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Sénat de Belgique

Annales parlementaires

JEUDI 6 JUILLET 2000 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Proposition de loi modifiant la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation (de M. Jacques Santkin et consorts, Doc. 2-223)

Discussion générale

M. Jacky Morael (ECOLO), rapporteur. - La commission Finances et Affaires économiques a consacré quatre réunions à cette proposition qui vise non seulement le crédit à la consommation mais aussi les phénomènes d'endettement et de surendettement. Elle fait suite aux remarques formulées par l'Observatoire du crédit, lequel a notamment relevé que le surendettement continuait à poser problème dans notre pays alors que, par ailleurs, la situation en la matière s'aggravait dans le secteur du crédit à la consommation et dans le secteur des soins de santé.

Une proposition de loi analogue avait été déposée sous la législature précédente. Elle avait fait l'objet de diverses consultations - le Conseil d'État, le Conseil de la consommation, le secteur du crédit, les Affaires économiques - et de maintes discussions.

La proposition soumise à présent à notre examen est un texte remanié puisque plusieurs améliorations, tenant compte des auditions et avis recueillis précédemment, ont été apportées.

(M. Armand De Decker, président, prend place au fauteuil présidentiel.)

Le but de cette proposition de loi est de trouver un juste équilibre entre prêteurs et emprunteurs et de mettre fin à une série de situations confuses où l'on ne sait pas très bien quels sont les obligations et droits des uns et des autres. En cas de rupture ou de retard de paiement du capital et des intérêts, l'emprunteur devrait être dûment informé de sa situation et de ce qu'il devra réellement au prêteur. Il faut en effet remarquer que les imprécisions légales conduisent au fait que, selon les juridictions, des dossiers relativement comparables peuvent aboutir à des conclusions extrêmement différentes et que les jurisprudences ne garantissent pas la protection du consommateur en la matière, ce qui est évidemment dommageable, d'autant que les personnes concernées sont souvent parmi les plus faibles de notre population.

Le principal objectif est donc de rééquilibrer les droits, notamment par une précision accrue d'une série de notions assez floues. Ainsi, la notion de ce qui est incontestablement dû peut faire l'objet de diverses interprétations selon les emprunteurs et parfois même selon les tribunaux. Une autre précision consisterait à faire en sorte que le tableau d'amortissement établi par l'organisme prêteur soit fourni gratuitement à l'emprunteur, de façon que celui-ci connaisse précisément l'état de sa situation lorsqu'un litige l'oppose au prêteur ou lorsque des retards sont constatés.

Pour plus de précisions, je vous renvoie au rapport écrit. Cette question a fait l'objet de longues discussions. Le ministre de l'Économie a marqué son soutien et reconnaît que divers problèmes doivent trouver une solution. Le ministre annonce d'ailleurs, pour la rentrée parlementaire, un projet de loi plus large tendant à réviser la loi de 1991 sur le crédit. Selon le ministre, notre proposition est tout à fait compatible, puisqu'elle procède du même esprit et va dans le même sens.

D'autres auditions ont été organisées dans la mesure où les membres de la commission des Finances n'avaient pas nécessairement participé aux auditions de la précédente législature. Cette fois, c'est l'Association Belge des Banques et Test-Achats qui ont été reçus. Vous trouverez en annexe de ce rapport le compte rendu de ces deux auditions.

La proposition de loi amendée a été adoptée dans son ensemble à l'unanimité, ainsi que le rapport. Il convient de remercier les services de la qualité de leur travail.

Je me tiens à votre disposition pour de plus amples informations.

M. Jacques Santkin (PS). - Je n'irai pas jusqu'à dire que nous vivons un événement historique, mais ce moment est important pour moi.

Je saluerai tout d'abord la présence du ministre de l'Économie qui prouve une fois de plus son intérêt pour ce problème qui dépasse le cadre de la proposition que j'ai déposée. Je le répète, celle-ci devrait s'inscrire dans le projet global qu'il a l'intention de déposer dans les semaines ou les mois qui viennent sur la problématique du surendettement, problème majeur auquel la classe politique doit essayer de répondre.

