2-568/1

2-568/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2000-2001

9 NOVEMBRE 2000


Proposition de loi limitant strictement la détention de certaines catégories d'étrangers et demandeurs d'asile

(Déposée par Mmes Marie-José Laloy et Marie Nagy et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Ce texte est le fruit d'un travail de réflexion approfondi et alimenté par la consultation de nombreux acteurs de terrain. Loin de constituer une pétition de principe, il se fonde sur des arguments d'ordre juridique, budgétaire et humain pour mener irrémédiablement à la conclusion suivante : le régime de détention des demandeurs d'asile en centres fermés est strictement injustifiable.

1. Création des centres fermés

Historiquement, les étrangers entrés irrégulièrement dans le pays ou dont le permis de séjour est expiré lorsque leur demande d'asile est jugée non admissible par le ministre ou son délégué (1), ainsi que, de manière générale, tout étranger qui se trouve sur le territoire belge sans disposer des documents requis et qui s'est vu notifier un ordre de quitter le territoire (2) étaient maintenus dans les établissements pénitentiaires du Royaume. Cette mesure était aux yeux du législateur doublement justifiée : d'une part, il s'agissait de tenir ces étrangers à la disposition du gouvernement en vue de leur rapatriement et d'autre part la mesure était dotée d'une vertu puissamment dissuasive.

Avant 1987, tout étranger qui se présentait à la frontière, même démuni des documents nécessaires à son entrée, obtenait l'accès au territoire, simplement en se déclarant réfugié. C'est depuis l'entrée en vigueur de la loi du 14 juillet 1987 (3) le premier février 1988 que le refus d'accès au territoire en qualité de demandeur d'asile a été procéduralisé. Ce ne fut toutefois qu'en 1991 avec la loi du 18 juillet 1991 (4) qu'un fondement juridique explicite fut donné à cette privation de liberté (5). En effet, la loi de 1991 a introduit la possibilité de maintenir le candidat réfugié dans un lieu situé à la frontière (6).

La loi du 6 mai 1993 a élargi les possibilités de maintien dans un lieu déterminé situé sur le territoire : un centre fermé. L'objectif de cette mesure était de « garantir l'éloignement effectif de certaines catégories de demandeurs d'asile », compte tenu de ce que le manque manifeste de place pour les étrangers illégaux dans les établissements pénitentiaires rendait de plus en plus difficile la détention d'un étranger illégal attendant son rapatriement (7). La durée de détention maximale était alors fixée à deux mois.

Le premier centre fermé, le centre 127, situé dans la zone de transit de l'aéroport est opérationnel depuis 1988. Situé à côté de l'aéroport, le centre de rapatriement 127bis fut ouvert en mars 1994, il accueille les demandeurs d'asile qui, après être entrés illégalement en Belgique, ont déposé leur demande au siège même de l'Office des étrangers et dont la démarche est considérée comme n'ayant que peu de chances d'aboutir ainsi que des personnes transférées du centre 127 qui se sont vues signifier une décision d'irrecevabilité et qui attendent leur éloignement. Il sert occasionnellement d'extension au centre 127.

Trois centres fermés accueillent les étrangers illégaux, parmi d'autres. Le centre pour étrangers illégaux de Merksplas, ouvert en décembre 1993, accueille des étrangers en situation irrégulière attendant leur éloignement. Le centre pour illégaux de Bruges, avec la même finalité que celui de Merksplas s'ouvre en janvier 1995. Il s'agit en réalité de l'ex-prison pour femmes de Bruges. Le centre fermé de Vottem existe depuis 1998.

Le sixième point de détention implanté en Belgique est le centre INAD, qui est en fonction depuis le mois de juillet 1996. Il est situé dans l'enceinte de l'aéroport de Bruxelles National et s'étend jusqu'à la zone de transit. Les personnes qui y sont enfermées sont celles qui ne disposent pas des documents de voyage appropriés (8).

C'est la loi du 15 juillet 1996 qui porte la période de détention maximale à huit mois, en lieu et place des deux mois prévus antérieurement. Toutefois, depuis la loi du 29 avril 1999 les détentions administratives ont vu leur durée maximale réduite à 5 mois. Une double justification était avancée pour soutenir ces réformes visant à allonger la durée maximale de détention en centre fermé, à la fois en termes de dissuasion et de coercition.

