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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 29 NOVEMBRE 2001 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Francis Poty au ministre de l'Économie et de la Recherche scientifique, chargé de la Politique des grandes villes, sur «la réduction des tarifs des transactions bancaires internationales et l'augmentation des tarifs des transactions domestiques» (nº 2-766)

M. Francis Poty (PS). - Cela fait plus de dix ans que les banques promettent de réduire les tarifs des transactions internationales dans l'ensemble de l'Union européenne. Et cela fait plus de dix ans que, malgré les innombrables fusions, les progrès gigantesques de l'informatique et la stabilité que représente l'euro, elles continuent à prélever des sommes considérables sur chaque transaction franchissant une frontière, en particulier pour les petits montants.

Or, maintenant que la fermeté de l'Europe, à laquelle vous n'êtes pas étranger, commence à porter ses fruits, les banques belges envisagent de récupérer le manque à gagner de ces transactions sur les transactions domestiques qui concernent plus de 95% des paiements de toutes sortes.

Ainsi, après avoir tout fait pour favoriser les paiements bancaires et, en particulier, les paiements électroniques, après avoir créé un véritable besoin nouveau, les banques prennent une fois de plus le consommateur en otage en le menaçant de devoir payer pour retirer son propre argent. Va-t-on en revenir à une multiplication des échanges de papier monnaie au moment même du passage à l'euro ?

Peut-on admettre ce véritable chantage alors que les banques continuent à afficher une santé financière insolente ? Qu'en est-il réellement de ces coûts qu'elles prétendent supporter ? Ne faut-il pas admettre qu'ils sont la contrepartie évidente des énormes gains que le système bancaire dans son ensemble est de nature à générer ? Qu'en est-il de la notion de service universel que ces mêmes banques s'étaient engagées à respecter dans une charte, déjà maintes fois contestée, au point qu'on peut aujourd'hui se poser la question de savoir à quoi ladite charte sert exactement ?

M. le ministre peut-il m'indiquer où en est exactement la situation et les mesures qu'il compte prendre pour éventuellement y remédier ?

M. Charles Picqué, ministre de l'Économie et de la Recherche scientifique, chargé de la Politique des grandes villes. - Cela fait en effet dix ans, M. Poty a raison de le rappeler, que les banques sont interpellées et qu'elles nous donnent deux réponses non négligeables.

La première est que, si on leur accordait du temps, elles pourraient mettre sur pied un système de régulation fondé, par exemple, sur un code de bonne conduite ; dès lors, il ne faudrait pas réglementer le marché. On connaît évidemment ce genre d'argument.

Ce lundi, au Conseil du marché intérieur que je présidais, il y a encore eu des tentatives pour donner une chance au secteur des banques de faire une proposition d'autorégulation, le but étant bien entendu d'échapper à la réglementation.

La seconde réponse invoquée est que les banques nous disent depuis dix ans que les transferts transfrontaliers sont marginaux. L'abaissement des coûts permettra le développement des paiements transfrontaliers. Sur cet aspect, il est tout à fait illogique de prétendre que les coûts des paiements transfrontaliers, aujourd'hui marginaux selon les dires des banques, constitueraient une charge insupportable devant être compensée par une augmentation des paiements domestiques.

Le problème du coût des paiements sera en partie réglé par l'automatisation des paiements transfrontaliers.

Le règlement impose l'utilisation de codes (IBAN et BIC) sur le virement. Il rend dès lors possible l'automatisation. Celle-ci va entraîner une diminution substantielle des coûts. Il faut d'ailleurs souligner que, si le client ne mentionne pas les codes, on pourrait lui appliquer des frais additionnels.

Quant aux infrastructures, je pense particulièrement aux systèmes de compensation, la Banque Centrale Européenne s'est déclarée prête à appuyer techniquement le secteur bancaire dans la mise en oeuvre d'un système global de compensation.

Nous sommes aujourd'hui face à une situation classique : le marché unique convient quand il arrange les banques mais pas quand il arrange le consommateur. Outre le consommateur qui peut être visé par le problème de la tarification des virements transfrontaliers et des paiements électroniques, il y a aussi les PME.

J'estime que l'application des règlements ne pourrait être bloquée pour des raisons techniques, d'autant plus que nous avons accordé un délai d'adaptation, les règlements devant être d'application en juillet 2002 pour les paiements électroniques et en juillet 2003 pour les virements.

Nous en arrivons à envisager ce que nous pourrions faire s'il apparaissait que les banques devaient prendre en otage le consommateur parce qu'elles ne seraient pas satisfaites du règlement qui leur est imposé.

L'article 4 du règlement stipule que les banques doivent donner des informations préalables sur les frais qu'elles facturent pour les paiements transfrontaliers et domestiques. On va donc pouvoir se rendre compte s'il y a une augmentation.

Il est évident, monsieur Poty, que nous allons mettre les tarifs sous observation, faire des enquêtes régulières sur l'évolution des prix dans le secteur bancaire et voir si la concurrence joue pleinement. La concurrence ne peut pas seulement jouer quand cela arrange ceux qui sont les grands défenseurs de la concurrence à tout prix et pas quand le consommateur pourrait s'y retrouver avantageusement. S'il apparaissait que la concurrence était insatisfaisante dans ce secteur, nous ne manquerions pas d'intervenir.

Il est donc tout à fait illogique de prétendre que les coûts des paiements transfrontaliers, aujourd'hui marginaux selon les dires des banques elles-mêmes, constitueraient une charge insupportable devant être compensée par une augmentation des paiements domestiques.

Si nous nous rendons compte qu'une entente tacite est ainsi créée, c'est que la concurrence serait déficiente et, dans ce cas, le secteur bancaire commettrait une faute grave.

Rien ne permet donc rationnellement de justifier une augmentation des tarifs domestiques. Je serai, par conséquent, extrêmement attentif à l'évolution des prix et au respect de la concurrence dans le secteur bancaire.

Vous avez également évoqué le service universel. Je sais que vous êtes, comme moi, attaché à cette conception du système et donc du service universel. J'ai insisté à plusieurs reprises sur les missions de service public qui doivent être assurées par les banques. Il existe bien une charte dans ce secteur mais, à nouveau, nous sommes confrontés à des alternatives à la législation et à la réglementation qui montrent leurs limites. En effet, l'application de la charte est assez controversée, à juste titre, me semble-t-il.

J'ai donc demandé une étude sur la réalité actuelle de l'exclusion bancaire. Elle sera finalisée d'ici peu et je vous en communiquerai bien entendu les résultats. Par ailleurs, comme vous le savez, des propositions de loi ont été déposées en la matière. Je souhaite que le débat parlementaire ait lieu rapidement, afin que nous puissions apporter une solution durable à cette problématique. Il conviendrait toutefois, avant d'engager nos travaux, d'examiner, avec toute l'attention qu'elle mérite, l'étude dont nous disposons.

M. le président. - Je voudrais rappeler que le temps de parole dévolu aux ministres pour répondre aux questions orales est également de trois minutes.

M. Francis Poty (PS). - Je remercie M. le ministre pour sa réponse, que j'ai trouvée très intéressante.

Je prends acte de sa volonté - dont je ne doute pas un instant - de suivre le dossier de très près et, s'il le faut, de porter le fer là où ce sera nécessaire.