Lorsque j'ai déposé la première ébauche de cette proposition de loi, en 1997, j'imaginais, vu la matière, que le cheminement serait long et ardu. Je vous avoue que la réalité a dépassé mes prévisions.

En effet, de groupes de travail en amendements, d'auditions en discussions - le président honoraire, M. Paul Hatry ne m'aurait pas contredit - il aura fallu près de trois ans, à cheval sur deux législatures, pour faire aboutir ce texte en commission des Finances et des Affaires économiques avant de pouvoir, enfin, le présenter en séance publique du Sénat.

Pourtant, le sujet est extrêmement important et la terminologie ne reflète pas suffisamment la réalité de la chose. Mes collègues, Louis Siquet et Guy Moens, qui m'ont fait l'honneur de cosigner cette proposition, l'ont bien compris.

Je l'ai répété et le répéterai encore, car c'est pour mois essentiel : à l'aube du 21e siècle, plus de 10% de la population sont tombés ou sont malheureusement sur le point de tomber dans la misère par le fait du surendettement.

Loin de nous rassurer sur l'évolution de la situation, le rapport qui a été présenté par l'observatoire du crédit montrait l'hiver dernier que cette situation s'était encore aggravée et que, chose inimaginable dans notre pays dont le système de soins de santé supporte la comparaison et a d'ailleurs souvent été cité en exemple, l'accès aux soins de santé est devenu, pour beaucoup, une préoccupation majeure.

La lutte contre le surendettement doit donc être une préoccupation essentielle. J'en étais déjà persuadé, comme ceux qui ont bien voulu m'accompagner dans ce cheminement, au moment de déposer ma proposition de loi, il y a trois ans. On dit souvent que le cheminement parlementaire est long et je m'en suis rendu compte, même pour des questions très préoccupantes et qui mériteraient une réponse beaucoup plus rapide. Mais, comme on l'a souvent dit dans mon parti, du passé, faisons table rase. Je me réjouis donc de voir que la lutte contre l'endettement est maintenant aussi une priorité du gouvernement et que des projets sont en cours pour remédier à une situation qui devient progressivement intolérable.

Le crédit est un sujet sensible. Il touche ceux qui demandent le crédit mais aussi ceux qui l'octroient. Comprenons - nous bien. Je n'entendais pas et je n'entends toujours pas, avec cette proposition, déclarer la guerre au secteur bancaire. Comme je l'ai dit à ses représentants, je crois fermement qu'un secteur bancaire en bonne santé est une condition essentielle pour une économie saine. C'est un principe que je tiens à réaffirmer.

A de nombreuses reprises, nous avons entendu aussi bien le secteur financier que les associations de consommateurs, au cours des travaux, sous la législature précédente comme au début de celle actuellement en cours.

La proposition avait également fait l'objet d'un examen au sein du Conseil de la consommation.

Nous avons toujours essayé, dans notre pays, de dégager un consensus entre les différentes opinions exprimées. Ce fut le cas avec les partenaires sociaux dans un autre contexte et ce doit l'être également dans d'autres matières. Je crois pouvoir affirmer que les remarques formulées ont été entendues. J'ai personnellement voulu tenir le plus possible compte des suggestions ou demandes afin d'aboutir à un texte le plus équilibré possible. J'insiste sur le terme « équilibré ».

Beaucoup d'amendements ont été déposés au cours des deux législatures. C'est un excellente chose pour le travail parlementaire d'avoir pu ainsi, dans une discussion que je considère comme franche et constructive, tant avec nos collègues qu'avec les représentants des consommateurs et du secteur bancaire, aboutir à ce texte qui tient compte des revendications légitimes des uns et des autres.

N'ont été écartées que les revendications qui auraient abouti à déséquilibrer la proposition - ce que l'auteur principal n'aurait pas accepté - et à lui faire perdre son objet. Il est évident que cet objet est d'abord de protéger la partie la plus faible. Les représentants du secteur bancaire, qui ne sont pas physiquement présents mais sont quand même représentés, ne m'en voudront pas si je rappelle que dans ce genre de contrat, c'est incontestablement le demandeur de crédit qui se trouve dans la situation la plus faible.

