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Belgische Senaat

Handelingen

DONDERDAG 15 FEBRUARI 2001 - NAMIDDAGVERGADERING

(Vervolg)

Vraag om uitleg van de heer Josy Dubié aan de minister van Binnenlandse Zaken over «de toestand van de Oejgoerse bevolkingsgroep in Kazachstan» (nr. 2-358)

M. Josy Dubié (ECOLO). - À cette heure tardive où il n'y a plus grand monde en séance, on pourrait s'étonner que je pose une question sur les Ouïgours. Même dans mon parti, on m'a déjà demandé pourquoi j'évoquais un tel sujet. Peu de gens s'y intéressent.

Il reste que samedi dernier, j'ai été invité à une manifestation culturelle ouïgoure à l'école Saint-Dominique à Schaerbeek, où j'ai découvert une culture, où j'ai rencontré des gens extrêmement sympathiques. Je précise d'emblée que parmi les quelque deux cents personnes présentes, il n'y avait pas une seule femme voilée. Cela m'a beaucoup marqué - on a en effet tendance à présenter ces gens comme des intégristes. J'ai eu l'occasion de discuter avec eux et j'ai été très impressionné. J'ai même eu les larmes aux yeux lorsqu'une jeune fille qui parlait français, a chanté une chanson de son pays. Le fait d'avoir un contact direct avec ces personnes était bien différent de tout ce que je pouvais imaginer. Ces gens existent ; je crois même qu'il doit y en avoir plusieurs centaines dans notre pays.

Le jeudi 14 décembre, monsieur le ministre, je vous ai posé une question orale sur « l'expulsion des demandeurs d'asile d'origine kazakhe ».

J'y exprimais mes craintes concernant le sort des ressortissants de la minorité ouïgoure du Kazakhstan suite aux discriminations dont on m'avait dit qu'elle était victime dans ce pays.

Je contestais ainsi les déclarations de Mme Katarina Smits, fonctionnaire des services d'immigration belges qui, dans un rapport, affirmait que ce pays ne présentait pas de signe de violations des droits de l'homme, ni de discrimination de ses minorités.

Dans votre réponse, monsieur le ministre, vous avez déclaré concernant Mme Smits : « Je suis convaincu que la fonctionnaire à l'immigration en poste au Kazakhstan est quelqu'un de tout à fait sérieux. Elle transmet en Belgique des informations très utiles pour connaître tous les dangers qui ne seraient éventuellement pas suffisamment connus de nos fonctionnaires ».

Vous avez donc couvert les déclarations de cette fonctionnaire qui affirmait que les Ouïgours ne couraient pas de danger au Kazakhstan.

Je reconnais que vous pouviez difficilement réagir autrement sans vous être rendu sur place. Vous deviez forcément faire confiance aux déclarations de cette fonctionnaire. Or, une lettre envoyée le 31 janvier à la Ligue belge des Droits de l'Homme par le Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations unies déclare exactement le contraire : « La situation des Ouïgours, soit qu'ils possèdent la nationalité chinoise et ont cherché refuge au Kazakhstan, soit qu'ils possèdent la nationalité kazakhe, s'est sérieusement détériorée depuis le mois d'octobre 2000.

En effet, selon les informations dont nous disposons, le 23 septembre 2000, lors d'un contrôle de passeports, deux membres de la police d'immigration kazakhe ont été abattus par un groupe de quatre hommes et deux femmes ouïgours d'origine chinoise. En représailles, au lieu de procéder à leur arrestation, la police d'immigration kazakhe a abattu les suspects, quatre hommes armés ouïgours d'origine chinoise. Cet incident a été très largement médiatisé par la presse locale et internationale, et les autorités kazakhes, qui ont justifié leur action par le refus des hommes armés de négocier et leur résistance au moment de l'arrestation, ont été, à cette occasion, fortement critiquées. ».

Jusque-là, on peut accepter que les normes propres à un pays tel que le Kazakhstan soient différentes des nôtres, et que, par conséquent, cet incident grave ait amené la police locale à réagir de cette façon, mais la suite de la lettre est, à mon sens, particulièrement inquiétante : « Toujours selon ces informations, suite à ces événements, la police d'immigration kazakhe a entamé une série de fouilles et contrôles de passeports. À cette occasion, un grand nombre d'Ouïgours de nationalité chinoise ont été arrêtés et détenus sans aucune forme de jugement. Les raisons invoquées par les autorités kazakhes à l'appui de ces arrestations et détentions, évaluées à quelques centaines par certains rapports en matière de droits de l'homme, sont la prétendue participation à des activités terroristes et la violation de la réglementation concernant les passeports.

On comptait parmi les personnes arrêtées plusieurs demandeurs d'asile et réfugiés d'origine chinoise et appartenant à la minorité ethnique ouïgoure, reconnus sous le mandat HCR. Pour certains d'entre eux, la seule possibilité d'écourter leur détention a été la réinstallation hors du Kazakhstan. Cependant, beaucoup d'autres sont encore actuellement détenus. ».

