2-907/1

2-907/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2000-2001

19 SEPTEMBRE 2001


Proposition visant à instituer une commission d'enquête parlementaire chargée d'enquêter sur la présence d'organisations terroristes sur le territoire belge et leurs relations avec le crime organisé

(Déposée par M. Frans Lozie)


DÉVELOPPEMENTS


Le 11 septembre 2001, les États-Unis d'Amérique ont été frappés par des attaques terroristes particulièrement violentes.

Tant l'ampleur de cette catastrophe que le choix des cibles suscitent dans le monde entier de nombreuses questions sur la manière dont les pouvoirs publics peuvent protéger leurs ressortissants contre de telles formes de terreur aveugle.

Sans préjuger des résultats de l'enquête judiciaire en la matière, on peut d'ores et déjà constater :

­ que malgré la présence de plusieurs services de renseignements, qui opèrent à l'échelle mondiale, on n'a pas réussi à détecter à temps que ces attentats étaient en préparation et l'on n'a par conséquent pas pu éviter qu'ils soient commis;

­ que partout dans le monde, y compris dans notre pays, des réseaux d'organisations terroristes actifs préparent régulièrement des attentats, tant en Europe qu'en Amérique;

­ que les organisations terroristes financent de plus en plus leurs actions par des moyens provenant de la criminalité organisée classique, tels que le trafic de drogue, la traite des êtres humains et le trafic d'armes, avec des liens évidents avec des organisations maffieuses.

Par le passé, le Sénat a accompli un travail d'enquête considérable sur la présence de la criminalité organisée dans notre pays. Au cours de la législature précédente, il a créé à cet effet une commission revêtue des pouvoirs d'une commission d'enquête parlementaire, laquelle a publié, en 1998, un rapport particulièrement intéressant. Au cours de la présente législature, une commission du suivi en matière de criminalité organisée fonctionne sous la présidence du sénateur Vandenberghe. Les événements dramatiques du 11 septembre 2001 soulignent entre autres l'importance d'une connaissance approfondie des divers réseaux qui sont actifs dans notre pays et en Europe et qui ont partie liée avec ce type de terrorisme.

Il est dès lors indiqué que la compétence et l'expérience dont dispose le Sénat grâce à cette commission du suivi soient mises à profit pour répondre à certaines questions sur le phénomène du terrorisme et pour faire un tour d'horizon de la situation concrète dans notre pays. La présente proposition vise par conséquent à commuer la commission du suivi en matière de criminalité organisée en une commission d'enquête parlementaire permanente (comme elle l'était sous la législature précédente), avec pour mission spécifique de faire la clarté sur les réseaux terroristes et leurs relations avec le crime organisé de nature maffieuse.

Cette commission aurait pour mission particulière d'examiner dans quelle mesure nos services de renseignements sont armés contre ce phénomène, de donner un aperçu de la situation dans notre pays, du moins de ce que l'on en sait, d'étudier surtout comment les divers réseaux criminels sont imbriqués les uns dans les autres et aussi de faire une série de recommandations à propos de la manière dont nos services publics peuvent se prémunir contre l'infiltration ou la contre-stratégie pratiquées par ces réseaux criminels, conformément à la recommandation prônant « l'administration armée », suggérée dans le rapport de 1998.

Comme l'acquisition d'informations sur le fonctionnement des services de renseignements et sur leurs résultats n'est évidemment possible que si l'on peut garantir une confidentialité suffisante, il est nécessaire de commuer l'actuelle commission du suivi en une commission d'enquête parlementaire, ce qui lui permettra de disposer de moyens d'enquête plus efficaces, étant entendu que ses membres s'engagent expressément à respecter le secret de l'instruction.

Le but final est de redonner confiance aux citoyens dans le fonctionnement des institutions et dans la manière dont les autorités assurent sa sécurité. Cette confiance a été fortement ébranlée par ces événements dramatiques. Le Parlement a dès lors le devoir, en tant qu'émanation de la nation, de veiller à un fonctionnement optimal des institutions, y compris le fonctionnement des services de renseignements, des services de police et des instances judiciaires, afin d'offrir aux citoyens la protection et la sécurité juridique nécessaires.

