2-258/12

2-258/12

Sénat de Belgique

SESSION DE 1999-2000

22 JUIN 2000


Proposition de loi modifiant l'article 24 de la loi du 20 juillet 1971 sur les funérailles et sépultures


RAPPORT COMPLÉMENTAIRE

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE L'INTÉRIEUR ET DES AFFAIRES ADMINISTRATIVES PAR MME CORNET D'ELZIUS APRÈS RENVOI PAR LA SÉANCE PLÉNIÈRE


I. DISCUSSION APRÈS RENVOI EN COMMISSION

Le ministre de l'Intérieur intervient en soulignant qu'il y a lieu d'organiser un certain ordre dans un débat tellement délicat.

Différents amendements ont encore été déposés récemment, mais il est clair qu'ils ne critiquent que les derniers alinéas de l'amendement nº 4 du gouvernement.

Pour régler la procédure, il serait sage de partir de ce dernier amendement, quitte à ce que tous les autres amendements soient introduits en tant que sous-amendements à son texte.

L'auteur de la proposition veut surtout préserver ce qui a été acquis à l'issue de tant de longs débats échelonnés sur deux législatures.

Les critiques émises au cours de la séance plénière du 18 mai 2000 et selon lesquelles la commission aurait adopté la proposition dans la précipitation, ne sont pas fondées. Les débats ont été suffisamment extensifs et les phénomènes marginaux sur lesquels l'opposition a mis l'accent n'ont rien à voir avec la question qui nous occupe. Force est de constater que, si, pour atteindre le quorum, il a fallu inviter un sénateur d'une autre commission, c'est surtout parce qu'il y a trop peu de sénateurs par rapport au nombre de commissions.

Elle tient également à réagir brièvement à la remarque injustifiée selon laquelle sa proposition une fois adoptée, ouvrirait la porte à la construction de mausolées privés.

Contrairement à ce que certains membres de la commission ont toujours prétendu, il existe bel et bien des cimetières privés. Selon les renseignements qu'elle a pu recueillir, il y avait encore 211 cimetières privés familiaux, religieux ou autres en 1986 (cf. Bulletin des Questions et Réponses, Sénat, 11 août 1987, nº 44, pp. 2817 et suivantes). Tout porte donc à croire qu'il existe déjà une discrimination au détriment de ceux qui veulent faire inhumer des cendres dans un cadre privé et en faveur de ceux qui inhument des corps dans un terrain privé.

Quoi qu'il en soit, accorder par une loi une autorisation générale de disperser, inhumer ou conserver des cendres en dehors des cimetières communaux revient à faire une différenciation dans les funérailles par rapport à l'inhumation, principalement pour des raisons de santé publique.

Il est évident que l'inhumation privée de cendres qui ne présentent pas le moindre danger nécessite moins de précautions prophylactiques que celle de corps en décomposition.

Cette circonstance spécifique permet à la législation d'accorder, pour la conservation, l'inhumation et la dispersion de cendres, des facilités particulières qui sont tout à fait exclues pour ce qui est de la conservation des cadavres.

Il n'y a pas, en l'espèce, de violation du principe de la proportionnalité entre le but et les moyens mis en oeuvre. La Cour d'arbitrage admet la différenciation en question, malgré les doutes que M. Tobback a exprimés à ce sujet au cours de la séance plénière du 18 mai 2000 (voir, entre autres, A. Alen, Handboek van het Belgisch Staatsrecht, Syllabusuitgave, pp. 176 et suivantes).

Un membre tient à revenir brièvement sur le principe de l'égalité. Passe encore l'avis de l'auteur de la proposition selon laquelle ce principe n'a pas été violé du point de vue de la santé publique. Il n'empêche qu'il y a un autre aspect des choses que l'auteur ignore systématiquement, à savoir la question du traitement différent des cadavres, selon qu'ils doivent être incinérés ou non. L'égalité en ce qui concerne le lieu de l'inhumation constitue l'un des acquis fondamentaux de l'organisation de l'État belge.

Il ne faut pas oublier que la législation sur les sépultures vise à assurer non seulement la santé publique, mais aussi l'égalité de traitement en matière d'inhumation au sens large, et ce, dans un cimetière public.