2. Aspect dissuasif

La mesure était tout d'abord pensée comme une mesure de dissuasion : « Il faut montrer clairement que la détention est possible pendant toute la période nécessaire à l'expulsion. Ce signal doit être clair si l'on veut que la politique d'éloignement soit crédible (9). »

Pourtant, pour être conforme au prescrit de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'arrêt Amuur/France, la législation en cette matière doit n'autoriser la détention qu'aux seules fins admises par la convention à savoir : l'éloignement du territoire (10).

Ce principe n'est évidemment pas applicable aux demandeurs d'asile, quel que soit leur mode d'entrée sur le territoire. En effet, les détenir en vue de leur expulsion alors qu'ils sont en cours de procédure équivaut à préjuger des suites réservées à leur demande d'asile.

Ce paradoxe se comprend facilement par analogie avec le principe de la présomption d'innocence qui prévaut en matière de détention préventive. Cette analogie reste toutefois limitée; en effet, les demandeurs d'asile ne peuvent se voir reprocher aucun type d'infraction à la loi. Il faut au contraire bien comprendre que les personnes qui se déclarent réfugiées dans les délais prescrits et demandent l'asile sont en séjour régulier jusqu'à ce qu'il soit statué sur leur demande (11).

La détention en centres fermés de demandeurs d'asile procède dans cette mesure d'une démarche de criminalisation des étrangers, ce qui risque d'encourager au sein de la population des attitudes de type xénophobe : considérer tous les demandeurs d'asile comme des fraudeurs et comme des menaces potentielles pour la société qui les accueille (12).

3. Conditions de détention et collaboration de l'étranger détenu

D'autre part, l'allongement de la durée de la détention avait pour objectif d'inciter l'étranger détenu à collaborer avec les autorités belges et étrangères à son propre rapatriement : « Il faut faire comprendre qu'un étranger qui refuse toute collaboration avec les autorités compétentes ne sera pas récompensé par une libération (13). »

La Cour d'arbitrage considère toutefois que l'absence de collaboration de l'étranger ne peut justifier une prolongation de la privation de liberté, et que le principe de prolongations illimitées en nombre des mesures de détention ou de maintien en un lieu déterminé d'étrangers constitue une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle (14).

En outre, le raisonnement qui consiste à placer en détention en centre fermé les étrangers demandeurs d'asile ne prend pas en compte le fait que les demandeurs d'asile ont connu, dans leur pays d'origine, des expériences traumatisantes. Ils sont dès lors placés devant un choix impossible : retourner d'où ils viennent au risque de subir des traitements inhumains et dégradants ou être placés en détention en centre fermé.

Les conditions de détention en centre fermé sont particulièrement inacceptables.

Quant à la transparence d'une part, les autorités responsables, placées sous l'autorité hiérarchique du ministre de l'Intérieur, ne communiquent aucune indication concernant l'administration et le fonctionnement des centres fermés; on ne sait quasiment rien des garanties du respect des droits de l'homme. De plus, les possibilités de communication avec les personnes maintenues dans les centres 127 et 127bis sont très restreintes. Cette absence de transparence dans le fonctionnement des centres rend impossible le contrôle sur l'usage de la violence à l'intérieur de ceux-ci. Par ailleurs, du fait même de l'organisation des ces centres sur un modèle de type carcéral et aux fins de maintien de l'ordre, une série de mesures contraignantes (règlement d'ordre intérieur) sont inévitables, et génèrent également une forme de violence totalement incontrôlable.

Quant à l'argument selon lequel la détention en centre fermé serait préférable à la détention en établissement pénitentiaire, le régime de la première est à plusieurs égards plus dur que la seconde. En effet, la durée totale de la détention reste inconnue au moment de la privation de liberté; les contacts avec l'extérieur sont rendus particulièrement difficiles (d'où une compréhension trop restreinte par les détenus de leur situation); lorsqu'il y a expulsion la date de celle-ci n'est communiquée que très tardivement (15); enfin, le fonctionnement des établissements pénitentiaires (conditions de détention, visites, transparence administrative, ...) est soumis au respect de la législation nationale d'une part et des conventions internationales d'autre part, tandis que le fonctionnement des centres fermés n'est soumis à aucune disposition spécifique si ce n'est l'arrêté royal du 4 mai 1999 (16).

Ces conditions de détention ont valu à la Belgique plusieurs condamnations et rapports défavorables d'instances comme Amnesty International (17), le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (18), ou encore la Fédération internationale des droits de l'homme (19).

Rappelons également la condamnation de l'État belge pour les conditions de détention régnant dans les zones de transit aéroportuaires (20).

Il serait enfin opportun d'évaluer cette situation au regard de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants.

