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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 22 NOVEMBRE 2001 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Jean Cornil au ministre de l'Intérieur sur «l'évolution du dossier relatif à la procédure d'asile» (n° 2-748)

Question orale de Mme Marie Nagy au ministre de l'Intérieur sur «la mise en oeuvre de la réforme du droit d'asile» (n° 2-755)

M. le président. - Je vous propose de joindre ces questions orales. (Assentiment)

M. Jean Cornil (PS). - Le 10 novembre 2000, le Conseil des ministres approuvait les lignes de force des avant-projets de loi réformant la procédure d'asile et, le 22 décembre 2000, ceux-ci ont été approuvés par le gouvernement.

Ces projets, très importants car ils contiennent une série de mesures tout à fait positives, traduisent le chapitre de la déclaration gouvernementale de juillet 1999.

Le 15 janvier 2001, les avant-projets furent soumis à la section de législation du Conseil d'État, lequel a rendu son avis le 12 avril 2001.

Vous avez annoncé à de multiples reprises, M. le ministre, un certain nombre d'éléments susceptibles d'améliorer considérablement la procédure d'asile. Au cours de ce mois de novembre, différentes associations se sont fait l'écho de problèmes inhérents à la procédure actuelle, qui pourraient être rencontrés par votre projet.

Pouvez-vous donc m'indiquer où en est ce projet de loi, qui devrait bientôt être soumis au Conseil des ministres ?

Mme Marie Nagy (ECOLO). - Ces derniers jours, nous ne pouvons que nous féliciter du succès de l'opération de régularisation qui touche à sa fin. On ne peut qu'approuver l'action du gouvernement arc-en-ciel, qui a permis à des milliers de familles de retrouver un statut légal et une existence plus humaine.

Ce volet était l'un des trois volets présentés par le gouvernement en matière d'asile, le deuxième étant celui des expulsions et le troisième, plus fondamental, celui de la réforme du droit d'asile.

En effet, le ministre avait attiré l'attention du Parlement sur la nécessité d'avoir une procédure entièrement adaptée à la Convention de Genève et plus rapide que celle actuellement en vigueur, de manière à éviter les retards qui se sont accumulés au cours des législatures précédentes.

La déclaration de majorité portait d'ailleurs sur l'engagement du gouvernement de prévoir des procédures raccourcies, améliorées et simplifiées, dans le respect des droits de la défense. Le ministre a annoncé un projet de loi en la matière. Cette information fut confirmée dans la déclaration de politique générale prononcée par le premier ministre en octobre 2001.

Pouvez-vous me dire, monsieur le ministre, où vous en êtes en ce qui concerne ce projet de loi modifiant la procédure d'asile ?

Voilà une dizaine de jours, le CIRE déposait un rapport sur « le fonctionnement de la procédure d'asile belge ». Force est de constater, à la lecture de ce rapport, que le droit pose en la matière un certain nombre de problèmes.

J'espère que mes questions trouveront une réponse rassurante quant aux délais et à la volonté du ministre de tenir les engagements pris depuis deux ans et rappelés à plusieurs reprises.

M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur. - Je voudrais tout d'abord remercier Mme Nagy de son appréciation sur l'opération de régularisation. Il est rare en effet que l'on souligne le fait que les choses se soient bien passées. J'ai été plus souvent interpellé dans cette chambre et dans l'autre dans le but inverse. Je suis d'un naturel optimiste et je me réjouis que l'on puisse finalement constater que l'opération a été finalisée en deux ans et dans de bonnes conditions. Cette opération a été acceptée par la population parce qu'elle était sérieuse et raisonnable.

Je remercie aussi M. Cornil - cette journée est vraiment exceptionnelle, monsieur le président - qui a parlé d'un excellent projet de loi relatif à l'asile. Je reviendrai plus souvent au Sénat, monsieur le président ; je commence à partager votre conviction.