Par ailleurs, on aurait tort de croire qu'avec une telle proposition, la Belgique, souvent évoquée dans d'autres matières, se dote d'une législation trop tatillonne par rapport aux pays partenaires et voisins.

J'ai retenu de la dernière discussion que j'ai eue avec les représentants du secteur bancaire, que nous ne devions pas nous placer, au sein d'une Europe sans frontières, dans une situation plus délicate que nos confrères travaillant dans d'autres pays. Je répète à cette tribune que la France, comme l'Allemagne, connaissent toutes deux en la matière des réglementations beaucoup plus protectrices encore que ce qui est prévu dans la proposition qui vous est présentée aujourd'hui. Comme on souhaite que les citoyens se rendent compte dans leur pratique quotidienne que l'Europe existe en dehors de la bourse et du commerce, il n'est pas à dédaigner que dans un parlement comme le nôtre, nous essayions, en toute humilité mais de façon concrète, de rejoindre le peloton de tête.

Pour moi, le but du crédit est en effet d'augmenter la richesse collective en anticipant sur la véritable capacité productive des clients. Le crédit est nécessaire, sinon on ne ferait plus grand-chose dans ce pays, pas plus que dans d'autres. Il ne peut en aucun cas s'agir - l'auteur de la proposition l'exprime clairement - d'hypothéquer sur la misère, ce à quoi certains sont pourtant réduits aujourd'hui. Ainsi que je l'ai indiqué au début de mon intervention, le surendettement, avec son cortège de situations délicates pour ne pas dire plus, est une réalité.

Un crédit sain ne peut cependant vivre d'une rente de situation formée par les mauvais payeurs qui, une fois tombés dans le mauvais engrenage, sont contraints de payer sans fin une dette qui ne diminue jamais parce qu'elle s'auto-alimente plus rapidement que le consommateur ne peut y faire face.

Or, rares sont les mauvais payeurs qui s'abstiennent volontairement de faire face à leurs obligations financières. Le plus souvent - je n'invente rien, c'est un constat qui a été établi dans d'autres dossiers - c'est la maladie, le chômage et autres accidents de la vie qui les y contraignent.

Ne me faites pas dire ce que je ne veux pas dire. Il restera dans toutes les confréries, que ce soient les demandeurs de crédit ou les autres, des gens avec lesquels il est difficile de discuter parce qu'ils n'ont pas la volonté d'être responsables. Ce ne sont pas ceux-là que l'on vise ici. Ce sont ceux qui ont des problèmes parce qu'un certain nombre de facteurs extérieurs les amènent dans cette situation.

Certes, le crédit à la consommation n'est ni le seul ni même le principal facteur de cette situation. Comme je l'ai dit au début de cette intervention, le gouvernement a décidé de s'y attaquer et nous le soutiendrons.

Mais il faut reconnaître que depuis l'entrée en vigueur de la loi de 1991, des voix n'ont cessé de s'élever, tant dans le monde juridique au travers de la jurisprudence et de la doctrine, que dans le secteur social, pour dénoncer les aberrations et les abus constatés et, par-dessus tout, le manque de transparence préjudiciable en particulier au consommateur lorsque, pour l'une ou l'autre raison, le contrat ne suit pas son cours normal. C'est un des points essentiels de la proposition.

En effet, lorsque le contrat ne connaît aucun incident, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le consommateur sait à quoi s'en tenir et effectue les paiements jusqu'à apurement de ses obligations, ce qui est normal.

Si par contre, pour diverses raisons, souvent les plus légitimes et les plus pénibles, comme la maladie ou le chômage, il ne fait plus face à ses obligations, la situation devient extrêmement confuse.

On est alors frappé, et j'en arrive au vif du sujet, par l'enchevêtrement des dispositions contractuelles avec pénalités, intérêts de retard et frais divers qui sont réclamés au consommateur en dépit parfois, selon les observateurs du monde judiciaire, de toute justification économique, voire au mépris de la loi actuelle et dans le flou le plus complet, qui laisse le consommateur totalement désarmé quant à ses droits et obligations.

