(Fr.): Question posée en français - (N.): Question posée en néerlandais
Les cotisations sociales dues par les travailleurs indépendants sont calculés sur la base des revenus professionnels afférents à l'exercice d'imposition dont le millésime désigne la deuxième année civile précédant immédiatement celle au cours de laquelle les cotisations sont dues (article 11, § 2, alinéa 3, de l'arrêté royal nº 38 du 27 juillet 1967). Il s'ensuit que ces cotisations sont calculées sur les revenus recueillis trois ans auparavant, ce qui provoque une disparité entre la charge que représente la cotisation et le revenu recueilli durant l'année en cours. Il n'est donc même pas exclu qu'une personne qui, aujourd'hui, n'a plus de revenus ou enregistre des pertes soit malgré tout redevable de cotisations sociales élevées parce qu'elle a réalisé des bénéfices importants trois ans plus tôt. Pour les travailleurs salariés et les fonctionnaires, les cotisations sont par contre calculées sur base de la rémunération de l'année en cours, ce qui les met à l'abri d'une telle distorsion.
Cette base de calcul différente tire son origine des coûts administratifs qui étaient très élevés et que l'on a voulu réduire (cf. le rapport au Roi qui précède ledit arrêté royal).
La Cour d'arbitrage a estimé dans un arrêt de 1999 (arrêt de la Cour d'arbitrage du 15 septembre 1999, affaire nº 100/99) que cette différence entre les modes de calcul reposait certes sur un critère objectif, mais elle a aussi souligné que le système de calcul des cotisations des travailleurs indépendants pourrait être conçu lui aussi de manière telle que, pendant l'année de la perception des revenus, on établisse des cotisations provisoires qui seraient suivies d'une régularisation en fonction des revenus réellement recueillis.
Que pense l'honorable ministre du mode de calcul alternatif proposé par la Cour d'arbitrage ?
S'accorde-t-il à considérer que l'élément historique qui se trouve à la base de cette différence entre les modes de calcul, à savoir la hauteur des frais administratifs, est dépassé compte tenu des développements intervenus et des possibilités nouvelles apparues dans le domaine informatique, notamment en ce qui concerne le traitement numérique des déclarations et des paiements ?
Dans l'affirmative, l'honorable ministre a-t-il l'intention d'instaurer un système dans lequel les cotisations de sécurité sociale des travailleurs indépendants seraient perçues en fonction des revenus réels de l'année en cours ?
Réponse : En réponse à ses questions, j'ai l'honneur de communiquer à l'honorable membre ce qui suit.
Pour rappel, la solution alternative proposée par la Cour d'arbitrage est la suivante : « Il est vrai que le système de calcul des cotisations pourrait être organisé de manière telle que, pendant l'année de perception des revenus, des cotisations provisoires soeint établies, suivies d'une régularisation en fonction des revenus réellement perçus. »
Il ne s'agit pas à proprement parler d'une alternative visant à remplacer le système actuel mais plutôt de la constatation qu'un tel système serait plus logique et offrirait une meilleure transparence. Mais la Cour d'arbitrage poursuit par les termes suivants :
« Le législateur a pu considérer que pour éviter, dans un souci notamment de simplification administrative, de devoir procéder en plusieurs étapes à la perception des cotisations et pour permettre au régime de disposer de recettes suffisantes, nécessaires aux prestations prévues, il y avait lieu d'instaurer un mécanisme par lequel il n'était procédé au calcul et à la perception des cotisations que par une seule opération, sur base stable et définitive, et non par un système de paiements provisionnels suivis de régularisations ultérieures. La Cour relève par ailleurs que ce dernier système, en tant qu'il peut entraîner des compléments de cotisations, peut aboutir également, comme celui qui fait l'objet de la question préjudicielle, au paiement de montants importants de cotisations pendant une année au cours de laquelle les revenus auraient baissé. »
Comme le souligne à juste titre la Cour d'arbitrage, la proposition consistant à prendre comme année de référence pour le calcul des cotisations l'année en cours ne résout pas l'un des problèmes soulevés par l'honorable membre.
Un exposé plus complet des inconvénients du système proposé est repris ci-dessous in fine.
L'honorable membre a mal interprété le rapport au Roi qui précède l'arrêté royal nº 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut spécial des travailleurs indépendants.
Il ressort du rapport au Roi que :
(...) La législation sociale en faveur des travailleurs indépendants a connu, au cours des dernières années, une évolution remarquable marquée par le souci d'augmenter le montant des avantages sociaux ou d'en faciliter l'accès et de rechercher des bases financières saines (...).
Portant l'empreinte des circonstances économiques, financières et sociologiques qui le virent naître, chacun des secteurs du statut social des travailleurs indépendants a poursuivi son propre chemin en restant attaché à la conception générale initiale qui avait présidé à son élaboration (...).
Le mode de calcul des cotisations est différent dans les trois secteurs : un pourcentage des revenus professionnels en matière de pension, une cotisation basée sur des critères d'aisance en matière d'allocations familiales, un forfait par tranches de revenus en matière d'assurance soins de santé. La cotisation de chaque secteur est perçue par un organisme différent : respectivement la caisse de pension, la caisse mutuelle d'allocation familiales, la mutuelle.