De manière générale, on constate « une pathogenèse induite par le fonctionnement structurel du centre [fermé] : [les] perturbations psychiques inhérentes à la situation ne peuvent trouver ni écho dans un réel soutien, ni soulagement, quels que soient les aménagements pratiques mis en place ou envisagés, et même quelle que soit la bonne volonté ou la bienveillance du personnel (21).

4. La pression migratoire

Par ailleurs, il est incontestable que la pression migratoire ne fera, dans les années qui viennent, que s'intensifier.

En effet, d'une part, sa cause profonde ­ l'inégalité de répartition des ressources dans le monde (22) ­ reste inchangée : « Nous ne fuyons pas parce que l'Europe nous attire, mais parce que la misère en Afrique nous y pousse (23). » On comptait 84 millions de migrants légaux en 1975, 104 millions en 1985 et 140 millions en 1999 (24).

Les études s'accordent pour constater que ce ne sont pas tant les attraits et la politique des réfugiés en Occident ­ facteurs pull ­ que la combinaison de la misère, d'une croissance démographique trop rapide, de conflits armés et de la dégradation du cadre de vie ­ facteurs push ­ qui déterminent la dynamique de l'immigration (25).

D'autre part, et par opposition à cette constante dans la cause des migrations, on constate une évolution dans la nature et la structure des migrations internationales : elles sont de portée plus globale (plus de pays sont concernés), ont des allures plus flexibles (augmentation des migrations de courte durée), des modes de régulation plus décentralisés (importance accrue des familles et des réseaux dans les stratégies migratoires échappant de plus en plus à l'État ), enfin, à l'ombre du régime de prohibition de l'immigration, on assiste à la constitution d'un gigantesque marché où s'organise le trafic clandestin d'êtres humains (26).

5. Garanties procédurales et respect du
principe de non-discrimination

Les personnes qui arrivent sur le territoire belge pour y demander l'asile se trouvent dans une situation de vulnérabilité incontestable et en relative difficulté pour faire valoir leurs droits dans le cadre de la procédure d'asile. Cette vulnérabilité est considérablement aggravée par la détention en centre fermé et la difficulté qu'elle engendre dans tous les contacts avec les avocats et les organisations susceptibles de leur fournir une assistance juridique. Dès lors, les conditions minimales de confiance à l'endroit de l'institution qui examine la demande d'asile ne sont pas remplies.

Par ailleurs, la procédure d'extrême urgence devant le Conseil d'État contre une décision du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides est difficilement utilisable vu la brièveté du délai. En effet, le recours au Conseil d'État exige que soit développée une argumentation de type juridique et non uniquement factuel. Il est pratiquement impossible de développer des moyens juridiques sérieux sans l'assistance d'un avocat. L'accès de ce dernier au dossier de la procédure est subordonné à des formalités administratives telles qu'elles relèguent la procédure d'extrême urgence au statut de recours de luxe que peu de candidats réfugiés déboutés au stade de la recevabilité peuvent se permettre.

L'état actuel de la procédure d'asile ne garantit donc pas à suffisance les droits de la défense.

Cette matière révèle une autre de ses difficultés sous l'angle du principe de non-discrimination. En effet, selon leur mode de transport, les demandeurs d'asile seront placés dans une situation plus ou moins favorable, la plus défavorable étant celle des étrangers arrivés en Belgique par avion.

Ceux-ci sont immédiatement placés dans les zones de transit aéroportuaires. Là, ils n'ont pas la possibilité de s'adresser facilement et en temps voulu aux organisations susceptibles de les informer correctement sur la procédure d'asile et sur leurs possibilités de recours. En outre, les avocats désignés pour défendre les intérêts des demandeurs d'asile sont rarement adéquatement informés, alors que la procédure accélérée requiert une intervention rapide et compétente.

Les demandeurs d'asile qui, au terme de la procédure, reçoivent une décision de refus d'accès au territoire avec ordre de quitter le territoire, sont parfois refoulés dès le lendemain de la notification de cette décision. Ceci empêche dans la pratique le demandeur d'asile débouté d'exercer toute voie de recours contre cette décision, en particulier un recours en suspension selon la procédure d'extrême urgence devant le Conseil d'État (27).

6. Centres fermés et droits de l'Homme

Les caractéristiques procédurales de l'enfermement des étrangers en centres fermés doivent également s'analyser au regard des principes démocratiques de l'État de droit et du respect des droits de l'homme.