Cela signifie que des Ouïgours étaient donc, à l'époque de cette lettre, en prison au Kazakhstan.

Je poursuis ma lecture : « Il est également utile de souligner que ces arrestations ne sont pas limitées à des Ouïgours ayant la nationalité chinoise. Il est en effet parvenu à notre connaissance que tel a été le cas pour un Ouïgour de nationalité australienne. Il est également intéressant de relever que, dans son cas, selon les informations que nous avons obtenues, les autorités kazakhes auraient refusé la nomination d'un avocat ouïgour kazakh, à cause de son profil ethnique. Cette dernière prise de position nous semble indiquer un soupçon, probablement fondé, de la part des autorités kazakhes, que les Ouïgours kazakhs sont solidaires des populations ouïgoures d'origine chinoise et les assistent ».

Je tiens à vous rappeler que les Ouïgours ne se sont pas réfugiés au Kazhakstan par hasard. Le Turkestan chinois, cette immense région située à l'ouest de la Chine, est actuellement soumis à une tentative de colonisation accélérée de la part des Chinois d'origine han, qui s'y installent et tentent d'écraser toute forme d'expression de la culture autochtone ouïgoure. C'est d'ailleurs également le cas au Tibet.

J'en reviens maintenant à la lettre du HCR : « Des demandes d'asile introduites par de telles personnes pourraient donc, dans l'état actuel des choses, présenter des opinions politiques imputées entraînant des risques de persécution en cas de retour dans leur pays d'origine, ce qui constituerait en termes d'éligibilité au statut de réfugié, un élément « sur place » très important. ».

La lettre du HCR se poursuit ainsi : « Au vu des observations mentionnées ci-dessus, le HCR souhaite insister sur le fait qu'en tout état de cause, compte tenu de la situation actuelle au Kazakhstan, toute demande de reconnaissance du statut de réfugié émanant d'une personne appartenant à la minorité ouïgoure, qu'elle ait la nationalité chinoise ou la nationalité kazakhe, devrait être déclarée recevable car elle nécessite un examen détaillé au fond ».

Comme vous le savez, monsieur le ministre, la mission du HCR est précisément la protection et la défense des réfugiés. La crédibilité de cette agence des Nations unies, soumise à une stricte objectivité et qui possède des bureaux permanents dans toute la région, ne peut être mise en doute.

Cette crédibilité est en tout cas largement supérieure à celle d'une fonctionnaire comme Mme Katarina Smits qui, ayant séjourné moins d'un mois sur place, ose affirmer « qu'il n'y a pas au Kazakhstan de signes de violation des droits de l'homme ni de discrimination de ses minorités ».

J'estime cette affaire très grave.

La volonté, légitime, de vouloir tarir un afflux de demandeurs d'asile ne pouvant pas prétendre à ce statut, ne peut en aucun cas aboutir à déformer de manière aussi caricaturale une situation considérée au moins comme préoccupante par le HCR.

M. le ministre peut-il nous dire à qui il fait confiance ? Au rapport de la fonctionnaire de l'immigration, Mme Katarina Smits, ou à celui du HCR ?

Dans l'hypothèse où M. le ministre, comme je l'espère, ajoutera crédit aux affirmations de l'agence spécialisée des Nations unies, quelles mesures compte-t-il prendre à l'encontre de la fonctionnaire ayant remis un rapport manifestement contraire à la vérité ?

M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur. - Je réitère ma confiance au fonctionnaire à l'immigration qui m'a établi un rapport très détaillé et circonstancié à la suite de contacts sur le terrain avec les autorités du pays, avec le représentant du HCR sur place, mais aussi avec des représentants de la minorité ouïgoure - journalistes, directeurs d'écoles, directeurs d'associations culturelles - sur la situation au Kazakhstan.

C'est à partir de ces contacts que cette personne a pu relativiser très sérieusement les allégations de persécution et de discrimination systématique. Elle n'a cependant pas exclu que des persécutions aient eu lieu dans des cas individuels, comme vous le prétendez. Je crois que vous n'avez pas lu son rapport. Si vous l'aviez fait, vous auriez pu vous rendre compte de votre erreur.

Je vous informe à cette occasion que ce fonctionnaire à l'immigration va porter plainte contre X. En Belgique, on lui a en effet prêté des propos qu'elle conteste formellement avoir tenus. Cela met en cause la crédibilité de sa mission, voire de celles des autres fonctionnaires à l'immigration. Or, ils font un travail excellent, même si cela ne plaît pas à tout le monde. J'ai donc demandé à mon département de lui offrir l'assistance d'un avocat.

En revanche, vous ne me ferez pas dire que je remets pour autant en cause l'avis du HCR. Que dit, en effet, le HCR dans son dernier courrier au Commissariat général aux réfugiés et apatrides, dont j'ai reçu copie ?