Il ne fait aucun doute que dans la foulée de ces attentats, des mesures seront proposées pour renforcer le fonctionnement de ces services, avec pour risque une limitation trop importante des libertés et des droits fondamentaux du citoyen. Le but n'est pas que cette commission examine aussi cette question. Celle-ci peut l'être dans les commissions régulières de la Justice et de l'Intérieur, compétentes en la matière. Mais les informations et les recommandations émanant de cette commission d'enquête à instituer peuvent contribuer de manière essentielle à cerner le phénomène et à soutenir des initiatives législatives en la matière.

Frans LOZIE.

PROPOSITION


Article 1er

§ 1er. Il est institué une commission d'enquête parlementaire chargée :

1º d'examiner de quelles informations contenant des indices de préparation d'une action terroriste telle que celle qui a frappé les États-Unis d'Amérique le 11 septembre 2001, les services de renseignements opérant dans notre pays disposaient, et d'examiner éventuellement pourquoi ces informations étaient insuffisantes pour pouvoir intervenir à temps et éviter ces attentats;

2º de faire rapport sur la connaissance qu'on a actuellement de réseaux terroristes dans notre pays;

3º d'examiner l'imbrication éventuelle de réseaux terroristes avec des réseaux maffieux et des réseaux plutôt classiques de criminalité organisée;

4º d'examiner dans quelle mesure nos services publics, en particulier les services responsables de la délivrance des documents de séjour, se sont prémunis contre les tentatives de ces organisations criminelles d'opérer sans se faire remarquer sur notre territoire, et de formuler éventuellement des recommandations d'administration armée;

5º de formuler des recommandations en vue d'améliorer le fonctionnement de nos services de renseignements, notamment le moyen d'améliorer l'échange international et interdisciplinaire d'informations et le contrôle de ces informations;

6º de formuler des recommandations en vue d'une réaction juridique et administrative plus rapide en cas de découverte de ces réseaux terroristes, notamment en ce qui concerne une prompte collaboration avec le parquet fédéral et le suivi judiciaire des dossiers.

§ 2. Pour accomplir ses missions définies au § 1er, la commission d'enquête parlementaire doit :

1º obtenir un aperçu le plus complet possible des informations dont disposent actuellement les divers services de renseignements qui opèrent dans notre pays. À cet effet, la commission peut interroger des responsables de ces services et obtenir d'eux des rapports de synthèse. Il importe notamment de savoir quelles étaient les informations dont on disposait dès avant les attentats du 11 septembre 2001;

2º obtenir de ces services un rapport clair sur le mode concret d'échange d'informations et sur le moment de leur échange, ainsi que sur les procédures concrètes de transmission des informations aux instances judiciaires compétentes;

3º vérifier auprès des autorités judiciaires comment et selon quel ordre de priorités elles réagissent aux demandes émanant des services de renseignements;

4º examiner auprès des services diplomatiques de l'administration des Affaires étrangères et auprès de l'Office des étrangers comment ils se prémunissent contre le vol et l'abus de documents belges par ces organisations et comment ils se prémunissent contre l'accès à notre territoire à l'aide de documents étrangers faux et/ou volés, comme des visas pour un pays de la zone Schengen.

La commission d'enquête parlementaire peut organiser toutes les auditions et visites qu'elle juge utiles.

Art. 2

La commission est composée de quinze membres, désignés par le Sénat suivant les modalités fixées à l'article 84 du règlement.

Art. 3

La commission dispose de tous les pouvoirs prévus à l'article 56 de la Constitution et par la loi du 3 mai 1880 sur les enquêtes parlementaires.

Art. 4

Dans les limites du budget dégagé par le Bureau du Sénat, la commission peut prendre toutes les mesures nécessaires pour mener l'enquête avec l'expertise requise. À cette fin, elle peut faire appel à des spécialistes dans les liens d'un contrat de travail ou d'entreprise. Ces contrats ne peuvent à aucune condition excéder la durée des travaux de la commission.

Art. 5

Les réunions de la commission sont publiques. La commission peut toutefois décider à tout moment de tenir une audition à huis clos.

Les membres de la commission ainsi que les personnes qui, en quelque qualité que se soit, l'assistent ou participent à ses travaux sont tenus à la discrétion en ce qui concerne les informations communiquées lors des réunions non publiques.

Art. 6

La commission est instituée pour la durée restante de la présente législature. Régulièrement, et au moins tous les six mois, la commission fait rapport au Sénat sur ses travaux. Elle peut aussi rédiger des rapports intermédiaires.

Frans LOZIE.
Patrik VANKRUNKELSVEN.