La procédure de mise en détention en centre fermé et celle du maintien en détention des étrangers illégaux ne sont pas sans poser plusieurs graves problèmes au regard des droits fondamentaux. On constate que le régime de détention existant en cette matière est caractérisé par une disproportion manifeste : la possibilité offerte par la loi de priver de liberté des personnes qui ne se sont rendues coupables d'aucun délit. La détention en centre fermé ne peut en soi, et contrairement à ce qui est affirmé dans les travaux parlementaires, constituer un moyen de pression. Sa seule fonction légale est de permettre la mise en oeuvre réelle de l'éloignement.

(a) Mise en détention

La décision de placement en centre fermé elle-même est entachée d'arbitraire. Il ressort de plusieurs auditions effectuées par la Commission de l'Intérieur du Sénat préalablement à la rédaction de son rapport sur la politique gouvernementale à l'égard de l'immigration qu'un « arbitraire absolu (... ) se manifeste en ce qui concerne le choix des personnes à détenir. Il n'y a en effet aucune répartition des illégaux en catégories selon un degré de priorité. Il en découle que c'est le fait du hasard qu'un tel se retrouve enfermé, tandis qu'un tel autre, qui se trouve dans les mêmes conditions, est libéré lorsqu'une rafle s'opère » (28)

On ne peut que constater un manque de contrôle juridictionnel quant aux décisions de mise en détention prononcées par l'Office des étrangers. Cette situation entre en contradiction d'une part avec les articles 5 et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et avec le droit belge d'autre part. Il ressort de plusieurs dispositions que le placement en détention ne peut être motivé par la simple irrégularité du séjour de l'étranger.

En effet, la loi du 15 décembre 1980 prévoit que le ministre (ou son délégué) dispose d'un pouvoir d'appréciation quant aux moyens d'assurer l'éloignement des étrangers. La détention n'étant qu'un moyen parmi d'autres, le ministre est tenu de justifier son choix notamment au regard de l'adéquation de la mesure prise et de son caractère proportionnel au but poursuivi.

(b) Maintien en détention

Ensuite, la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs oblige toute autorité administrative à motiver chacun de ses actes par l'énonciation des éléments de fait ayant conduit à faire le lien entre le dispositif de la loi et l'hypothèse visée. La seule référence à l'article de loi sur lequel se fonde l'acte administratif ne suffit pas.

La question est dès lors de savoir si le maintien en détention d'une personne qui n'est motivé par aucune circonstance relative à son comportement est discriminatoire ou non par rapport aux autres catégories d'étrangers.

Pour répondre à cette question, la Cour d'arbitrage prend, dans son arrêt du 14 juillet 1994, la règle de proportionnalité comme critère de constitutionnalité de la restriction de liberté imposée aux étrangers en voie d'être expulsés.

En outre, il ressort de la jurisprudence relative à l'application de l'article 9.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la matière qui nous occupe (articles 5, 6 et 14) que la détention d'étrangers doit répondre à des exigences d'efficacité et de proportionnalité dont le respect est examiné eu égard aux circonstances propres à chaque cas d'espèce. L'article 31 de la Convention de Genève prévoit le même type de critère.

La restriction de liberté étant motivée par le souci de réaliser l'éloignement, la chambre du conseil devrait s'assurer de la poursuite efficace de cet objectif et de son réalisme. Le contrôle de la proportionnalité implique que la décision de privation de liberté soit adéquatement motivée.

La question du placement en détention reste toutefois inséparable de celle du maintien en détention, qui se pose de la manière suivante. Actuellement, la loi soumet la prolongation de la détention à la triple condition :

1) que la détention soit limitée au temps « strictement nécessaire » à l'exécution de la mesure d'éloignement,

2) que les démarches en vue de l'éloignement aient été entreprises dans les sept jours ouvrables de l'arrestation,

3) que l'éloignement effectif de l'étranger soit toujours possible.

Il s'avère que dans de trop nombreux cas, la détention en centre fermé se solde par une libération sans plus d'explications ou d'encadrement. Dans ces cas de figure, la triple condition relative à l'enfermement et à sa prolongation n'est pas respectée.

Ce qui nous ramène à l'obligation de motivation, indispensable pour permettre au juge de relever et de sanctionner une erreur manifeste d'appréciation ou le caractère déraisonnable de l'appréciation de l'administration (29).

Le contrôle des mesures de maintien en détention exercé par la chambre du conseil est extrêmement limité. En effet, elle connaît de la seule légalité de la mesure de maintien en détention, qui porte à la fois sur la légalité interne et sur la légalité externe de l'acte même si une importante partie de la jurisprudence se refuse à dépasser l'examen de la régularité interne de l'acte. La chambre du conseil s'interdit dès lors de se prononcer sur l'opportunité de la mesure.