Les juges eux-mêmes, lorsqu'ils sont saisis, ont la plus grande peine à démêler l'écheveau de toutes ces clauses. Ils se plaignent - c'est un des points rencontrés par cette proposition - de ne même pas disposer d'un tableau d'amortissement pour y situer correctement les obligations du justiciable. À ce stade, c'est en effet le terme qu'il convient d'employer.

La tendance générale des juges est d'ailleurs de nettoyer la plupart des contrats des clauses souvent abusives ou des calculs excessifs, camouflés parfois sous l'euphémisme « d'erreurs de calcul », toujours au détriment du consommateur.

Or, cela n'est que la partie visible de l'iceberg. En effet, trop de consommateurs ne font pas appel à la justice, alors qu'elle pourrait faire droit à certaines de leurs revendications, par crainte de démêlés judiciaires longs et ardus ou par simple ignorance de leurs droits les plus légitimes.

A l'inégalité des contrats s'ajoute donc celle de l'accès à la justice. Comme dans d'autres matières, je crois qu'il était temps d'y remédier.

Il nous a paru normal de chercher à mieux définir un certain nombre de notions utilisées dans le cadre de ce dossier. C'est important car il n'y a pas que dans ce genre de matières que l'on se rend compte que les termes utilisés n'ont pas toujours la même signification.

Outre le montant du capital échu ou à échoir, et les intérêts encore impayés qui sont l'objet même du contrat, la proposition met de l'ordre dans les notions d'intérêts de retard, de clauses pénales et de frais de rappel.

Il s'agit d'abord d'éviter la double perception de montants correspondant à une même réalité économique, comme cela a été le cas pour de nombreux contrats. Comment justifier la pratique consistant à réclamer des intérêts non échus ?

Ensuite, dans le cadre de la proposition, des montants forfaitaires maximaux sont prévus à titre de dédommagement, en fonction de l'importance des contrats. Ces montants n'ont pas été établis « à la grosse fourchette » mais sur la base de données actuelles en matière de crédit à la consommation ; ils sont de nature à couvrir, rapportés à l'ensemble des contrats, les frais supportés par les prêteurs.

Pour assurer la transparence - et c'est un élément important - un tableau d'amortissement est obligatoirement remis au client. En clair, il faut savoir où l'on en est. Ce tableau existe bel et bien et ce ne sont pas les représentants du secteur bancaire qui le démentiront. Le prêteur dispose de ces chiffres et sait ce qu'il doit réclamer. Que l'on ne vienne pas nous dire qu'il s'agit d'une tâche supplémentaire ! Il est de bonne gestion, lorsque l'on est prêteur, de tenir ce type de tableau. Mais il est aussi extrêmement utile au consommateur qui peut ainsi lui-même vérifier l'exactitude des paiements réclamés, et cela même en l'absence de litige.

Par ailleurs, une légère modification est apportée aux règles d'imputation des paiements. Il s'agit également d'un élément important de la proposition. Ceux qui ont suivi les travaux et qui connaissent la pratique savent que l'on avait coutume de déduire sur la base des intérêts et non pas du principal. Par conséquent, certains emprunteurs se rendaient compte que finalement, plus ils remboursaient, plus ils avaient à rembourser, ce qui est quand même pour le moins aberrant. Je suppose que toutes les personnes rationnelles ici présentes en conviendront. Nous avons voulu mettre fin à cette pratique.

La disposition proposée remédie pour partie à ce problème, tout en tenant compte des règles de prescription de courte durée prévues par le Code civil pour les intérêts ; préoccupations exprimées non pas par la partie adverse, mais par les prêteurs. Dorénavant, les paiement faits s'imputeront d'abord, au choix du prêteur, sur le solde restant dû et le coût total du crédit, et ensuite seulement, sur le montant des intérêts de retard et autres pénalités.

Pour conclure mon intervention, je vous dirai que je suis très heureux de cette proposition qui n'a cependant pas pour prétention de révolutionner la matière. Je me suis inscrit dans le cadre qui va être proposé et discuté à travers les projets du gouvernement.

