ai effectivement pu constater que des pays comme l'Italie et l'Espagne recevaient, de par leur position géographique, un nombre important de demandeurs d'asile ou d'autres catégories de personnes désirant entrer sans visa sur le territoire de l'Union.
Ainsi, j'ai appris qu'en Italie, il n'existait pas de législation sur le droit d'asile et que ce pays disposait seulement d'un article dans la Constitution, ce qui rend certainement les demandes d'asile assez difficiles.
Si l'on peut concevoir de réfléchir à une police européenne des frontières, ne faudrait-il pas auparavant définir les principes communs d'accueil et d'information des droits, devoirs et procédures pour tout demandeur d'asile ou personne étrangère entrant ou se trouvant illégalement sur le territoire de l'Union ? Ne faudrait-il pas, de même, convenir qu'une telle personne puisse, dès son arrivée dans le premier pays de l'Union où elle pénètre, désigner le pays auquel elle désire demander asile ? Cette question se pose notamment pour les zones maritimes comme l'Italie et l'Espagne, où arrivent naturellement les personnes venant par bateau, alors que ce n'est pas nécessairement le lieu où se trouvent leurs attaches d'asile. Une question de répartition se pose donc.
M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur. - Je suis effectivement allé à Rome la semaine dernière. La question de la mise en place d'un régime d'asile européen occupe les débats de l'Union européenne depuis près de deux ans.
Les questions soulevés par M. Hordies, qu'elles concernent l'accueil des demandeurs d'asile, l'harmonisation des procédures, la détermination d'État responsable d'une demande d'asile ou la définition du regroupement familial font l'objet de propositions de directives ou de règlements élaborées par la Commission européenne.
J'ai personnellement toujours plaidé pour une plus grande intégration communautaire de toutes ces matières. Je l'ai souvent répété ici au Sénat, car je suis convaincu que ce n'est qu'au plan européen que l'on pourra trouver des solutions satisfaisantes à l'ensemble des problèmes posés par l'immigration en général et pas seulement l'asile, puisque vous savez que nous faisons une distinction en la matière.
La seule approche pertinente est, pour nous, l'approche européenne. Les expériences tentées par les différents pays ayant essayé jusqu'à présent de s'en sortir en faisant appel à leur seule force ont partout débouché sur des échecs. La conscience de la nécessité d'une plus grande solidarité européenne va grandissant.
Je dois toutefois constater que si nous disposons désormais de textes pour la mise en place d'une politique d'asile commune, si beaucoup de travaux ont été accomplis et si nous avons contribué au cours de notre présidence, en sortant de la conception quelque peu technocratique du fonctionnement de l'Europe, à apporter des réponses aux questions politiques qui se posent, on ne peut pas dire que jusqu'à présent, en tout cas, il y ait eu une véritable volonté politique de déboucher sur des solutions, chacun continuant à penser qu'il doit affronter des élections nationales, ou à songer à un projet de loi à l'examen au Parlement. Il y a toujours une bonne raison de retarder les choses et surtout, cette conception erronée de l'Europe qui consisterait à croire que la bonne décision à mettre en oeuvre au plan européen est celle que l'on prendrait dans son pays.
Bien entendu, nous allons essayer d'intégrer une conception commune en la matière. À titre d'exemple, pendant la présidence belge, j'ai souhaité privilégier le débat sur la directive relative à l'harmonisation des procédures. Elle revêt, en effet, une importance toute particulière puisqu'elle détermine la procédure à suivre par les États membres pour le traitement des demandes d'asile, le nombre et la nature des instances, les effets et la nature des recours, les délais de traitement, et participe, de ce fait, à la lutte contre l' « asylum shopping ».
Compte tenu des difficultés rencontrées au niveau des groupes d'experts et de la nécessité qui apparaissait de revoir le texte proposé par la Commission, j'ai porté le débat au plan politique et demandé aux ministres de se prononcer sur les orientations générales. Nous avons donc identifié toute une série de questions essentielles telles que le champ d'application de la directive, l'étendue des garanties du processus décisionnel mais également un point essentiel, les procédures de décision elles-mêmes, les types de procédure, les délais de traitement, les instances compétentes, les recours et leurs effets.
Lors du conseil JAI de décembre 2001, nous avons ainsi pu obtenir un accord des ministres sur ces orientations qui doivent servir de base pour l'élaboration, par la Commission, de la version révisée de la directive sur les procédures d'asile.