(c) Détention des mineurs (30)

La question de la détention des mineurs en centre fermé est elle-même peu compatible avec les obligations internationales de la Belgique, en particulier celles qui découlent des articles 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et des articles 3.1, 27.1, 28.1, 29.1, 31.1 et 37 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant.

L'article 5, § 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales limite les hypothèses dans lesquelles la détention des mineurs est autorisée aux mesures destinées à protéger le mineur face à un environnement familial qui se dégrade ou face à lui-même.

L'objectif de la détention des étrangers, à savoir la lutte contre l'immigration et l'éloignement des étrangers ne participe nullement de mesures destinées à protéger l'enfant. La détention des étrangers mineurs est dès lors formellement prohibée (31).

Cette mesure devrait être considérée comme le dernier recours des pouvoirs publics. Or, des mineurs sont souvent enfermés dans les centres situés aux frontières. Et ce bien que la loi du 15 décembre 1980 permette au ministre d'imposer aux étrangers un lieu de domiciliation en dehors de ces centres. Ceci est d'autant plus grave que l'article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques signé dans le cadre des Nations unies à New York le 19 décembre 1966 interdit expressément la détention de mineurs dans les lieux affectés à la détention des majeurs.

D'autre part, il ressort d'un récent rapport pédopsychiatrique que les conditions de détention en centre fermé sont particulièrement inadaptées aux besoins spécifiques des mineurs d'âge.

Les enfants sont confrontés à des mesures organisationnelles qui ne permettent pas un développement en rapport avec leurs besoins.

Ils ont à respecter les règles qu'ils subissent comme tout autre résidant (privation d'aller et venir, promiscuité très importante, climat de tension et de violence quasi permanent, désoeuvrement complet, ... ) malgré certaines tentatives d'aménagement.

Or, pour évoluer et se développer, l'enfant a besoin de se sentir en sécurité et d'être entouré de personnes de référence qui l'aident à comprendre ce qui se passe, alors que les parents ne se trouvent pas eux même dans des conditions qui leur permettent de gérer les événements et de leur donner du sens. Ce qui représente un traumatisme d'autant plus important qu'il s'étend dans la durée. « Nous nous trouvons donc devant une entrave au développement du processus de pensée qui ne peut que conduire à terme à une pathologie psychique » (32). Les conséquences inévitables des conditions de vie en centre fermé sur le développement de l'enfant s'apparentent pour ces experts à de la maltraitance psychologique.

Les considérations qui viennent d'être faites prennent une dimension supplémentaire quand on constate qu'une proportion importante de la population détenue en centre fermé est remise en liberté avec ordre de quitter le territoire après plusieurs mois de détention (33).

Les personnes concernées se retrouvent ainsi dans la même situation qu'avant la privation de liberté mais avec le traumatisme supplémentaire que l'inutilité ultime de la mesure entraîne.

7. Impact financier de ces centres

Il faut également examiner ce que représentent ces centres en termes budgétaires (34).

Des plans pluriannuels 1994-1996 et 1997-2000 du ministère de la Justice, on peut retirer les chiffres suivants (en millions de francs belges) :

Centra
­
Centres
Uitgevoerd
­
Exécuté
Niet uitgevoerd
­
En exécution
Gepland
­
Planifié
Totaal
­
Total
Brugge ­ Bruges 122 0 0 122
Merksplas 129 183 38 350
Vottem 0 304 0 304
Melsbroek 18 0 0 18
Steenokkerzeel 246 0 8 254
Vertrekcentrum ­ Centre de départ 0 0 305 305
Nieuw centrum 127 ­ Nouveau centre 127 0 0 350 350
Totalen ­ Totaux 515 487 701 1 703

Ces calculs (35) datent un peu et, depuis, d'autres investissements ont été réalisés, notamment pour l'agrandissement et la rénovation de ces centres; certaines estimations sont devenues des affirmations.

Ainsi, il convient d'ajouter à ce tableau le suivant, exprimé lui aussi en millions de francs, qui reprend les crédits prévus pour la construction des centres fermés et d'un centre de transit :

1998
(uitgevoerd)
­
1998
(réalisé)
1999
(aangepast)
­
1999
(ajusté)
2000
(initieel)
­
2000
(initial)
Totaal
­
Total
221 217 162 600

En mettant en correspondance le total des crédits accordés successivement selon le budget des dépenses générales pour l'année budgétaire 2000 (soit 600 millions de francs) avec le crédit global calculé durant l'année 1997, on obtient un total final de 1 608 millions de francs belges.

