2-977/3

2-977/3

Sénat de Belgique

SESSION DE 2001-2002

20 FÉVRIER 2002


Projet de loi transposant la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services et instaurant un régime simplifié pour la tenue de documents sociaux par les entreprises qui détachent des travailleurs en Belgique


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES PAR MME PEHLIVAN


Le présent projet de loi, qui relève de la procédure facultativement bicamérale, a été adopté par la Chambre des représentants le 6 décembre 2001, par 129 voix et 3 abstentions, et a été transmis au Sénat le 7 décembre 2001.

Il a été évoqué le 7 janvier 2002. La commission des Affaires sociales a examiné le présent projet de loi en présence de la ministre de l'Emploi au cours de ses réunions des 30 janvier et 20 février 2002.

DISCUSSION GÉNÉRALE

M. Van Quickenborne déclare que la discussion sur la transposition de la directive 96/71/CE sur le « détachement » s'inscrit dans le cadre de la fixation du « noyau dur de règles impératives minimales » pour laquelle on se réfère actuellement au critère de la sanction pénale de la norme. Un problème se pose malgré tout en ce sens que l'on part du principe que toutes les dispositions d'ordre public sont assorties d'une sanction pénale. Or, en pratique, la Cour de cassation a déclaré, dans plusieurs arrêts, que certaines dispositions du droit du travail, bien qu'assorties de sanctions pénales, ne sont pas d'ordre public. Autrement dit, le lien entre les deux n'est pas absolu.

Dans un deuxième temps, la transposition de la directive 96/71/CE doit être conforme aux articles 49 et 50 du Traité sur l'Union européenne qui consacrent la libre circulation des biens et des services. À la lumière de la jurisprudence des années écoulées, on ne peut que constater que l'on a à tout le moins fait preuve d'imprudence à l'occasion de la transposition de la directive.

C'est ainsi, en effet, que l'arrêt « Arblade-Leloup » de la Cour européenne de justice du 23 novembre 1999 prône une approche par secteur lorsqu'il s'agit de définir les règles qui doivent présider au détachement de travailleurs. Cette approche par secteur n'est pas prévue dans le projet.

Dans l'arrêt « Mazzoleni » du 15 mars 2001, la Cour européenne de justice parvient à la conclusion que les règles nationales sur le travail peuvent être appliquées aux travailleurs détachés. Toutefois, en cas de détachement limité, les personnes en question ne sont pas assujetties aux règles du droit du travail belge.

Dans l'arrêt « Finalarte » du 25 octobre 2001, la Cour européenne de justice déclare que le réflexe protectionniste ne peut servir à justifier la décision d'appliquer une règle déterminée. Dans l'exposé des motifs du présent projet, la protection des entreprises nationales est néanmoins aussi citée comme un des objectifs du projet. Or, ce motif protectionniste est très clairement rejeté en droit européen.

Accessoirement, le sénateur tient à faire remarquer qu'à un article près, la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail n'est pas contraignante pénalement et continue d'être appliquée aux travailleurs détachés. Suivant la logique du projet, elle ne sera plus applicable aux travailleurs détachés dans le futur. La ministre peut-elle confirmer que ce point de vue est exact ?

Dans le projet, on part du principe que le détachement est de courte durée. Qu'advient-il lorsque le détachement est de plus ou moins longue durée ?

L'article 3, § 2, proposé prévoit que le Roi peut étendre l'application de la présente loi à d'autres personnes qui effectuent des prestations de travail sous l'autorité d'une autre personne. Les organisations syndicales auraient suggéré que ces règles pourraient être applicables aux faux indépendants. La ministre peut-elle dire si elles le seraient ? Si oui, quelle est alors l'attitude du gouvernement à cet égard ?

Les organisations syndicales représentées au sein du Conseil national du travail ont demandé que soient créés, en application de l'article 4 de la directive, un point de contact et un guichet d'information concernant les dispositions applicables aux travailleurs détachés. La ministre peut-elle préciser où en sont les choses à ce sujet ?

Dans le secteur du détachement, on applique le système des revenus nets garantis. L'introduction du nouveau système pourrait hypothéquer cette manière de procéder. A-t-on tenu compte de cela ?

L'article 6 de la directive dispose qu'un travailleur détaché doit pouvoir intenter une action en justice devant les tribunaux de l'État où il est occupé en tant que travailleur détaché. Cet aspect des choses n'est toutefois pas abordé dans le projet à l'examen.

Enfin, les organisations patronales représentées au sein du CNT réclament une description limitative de la méthode suivie dans le cadre du projet pour transposer la directive. Une telle liste peut-elle être publiée ?

