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Sénat de Belgique

SESSION DE 1999-2000

2 MAI 2000


Proposition de loi tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme


AVIS DU COMITÉ D'AVIS POUR L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES


RAPPORT

FAIT AU NOM DU COMITÉ D'AVIS POUR L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES PAR MME LALOY


I. INTRODUCTION

À la demande de la commission de la Justice, le comité d'avis a examiné la présente proposition de loi au cours de ses réunions des 8 février, 14, 21 et 28 mars, 5 avril et 2 mai 2000.

Au cours de la réunion du 8 février 2000, Mme Laloy a été désignée comme rapporteuse. À cette même réunion, il a aussi été décidé que le comité d'avis solliciterait un avis écrit du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes. Au cours de la réunion du 14 mars 2000, l'avis (1) du Bureau du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes a été présenté par Mme Van Varenbergh, présidente du conseil. À cette même réunion, M. Vanlaere, conseiller adjoint à la direction de l'Égalité des chances du ministère de l'Emploi et du Travail, a commenté la note (2) de la Direction de l'égalité des chances relative à la proposition de loi tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme.

Lors de sa réunion du 21 mars 2000, le comité d'avis a entendu M. J. Leman, directeur du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme.

Au cours de la réunion du 28 mars 2000, le comité a procédé à l'évaluation des auditions et ses membres ont exprimé leurs points de vue.

Au cours de la réunion du 5 avril 2000, le comité a examiné une proposition d'avis de la rapporteuse. Enfin, lors de la réunion du 2 mai 2000, l'avis a été adopté et le rapport, approuvé.

II. COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE MME M. VAN VARENBERGH, PRÉSIDENTE DU CONSEIL DE L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE HOMMES ET FEMMES ET DE M. C. VANLAERE, CONSEILLER ADJOINT À LA DIRECTION DE L'ÉGALITÉ DES CHANCES DU MINISTÈRE DE L'EMPLOI ET DU TRAVAIL

1. Exposé complémentaire à l'avis du 7 mars 2000 du Bureau du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes (voir annexe 2)

1.1. Exposé de Mme M. Van Varenbergh, présidente du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes

L'émission par le Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes d'un avis sur la proposition de loi à l'examen a suscité pas mal d'émoi. La présidente le déplore et précise que le Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes n'a jamais eu l'intention de s'en prendre au Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme. L'avis donné est un avis apolitique, reposant sur une base juridique solide. La composition du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes est pluraliste : elle inclut les cinq principaux partis politiques des deux groupes linguistiques, les interlocuteurs sociaux, une vingtaine d'organisations socio-culturelles actives au niveau fédéral ainsi que plusieurs représentants des ministres.

Le fait que l'avis rendu émane du Bureau du Conseil et non du conseil plénier, est dû au manque de temps. La présidente donne l'assurance que le conseil plénier approuvera cet avis ultérieurement. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le conseil plénier fonctionne avec des volontaires.

Le Bureau du Conseil se félicite dans son avis des intentions qui sous-tendent la proposition de loi de M. Mahoux et consorts, qui commet toutefois l'erreur grave de méconnaître la transversalité de l'égalité entre les hommes et les femmes. Par ailleurs, en analysant attentivement la proposition de loi, le conseil y a décelé certaines carences juridiques.

La première partie de l'avis du Conseil est dès lors consacrée à des observations générales à propos du caractère transversal de l'égalité entre hommes et femmes; la deuxième partie précise une série d'aspects juridiques de la politique d'égalité des chances entre les hommes et les femmes; la troisième partie analyse la proposition de loi article par article et la quatrième partie formule, en résumé, des conclusions et des suggestions.

La transversalité de l'égalité hommes-femmes est une notion que l'on retrouve dans les textes internationaux (ONU) et les textes de droit européen. Des dispositions sont systématiquement insérées dans ces textes pour souligner que la question hommes-femmes est un aspect particulier qui réclame des mesures spécifiques.

De plus, les femmes ne forment jamais une minorité. L'humanité se divise en deux groupes, les hommes et les femmes, et chacun appartient nécessairement à l'un ou à l'autre groupe.

La présidente renvoie à cet égard aux citations de philosophes bien connus, qui figurent dans l'avis du Conseil (voir l'avis, annexe 1, p. 23).