Il s'agit d'un autre aspect du principe de l'égalité, qui ne peut pas non plus être perdu de vue, même s'il tolère quelques rares exceptions. La base de la réglementation légale est une égalité sur le plan idéologique.

M. Lozie a apprécié au plus haut point l'amendement nº 4 du gouvernement, parce qu'il réalise une intégration parfaite du texte de la proposition initiale dans l'article 24 existant de la loi de 1971 sur les sépultures. On peut prendre ce texte comme point de départ, mais tel qu'il est rédigé actuellement, il va, à ses yeux, un peu trop loin. Il juge trop large l'ouverture qui consiste à mettre l'urne à la disposition des proches parents et plaide pour une stricte limitation; il serait hasardeux, selon lui, de permettre l'inhumation ou la conservation dans un columbarium en dehors des cimetières officiels. La dispersion sur un terrain privé serait, quant à elle, acceptable.

C'est la raison pour laquelle il a, avec Mme Nagy, déposé l'amendement nº 5 (sous-amendement à celui du gouvernement).

Pour le surplus, il estime que la loi ne doit pas trop entrer dans les détails et qu'il faut laisser au gouvernement le soin d'assurer sa mise à l'exécution.

Une membre demande du temps afin de pouvoir réfléchir sur les nouveaux amendements déposés à l'instant même.

Elle comprend que l'inflation du travail parlementaire provoque un certain retard dans la réalisation de certains projets mis sur le métier.

L'opposition qu'elle a faite en séance plénière portait toutefois sur la méthode cavalière dont la présidente de la commission de l'Intérieur et des Affaires administratives traite le travail parlementaire.

Il est peu sérieux de prétendre que la commission doive précipiter sa réflexion sur un sujet si délicat.

Les nouveaux amendements déposés par Mme Leduc prouvent à suffisance que cette réflexion approfondie était bien nécessaire.

Quant au fond, ses observations vont dans le même sens que celles exprimées par une autre membre qui s'oppose en vertu du principe de l'égalité devant l'inhumation.

Cette dernière déplore surtout que la proposition ni les amendements nouveaux déposés par son auteur ne contient aucune sanction en cas de non-respect du devoir de bonne conservation des cendres à la maison.

Il est évident que si la première génération montrera encore du respect vis-à-vis des cendres contenues dans une urne, il n'en ira pas de même après la dislocation des familles par la suite. Il y aura de moins en moins de respect après quelques générations, quelques divorces, etc.

L'auteur de la proposition estime que cet argument est exagéré. Elle compte bien que les générations successives auront suffisamment de respect pour faire au moins le nécessaire en rapportant l'urne au cimetière communal, au cas où elles ne pourraient plus se charger de sa conservation.

De plus, il est absurde de ne pas vouloir voir la réalité européenne. Dans la plupart des pays voisins, la loi autorise la prise en charge privée de l'urne et il est donc parfaitement possible de contourner la loi belge si on le souhaite vraiment, en transportant à l'étranger les cendres du corps incinéré pour réimporter ensuite l'urne clandestinement en Belgique aux fins de dispersion ou de conservation.

Enfin, on ne peut oublier que notre tradition occidentale n'est pas la seule respectable. En Orient, la manipulation des cendres et des urnes est chose tout à fait courante.

Le ministre constate qu'en dépit des multiples amendements, il n'y a pas d'opposition fondamentale à l'encontre de la dispersion des cendres hors cimetière.

Il constate par ailleurs que le débat n'est pas seulement centré sur des considérations de santé publique, mais que des motifs idéologiques sont invoqués, entre autres pour refuser la privatisation des urnes.

Il propose que le gouvernement dépose un nouvel amendement comportant tout ce qui pourrait emporter le consensus. Le texte sera par ailleurs techniquement correct.

Les sénateurs peuvent ensuite déposer des sous-amendements à son texte.

La commission accepte cette façon de procéder et le gouvernement dépose un nouvel amendement (nº 12), tout en retirant le précédent (nº 4).

Le sous-amendement nº 5 de M. Lozie et de Mme Nagy devient de ce fait sans objet.

Comme suite à cela, Mmes Leduc et Cornet d'Elzius retirent leurs amendements (nºs 6 à 11).