La ministre tient à rappeler que le projet à l'examen offre un équilibre entre, d'une part, une protection minimale et, d'autre part, la simplification des formalités administratives en matière de détachement. L'objectif est donc manifestement non pas d'introduire une série d'obligations administratives, mais de prévenir le dumping social.

Il importe en outre de souligner que le projet actuel tend à apporter une réponse à la question de savoir quelles dispositions légales et quelles règles sont applicables en cas de détachement en Belgique de travailleurs par une entreprise étrangère.

Voilà pourquoi le projet prévoit que la législation applicable à la relation de travail est celle du pays où le travailleur a été engagé et que l'entreprise doit respecter, pendant le détachement, un ensemble de dispositions contraignantes de protection minimale qui sont en vigueur dans le pays d'accueil, à savoir le « noyau dur de règles impératives minimales ».

L'article 3 de la directive énumère une série d'activités auxquelles est applicable le noyau dur de règles impératives minimales. Le noyau peut être étoffé au-delà de ces activités, pour autant que les dispositions en question concernent l'ordre public. Il reste donc à savoir quel contenu il faut donner à la notion d'« ordre public ». En Belgique, on a retenu à cet égard les dispositions sociales qui sont assorties d'une sanction pénale. C'est un critère clair qui confirme que les dispositions importantes sont assorties de sanctions pénales.

Si on avait choisi de ne pas établir ce lien, on aurait encore dû définir la notion d'« ordre public » avec toutes les difficultés de la chose étant donné que la doctrine est fort développée en la matière.

Par ailleurs, pour pouvoir appliquer la loi qui sera issue de ce projet, on devra pouvoir dire, à un moment donné, à une entreprise quelles dispositions sont d'« ordre public », et, partant, quelles lois doivent être respectées.

La ministre confirme ensuite que les organisations d'employeurs ont demandé une liste de ces dispositions. Elle attend toujours que les organisations d'employeurs lui fassent une proposition de liste. Elle estime qu'il est impossible de dresser une liste de ces dispositions.

En ce qui concerne l'application de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, la ministre répond qu'elle ne vaut pas en ce qui concerne le détachement, étant donné qu'elle n'a aucune incidence pénale. Elle est en outre absolument inapplicable, puisque la législation qui régit la relation de travail est celle du pays où le travailleur a été engagé.

Par ailleurs, la ministre confirme que l'administration a créé un point de contact.

Enfin, la ministre estime qu'un travailleur détaché poserait un acte absurde en saisissant un tribunal belge, étant donné que la législation applicable à la relation de travail est celle du pays d'origine et qu'un détachement ne dure en principe qu'un nombre limite de semaines.

M. Van Quickenborne ne conteste pas que la notion de « sanction pénale » ne fournit pas de critère clair. Il s'interroge toutefois sur le lien entre les notions d'« ordre public » et de « sanction pénale ». L'intervenant renvoie une fois encore à cet égard à la Cour de cassation qui a déclaré que deux dispositions du droit du travail qui sont pourtant assorties de sanctions pénales ne sont pas d'ordre public. Ces dispositions sont-elles ou non applicables aux travailleurs détachés ?

La ministre répond que ces dispositions sont effectivement applicables aux travailleurs détachés.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

M. Van Quickenborne dépose l'amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 2-977/2) qui vise, à l'instar des dispositions de la directive européenne, à permettre aux travailleurs détachés d'intenter une action en justice devant les tribunaux de l'État membre sur le territoire duquel ils sont détachés.

La ministre répond que l'amendement proposé n'est d'aucune utilité. En effet, l'article 2 dispose déjà que les travailleurs sont des personnes qui, en vertu d'un contrat, fournissent des prestations de travail, contre rémunération et sous l'autorité d'une autre personne. Le tribunal du travail est donc déjà compétent. De plus, cet amendement est contraire au principe selon lequel la législation qui régit la relation de travail est celle du pays où le travailleur a été engagé.

M. Van Quickenborne demande ensuite comment il faut interpréter l'article 6 de la directive 96/71/CE qui prévoit qu'« une action en justice peut être intentée dans l'État membre sur le territoire duquel le travailleur est ou était détaché ».

La ministre répond que deux éléments jouent un rôle, à savoir le droit applicable à la relation de travail et les dispositions qui doivent être respectées par l'entreprise qui met les travailleurs à la disposition.

L'amendement est rejeté par 8 voix contre 3.

VOTE SUR L'ENSEMBLE

L'ensemble du projet de loi a été adopté par 8 voix et 3 abstentions.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.

La rapporteuse, Le président,
Fatma PEHLIVAN. Theo KELCHTERMANS.