Le Bureau du Conseil craint que la proposition de loi ne représente un recul, y compris budgétaire, sur le long chemin déjà accompli dans ce pays en matière de politique d'égalité des chances entre hommes et femmes, alors que cette politique est déjà traitée en parent pauvre en Belgique.

Il doit en tout cas être clair que le Conseil est aussi partisan d'une structuration accrue de la politique de l'égalité des chances. À l'heure actuelle, il n'existe qu'un service, à savoir la direction de l'Égalité des chances entre les hommes et les femmes du ministère de l'Emploi et du Travail, et le Conseil, qui est un organe consultatif aux moyens limités. À côté de ces deux organismes, il faudrait un institut pour l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Actuellement en effet, pas mal d'expertises sont perdues dans le secteur de l'égalité des chances. De plus, lorsque quelqu'un est victime d'une discrimination fondée sur le sexe, seuls quelques moyens sont prévus en droit social pour intenter une action en justice, et ce uniquement par l'entremise des interlocuteurs sociaux. Il est nécessaire de créer un institut indépendant, comme il en existe souvent à l'étranger, en vue d'ester en justice.

Un tel système existe déjà en droit environnemental et on pourrait s'en inspirer.

Un institut pour l'égalité des chances pourrait en outre recruter des experts indépendants en la matière.

Le Bureau du Conseil plaide clairement en faveur d'un système à trois piliers.

Enfin, la présidente suggère de consulter aussi les représentants des autres groupes visés dans la proposition de loi, comme par exemple le Conseil supérieur national des handicapés.

La présidente estime encore qu'il serait préférable de soumettre la proposition de loi pour avis au Conseil d'État, section de législation, parce que l'analyse juridique sommaire à laquelle a procédé le Bureau du Conseil a déjà fait apparaître plusieurs problèmes juridiques.

Pour les remarques juridiques générales formulées par le Bureau du Conseil, la présidente renvoie au texte de l'avis (pp. 25-29) : a) répartition des compétences selon la Constitution, b) reconnaissance juridique du caractère transversal de la discrimination de genre, c) la spécialité du droit social, d) coexistence de la proposition de loi avec la loi du 7 mai 1999 sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes, e) coexistence de la proposition de loi avec les propositions actuelles de directives dans le cadre du Traité d'Amsterdam.

1.2. Exposé de M. Chris Vanlaere, conseiller adjoint à la direction de l'Égalité des chances du ministère de l'Emploi et du Travail

M. Vanlaere commente l'avis du Bureau du Conseil sur les articles de la proposition de loi (point c) Discussion des articles de l'avis, pp. 29-32).

Il précise par ailleurs que le champ d'application défini à l'article 2 de la proposition de loi est trop large (excès de compétence du législateur fédéral) et qu'il y a par conséquent fort à parier qu'une fois la proposition devenue loi, des parties entières en seraient annulées pour excès de compétence si quelqu'un devait porter plainte devant la Cour d'arbitrage. C'est là selon lui une raison majeure pour le Parlement de saisir le Conseil d'État, section de législation, d'une demande d'avis sur la proposition de loi.

Et M. Vanlaere d'ajouter que la proposition de loi ne définit pas la notion de discrimination directe ou indirecte. Les propositions de directive de la Commission européenne élaborées en exécution de l'article 13 du Traité d'Amsterdam prévoient quant à elles une définition de la notion de discrimination directe et indirecte. Lorsque ces propositions de directive deviendront des directives, on devra à nouveau amender la loi proposée aujourd'hui pour y donner exécution. Les définitions des propositions de directive renvoient en outre aussi systématiquement à l'effet néfaste que doit avoir une distinction pour que l'on puisse parler de discrimination. La doctrine souligne en effet constamment qu'il ne peut être question de discrimination que lorsqu'une différence de traitement a un effet néfaste ou négatif pour la personne à laquelle elle s'adresse. Ceci non plus ne ressort pas du texte de l'article 2.

Pour le reste de la discussion des articles : voir avis, annexe 1, pp. 29-32.

Pour ce qui est du deuxième alinéa de l'article 8, M. Vanlaere ajoute que cette disposition pourrait bien être contraire à la jurisprudence constante de la Cour de justice concernant l'interprétation de la directive 76/207, notamment dans l'affaire Drempael, interprétation selon laquelle les États membres sont tenus de garantir le dédommagement adéquat des victimes d'une discrimination fondée sur le sexe. D'où l'utilité de fixer à l'article 8, alinéa 2, une indemnité minimum.

