(Fr.): Question posée en français - (N.): Question posée en néerlandais
Le professeur émérite Roger Blanpain a fait, dans la revue Knack du 3 octobre 2001, la déclaration suivante : (traduction) « La Belgique applique des critères arbitraires pour l'agrément des syndicats elle ne reconnaît de facto que les fédérations affiliées à une des trois grandes organisations, CSC, FGTB, CGSLB. L'Organisation internationale du travail a condamné plusieurs fois la Belgique de ce chef. »
À plusieurs reprises, des plaintes ont été déposées concernant les normes qui régissent les organisations représentatives, tant au niveau des instances nationales que des instances internationales. Très importantes sont à cet égard, sur le plan national, les condamnations Winand et Risto, in Conseil d'État, arrêt nº 10294, Winand contre SNCB, 28 novembre 1963, VIe chambre, et Conseil d'État, arrêt nº 10295, Risto contre SNCB, 28 novembre 1963, VIe chambre, ainsi que quelques rapports internationaux de l'Organisation internationale du travail (Bureau international du travail (BIT), Bulletin officiel, vol. LXX, rapport 251, affaire 1250, pp. 10-28, §§ 27 et 28; BIT, Bulletin officiel, vol. LXX, rapport 253, p. 5, point 21).
Le fait qu'à ce jour, le législateur n'ait toujours pas fixé de critères objectifs en fonction desquels on pourrait être considéré comme « représentatif » rend possible une inégalité de traitement. C'est ainsi que le Syndicat indépendant des cheminots (SIC) n'est pas reconnu par la SNCB parce qu'il n'est pas affilié à un organe de coordination représenté au sein du CNT. Sur ce point aussi, le professeur émérite Roger Blanpain intervient, dans la même interview relative à la BECA : (traduction) « Une association de pilotes qui représente plus de 90 % des aviateurs est incontestablement représentative. Ne pas l'associer aux négociations sociales, c'est chercher des difficultés. L'ignorer c'est totalement courir à l'échec et échec il y a donc eu. »
C'est ainsi que se forme un cercle vicieux : une organisation ne peut siéger au CNT que si elle est représentative et elle n'est représentative que si elle siège au CNT. Pour pouvoir y siéger, les organisations d'employeurs et de travailleurs doivent être considérées par le pouvoir exécutif comme étant les plus représentatives ce qui revient à dire que le Roi, en fait le ministre de l'Emploi et du Travail, choisit comme bon lui semble.
Le Comité pour la liberté d'association de l'Organisation internationale du travail a estimé, à plusieurs reprises, que l'État belge se trompe du tout au tout dans l'appréciation de cette problématique (voir, entre autres, la conclusion du 27 mai 1987, p. 251, rapport du Bureau international du travail, Bulletin officiel, vol. LXX, rapport 251).
Le comité a déclaré qu'il y a lieu d'adapter la législation belge en vue de fixer a priori des critères objectifs précis pour que les organisations nationales et interprofessionnelles puissent revendiquer leurs droits en matière de représentativité.
Cette lacune de la législation belge crée un contraste violent entre celle-ci et les législations des pays voisins et, notamment de la France (Code du travail, article nº 133-2) et du Luxembourg (loi du 12 juin 1965 concernant les conventions collectives de travail, article 2, alinéa 3), qui énoncent, elles, des critères objectifs. Cette problématique joue, entre autres, dans le secteur public, où il s'avère que plus aucune élection n'a été organisée depuis 1959, ce qui est inacceptable. En effet, les élections confèrent une légitimité aux syndicats et valorisent la concertation sociale.
