Questions et Réponses

Sénat de Belgique


Bulletin 2-34

SESSION DE 2000-2001

Questions posées par les Sénateurs et réponses données par les Ministres

(Fr.): Question posée en français - (N.): Question posée en néerlandais


Ministre de la Justice

Question nº 1201 de M. Van Quickenborne du 7 mars 2001 (N.) :
Statut social de l'avocat. ­ Compatibilité de l'article 477ter du Code judiciaire avec le droit européen.

J'aimerais avant toute chose remercier une fois encore le ministre des Affaires sociales et le ministre de la Justice pour la réponse circonstanciée qu'ils ont donnée il y a quelques semaines à mes demandes d'explication relatives au statut social des avocats.

Ni l'un ni l'autre n'ont toutefois évoqué dans leur réponse un important article de loi, à savoir l'article 477ter du Code judiciaire. D'après mes informations, il s'agit du seul article de loi sur lequel pourrait éventuellement être basée l'incompatibilité de la profession d'avocat avec le statut de travailleur salarié.

L'article 477ter du Code judiciaire concerne les avocats établis dans un autre État membre de l'Union européenne qui viennent exercer temporairement en Belgique la profession d'avocat. Il leur interdit d'accomplir tout acte juridique en Belgique s'ils exercent leur profession dans un lien de subordination à l'égard d'une personne publique ou privée.

La question se pose dès lors de savoir si l'article 477ter du Code judiciaire n'est pas contraire aux articles de la directive 77/249/CEE du 22 mars 1977 tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats CEE. Or, l'article 477ter a précisément été inséré dans le Code judiciaire pour transposer cette directive en droit belge.

D'autre part, la directive prévoit en son article 6 que chaque État membre peut interdire aux avocats salariés de représenter leur employeur en justice. La directive ne donne nullement compétence aux États membres pour interdire aux avocats salariés de donner des avis ou d'engager des procédures au profit des clients de leur employeur.

D'autre part, l'article 4 de la directive prévoit aussi qu'un avocat qui s'établit temporairement dans un autre État membre doit respecter les règles qui y ont cours en matière d'incompatibilité de la profession avec d'autres activités. L'article 477ter du Code judiciaire va toutefois plus loin encore, dès lors qu'il réglemente l'exercice de la profession d'avocat elle-même, indépendamment de toute autre activité exercée en parallèle.

Tout ce qui précède m'amène à poser les questions suivantes :

1. Les honorables ministres sont-ils au courant d'une éventuelle incompatibilité de l'article 477ter du Code judiciaire avec la directive européenne du 22 mars 1977 dont l'article 477ter aurait précisément dû être la fidèle transposition en droit belge ?

2. Sont-ils également d'avis que l'article 477bis du Code judiciaire viole les articles 4 et 6 de la directive européenne du 22 mars 1977 ?

3. Partagent-ils la conviction que l'article 477ter du Code judiciaire est inapplicable dans la pratique en ce qu'il est contraire au droit européen ?

Réponse : L'article 477ter du Code judiciaire dispose : « Les personnes visées à l'article 477bis qui sont dans un lien de subordination à l'égard d'une personne publique ou privée ne peuvent accomplir aucun acte de représentation ou défense en justice. »

Les personnes visées à l'article 477bis précité sont les personnes établies dans un État membre de l'Union européenne et y habilitées à porter le titre correspondant à celui d'avocat en Belgique.

Cet article a été inséré dans le Code judiciaire en vue de transposer la directive 77/249/CEE du Conseil, du 22 mars 1977, tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats (exercice de la profession sans établissement).

L'article 6 de cette directive dispose que chaque État membre peut exclure les avocats salariés, liés par un contrat de travail avec une entreprise publique ou privée, de l'exercice des activités de représentation et de défense en justice de cette entreprise dans la mesure où les avocats établis dans cet État ne sont pas autorisés à les exercer.

On peut relever que le projet de loi contenait initialement, une interdiction limitée, conforme à la directive précitée du 22 mars 1977. Dans le courant des travaux parlementaires, des amendements ont été introduits par lesquels l'interdiction a été généralisée (voir rapport Bourgeois, doc. Chambre, 1979-1980/81, nº 281/3, p. 7). On peut souligner que la Cour de cassation (Cass., 5 décembre 1994, RW, 1995-1996, p. 321) a décidé, qu'en vertu de l'article 8, alinéa 1er, de la directive 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978, cette directive devait être mise en oeuvre au plus tard le 22 décembre 1984 dans le droit national et, qu'après cette date, la discrimination contenue dans le droit interne ne pouvait plus avoir d'effets. Sous réserve de l'appréciation des cours et tribunaux, la même solution devrait s'appliquer à la discrimination contenue dans l'article 477ter du Code judiciaire (voir en ce sens, « Gerechtelijk recht ­ Artikelsgewijze commentaar met overzicht van rechtspraak en rechtsleer, article 477ter-2 », Kluwer Rechtswetenschappen, Antwerpen).

Il y a lieu d'ajouter que la directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (JO CE , nº L 77 du 14 mars 1998, pp. 36-43) est en voie de transposition en droit belge et que bien que n'ayant pas encore été transposée, elle a des effets juridiques directs depuis le 14 mars 2000, date prévue par la directive pour sa transposition (cf. en ce sens, Cass., 5 décembre 1994, op. cit.).

L'article 2 de cette directive dispose, en substance, que tout avocat a le droit d'exercer à titre permanent, sous son titre professionnel d'origine, les activités d'avocat.

L'article 6.1 de la même directive dispose qu'indépendamment des règles professionnelles et déontologiques auxquelles il est soumis dans son État membre d'origine, l'avocat exerçant sous son titre professionnel d'origine est soumis aux même règles professionnelles et déontologiques que les avocats exerçant sous le titre professionnel approprié de l'État membre d'accueil pour toutes les activités qu'il exerce sur le territoire de celui-ci.

L'article 8 de la même directive dispose que l'avocat inscrit dans l'État membre d'accueil sous le titre professionnel d'origine peut exercer en qualité d'avocat salarié d'un autre avocat, d'une association ou société d'avocats ou d'une entreprise publique ou privée, dans la mesure où l'État membre d'accueil le permet pour les avocats inscrits sous le titre professionnel de l'État membre d'accueil.

Lorsque la directive 98/5/CE précitée aura été transposée en droit belge, la disposition querellée (modifiée dans le texte en projet) sera rédigée en conformité avec les règles supranationales qui, comme exposé ci-avant, priment le droit interne.

En effet, l'article 477ter, § 3, nouveau, en projet du Code judiciaire dispose : « L'exercice de la profession d'avocat par les personnes visées à l'article 477bis est incompatible avec les emplois et activités rémunérés, publics ou privés, à moins qu'ils ne mettent en péril ni l'indépendance de l'avocat, ni la dignité du barreau. »

Cette formulation est d'ailleurs conforme à l'avis du Conseil d'État.

Pour être complet, on peut encore ajouter que l'exposé des motifs du projet de loi précité dispose : « L'actuel article 477ter, § 3, du même code a été modifié pour mettre les avocats « communautaires » sur un pied d'égalité avec les avocats belges. L'objectif est d'être en parfaite conformité avec la directive du Conseil des Communautés européennes du 22 mars 1977 tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats et, par conséquent, de répondre à un souhait de la Commission européenne. »