Cette proposition n'avait pas pour ambition de revoir toutes les dispositions en la matière mais de clarifier la situation tout en s'inscrivant dans la problématique du surendettement.

Je la résumerai en toute humilité en deux points extrêmement importants pour une opinion publique avide de savoir en quoi le travail parlementaire peut améliorer la vie quotidienne des habitants.

Celui qui fait appel au crédit doit savoir qu'en signant, il s'engage à respecter des conditions bien établies, mais il doit aussi savoir ce que peut réclamer le prêteur si, pour diverses raisons indépendantes de sa volonté, il se voit obligé d'arrêter ses paiements. Or, cela n'est pas le cas aujourd'hui. Je ne dirai pas que cela se faisait à la tête du client, mais généralement cela différait selon les cas, même à l'occasion de décisions judiciaires. La proposition prévoit de fixer des règles précises en cette matière dans le respect des droits et devoirs des deux parties. J'insiste beaucoup sur le rôle important que joue le système bancaire et sur la nécessité de faire en sorte qu'il reçoive ce qui lui est dû.

Pour les plus défavorisés, il est important qu'un contrat de prêt contienne un tableau clair de ce qui a été remboursé et de ce qui reste à rembourser durant toute la période de l'emprunt. Je crois que la transparence exige un tableau clair.

Je regrette qu'un élément technique nous ait échappé en commission. J'ai donc déposé un amendement technique. Certains diront qu'il s'agit d'un point essentiel. Il s'agit donc de confirmer que, si les paiements du crédit cessent sans qu'il n'y ait dénonciation de ce crédit, il est normal que le prêteur demande le paiement de ce qui lui est dû. C'est tout simplement l'objet de mon amendement.

Je remercie tout ceux qui ont apporté leur appui à cette proposition, y compris ceux qui sont proches des milieux bancaires mais qui ont compris l'intérêt de ces dispositions.

M. Jacky Morael (ECOLO), rapporteur. - Il s'est en effet produit une erreur à caractère technique en commission. Un amendement avait été mal transcrit et donc mal examiné. Pour être plus précis, dans la partie qui traite des retards simples de paiement, un alinéa a été oublié lors du dépôt de l'amendement. Cependant cet alinéa ne pose aucun problème. M. Santkin a déposé, dès lors, un amendement pour l'insérer dans le texte avant le vote en séance plénière.

De manière à ne pas perdre de temps, et dans la mesure où cette proposition a été adoptée à l'unanimité, le plus sage serait que nous réunissions brièvement la commission des Finances et des Affaires économiques et que nous revenions ensuite en séance plénière pour traiter de cette proposition.

M. le président. - Je propose que nous poursuivons la discussion générale et que la commission se réunisse ensuite pour examiner cet amendement. (Assentiment)

M. Michel Barbeaux (PSC). - Avant le renvoi en commission, je voudrais avoir quelques éclaircissements. Si je ne m'abuse, l'amendement introduit par M. Santkin après lecture du rapport consiste à ajouter un alinéa à l'article 27bis paragraphe 2 prévoyant de rembourser le montant du coût total du crédit échu et non payé. Mais en lisant le document 223/4 - texte adopté par la commission -, je m'aperçois que cet amendement est déjà dans le texte. Je ne vois donc pas pourquoi il y a lieu d'amender un texte qui a déjà inclus l'amendement concerné.

M. Jacques Santkin (PS). - Je comprends bien l'argumentation de M. Barbeaux et je le remercie d'ailleurs car cela montre que l'amendement n'a pas du tout pour objectif de modifier l'esprit de la proposition. Mais je crois qu'il convient de l'inscrire dans le texte.

M. Michel Barbeaux (PSC). - L'amendement est déjà repris dans le texte.

M. Jacques Santkin (PS). - Il figure dans le texte que vous avez évoqué mais il n'est pas repris dans la partie de l'article 27bis concernée. Or, je crois que cet amendement est suffisamment important pour qu'il soit inscrit.