Je pense aussi que ce projet de loi est valable, mais là n'est pas la question. Actuellement, ces problèmes sont d'une moins grande actualité, parce que nous sommes confrontés à une moindre pression, mais ce n'est pas le seul argument qui doit être pris en compte. Je l'ai souvent dit et répété dans cette assemblée, il faut aussi essayer d'avoir la meilleure procédure possible, c'est-à-dire celle qui réconcilie les exigences d'efficacité et de respect des droits des demandeurs. La bonne dimension - la seule pertinente, me semble-t-il - pour aborder ces questions est celle de l'Europe. Vous le savez, à la suite de Tampere, un certain nombre de textes sont en attente, qu'il s'agisse des principes d'une procédure harmonisée, des conditions d'accueil, de la révision de la convention de Dublin ou du problème du regroupement familial, etc. À Tampere, il avait été décidé de faire de la question de l'asile un problème du premier pilier. On dit souvent, assez paradoxalement, que les choses avancent plus vite dans le premier pilier, parce qu'il s'agit d'un pilier communautaire, que dans le troisième pilier. Le présent exemple démontre le contraire.

Au nom de la présidence, je dois établir un rapport sur l'état d'avancement de l'exécution des résolutions de Tampere pour le sommet de Laeken. Il est clair que nous avons pris du retard, mais la question n'est pas là. Elle réside plutôt dans le fait de savoir s'il existe une réelle volonté pour mettre en commun un certain nombre de principes au sein des quinze, dans une matière délicate qui touche à un certain nombre de valeurs fondamentales de l'Europe. J'ai modifié la méthode de travail au sein du JAI pour poser un certain nombre de questions fondamentales. Dans le rapport à rédiger pour le sommet de Laeken, je me pose la question de savoir si le fait de prévoir sans cesse de nouvelles législations au plan national - ce qui est le cas d'un certain nombre d'États membres - ne constitue pas un handicap au plan européen. Ces questions alimentent le débat politique au plan national, avec les dangers que cela représente, et l'on arrive au plan européen, convaincu que la législation que l'on vient d'adopter est la meilleure.

Il n'est pas possible de cumuler au niveau européen tout ce que nous ferons sur le plan national. Il n'est pas non plus possible ni souhaitable de faire semblant que nous nous mettons d'accord sur certaines directives qui ne constitueraient pas une véritable plus-value. J'ai évoqué, comme analyse de la présidence, la nécessité, dans chacun des États membres, de bien réfléchir à l'opportunité de discuter de nouvelles législations nationales au moment où un exercice important, mené à l'échelon européen, progresse bien.

En effet, pour ce qui est de réconcilier les exigences d'efficacité et de respect des droits des demandeurs, la présidence belge a identifié et posé certaines questions précises. Les points de vues de beaucoup d'États membres se sont rapprochés et on peut espérer qu'à l'occasion du conseil JAI des 6 et 7 décembre, nous arrivions à un accord en la matière.

Si ce n'est pas le cas, le dossier sera transféré à Laeken car il faut vraiment, pour ces questions d'harmonisation des procédures, que l'on tranche, que l'on sache si on veut aller de l'avant ou si, au contraire, on renonce.

Vous comprenez donc que la présidence belge, faisant cette analyse, doit prêcher l'exemple. Je l'ai déjà expliqué ici au Parlement. Nous ne pouvions pas, reprochant à certains de nos collègues de mener un double débat équivoque au plan national et au plan européen, procéder de la même manière. Nous aurons une réponse à brève échéance. Il est clair que le gouvernement, à la lumière de tous ces éléments, devra procéder à une nouvelle analyse. J'espère que cette analyse se fera sur la base de certains principes communs que nous serons parvenus à déterminer à l'échelon européen.

M. Jean Cornil (PS). - Je remercie M. le ministre de l'Intérieur de sa réponse. Si je comprends bien - je pense que c'est tout à fait cohérent -, il vaut effectivement mieux, dans l'esprit du traité d'Amsterdam, du passage du troisième au premier pilier, envisager d'abord une politique d'asile au niveau européen.

Je souhaite évidemment que l'esprit du projet, avec notamment la création d'une véritable juridiction administrative pour l'asile, puisse se transmettre aux sommets du mois de décembre, pour que cette réforme importante pour les droits des demandeurs d'asile puisse rayonner dans l'ensemble de l'Union européenne.