Or, force est de constater qu'aujourd'hui, nous ne disposons toujours pas du texte révisé de la directive, comme cela avait été demandé à la Commission, dans les conclusions du sommet de Laeken mais il serait injuste de n'accuser que la Commission européenne. Je crois que certains États membres ont contribué et contribuent encore, par des positions attentistes, voire négatives, à la lenteur du processus décisionnel. Certains d'ailleurs, donnent parfois l'impression de souhaiter des avancées significatives sans nécessairement « balayer devant leur porte ». J'ai entendu un certain nombre de déclarations britanniques que je peux comprendre mais ce que je ne parviens pas à saisir, c'est pourquoi ils ne font pas encore partie de la zone Schengen et pourquoi nous devons, à Ostende et à Zeebrugge, procéder à des contrôle de sortie du territoire à une frontière extérieure. Nous devons donc supporter, à nous seuls, le poids d'un manque de solidarité européenne. Je l'ai d'ailleurs fait remarquer au ministre de l'Intérieur britannique et je l'ai répété, devant les autres, à Saint-Jacques-de-Compostelle. J'espère que nous allons assister à un certain nombre d'évolutions en la matière.
En ce qui concerne le règlement de Dublin relatif à l'établissement de critères en vue de la détermination de l'État membre responsable du traitement d'une demande d'asile, le point est inscrit à l'ordre du jour du prochain conseil JAI qui aura lieu le 13 juin à Luxembourg en vue d'un débat de fond. Il s'agira notamment de trancher la question fondamentale de la répartition de la charge entre les États membres, en d'autres termes, d'admettre le principe selon lequel les États membres disposant d'importantes frontières extérieures ne peuvent supporter à eux seuls la totalité du traitement des demandes d'asile. La Convention de Dublin est un modèle d'hypocrisie.
Je prends l'exemple de la Belgique. Nos seules frontières extérieures sont la Mer du Nord - qui ne présente pas encore, Dieu soit loué, de problèmes majeurs - et Zaventem. Les réfugiés qui ne pénètrent pas sur notre territoire par la mer et par Zaventem ont donc nécessairement posé le pied quelque part ailleurs. S'ils viennent de l'Est, ils doivent être passés par un autre pays. À moins qu'ils ne puissent voler, ce que je ne crois pas. Donc, à la limite, en application de la Convention de Dublin, la Belgique ne devrait enregistrer presqu'aucune demande d'asile. Je m'empresse de préciser que je trouverais cela injuste. On ne peut imposer aux seuls pays se trouvant aux frontières extérieures la charge de toute la politique d'asile. Après avoir longtemps insisté, nous disposerons enfin, le 13 juin, d'une proposition de règlement. C'était une des ambitions de la présidence belge. Mais nous sommes encore loin d'un accord.
Pour terminer, je souhaiterais ajouter quelques réflexions sur un thème qui n'est pas directement lié - mais il l'est d'une certaine manière - à celui auquel je viens de faire allusion et que vous abordez dans votre question : la coopération policière et plus particulièrement la gestion intégrée des frontières extérieures. Ce thème concerne partiellement les problèmes d'immigration et d'asile dans la mesure où cette gestion constitue un des moyens de lutter contre l'immigration, le trafic des êtres humains, les auteurs potentiels d'actes terroristes, la criminalité organisée sous toutes ses formes, les trafics d'armes et de drogues, ainsi que les collaborations entre les mafias qui s'installent chez nous mais dont la base de commandement se trouve à l'extérieur de l'Europe. L'opinion publique nous demande d'apporter enfin des réponses concrètes à ces problèmes. Si nous ne le faisons pas, nous ouvrirons la porte aux pires aventures extrémistes. Il règne une énorme inquiétude au sein de la population. Celle-ci est accueillante et ouverte mais elle veut qu'un minimum de règles d'accueil soient respectées. Et elle ne souhaite certainement pas l'arrivée chez nous de criminels et de personnes dangereuses qui importeront des armes et de la drogue et qui commettront des attaques au bélier dans les zones frontalières. La population demande une réaction. Les ministres européens en sont de plus en plus conscients. L'organisation d'opérations aux frontières, la mise sur pied d'équipes d'appui mixtes, la mise en commun de personnel et d'équipement, et le développement d'un réseau de liaison sont vraiment essentiels dans le domaine de la sécurité. On ne peut plus attendre. À Rome, j'ai utilisé la formule suivante : « Quand la maison brûle, on ne se demande pas quel service on doit appeler. Le plus important est qu'un service intervienne ». Que ce soit par la coopération bilatérale - des efforts doivent être faits et je m'y emploie, notamment avec la France - ou que ce soit par la coopération renforcée - dans le troisième pilier ou, mieux encore, dans le premier pilier visant à l'harmonisation des règles européennes car la diversité actuelle est une des raisons de l'inefficacité des systèmes -, peu importe ce que l'on fait pour autant que l'on fasse quelque chose, de manière cohérente et utile. Les actions doivent également s'inscrire dans une perspective d'intégration. Nous disposons de l'étude de faisabilité italienne qui prône plutôt la coopération intergouvernementale. Nous avons participé à cette étude avec l'Italie et trois autres pays.