La démocratie interne des syndicats constitue également un point sensible. C'est ainsi qu'en 1991, le professeur Blanpain a stigmatisé la désignation des dirigeants de la FGTB en la comparant à une élection papale : (traduction) « Ceux qui sont nommés par l'appareil (les cardinaux) choisiront le chef (le pape) de ce même appareil. Les travailleurs membres n'ont pas voix au chapitre. Pourtant, il y a d'autres possibilités : dans certains pays, comme la Grande-Bretagne, il y a des élections sérieuses au sein des syndicats. »
Les élections sociales dans le secteur privé constituent le seul moment démocratique au sein du syndicat. Elles se limitent toutefois à deux séries d'organes, à savoir les conseils d'entreprise et les comités de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux du travail. En outre, les organisations syndicales jouissent d'un monopole pour ce qui est de la présentation des candidats, la seule exception prévue concernant les cadres. Ce monopole est lui aussi garanti par la loi. En outre, il s'agit d'élections au suffrage indirect, puisqu'on ne vote pas directement.
Outre le droit, pour tout un chacun, de fonder une organisation syndicale ou de s'affilier à une telle organisation (articles 1er, 3 et 4 de la loi de 1921) la liberté syndicale dite positive , il existe une liberté syndicale négative, le droit de ne pas s'affilier à une organisation syndicale.
Il existe toutefois, dans les conventions collectives de travail, des clauses permettant aux organisations syndicales d'obtenir de l'employeur (des employeurs) qu'il(s) engage(nt) ou prenne(nt) en service exclusivement ou de préférence des membres desdites organisations syndicales ou qu'ils réservent un traitement de faveur à leurs membres. Il s'agit de clauses dites de sécurité par lesquelles on n'accorde certains avantages qu'à certaines personnes.
Elles sont contraires à la liberté syndicale négative et, par conséquent, illégales. La Belgique a été formellement condamnée par l'Organisation internationale du travail pour avoir utilisé de telles clauses.
Il s'agit d'une pratique qui n'est admise que si un certain nombre de conditions sont réunies :
aucune pression irrésistible ne peut être exercée sur les travailleurs non syndiqués pour qu'ils s'affilient finalement malgré tout;
les avantages octroyés doivent être proportionnels aux services fournis et aux charges supportées par les travailleurs qui en bénéficient ou par leurs organisations syndicales;
aucune distinction ne peut être faite entre les syndiqués;
nul avantage accordé par la loi à des travailleurs affiliés à une organisation syndicale déterminée ne peut excéder un niveau purement symbolique.
J'aimerais que l'honorable ministre réponde aux questions suivantes à cet égard :
1. Envisage-t-elle d'accéder à la demande de l'Organisation internationale du travail visant à conformer la législation belge à la nécessité de fixer a priori des critères objectifs précis pour que les organisations nationales et interprofessionnelles puissent faire valoir leurs droits en matière de représentativité ? Dans la négative, pourrait-elle expliquer de manière circonstanciée pourquoi elle ne souhaite pas le faire et pourrait-elle dire pourquoi elle ne reconnaît pas la juridiction de l'Organisation internationale du travail ? Dans l'affirmative, pourrait-elle dire quel est le calendrier des adaptations et préciser dans quel sens celles-ci iront ?
2. L'honorable ministre souscrit-elle à la thèse selon laquelle les élections sociales dans le secteur public confèrent une légitimité aux syndicats et valorisent la concertation sociale ? Dans l'affirmative, est-elle prête à organiser des élections sociales dans le secteur public ? Dans la négative, quelles sont ses objections contre l'organisation d'élections sociales dans ce secteur ?
3. L'honorable ministre veillera-t-elle, si elle est partisane d'élections sociales dans le secteur public, à ce que toutes les organisations qui souhaitent y participer puissent présenter des candidats ? Dans la négative, pourquoi ?
4. L'honorable ministre est-elle disposée à mettre fin, dans le cadre des élections sociales dans le secteur privé, au monopole légal des organisations syndicales pour ce qui est de la présentation de candidats et à instituer du même coup des élections directes ? Dans la négative, quelles sont ses objections contre l'amélioration de la démocratie interne au sein des syndicats et pourquoi souhaite-t-elle maintenir le monopole légal des organisations syndicales pour ce qui est de la présentation des candidats ?