Si les propositions du ministre ne passaient pas le cap du conseil du mois de décembre et si on en restait aux normes minimales dans les projets de directives, je souhaiterais que le ministre puisse éventuellement aller plus loin à l'échelon national après la présidence belge.

Mme Marie Nagy (ECOLO). - Je remercie le ministre de ses réponses. Je tiens à lui dire que la réussite de l'opération de régularisation, dont nous pouvons tous nous féliciter, était aussi liée à la vigilance permanente des parlementaires et du ministre dans ce dossier. Même si les délais initiaux n'ont pas été tout à fait respectés, le résultat est important. Les parlementaires sont en tout cas attentifs et se montrent positifs dans le soutien de l'action du gouvernement.

Quant au troisième pilier qui porte sur la réforme du droit d'asile, la réponse du ministre me paraît sage mais il ne faut pas ignorer le danger qui menace. La réforme du droit d'asile, qui fait partie des engagements du gouvernement et de la majorité, est-elle simplement mise entre parenthèses dans l'attente de résultats plus positifs - une meilleure juridiction pour le traitement des dossiers -, des suites données au sommet de Tampere, confirmé à Laeken, ou bien les décisions à prendre au niveau européen ne servent-elles pas d'excuse à la non-adoption d'une réforme promise depuis un an ?

Je suivrai l'avancement de ce dossier. Je crois que le rapport du CIRE montre bien qu'il faut envisager des modifications impératives. Il faut bien entendu trouver une solution au niveau européen mais l'Europe ne peut constituer un élément de blocage de l'évolution de notre législation conformément aux engagements pris.

M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur. - Il ne s'agit pas de l'histoire de l'oeuf et de la poule ! Nous avons simplement un double engagement : un engagement national et un engagement européen. L'un et l'autre doivent être respectés. Les questions abordées dans l'avant-projet de loi sont exactement celles que nous nous posons au niveau européen. Que faire pour avoir une procédure de qualité ? Quelles conditions matérielles doivent-elles être remplies ? Que faire pour que la procédure soit à la fois respectueuse des droits et efficace ? Comment éviter la multiplication des nids à recours et des instances ? Combien d'instances prévoir et de quelle nature - juridictionnelles ou non - ? Quel est le rôle du Conseil d'État ? Les recours doivent-ils ou non avoir un caractère suspensif ?

On ne peut élaborer des propositions à Bruxelles, présentées ensuite au niveau européen, comme à prendre ou à laisser ! Il faut apprendre, Madame, à avoir le sens du dialogue dans ces matières. Si quelqu'un fait de ce débat un débat idéologique, avec la volonté d'obtenir une victoire à caractère idéologique, ce sera dramatique ! Il faut en arriver dans ce domaine, à accueillir dans de bonnes conditions les vrais demandeurs d'asile et à avoir la possibilité, pour le surplus, de dire que certains ne sont pas de vrais demandeurs d'asile.

D'autres questions se posent aussi et ne relèvent pas de la politique d'asile. Je les ai posées à la Conférence européenne sur les migrations. Donc vous ne pouvez me faire aucun reproche à cet égard quelle que soit la vigilance dont vous faites preuve. Ce sont les questions relatives aux migrations, au trafic des êtres humains, à la migration économique, à l'intégration et aux conditions d'accueil, et au développement de la coopération et de la diplomatie en vue de résoudre les conflits qui sont à la base des migrations importantes vers l'Europe.

J'essaie d'intégrer les différents paramètres et je ne tiens pas deux langages différents selon que je suis à la table du gouvernement ou à celle du Conseil des ministres de l'Intérieur. Nous progressons bien, nous avons déjà beaucoup de réponses sérieuses et réalistes aux questions posées. Il n'y a aucune volonté dilatoire dans mon chef. Je le répète, je ne désespère pas qu'au Conseil JAI des 5 et 6 décembre, nous n'obtenions des réponses à toutes les questions posées.