D'autres projets sont développés dans le cadre du programme OISIN avec la Finlande et l'Autriche. Deux d'entre eux nous intéressent plus particulièrement : le réseau des officiers de liaison et une banque de données des réglementations et des meilleures pratiques en matière de politique aux frontières.
Il y a aussi les propositions de la Commission européenne qui sont bien plus ambitieuses. La Commission propose une législation, une réglementation, un partage du fardeau mais aussi, avec pragmatisme, des actions ciblées, par exemple dans les zones maritimes où il n'existe actuellement aucun dispositif ou encore la mise en commun du potentiel d'assistance dans le renseignement pour les zones sensibles que nous avons pu identifier comme zones importantes de passage.
Je crois qu'aucune raison ne peut freiner ce débat et certainement pas des raisons d'ordre institutionnel. J'irai à Luxembourg dans cet état d'esprit. J'estime qu'il est urgent de prendre des décisions en la matière.
M. Marc Hordies (ECOLO). - J'entends le ministre dire que il faut faire quelque chose, quelle que soit cette chose, cette action, parce que la maison brûle.
Je suis sensible au fait qu'il s'agit d'une question d'espace européen et de moins en moins d'une question du ressort de l'un ou l'autre État. Nous savons que nous devons agir ensemble. Mais étant donné les grandes disparités des législations nationales - l'Italie, avant le vote de la loi sur l'immigration de la semaine passée, ne disposait pas de législation sur le droit d'asile hormis une disposition dans sa Constitution, l'Angleterre comme l'Italie veulent faire appel à la marine militaire pour intervenir sur les voies maritimes -, je ne vois pas comment on peut arriver à établir une bonne coopération. Ces différences dans les législations et dans le choix des niveaux d'intervention - la police n'est pas la douane, ni l'armée, et réciproquement -, le mélange des genres, me posent question.
D'ailleurs comment se fera le contrôle ? Y aura-t-il un corps de police européen ? En fonction de quelle législation ? Nos policiers pourront-ils collaborer sur une base bilatérale à l'application d'autres législations ? J'ai des difficultés à imaginer le type de mécanisme à mettre en place.
M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur. - Moi, j'ai des difficultés avec ce que dit M. Hordies. Je suis en total désaccord avec son analyse. Ce qu'il dit n'est d'ailleurs pas exact. Il existe bien plus qu'une disposition constitutionnelle, il y a de nombreuses conventions internationales qui s'appliquent, à commencer par la Convention de Genève sur l'asile et la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. À cela s'ajoutent les accords convenus dans le cadre de l'Espace Schengen. Ne croyez pas non plus que les contrôles aux frontières se fassent à la « bonne franquette ». J'ai pris la peine d'aller voir. Ils se font selon des règles très strictes avec des consultations de banques de données.
Par contre, je serai d'accord avec vous pour dire que nous ne sommes pas encore suffisamment loin dans l'intégration.
Je suppose que ce n'est pas ce que vous vouliez exprimer mais en matière policière de manière générale, ce qui me fait peur ce n'est pas le caractère excessif des mesures prises, mais, parce que je suis plutôt du côté des citoyens, c'est l'insuffisance de ces mesures. Si l'on n'y prend garde, nos frontières deviendront de véritables passoires. On viendra alors m'interroger au Parlement pour savoir pourquoi, dans les grandes villes, s'installent des maffias albanaises ou russes, on viendra m'interroger pour savoir si suffisamment de précautions ont été prises contre l'installation de bases arrières de réseau terroristes, etc.
Ces craintes sont théoriques mais je les partage comme démocrate, juriste et citoyen heureux de vivre en Belgique. Cependant, si l'on n'y prend garde, c'est le fonctionnement même de nos institutions qui sera menacé parce que n'aurons pas pris les mesures élémentaires de sécurité que tout État doit prendre pour assurer sa mission essentielle.