2-182

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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 21 FÉVRIER 2002 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Demande d'explications de M. Jean-Pierre Malmendier au ministre de la Justice sur «les mesures prises dans le cadre de la violence intra-familiale» (nº 2-706)

M. Jean-Pierre Malmendier (PRL-FDF-MCC). - En juillet 1992, j'ai rencontré le père d'une jeune femme assassinée de 14 coups de couteau par son ex-compagnon. Cet homme m'a raconté que ce drame s'était produit alors que cinq plaintes consécutives avaient déjà été déposées à l'encontre de l'ex-compagnon auprès du Procureur du Roi afin de dénoncer le harcèlement ainsi que les menaces dont la jeune femme était victime. Suite à son assassinat, le dépôt d'une sixième plainte fut, bien entendu, impossible.

Les autorités firent peu de cas des plaintes déposées, ce qui permit l'escalade de violence qui se termina par la perte d'une vie humaine. S'en suivit alors la procédure qui amena l'auteur du crime devant une cour d'assises par laquelle il fut évidemment condamné.

Afin de prévenir pareille situation à l'avenir, ce père entama une action de conscientisation en tant que président de l'association « Ouders van een vermoord kind » que vous devez certainement connaître pour sa volonté d'instaurer une meilleure prise en compte de la victime par les institutions policières et judiciaires.

Ce qui, dans cette affaire, semblait être exceptionnel dans l'attitude des autorités judiciaires s'avéra et continue à s'avérer habituel parce que, d'une part, il est difficile d'évaluer la pertinence et la gravité de la situation dénoncée par une victime de violence intraconjugale et que, d'autre part, il est tout aussi difficile de préjuger de l'évolution d'une telle situation.

Pas plus tard qu'hier, dans l'émission « Faits divers », un avocat expliquait l'importance qu'il y avait de mettre un « stop » à un comportement violent avant que tout ne se termine par un bain de sang. Il désignait spécifiquement l'institution judiciaire comme étant l'organe qui devait imposer ce « stop », ne fût-ce que pour signifier l'interdiction d'adopter ce comportement à l'individu.

Dans la brochure éditée par le Forum de la politique en faveur des victimes, il est clairement dit que la victime peut demander une protection et qu'elle y a droit en cas de menaces ou de faits de violence.

Cela fait donc maintenant 10 ans que ce père a entrepris son action, 10 ans au cours desquels des drames similaires se reproduisent régulièrement et que le nombre de victimes ne cesse de s'accroître.

Ainsi, tout le monde a encore à l'esprit le drame de Ganshoren qui a coûté la vie à quatre enfants dans le courant du mois de janvier alors que leur mère avait, à plusieurs reprises, alerté les forces de l'ordre. Dans le courant de ce même mois de janvier, une autre vie a été perdue dans des circonstances semblables à Liège.

L'attitude des autorités, tant policières que judiciaires continue à démontrer les difficultés qu'elles éprouvent à évaluer à sa juste mesure le danger inhérent à cette violence intra-familiale.

Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas qu'une meilleure prise en compte des actes violents et des attitudes menaçantes excessives dans la cellule familiale, signes avant-coureurs d'un drame irréparable, éviterait la perte d'un nombre certain de vies et de situations de deuils pour l'entourage des victimes ?

En tout état de cause, monsieur le ministre, pouvez-vous m'indiquer si des directives spécifiques sont données en la matière aux autorités judiciaires ?

M. Marc Verwilghen, ministre de la Justice. - Dans le plan fédéral de sécurité et de politique pénitentiaire, le gouvernement a déjà annoncé son intention de réduire le nombre de délits accompagnés d'actes de violence.

La violence intrafamiliale, à l'instar de la violence en général, demeure à l'heure actuelle un problème majeur qui requiert un débat social en profondeur. Nous avons déjà tenu ce dernier à plusieurs reprises dans cette assemblée.

Des données provenant de diverses sources révèlent que la violence intrafamiliale est une pratique courante au sein de notre société. Plusieurs études ont démontré que la violence dans les foyers était un phénomène fréquent qui se présentait sous différentes formes : violence sexuelle, psychologique et physique, violence entre conjoints, actes de violence commis par les parents à l'égard de leurs enfants et vice versa, violence à l'égard de membres de la famille nécessitant des soins comme des personnes handicapées et des personnes âgées.

Cette forme de violence est souvent considérée à tort comme une question relevant de la vie privée et non comme un délit accompagné d'actes de violence. Ce sont généralement les femmes et les jeunes filles qui sont victimes de la violence commise par des hommes au sein des foyers. Cette situation est la conséquence de rapports de force sociaux, historiques et inégaux qui ne peuvent être tolérés par les autorités publiques.

