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Sénat de Belgique

Annales parlementaires

JEUDI 23 NOVEMBRE 2000 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Demande d'explications de Mme Marie Nagy au premier ministre sur «la réaffectation du Résidence Palace en Centre de Presse International» (n° 2-263)

M. le président. - M. Jaak Gabriëls, ministre de l'Agriculture et des Classes moyennes, répondra au nom de M. Guy Verhofstadt, premier ministre.

Mme Marie Nagy (ECOLO). - Il est tout à fait regrettable que pour un projet qui ne revêt sans doute pas une importance capitale pour l'ensemble de la Belgique mais dont l'impact à Bruxelles est grand et qui suscite des réactions qui iront certainement crescendo au fur et à mesure que se préciseront les intentions du gouvernement, le premier ministre ne soit pas présent pour répondre et que l'hémicycle soit quasiment vide.

C'est la loi du genre et je dois m'y soumettre. Croyez, monsieur Gabriëls, que ma remarque n'a rien de personnel ; je vous remercie de bien vouloir répondre au nom du Premier ministre. Mais cette situation est très frustrante quand on considère le million de Bruxellois qui observent quotidiennement l'extension de ce glacis européen dans leur ville, qui se battent depuis des années pour être entendus de leurs autorités communales et régionales et qui subissent à nouveau, sans explication, concertation ni publicité, un projet tel que celui-ci. Le gouvernement doit en être conscient.

Chacun s'accorde à donner à la future présidence européenne de la Belgique l'importance que celle-ci mérite. Aussi bien moi-même que mon groupe, que l'ensemble des Belges et des Bruxellois sont conscients de l'intérêt qu'il y a pour la Belgique de réussir sa présidence tant sur le plan politique qu'au niveau de l'accueil et de l'organisation matérielle. Mais je pense qu'il ne faudrait pas tomber dans un travers traditionnel de notre pays dans ses relations à l'Europe, à savoir l'instrumentalisation et la dénaturation de Bruxelles, de son patrimoine et de son projet urbain. Un projet ambitieux et durable pour Bruxelles et sa place européenne - que je soutiens bien entendu - ne peut, ne doit se construire qu'au prix du respect des habitants et de la complexité de la ville.

Le gouvernement souhaite affecter le Résidence Palace à un centre de presse, ce centre constituerait un lieu de rencontre des différentes autorités belges et de la presse et permettrait à celle-ci d'avoir un lieu de travail et de délassement social. Fort bien, un peu juste dans le timing - puisque la présidence débutera le 1er juillet -, mais la Belgique est un pays où la dernière minute et l'urgence sont une méthode de travail. Je pense qu'une nouvelle fois, cette vieille habitude se vérifiera malheureusement.

Le choix du Résidence Palace est à mes yeux plus problématique. En effet, ce bâtiment remarquable de l'architecture art déco ne peut sortir indemne du programme que comporte ce projet : salles de réunion, salles de conférence, studios de télé, bureaux sont peu compatibles avec la structure même de ce bâtiment.

Il faut savoir que ce bâtiment, qui garde un cachet particulier, est conçu pour le logement et est un des rares exemples très réussis d'une structure peu courante à Bruxelles au début du siècle, à savoir une architecture remarquable conçue pour la vie en appartements de luxe.

La région bruxelloise et la Ville de Bruxelles tentent, avec plus ou moins d'entrain selon les options politiques des majorités successives, mais avec une forte pression des habitants, de donner une certaine cohérence au quartier européen complètement dévasté par la promotion immobilière et la monofonctionnalisation de son utilisation.

Peu à peu, chacun espère reconstruire l'urbanité, fondement historique et culturel de l'Europe, dans ce quartier.

C'est pour cela, et je vous ferai l'économie du processus, que la Ville de Bruxelles a affecté, en 1992 et par un plan particulier d'aménagement, l'aile C du Résidence Palace de la manière suivante : « Le bâtiment est principalement affecté au logement. Les équipements d'intérêt collectif existants tels le théâtre, la piscine, le restaurant et la salle de réunion ainsi que leurs dépendances sont maintenus. La partie réservée aux équipements collectifs représente au maximum 20% des surfaces plancher totales du bâtiment. » Il s'agit de la situation réglementaire aujourd'hui. La Ville avait compris que si l'on voulait essayer d'humaniser ce quartier et de le réconcilier avec les habitants de Bruxelles, il fallait assurer ce qui manque cruellement, à savoir ce lien entre les Européens et les Bruxellois. Une manière d'y parvenir est d'assurer la mixité des fonctions et la reconquête de l'habitat et ce, dans un bâtiment qui s'y prête particulièrement. La Ville avait réalisé ce PPA en 1992, ce qui rend la proposition du gouvernement contraire au plan réglementaire. Cela nécessitera probablement la mise à l'enquête d'un permis dérogatoire au PPA. On va sans doute invoquer, comme d'habitude, l'intérêt public, ce qui rendra plus évidente la différence d'appréciation qui existe entre les autorités fédérales et les habitants de Bruxelles. Ces derniers ne s'opposent pas du tout au fait que leur ville soit capitale de l'Europe, mais ils ne souhaitent pas chaque fois en faire les frais. Ils souhaiteraient promouvoir la richesse européenne, à savoir une ville mixte où les habitants européens et bruxellois peuvent se rencontrer.