En répartissant ces coûts de construction et de rénovation sur l'ensemble de la population détenue dans ces centres, nous obtenons 2 067 500 francs par personne en considérant une population détenue de 800 personnes.

Les centres ont en effet été créés pour accueillir un certain nombre de personnes et c'est ce nombre qui détermine leur taille et non la population effective à un moment donné.

Outre le coût des investissements qui est de 1 608 millions de francs, il est possible d'évaluer le coût par personne pour une détention d'un mois en centre fermé de la manière suivante :

selon les sources officielles 45 000 francs
selon les comptes retraités 28 583 francs
selon le centre pour illégaux à Bruges 19 345 francs

La différence s'explique en partie par la comptabilisation des frais de personnel. En tout état de cause, le coût des centres fermés dépasse le milliard de francs belges.

Il faut également tenir compte d'un autre facteur de coût. En effet, l'amélioration des infrastructures et de l'encadrement (formation et recrutement de personnel plus compétent (36)) s'impose afin que les conditions de détention des étrangers en Belgique respectent les normes minimales en matière de droits de l'homme (37).

L'actuel ministre de l'Intérieur en convient d'ailleurs dans sa note de politique générale (38) : il prévoit d'affecter 500 millions à l'amélioration des lieux de détention situés à la frontière et à l'aménagement d'un centre spécialement destiné aux familles.

La réalité des centres fermés se laisse mieux comprendre à la lumière de ces données : une lourde charge budgétaire pour un résultat d'une efficacité inférieure à celui escompté.

8. Conclusion

Le but ultime de cette proposition de loi est de réagir fermement aux constats suivants :

En faisant de la détention en centre fermé l'axe principal de la procédure d'asile, la Belgique opère une confusion entre politique d'asile et politique de gestion des flux migratoires. Or la mise en oeuvre d'une politique de dissuasion et de renvoi contrarie fondamentalement l'élaboration d'une politique d'accueil sérieuse.

Nous plaidons dès lors pour une réorganisation radicale de la politique d'asile autour du mécanisme de retour volontaire. Les éléments recueillis auprès des acteurs de terrain montrent que, trop souvent, sont détenues en centre fermé des personnes qui souhaitent quitter la Belgique.

De la même manière, nous nous positionnons avec force contre toute forme de détention des étrangers en cours de procédure. En effet, l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'autorise la détention en cette matière qu'à la seule fin de l'éloignement du territoire. Le fait de maintenir des demandeurs d'asile en détention en vue de leur éloignement revient à préjuger des suites réservées à leur demande d'asile. C'est inacceptable dans un État de droit.

Par ailleurs, il doit être mis définitivement fin à la pratique de la détention des mineurs en centres fermés, qui met la Belgique en contravention avec ses obligations internationales (Pacte International relatif aux droits civils et politiques, Convention internationale relative aux droits de l'enfant, Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales). Le procédé de détermination de leur âge ­ par examen osseux ­ est trop sujet à caution et génère trop d'incertitudes pour pouvoir fonder légitimement la mesure de privation de liberté d'enfants, particulièrement dans les conditions de détention qui sont celles des centres fermés. Un rapport de pédopsychiatres concluait récemment à l'inadéquation fondamentale entre les besoins spécifiques des mineurs d'âge et le système carcéral des centres fermés qui constitue « une entrave au développement du processus de pensée qui ne peut que conduire à terme à une pathologie psychique » (39).

Il convient de souligner que si la détention en centre fermé a été proposée pour améliorer la situation des étrangers qui jusque là étaient détenus en établissement pénitentiaire, cet objectif n'a nullement été atteint. En effet, à de nombreux égards, le régime de détention en centre fermé est beaucoup plus dur que celui des prisons : contacts avec l'extérieurs excessivement réduits, non transparence totale du fonctionnement de l'institution, ignorance totale quant à la fin de la détention, accès difficile aux informations nécessaires à l'élaboration d'une défense juridique ... Cet aspect des centres fermés, devenus de véritables zones de non-droit et d'arbitraire est inacceptable. Les psychologues constatent que découle du fonctionnement structurel des centres fermés une véritable pathogenèse (40).

Pour des raisons évidentes de respect des droits de la défense et des garanties procédurales qui caractérisent un État démocratique, nous nous opposons à ce que toute mesure de privation de liberté soit prise par une autorité administrative, quelle qu'elle soit. Seules les instances juridictionnelles sont à même d'assurer les conditions de ce respect, éloignant ainsi toute dimension d'arbitraire, de non-motivation et de non transparence. Il en va évidemment de même pour les décisions de maintien en détention. Le contrôle de la motivation aussi bien que celui de la proportionnalité de ces mesures à l'objectif poursuivi est à l'heure actuelle strictement insuffisant.