2. Échange de vues

Droit européen

Une membre souhaiterait des précisions au sujet de la référence faite dans l'avis aux articles du Traité d'Amsterdam (voir avis, annexe 1, p. 29) : peut-on se fonder sur ces articles du Traité pour justifier une approche de la question de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes différente de celle des autres causes de discrimination ?

Selon elle, ce n'est pas parce que, à un moment donné, l'on veut combattre une forme spécifique de discrimination (cf. l'article 141 du Traité d'Amsterdam ­ À travail égal, salaire égal et que l'on prévoit une disposition à cet effet, que l'on peut en déduire que la forme de discrimination combattue est d'une autre nature que d'autres formes de discriminations.

M. Vanlaere reconnaît que l'on ne lira effectivement pas, dans les articles du Traité d'Amsterdam, que la discrimination fondée sur le sexe est une discrimination différente de celles fondées sur d'autres critères. Les textes, en soi, ne permettent pas de le faire. De telles dispositions traduisent néanmoins une reconnaissance implicite du poids social de pareilles discriminations. Si l'on permet une discrimination fondée sur le sexe, on lèse d'avance la moitié de la société. Voilà pourquoi les articles 2 et 3 du Traité d'Amsterdam désignent l'égalité entre l'homme et la femme comme un objectif essentiel de l'Union européenne.

L'article 13 du Traité d'Amsterdam habilite la Commission européenne à présenter une proposition de directive au Conseil en vue de prendre des mesures visant à combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.

Ces propositions de directive sont pendantes et l'on constate que la Commission européenne a retenu tous les motifs de discrimination de l'article 13 du Traité d'Amsterdam, à l'exception du sexe. La raison en est que cette dernière cause de discrimination se distingue assez fondamentalement des autres et parce qu'il existe déjà tout un arsenal juridique pour la combattre. La Commission européenne adaptera éventuellement, si cela s'avère nécessaire, les réglementations existantes en matière d'égalité de traitement entre hommes et femmes. En se basant sur l'article 13 du Traité d'Amsterdam, la Commission européenne a aussi déposé une proposition d'élaboration d'un programme communautaire de lutte contre la discrimination. De tels programmes d'action existent déjà dans le domaine de l'égalité de traitement entre hommes et femmes. À l'heure actuelle, le quatrième programme d'action touche à sa fin. La Commission européenne a décidé de poursuivre sur la même voie séparée.

Autrement dit, ce ne sont pas les textes mêmes des traités qui justifient une politique distincte d'égalité des chances entre hommes et femmes, mais surtout la traduction politique que l'on fait de ces textes au niveau européen.

Une autre membre constate que l'avis du Bureau du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes est très défavorable. Elle constate par ailleurs que l'on propose de recueillir encore les avis du Conseil d'État, du Conseil national du Travail et du Comité commun à tous les services publics. La membre souhaite que les orateurs lui disent si la proposition de loi est amendable ou s'il vaut mieux la laisser pour ce qu'elle est et ne plus en poursuivre l'examen au Parlement.

Mme Van Varenbergh répond que la demande d'un avis au Conseil d'État, section de législation, est dictée par le risque qu'il y a de voir la proposition, une fois devenue loi, ne pas être appliquée en raison des contradictions juridiques qu'elle contient, tant à l'égard des principes généraux du droit qu'à l'égard de la législation existante.

Par ailleurs, elle a souligné dans son exposé introductif que le Bureau du Conseil se félicitait que l'on prenne une initiative législative en la matière. Mais on souhaite clairement faire une distinction entre la discrimination hommes/femmes et les autres formes de discrimination.

Il y a deux possibilités : soit on supprime la notion de « sexe » de la proposition de loi, soit il faut prendre une double initiative législative visant l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, d'une part, et les autres motifs de discrimination, d'autre part. La proposition de créer un Institut pour l'égalité des chances entre les hommes et les femmes n'est pas inspirée par la volonté de critiquer le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, mais précisément par le fait que ce Centre effectue actuellement de l'excellent travail, en raison des compétences bien définies qui lui ont été confiées.

Une autre membre aimerait savoir comment se présenterait concrètement un tel Institut pour l'égalité des chances entre hommes et femmes. Elle se réfère également à la situation aux Pays-Bas, où il existe un seul centre, dénommé « Equality », qui est compétent pour toutes les formes de discrimination. Ce centre fonctionne depuis trois ans et il serait intéressant, selon l'intervenante, d'être informé de l'expérience qu'il a accumulée en la matière. Concentrer toutes les formes de discrimination dans un seul centre pourrait en effet permettre de valoriser idéalement les savoirs-faire en la matière par enrichissement réciproque.