Que son avis, que vous citez dans votre question, se base sur une évaluation de risques et qu'il est « envisageable que d'autres sources puissent évaluer la situation différemment. » Cet avis se base sur un événement opposant la police à des Ouïgours chinois, et non kazakhs, qui s'est produit en septembre dernier, soit quatre mois avant la réaction du Haut-Commissariat aux Réfugiés. Notre officier à l'immigration y a fait expressément référence.

Je constate simplement que l'avis du HCR ne m'a été adressé qu'à la suite de l'éloignement par avion affrété par l'État. Je ferai part de ma préoccupation à cet égard au haut-commissaire que je dois rencontrer, à Genève, lundi prochain.

Des éloignements individuels de ressortissants kazakhs ouïgours ont entre-temps eu lieu, sans que le HCR Belgique ne soit à chaque fois intervenu, comme la loi l'y autorise pourtant.

Certains d'entre eux, une quinzaine, sont même retournés volontairement.

Quoi qu'il en soit, si quelqu'un peut établir qu'il craint avec raison d'être persécuté pour des motifs d'ordre politique et/ou d'appartenance ethnique, la Convention de Genève trouve à s'appliquer et ce, quelle que soit la nationalité du demandeur.

L'Office des Étrangers examine chaque demande d'asile séparément. J'ai demandé à mon administration de tenir compte des plus amples informations que le HCR lui communiquerait.

Si la demande est jugée irrecevable, je rappelle qu'un recours reste ouvert auprès du Commissariat général aux réfugiés.

Comme je vous le disais déjà dans ma réponse précédente, les décisions sont toujours des décisions individuelles et chaque cas fait l'objet d'une appréciation circonstanciée et d'une motivation précise.

M. Josy Dubié (ECOLO). - Je ne vous cacherai pas que votre réponse me déçoit. En fait, en disant que vous confirmez votre confiance à la fonctionnaire qui a été envoyée par vos services au Kazakhstan, que vous le vouliez ou non, vous mettez en cause l'interprétation que fait le Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations unies.

J'espère que ces gens ne courent aucun risque en rentrant dans leur pays. Si jamais il apparaissait que ces Ouïgours, en rentrant sur place, courent un risque, je pense que vous ne mesurez pas la responsabilité qui serait la vôtre.

Mettre en cause cette lettre du Haut Commissariat des Nations unies qui précise bien que même les Ouïgours d'origine kazakhe sont en danger - ce n'est pas moi qui le dis, cela se trouve dans la lettre que j'ai lue - est extrêmement dangereux. Vous couvrez un service, une personne qui s'est rendue sur place.

Arrêtons de bavarder. Pendant des années, j'ai moi-même été reporter. Je me suis rendu dans tous ces pays. Je connais le Kazakhstan et toute la région. Je sais que lorsqu'on arrive dans ce pays, on est accueilli par les autorités locales et l'on est berné.

Comment une personne qui est restée trois semaines sur place peut-elle avoir le « culot » de dire ce qu'elle a dit ?

Je préfère faire confiance à des autorités comme le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations unies, dont c'est la mission, qui a des bureaux permanents sur place et qui affirme que ces gens sont en danger. C'est à cette institution que je fais confiance et pas à une fonctionnaire qui est restée trois semaines sur place.

Vous couvrez donc cette personne, monsieur le ministre, vous prenez vos responsabilités, j'espère que vous n'aurez pas à le regretter.

M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur. - Monsieur Dubié, vous avez beau avoir été un grand reporter, vous tronquez volontairement le rapport de cet officier à l'immigration.

Vous n'écoutez pas mes propos, je vais donc vous les répéter. Vous ne me ferez pas dire que je remets pour autant en cause l'avis du HCR. Que dit ce dernier dans son dernier courrier au CGRA et dont j'ai reçu copie ? Il dit que son avis, que vous citez dans votre question, se base sur une évaluation de risques et qu'il est envisageable que d'autres sources puissent évaluer la situation différemment. Il n'y a pire sourd, monsieur Dubié, que celui qui ne veut entendre.

M. Josy Dubié (ECOLO). - Ces autres sources, c'est le HCR, qui a envisagé la situation différemment. Le Haut Commissariat pour les Réfugiés est une instance des Nations unies qui est plus crédible et qui dit qu'il y a un danger. Or, vous préférez faire confiance à votre fonctionnaire plutôt qu'au HCR.

M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur. - Je ferai part au haut-commissaire de ma préoccupation, à savoir qu'après les événements que vous avez cités, il n'y a eu aucune réaction de la part de ces services en Belgique. C'est dans mon chef une source de préoccupation. Je souhaite en effet que ceux qui sont appelés à se prononcer - et ce n'est pas le ministre - disposent d'une information précise, sérieuse, crédible et en temps utile.

-Het incident is gesloten.