Le travailleur indépendant effectue tous les ans dix paiements dans le cadre du statut social.
Chaque secteur a par ailleurs son propre contentieux
Chaque régime à son propre répertoire, son service d'inspection, son service de dépistage.
Il saute au yeux que la situation décrite ci-dessus, outre qu'elle a des conséquences néfastes sur le plan humain, engendre inévitablement des frais d'administration d'un niveau très élevé. Toute économie dans ce domaine permet une augmentation proportionnelle des avantages alloués dans le cadre du statut (...).
Le dernier paragraphe doit être replacé dans son contexte. Une rationalisation de la sécurité sociale des travailleurs indépendants était souhaitée par le gouvernement afin d'étendre leur couverture sociale et d'augmenter les avantages sociaux alloués, notamment par une uniformisation des structures existant à l'époque.
Étant donné l'existence d'une structure différente pour chaque domaine de la sécurité sociale des travailleurs indépendants et la multiplicité des services sous-jacents, il était impératif de mettre sur pied un système uniforme et homogène afin de réduire les frais administratifs importants résultant de la multiplicité de ces structures. Il n'existe donc aucun lien entre le besoin de diminuer les frais administratifs liés à ces structures et le mode actuel de calcul des cotisations.
Le système actuel présente une sécurité juridique très importante en raison du caractère définitif des cotisations réclamées et en raison de la prévisibilité du montant des cotisations. Il évite des régularisations importantes puisque les cotisations sont par définition définitives sauf en période de début d'activité. L'équilibre financier du régime peut être mis à mal par un chagement inadapté qui pourrait provoquer des pertes considérables au niveau de l'encaissement des cotisations.
De plus, le système actuel est un acquis non négligeable et qui peut en outre se prévaloir d'un arrêt de la Cour d'arbitrage déclarant que le mode de calcul des cotisations tel que décrit à l'article 11, § 2, de l'arrêté royal nº 38 du 27 juillet 1968 est objectivement justifiable.
Le système proposé par l'honorable membre ne présente pas que des avantages, il comporte aussi des inconvénients non négligeables :
si on prend comme année de référence l'année même au cours de laquelle les cotisations sont dues, cela signifie qu'on devra d'abord réclamer des cotisations provisoires puisqu'on se trouvera dans l'impossibilité de déterminer le montant des revenus professionnels de l'année même. Les cotisations provisoires seront, soit des cotisations forfaitaires, ce qui risque de provoquer au départ un manque d'argent pour le financement du régime et par la suite d'importantes régularisations, soit des cotisations provisoires calculées sur la base des revenus de l'année référence actuelle mais des régularisations seront par la suite nécessaire, ce qui alourdira considérablement le travail administratif et augmentera les frais;
le système proposé repose en grande partie sur le payement de cotisations provisoires, ce qui signifie perpétuelle incertitude et de nombreuses régularisations;
en outre, dans un tel système, un travailleur indépendant pourrait être amené à devoir payer au cours d'une année déterminée, quelle que soit l'importance de ses revenus pour cette même année, des cotisations provisoires et de régularisation pour un montant total beaucoup plus élevé que celui qui aurait pu lui être réclamé dans le système actuel;
il engendre un certain nombre de problèmes en cas de cessation d'activité ou de changement d'activité. Par exemple, un pensionné de 65 ans qui met fin à son activité indépendante pourra se voir réclamer un ou deux ans après la cessation. Ce système risque évidemment de rendre le succès ds recouvrements un peu aléatoire. Par ailleurs, les cotisations de régularisation peuvent être réclamées à un moment où il n'y a plus d'activité exercée et donc à un moment où les rentrées de l'intéressé seront moindres;
dans un tel système, le droit aux prestations est acquis à partir du moment où les cotisations provisoires sont payées. Le bon recouvrement des cotisations de régluarisation risque d'être mis à mal s'il n'est plus lié au bénéfice des prestations, à moins qu'un système de régluarisation des prestations avec effet rétroactif soit mis en place, ced qui entraînerait des situations catastrophiques pour les travailleurs indépendants;
ce système peut considérablement retarder les recouvrements judiciaires car ceux-ci ne sont possibles qu'à partir du moment où la situation de l'assujetti en matière de cotisations est devenue définitive, c'est-à-dire au moins après trois ans. De tels retards peuvent diminuer les chances de succès des recouvrements ultérieurs, ce qui peut nuire à l'équilibre financier du régime.
Le système actuel me paraît donc le moins mauvais, tant pour les travailleurs indépendants que pour l'équilibre financier du régime.
Je suis néanmoins disposé à faire examiner, conjointement avec mon collègue des Finances, la possibilité dans l'avenir de réduire eventuellement à deux ans l'écart entre l'année des revenus et celle de débition des cotisations, s'il apparait qu'un usage suffisant peut être fait d'un échange plus rapide des données fiscales.