Le bâtiment, malgré son caractère remarquable, n'est pas classé. Le dossier a été introduit à la Commission Royale des Monuments et des Sites, mais « une intervention extérieure » s'opposant, pour des raisons d'opportunité, à ce classement semble avoir interrompu la procédure. La Task Force mise en place par le gouvernement ainsi que la Régie des bâtiments ont quand même eu la sagesse de demander l'avis de la commission sur les travaux prévus, vu l'intérêt historique de ce bâtiment. Celle-ci est très réservée, notamment quant aux câblages, aux studios et à la transformation du théâtre en salle de conférence.

Le premier ministre peut-il me dire comment va être respectée la réglementation en matière de marchés publics ? L'urgence peut-elle être invoquée pour un marché largement prévisible ? La Belgique sait, en effet, depuis longtemps qu'elle aura la présidence prochainement.

De quelle manière s'est opéré le choix de l'architecte ?

Quel est le coût de cette opération, y compris le déménagement des administrations ?

Que propose le gouvernement par rapport au logement prévu dans le Plan Particulier d'Aménagement, qui est réglementaire et obligatoire ?

Quel est le sort du théâtre du Résidence Palace et quelle est la nature de la transaction avec la Communauté française ?

Dans quelle mesure le public aura-t-il encore accès au bâtiment et à ses équipements ?

M. Jaak Gabriëls, ministre de l'Agriculture et des Classes moyennes. - La Régie des Bâtiments m'a confirmé qu'elle appliquera la réglementation en matière de marchés publics. L'article 12 de l'arrêté royal du 8 janvier 1996 permet, par exemple, de réduire le délai de réception des offres.

En ce qui concerne le choix de l'architecte, la Régie des Bâtiments a appliqué les articles 17, §2 l a) de la loi du 24 décembre 1993 et 120 de l'arrêté royal du 8 janvier 1996, relatifs aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services. Les honoraires de l'architecte sont inférieurs à 2,5 millions de francs belges. La procédure négociée sans publication a été appliquée. Dix bureaux d'architectes ont été consultés, dont huit ont remis une offre. La Régie a examiné les offres et a proposé l'offre la plus avantageuse.

En ce moment, les études sont en cours et ne sont pas encore arrivées au stade qui permet des estimations concrètes. Le budget de la Régie des Bâtiments prévoit, pour l'année 2000, nonante millions pour la réalisation du Centre de Presse international.

Dès le début du projet, les services d'Urbanisme et de la Commission royale des Monuments et Sites ont participé aux réunions de travail. En tenant compte de leurs remarques et conseils, le programme des besoins du projet semble bien pouvoir s'intégrer dans la configuration existante des locaux. Une attention particulière sera accordée au respect de l'architecture et de la décoration du bâtiment. Le théâtre ne sera pas transformé en salle de conférence par respect pour son architecture. En ce qui concerne les obligations formulées dans le P.P.A., la partie réservée aux équipements collectifs (maximum 20% des surfaces plancher du bâtiment) devra être légèrement augmentée. Une analyse profonde des plans montre que, même dans un projet de logements, il serait difficile de répondre à cette imposition stricte en respectant la destination originale des locaux.

Le comité de concertation (gouvernement fédéral - gouvernements régionaux et communautaires) a décidé, en sa séance du 4 avril 1995, le transfert du théâtre du Résidence Palace à la Communauté française. La Communauté française reprendrait les obligations de l'occupant du théâtre et payerait les dettes. L'arrêté royal exécutant cette décision n'a jamais abouti. En ce moment, mon cabinet a des contacts avec le ministre Hasquin afin de trouver une solution pour remédier à cette situation. Il n'y a pas encore de proposition concrète.

L'accès au bâtiment et à ses équipements par le public sera assuré. Il est évident que lorsque la sécurité d'une personne présente dans le centre le nécessite, l'entrée au public peut être temporairement interrompue.

Mme Marie Nagy (ECOLO). - Je remercie M. Gabriëls pour sa réponse. Je souhaiterais cependant lui signaler l'intérêt que mon groupe porte à la question du respect de l'engagement contenu dans le PPA, en ce qui concerne le logement dans cette partie du quartier européen. Je souhaiterais également qu'il puisse faire part au premier ministre du fait que l'accessibilité aux équipements publics est, pour nous aussi, une condition très importante, étant donné que l'Europe est généralement fort soucieuse des mesures de sécurité que l'on peut considérer, dans certains cas, comme exagérées. Je citerai, comme exemple, le parking qui se trouve sous le Parlement européen et qui était, en principe, destiné aux autocars de visiteurs. Or, les services de sécurité du Parlement refusent de les accueillir pour des raisons de sécurité alors que des systèmes de sécurité peuvent être installés. Ces cars se garent donc dans les quartiers environnants, suscitant une réaction normale des habitants.

Je pense donc qu'il faut respecter trois conditions : le respect du bâtiment et de son caractère architectural remarquable, le respect de l'engagement de faire du logement dans ce quartier et, enfin, son accessibilité. Je ne doute pas que M. Gabriëls transmettra ma demande au premier ministre.

-L'incident est clos.

M. le président. - L'ordre du jour de la présente séance est ainsi épuisé.

Les prochaines séances auront lieu le jeudi 30 novembre 2000 à 10 h, à 15 h et à 19 h.

(La séance est levée à 18 h 30.)