M. le président. - Je propose que cette question soit tranchée en commission et que l'on suive la proposition du rapporteur.

M. Michel Barbeaux (PSC). - La proposition de loi que nous a longuement expliquée M. Santkin et qu'il a redéposée est, comme il l'a bien dit, le résultat d'un long travail mené par la commission des Finances du Sénat, qui a effectivement débuté sous la législature précédente.

Un groupe de travail y a consacré de longues discussions et a obtenu plusieurs avis, du Conseil de la consommation, du Conseil d'État et de différents acteurs dont Test-Achats.

Le texte proposé aujourd'hui fait donc l'objet d'un large consensus et je suis heureux, au nom de mon parti, de signaler qu'après avoir soutenu ce texte depuis ses débuts, nous le soutiendrons encore aujourd'hui.

Ce texte se situe dans le cadre d'une longue réflexion et de décisions qui ont déjà été prises au niveau fédéral et des régions pour lutter contre le surendettement. L'objectif principal de la proposition est en effet de prévenir le surendettement dans notre pays. Sur la base d'une publication de l'Observatoire du crédit à propos de l'endettement belge, il est apparu qu'en matière de surendettement, la situation ne s'améliore pas - au contraire - en particulier dans le secteur du crédit à la consommation et dans celui des soins de santé. Actuellement, de nombreux emprunteurs ne connaissent pas les conséquences de leurs engagements. Or, à partir du moment où une convention est établie entre parties, celle-ci fait loi. Il n'est pas question de protéger les personnes contre elles-mêmes, la responsabilité individuelle doit subsister, mais il s'agit fondamentalement d'établir une discipline au niveau de ceux qui sont en position de force. Ceux qui ont la capacité financière d'octroyer du crédit doivent assumer une responsabilité plus importante quant à l'octroi de celui-ci. Il y a donc aussi une responsabilité importante dans le chef des prêteurs. Certains articles de presse ont mis le doigt sur le fait qu'il y a une surenchère négative au niveau de ceux qui font offre de crédit.

Cela ne signifie pas pour autant que la responsabilité individuelle doive être considérée comme inexistante. Il faut faire davantage pour attirer l'attention des consommateurs sur un certain nombre de dangers et ceux qui devraient le faire par priorité sont trop souvent ceux qui ne prennent pas suffisamment de garanties.

Ce débat est bien plus large que l'objectif précis qui est poursuivi par la présente proposition de loi. Celle-ci prend place dans un cadre plus large mais elle en constitue une étape importante puisqu'elle concerne les cas de dénonciations et de renonciations de contrats de crédit. En effet, la problématique de la dénonciation des contrats de crédit n'est pas maigre. La centrale des crédits de la Banque nationale relève que plus de 300.000 contrats de crédit ont fait l'objet d'une dénonciation.

Parallèlement à ce nombre important de débiteurs en difficulté de paiement, la législation de 1991 relative au crédit à la consommation n'aborde pas les conséquences financières de la non-exécution d'un contrat de crédit. La loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation étant muette quant aux conséquences de la dénonciation, celles-ci sont actuellement régies de manière contractuelle. En outre, de multiples problèmes pratiques surgissent en raison d'une législation trop vague et trop floue, ainsi que l'a justement souligné M. Santkin. Aujourd'hui, lorsque l'emprunteur ne rembourse pas aux échéances, le prêteur peut mettre fin au contrat. En général, il réclamera à son débiteur les mensualités impayées et celles qui restent dues jusqu'au terme du contrat, une clause pénale, des frais de recouvrement et des intérêts de retard sur l'ensemble des sommes dues. Certains de ces postes sont tout à fait légitimes mais il semble que d'autres, notamment les intérêts de retard appliqués à l'ensemble des sommes restant dues, le soient moins. On vise donc ici des opérations douteuses avec, en majorité, des contrats qui ne sont pas portés devant les juridictions parce les emprunteurs, pour une multitude de raisons, en particulier d'ordre socioculturel, n'imaginent même pas qu'ils pourraient se défendre. Même s'ils savent qu'ils peuvent le faire, ils se rendent compte qu'ils n'ont pas les moyens de porter leur différend devant une juridiction, d'autant qu'ils sont confrontés, par définition, à de graves problèmes financiers. L'imprécision de la législation mène souvent ceux qui portent leur affaire en justice à des différences assez importantes en ce qui concerne les conclusions, même sur la base de dossiers objectivement comparables. Ce système n'est donc pas satisfaisant. Il génère une insécurité juridique et des abus au préjudice des consommateurs les plus vulnérables. Il incombe par conséquent au législateur d'y mettre bon ordre.