L'auteur de la proposition se réjouit du nouvel amendement gouvernemental et constate qu'il tient compte, dans une large mesure, de la critique qu'avait suscitée le texte adopté précédemment (voir doc. Sénat, nº 2-258/5), sans pour autant porter atteinte à la liberté du défunt de faire connaître sa volonté concernant la façon dont la famille est invitée à conserver ses cendres.

C'est la raison pour laquelle elle a retiré ses amendements (nºs 9 à 11).

Une membre se réjouit du fait que le texte du ministre contient des précisions nouvelles, afin de parer aux abus qu'elle entrevoyait, entre autres le manque de respect pour les cendres après le décès des proches.

C'est la raison pour laquelle elle a retiré ses amendements nºs 6 à 8.

Une autre membre convient que le nouveau texte du gouvernement répond au souci d'interdire tout usage commercial des cendres.

Ce que ce texte n'exclut toutefois pas, ce sont les monuments commémoratifs privés ou les pelouses privées destinées à recevoir des urnes ni non plus les columbariums dans des bâtiments spécialement aménagés à cet effet. À cet égard, elle craint surtout que les sectes ne puissent commette des abus.

Nonobstant le principe que chacun doit pouvoir disposer librement de ses propres cendres par testament, la question reste de savoir comment faire un tel testament dans l'avenir. Une clause demandant, par exemple, la conservation perpétuelle de l'urne par la famille est impossible à garantir en pratique.

Un autre membre a encore des questions précises à poser, même après le dépôt du nouvel amendement gouvernemental.

1. Quel est le sort imparti à la volonté des testateurs qui veulent que leurs cendres soient dispersées à l'étranger ?

2. Quelle est la sanction vis-à-vis des familles qui ont une urne à leur disposition ? Cela suppose en effet une responsabilité des familles. Le texte proposé n'en contient aucune.

Un autre membre constate avec satisfaction que le texte actuel du gouvernement va plus loin que ce qui était prévu initialement.

Il peut approuver ce texte à la condition que l'ouverture que l'on fait maintenant en faveur d'autres lieux de sépulture pour les urnes ne soit pas utilisée comme prétexte pour ériger les mausolées privés des châtelains dont M. Tobback a parlé dans son intervention lors de la séance plénière du 18 mai 2000.

C'est là un principe qu'il faut absolument respecter.

Une membre rassure le préopinant : les cendres sont inoffensives pour la santé publique, mais on ne peut pas en dire autant des corps. Pour des raisons de santé publique, il ne saurait être question de laisser tout un chacun enterrer librement le corps d'un membre décédé de sa famille dans un autre lieu que le cimetière communal.

Pour ce qui est de la dispersion des cendres à l'étranger, elle estime qu'il n'y a pas de problème.

Il s'ensuit que les personnes bien pensantes et tolérantes ne peuvent rien trouver à redire à cet amendement du gouvernement.

Un autre membre a écouté toute la discussion et ne peut que féliciter le ministre pour son amendement.

Personnellement, il n'est pas favorable au principe de l'inhumation libre des cendres, mais il est d'accord pour considérer que, dans la société actuelle, cette question doit être laissée au libre choix de chacun.

Il se contente de cette possibilité, à la condition qu'on dispose que les familles qui ne souhaitent plus conserver les cendres sont tenues de les rapporter au cimetière communal.

Cette proposition répond aux souhaits de plusieurs dizaines de familles qui désirent conserver les cendres chez elles et il respecte ce désir.

La liberté de ces familles est garantie et on a exclu la possibilité d'abus.

L'intervenant juge hypocrite l'observation émise par son collègue qui dénie cette liberté aux familles. En effet, il s'agit le plus souvent de gens ordinaires. Les exceptions relatives aux cimetières privés qui ont été citées au cours du débat concernaient généralement des personnes fortunées qui peuvent user de leur influence.

Un autre membre souscrit au principe de la liberté d'honorer les morts où on le désire.

Simplement, il se demande si c'est faisable par la voie de la présente proposition de loi, à la lumière des critiques formulées lors de la séance plénière du 18 mai 2000 concernant la possibilité d'une violation du principe d'égalité à l'égard des personnes qui choisissent d'inhumer le corps des membres de leur famille dans un domaine privé.