5. L'honorable ministre a-t-elle l'intention de réagir à la condamnation de la Belgique par l'Organisation internationale du travail en légiférant et en obtenant que les clauses susvisées de certaines conventions collectives de travail satisfassent aux conditions énoncées par l'Organisation internationale du travail et qui se résument comme suit : aucune pression irrésistible ne peut être exercée sur les travailleurs non syndiqués pour qu'ils s'affilient finalement malgré tout, les avantages octroyés doivent être proportionnels aux services fournis et aux charges supportées par les travailleurs qui en bénéficient ou par leurs organisations syndicales, aucune distinction ne peut être faite entre les syndiqués et nul avantage accordé par la loi à des travailleurs affiliés à une organisation syndicale déterminée ne peut excéder un niveau purement symbolique ? Dans la négative, j'aimerais savoir pourquoi elle ne reconnaît pas la juridiction de l'Organisation internationale du travail et quels sont ses arguments.
Réponse : En réponse à la question, il y a lieu de rappeler le contenu de l'article 3 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires selon lequel sont considérées comme organisations représentatives des employeurs et des travailleurs : « 1. les organisations interprofessionnelles de travailleurs et d'employeurs constituées sur le plan national et représentées au Conseil central de l'économie et au Conseil national du travail; les organisations de travailleurs doivent en outre compter au moins 50 000 membres. »
Cette disposition est une des plus fondamentales de ce que l'on a appelé communément « le modèle social belge » qui accorde des droits et des obligations aux organisations les plus représentatives tant patronales que syndicales. La cohésion de tout le système repose sur ce principe. Cela ne signifie évidemment pas que le principe de liberté d'association soit violé. En d'autres termes, la capacité de conclure des conventions collectives de travail est simplement réservée aux organisations les plus représentatives. C'est ce que le débat parlementaire de 1968 faisait apparaître lorsque le ministre de l'époque faisait remarquer « qu'en ce qui concerne le fond de la question, notamment la question de savoir à quel point les dispositions de l'article 3 portent atteinte à la liberté syndicale, le ministre déclare que les dispositions précitées n'empêchent nullement les travailleurs de constituer les organisations de leur choix et de s'y affilier; ces organisations peuvent s'organiser librement et s'affilier à des fédérations ou confédérations internationales. Ces dispositions ne peuvent donc être considérées comme étant en contradiction avec les principes de la liberté syndicale » (rapport de la commission du Sénat, document parlementaire 78, discussion des articles P 38). Tous mes prédécesseurs se sont inscrits dans cette tradition.
Les services publics ont aussi choisi le principe de la prépondérance du caractère interprofessionnel des syndicats représentatifs. En effet, pour pouvoir siéger dans les comités généraux des services publics (les comités A, B et C), les organisations syndicales doivent être actives au niveau national, défendre les intérêts de toutes les catégories de personnel et être associées à une organisation syndicale représentée au Conseil national du travail.
Les travaux parlementaires préparatoires à la loi du 19 décembre 1974 montrent que la volonté du gouvernement était de trouver des interlocuteurs valables et responsables avec qui négocier efficacement.
La Cour d'arbitrage a d'ailleurs affirmé dans différents arrêts (arrêts nºs 71/92, 139/2000 et 116/2001) qui'il n'est pas discriminatoire qu'une organisation syndicale siège dans un comité de négociation du secteur public sur la base de la représentation au Conseil national du travail. De même, le Comité européen des droits sociaux a constaté dans son rapport 2000 concernant la Belgique que les critères de représentativité d'application dans le secteur public sont objectifs et équitables.
Par contre, dans d'autres pays, un autre choix a été fait. C'est celui d'accorder des pouvoirs à des fédérations d'employeurs et de travailleurs dont la représentativité est très faible. Cela a provoqué dans ces pays une concurrence syndicale très vive et même une sorte de surenchère entre syndicats.
Cette surenchère est une menace pour la paix sociale. De plus, elle permet à des unions professionnelles minuscules d'accaparer un pouvoir de fait gigantesque mis au service de tout petits groupes.
Au contraire, le législateur belge a fait un tout autre choix qui visait à une cohésion sociale et à une forme de solidarité interprofessionnelle.
Plus que jamais je considère qu'il faut maintenir la cohésion de notre tradition sociale et éviter toute initiative de nature intempestive.