L'avalanche d'intérêts de retard, de dommages et de frais qui s'abattent sur le consommateur en défaut de paiement le conduit souvent à accentuer la spirale du surendettement. Il se retrouve donc fréquemment dans une situation où la pénalité ne se rémunère pas en termes de dédommagement mais rémunère un réel profit. Là réside le n_ud du problème.

Dans la pratique, le juge saisi de ce type d'inexécution des clauses contractuelles tranche souvent dans le sens de la réduction des prétentions des prêteurs. C'est dans cette logique de rééquilibrage du droit des parties que la proposition que nous voterons se situe. Il était important d'en tirer les leçons et d'établir un meilleur équilibre entre les parties dont l'une, l'emprunteur, connaît des difficultés de paiement et dont l'autre, le prêteur, réclame des sommes qui, légalement et économiquement, ne sont pas toujours justifiées. A cet égard, la proposition précise et clarifie un certain nombre de notions essentielles comme le solde restant dû, le capital et l'intérêt de retard, dont les interprétations divergeantes qui prévalent aujourd'hui entraînent de lourdes conséquences pour les juges chargés de faire respecter ces différentes notions. La complexité du problème et l'absence de directives légales claires concernant la détermination à chaque moment du capital restant dû et des intérêts rémunérateurs du crédit entraînent le plus souvent une dispersion des méthodes utilisées par les magistrats pour déterminer la conclusion du litige. Un tableau d'amortissement est donc rendu obligatoire pour tout contrat de crédit, ce qui donne au juge un outil uniforme, simple et cohérent d'appréciation. Il permet en outre d'accorder au consommateur la sécurité juridique qui lui fait actuellement défaut.

Pour répondre à l'objectif principal, à savoir le rééquilibrage des droits et obligations de l'emprunteur et du prêteur, il est également proposé, en insérant une nouvelle sous-section à la législation sur le crédit à la consommation, de définir clairement ce qui est incontestablement dû en cas de défaillance du débiteur, avec interdiction pour le prêteur de prévoir des clauses contractuelles contraires aux dispositions prévues dans cette nouvelle section.

Par dérogation à l'article 1254 du Code civil, l'imputation des remboursements en cas d'inexécution du contrat devra se faire par priorité sur le solde restant dû et non pas sur les intérêts de retard ou les pénalités nées de l'inexécution du contrat, sous peine d'entraîner la dette du défaillant dans un réel effet boule de neige, comme l'a exposé M. Santkin. A défaut, le solde restant dû ne diminuerait pas, malgré les paiements réguliers du débiteur.

Enfin, à la demande du secteur bancaire, l'entrée en vigueur de la proposition de loi est portée à douze mois à dater de sa publication au Moniteur afin de répondre à sa préoccupation de disposer du temps nécessaire pour prendre les mesures indispensables à son application.

Par cette proposition, il n'est évidemment pas question de libérer le défaillant du paiement de ses dettes mais de l'informer de ce qui peut lui être réclamé et de lui donner une sécurité juridique accrue, ainsi que de rétablir un rapport de forces équilibré entre emprunteur et prêteur. Il revient en effet au législateur de protéger la personne la plus faible dans notre société. Compte tenu du degré d'endettement dramatique de certaines familles, c'est à juste titre que cette proposition doit être défendue. Par conséquent, nous la voterons.

M. le président. - Je propose que la commission des Finances et des Affaires économiques se réunisse maintenant pour l'examen de l'amendement de M. Santkin à l'article 4. (Assentiment)