De la même manière, dans la mesure où les éloignements forcés devraient encore avoir lieu, nous appelons à un contrôle accru de toute la procédure qui les entoure par les juridictions compétentes.

De la sorte, nous nous inscrivons dans la continuité du rapport rendu par la Commission immigration du Sénat sur la politique gouvernementale à l'égard de l'immigration, et plus particulièrement de sa conclusion : « La politique d'immigration ne devrait plus, sur le long terme, nécessiter à l'avenir l'option des centres fermés ».

Marie-José LALOY.
Marie NAGY.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Un article 74-9, rédigé comme suit est inséré dans la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers :

« Art. 74-9. ­ Aucun mineur d'âge et, sauf pour des raisons d'ordre public ou liées à la sécurité nationale, aucun candidat réfugié ne peut être placé ou mis en détention en application d'une disposition de la présente loi. ».

Marie-José LALOY.
Marie NAGY.
Georges DALLEMAGNE.
Josy DUBIÉ.
Jean-François ISTASSE.

(1) Articles 74/5 et 74/6 de la loi du 15 décembre 1980 (voir Moniteur belge du 18 juillet 1987).

(2) Articles 7 et 27 de la loi du 15 décembre 1980.

(3) Moniteur belge du 18 juillet 1987.

(4) Moniteur belge du 26 juillet 1991.

(5) M. Bossuyt, « La procédure d'asile en Belgique. Évolution récente », Revue du Droit aux Étrangers, nº 90, octobre 1996, p. 568. Voyez aussi A. Devillé, « La réforme de la loi relative aux étrangers », C. H. du CRISP, nº 1538, 1996, p. 3 et suivantes.

(6) Les modalités d'application de cette loi figurent dans l'arrêté royal du 13 juillet 1992.

(7) « La politique d'asile », conférence de presse du ministre de l'Intérieur et de la Fonction publique Louis Tobback, tenue le 11 janvier 1994.

(8) H. Dorzée et J.F. Tefnin, Questions sur les centres fermés pour étrangers, Ed. Luc Pire, 1999, p. 78 et suivantes; Université Catholique de Louvain, Module Acteurs sociaux ­ Mobilisation et démobilisation, Mouvement d'opposition aux centres fermés et aux expulsions, février 2000, p. 7 et suivantes.

(9) Réponse du ministre de l'Intérieur, Doc. Chambre, nº 364/7-95/96, p. 30.

(10) S. Saroléa « La jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l'homme en matière d'éloignement et de détention des étrangers au départ de l'arrêt Chahal », Revue du Droit des Étrangers, 1997, nº 92, p. 27 et S. Saroléa, « Contrôler la détention des étrangers en séjour irrégulier : comment et pourquoi? », Revue du Droit des Étrangers, 1997, nº 93, p. 207.

(11) J.-Y. Carlier et S. Saroléa, « L'érosion du droit des étrangers. À propos des avant-projets de loi modifiant la loi du 15 décembre 1980, plus particulièrement en matière d'asile », Revue du Droit des Étrangers, 1995, p. 356.

(12) Rapport de l'European Council on Refugees and Exiles, « The Detention of Asylum Seekers », février 2000, p. 5. Ce texte donne la position des organisations de défense des droits de l'homme et du Haut Commissaire aux réfugiés des Nations unies.

(13) Discussion générale, Doc. Chambre, nº 364/7-1995/1996, p. 71.

(14) Cour d'arbitrage nº 43/98, 22 avril 1998, J.L.M.B., 1998, pp. 884 à 900.

(15) « Évaluation de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers », Rapport fait au nom de la Commission de l'Intérieur et des Affaires administratives par Mmes Lizin et de Béthune, Doc. Sénat, nº 1-768/1-97/98, pp. 344 et 345.

(16) Un recours contre cet arrêté royal, introduit par le MRAX et la Ligue des droits de l'Homme, est actuellement pendant devant le Conseil d'État.

(17) Rapport annuel 1998, p. 95; rapport annuel 1999, pp. 93 à 95; voir aussi le rapport annuel 2000.

(18) Rapport du 18 juin 1998 suite à des visites dans 22 lieux de détention effectuées en septembre 1997.

(19) « Les centres fermés : l'arrière cour de la démocratie », Rapport sur la situation des étrangers et en particulier des demandeurs d'asile retenus dans les centres fermés, mai 1999.