Le point de départ d'une politique structurée et continue de lutte contre la violence au sein des familles doit dès lors se fonder sur l'égalité, l'émancipation, le partenariat et le respect mutuel entre hommes et femmes. Cette approche se traduira concrètement dans une série de projets distincts sur la formation et l'information, une réaction sociale réelle en termes de médiation, d'accompagnement et de répression, les droits de la victime, le traitement des auteurs ainsi que le suivi et l'évaluation de la politique menée à l'égard de la violence au sein des foyers.

Au cours de ces dernières années, la législation en matière de violence physique, sexuelle et psychologique a déjà considérablement évolué. Le législateur entend renforcer les peines et sanctionner la violence comme le résultat d'un abus de pouvoir au sein du couple, de la famille ou dans le cadre plus large de relations au sein desquelles l'auteur exerce un pouvoir sur la victime.

Je vous rappelle quelques unes de ces lois.

La loi du 24 novembre 1997 visant à combattre la violence au sein du couple prévoit des sanctions plus lourdes et des circonstances aggravantes pour l'auteur d'une infraction - il s'agit des articles 398 à 405 du Code pénal - lorsque l'auteur présumé de l'infraction est l'époux de la victime ou la personne avec laquelle il cohabite et entretient une relation affective et sexuelle durable.

La loi du 23 novembre 1998 instaurant la cohabitation légale, qui insère l'article 1479 au Code civil et autorise le juge de paix, si l'entente entre les cohabitants légaux est sérieusement perturbée, à prendre des mesures urgentes et provisoires.

La loi relative à la protection pénale des mineurs, votée au Sénat le 16 novembre 2000 élargit notamment la protection pénale des mineurs aux infractions à caractère sexuel - prostitution, atteinte à l'intégrité sexuelle, viol, homicide et blessures corporelles volontaires - et condamne toute forme de mutilation sexuelle.

Outre la législation existante qui, à mes yeux, offre déjà une protection suffisante aux victimes, aucune directive spécifique n'a été donnée jusqu'ici à la magistrature.

Un autre projet de loi, qui a été adopté par le Conseil des ministres, autorise l'époux ou le cohabitant victime d'actes de violence à reprendre, après la dissolution de la communauté, soit après la procédure de divorce, soit devant le juge de paix en cas de cohabitation, la maison « conjugale » si l'autre époux ou cohabitant s'est rendu coupable de faits de violence.

Je crois que le problème est actuel. Nous nous efforçons de le maîtriser. Malheureusement, nous n'arriverons jamais à exclure totalement ce type de violence. Il serait illusoire de le croire. La spécificité de la problématique ne permet pas d'émettre des directives générales en la matière.

Comme vous le savez peut-être, une expérience est actuellement en cours à Anvers. Dans le cadre de ce projet, mené en étroite collaboration avec la police et la justice, une attention particulière est consacrée à toutes les formes de violence intrafamiliale et différents dossiers sont conservés par famille. Après avoir procédé à l'évaluation de ce projet-pilote, on examinera la mesure dans laquelle cette méthode de travail pourra être étendue à l'ensemble du pays.

Afin de sensibiliser davantage la magistrature à la problématique de la violence dans les foyers, il est demandé au Conseil supérieur de la Justice d'intégrer cette question dans les matières qu'englobe la formation des magistrats. Le Conseil supérieur a promis de faire le nécessaire.

Je souhaiterais enfin vous annoncer que le service de politique criminelle, qui travaille actuellement à l'élaboration d'une statistique criminelle intégrée, a reçu la mission, voici quelques mois déjà, de développer un instrument qui devrait permettre à l'avenir de mieux étudier le phénomène de la violence intrafamiliale et d'en inférer les options politiques nécessaires.

Ce problème n'échappe pas du tout à notre attention, bien au contraire. Ces dernières années, nous avons travaillé tant sur le volet législatif de ce problème que sur le volet pratique.

M. Jean-Pierre Malmendier (PRL-FDF-MCC). - Je remercie le ministre pour sa réponse fort complète qui enrichit mes connaissances en la matière. J'ignorais en effet le projet-pilote qui se déroule actuellement à Anvers. Selon moi, c'est la bonne voie à suivre. Les lois promulguées visent surtout à une répression plus sévère mais c'est la prévention qu'il faut accentuer dans cette problématique. L'action du ministre va tout à fait dans ce sens et je m'en réjouis. Il faut intervenir de façon préventive plutôt que punitive, ce qui n'exclut pas que les faits soient qualifiés à leur juste mesure.

M. Marc Verwilghen, ministre de la Justice. - Je voudrais apporter un complément d'information. Je partage le point de vue de M. Malmendier et considère, moi aussi, qu'il faut privilégier l'action préventive par rapport à l'action répressive. J'ai appris néanmoins que des sanctions différentes peuvent avoir un effet bénéfique. Ainsi, la nouvelle loi en préparation accorde au partenaire victime de violences intrafamiliales le droit de conserver le logement familial en cas de séparation. De telles sanctions ne relèvent pas du pénal. Il s'agit de sanctions civiles qui amènent souvent les époux violents à réfléchir à deux fois avant de passer à l'acte.

-L'incident est clos.