Il est vrai que l'auteur de la proposition affirme, en se fondant en partie sur le comportement des bien-pensants, qu'il ne peut y avoir de doute à ce sujet. Cependant, il est clair qu'une base légale efficace est indispensable pour cela et que le comportement précité ne suffit pas pour lui donner un fondement suffisant.

L'auteur de la proposition de loi renvoie une fois de plus à l'exposé qu'elle a fait et dans le cadre duquel elle a cité la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l'homme pour démontrer que le fait d'introduire un traitement différencié, fondé sur des motifs raisonnables et convaincants, en l'occurrence, la santé publique, ne peut pas constituer une violation du principe d'égalité.

On peut adopter sa proposition de loi sur cette base. La Cour d'arbitrage prendra éventuellement position si une personne devait s'opposer à la proposition de loi en invoquant le principe d'égalité.

Une préopinante répète que la loi initiale sur les sépultures, qui date d'après la Révolution française, avait d'autres objectifs que la santé publique, à savoir garantir l'égalité de l'inhumation dans les cimetières publics.

Il est fort possible qu'en raison des progrès de la science, les funérailles connaissent une évolution telle que l'inhumation ne représente plus un danger pour la santé publique. À ce moment-là, on pourrait invoquer malgré tout le principe d'égalité pour admettre, par exemple, des mausolées privés.

Elle songe notamment au culte rendu à certaines vedettes ou encore aux gourous de sectes qui souhaitent inhumer leur corps dans un mausolée.

Les cas, auxquels un membre a fait allusion, des personnes ayant usé de leur influence pour être enterrées dans leur parc sont restés des exceptions.

L'auteur souligne une fois de plus que nous ne vivons pas en vase clos et que des pays qui nous entourent ont depuis longtemps déjà adopté le système qu'elle propose.

Bien entendu, on ne pourra pas empêcher la vénération en privé, mais cela restera de toute façon exceptionnel.

Pareille chose ne contrebalance absolument pas le souhait de nombreuses personnes qui désirent une solution de remplacement totalement inoffensive en matière de funérailles.

Le ministre prétend qu'il a, en déposant son amendement, essayé de concilier une série de valeurs honorables.

La santé publique est certes à prendre en compte dans le jugement de ce qui est possible. Mais il trouve tout aussi respectable que quelqu'un tende à exprimer son attachement à un défunt à l'abri de toute intrusion extérieure.

Il ne s'agit pas du tout d'une affaire de moyens financiers : une urne à conserver ne présente pas de coûts. Il ne s'agit pas ici de seigneurs de châteaux, mais de familles normales.

Si la Cour d'arbitrage avait à se prononcer sur la présente proposition, elle pourrait constater les motifs de santé publique mais également le respect de la liberté de chacun selon des critères objectifs.

Il se déclare lui-même pourfendeur des sectes et se considère à ce titre comme peu suspect en la matière.

Il se rappelle le temps où il était membre lui-même du pouvoir législatif, et où il déposa une proposition de loi tendant à combattre les sectes, malgré les réticences émanant entre autres du CVP.

La conclusion en la matière est qu'il faut respecter la liberté, lorsqu'il n'y a pas de danger pour la société.

Au membre, qui se souciait d'une éventuelle extension de la loi en faveur de ceux qui désirent enterrer les cadavres dans une propriété privée, il tient à répondre qu'il n'en sera pas question, et qu'il peut avoir tous ses apaisements.

Quant à la demande concernant la possibilité de dispersion des cendres à l'étranger, il confirme que rien ne s'y oppose.

II. VOTES

Article 1er

L'article est adopté à l'unanimité des 10 membres présents.

Article 2

Le sous-amendement nº 13 est rejeté par 7 voix contre 2 et 1 abstention.

L'amendement nº 12 est adopté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

De par l'adoption de l'amendement nº 12, les amendements nºs 1 et 2, redéposés en séance plénière du 18 mai 2000, deviennent sans objet.

L'article en son ensemble est adopté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

VOTE SUR L'ENSEMBLE

L'ensemble de la proposition amendée a été adopté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

Le rapport a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.

La rapporteuse, La présidente,
Christine CORNET d'ELZIUS. Anne-Marie LIZIN.