(20) Civ. Brux., 25 juin 1993, Revue du Droit des Étrangers, 1993, p. 124.

(21) Le personnel des centres opère inconsciemment un cloisonnement psychique : « ce qui serait impensable, au sens courant, à savoir la souffrance au moins latente [des personnes enfermées] sans perspectives d'avenir, devient non pensé », Rapport d'expertise dans l'affaire Awada/État belge, Centre de guidance ­ ULB, Service de santé mentale, Bruxelles, le 24 septembre 1999, p. 23. Suite à ce rapport, la famille Awada a été libérée.

(22) Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, « Citoyens à part entière », rapport annuel, Bruxelles, 1999, p. 89.

(23) K. Vidal, Ces réfugiés aux portes de l'Europe. Voyage jusqu'au bout de l'errance. Ed. Complexe, Bruxelles, 1999, p. 37.

(24) K. Vidal, op. cit., p. 118; M. Loriaux, « Les enjeux démographiques des migrations vers l'Europe », Colloque international Penser les migrations de demain vers l'Europe, organisé par l'ULB les 29 et 30 mars 2000, Bruxelles, p. 4.

(25) Chaque année, la population mondiale augmente de 90 à 100 millions d'individus, dont environ 95 % dans les pays en voie de développement.

(26) M. Loriaux, op. cit., p. 5.

(27) « Projet de réforme de la procédure de reconnaissance de la qualité de réfugié : commentaires », note établie par le Comité belge d'aide aux réfugiés sur base de la note ministérielle au Conseil des Ministres du 1er octobre 1999, p. 7.

(28) Audition de M. Cornil, directeur adjoint du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, le 6 octobre 1999.

(29) Sur tout ceci, voyez S. Saroléa, « La motivation du placement en détention d'étrangers en situation irrégulière : de la dichotomie légalité ­ opportunité du contrôle de la proportionnalité », JT, 8 mars 1997, nº 5834, p. 165 et suivantes, et aussi S. Saroléa, « L'allongement de la durée de détention et le rôle de la chambre du conseil », Obs. sous Cour d'appel (mis. acc.) Mons, Revue du Droit des Étrangers, nº 88, 1996, p. 220 et suivantes.

(30) Rapport du Délégué général de la Communauté française aux droits de l'enfant du 15 décembre 1999.

(31) S. Saroléa, op. cit., nº 93, p. 204.

(32) Rapport d'expertise déposé le 24 septembre 1999 par le Centre de Guidance de l'ULB (Service de santé mentale) dans le cadre de l'affaire Awada/État belge, pp. 23 à 29.

(33) Ainsi Joseph Mpoyo, congolais, demandeur d'asile débouté, détenu pendant sept mois, libéré avec ordre de quitter le territoire fin janvier 2000, après 5 tentatives d'expulsion. Ou encore Ruta Joanes, 17 ans, éthiopienne de parents érythréens, déboutée de la procédure d'asile, détenue pendant 8 mois à Bruges puis à la prison de Berkendael, amenée 6 fois à l'aéroport pour expulsion. La septième fois embarquée, ligotée, à destination de Nairobi. Après le refus des autorités kényanes à Nairobi puis rwandaises à Kigali de la laisser débarquer, elle a été ramenée à Zaventem et libérée le 20 décembre 2000 avec ordre de quitter le territoire, seule et sans un sou, sans que l'Office des étrangers n'informe les services d'aide à la jeunesse.

(34) Sur tout ceci, voyez E. Friedmann, Les coûts privés et publics de l'expulsion d'étrangers de Belgique, Mémoire présenté en vue de l'obtention du grade d'ingénieur de gestion, Université Libre de Bruxelles, Ecole de Commerce Solvay, Année académique 1999/2000.

(35) E. Friedmann, op. cit., pp. 68 à 76.

(36) Doc. Chambre, HA 50 com 081, pp. 11 à 13.

(37) Voir notes 2 (page 3) et 1 (page 4). Voyez aussi le Rapport de la Commission de l'Intérieur du Sénat sur la politique gouvernementale à l'égard de l'immigration, Doc. Sénat, nº 2-112/1-1999/2000, p. 14 ainsi que l'Evaluation de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers faite par la Commission de l'Intérieur du Sénat, Doc. Sénat, nº 1-768/1-98/99, p. 377.

(38) Note de politique générale relative à une politique globale de l'immigration, pp. 21 et 31.

(39) Rapport d'expertise dans l'affaire Awada/État belge élaboré par le Centre de Guidance de l'ULB le 24 septembre 1999, pp. 24 à 29.

(40) Idem, p. 23.