L'intervenante est consciente de ce que, dans sa forme actuelle, le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme est insuffisamment équipé pour assurer une telle tâche de coordination, mais on pourrait réformer et développer le centre. Elle souhaiterait que les représentants du Conseil de l'égalité des chances lui disent si le Conseil pourrait être partie prenante dans une telle opération.

Mme Van Varenbergh précise qu'elle exprimera son point de vue personnel, vu que le Conseil n'a pas encore pris formellement position en la matière : l'exemple néerlandais n'est pas, d'après elle, le bon exemple. Les Pays-Bas ont une Commission de l'« Égalité des chances » qui ne s'occupe que d'aspects liés aux droits du travail et disposent, en outre, d'un Conseil de l'émancipation. Ce Conseil de l'émancipation est mort de sa belle mort, parce qu'on le trouvait trop critique. Il y a eu ensuite un « Conseil des trois sages » : ces trois dames ont été lancées sur le terrain pour faire rapport et prendre des initiatives lorsque se présentaient des cas d'inégalité des chances entre hommes et femmes. En procédant de cette façon, on s'est aperçu que l'on passait entièrement à côté du principe de l'intégration de la dimension femmes. L'intégration de la dimension femmes est pourtant très importante dans la politique de l'égalité des chances entre hommes et femmes. Cette approche est totalement différente de la lutte contre les autres formes de discrimination.

L'actuel Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme n'est pas en mesure de faire face à l'extension des tâches envisagée dans la proposition de loi. Le Centre est dès à présent compétent pour deux choses, à savoir la lutte contre le racisme et la lutte contre la traite des êtres humains. Il ne peut actuellement s'occuper comme il le faudrait de sa deuxième mission, puisque les compétences en la matière sont limitées.

À l'occasion d'une enquête effectuée auprès d'autres pays européens, le Conseil a constaté qu'il n'existe qu'une seule formule optimale si l'on veut avoir une politique efficace d'égalité des chances entre hommes et femmes, à savoir le système des trois piliers, tel que l'intervenante l'a déjà exprimé auparavant. Il faut un pilier « politique », un pilier indépendant d'experts pouvant également intervenir en justice, et un pilier consultatif, composé des différents acteurs.

Étant donné, en outre, que le problème de l'égalité des chances entre hommes et femmes est à ce point global, il est impossible de l'incorporer dans un ensemble de compétences permettant de lutter contre d'autres formes de discrimination.

Il vaut du reste mieux aussi pour les autres formes de discrimination que l'égalité des chances entre hommes et femmes demeure un domaine distinct.

Il est, par exemple, préférable que le Conseil supérieur national des handicapés ait une compétence purement consultative plutôt qu'une compétence politique. Pour le groupe des homosexuels, des lesbiennes et des bisexuels, une structure tripartite (organe consultatif ­ institut ­ service interne à un département ministériel) serait la meilleure solution. La structure existante de la politique de lutte contre la discrimination des immigrés est un bon exemple de la manière dont une telle structure peut bien fonctionner, vu que l'on a déjà là, en partie, une structure tripartite.

Personnellement, Mme Van Varenbergh conçoit un Institut pour l'égalité des chances entre hommes et femmes sous la forme d'une structure durable occupant un personnel permanent. De plus, il serait souhaitable que cet institut puisse s'attacher les services d'experts sur la base de contrats temporaires. Elle estime en outre qu'il ne suffit pas que les organisations syndicales puissent agir en justice. Le fait que la différence salariale entre ce que gagnent les hommes et les femmes est encore très réelle, en est une preuve suffisante. C'est d'ailleurs compréhensible, puisqu'on demande à ces organisations d'intenter des actions en justice contre ce qu'elles ont elles-mêmes convenu avec le patronat.

De plus, l'appareil judiciaire est devenu bien trop coûteux, de sorte que le seuil de l'action en justice est très élevé pour les individus.

L'intervenante peut se rallier à cette vision des choses; aussi préfère-t-elle ne pas réserver au seul service de l'Égalité des chances des hommes et des femmes, du ministère de l'Emploi et du Travail, la compétence en matière d'égalité des chances entre hommes et femmes. L'intervenante est en outre convaincue, au vu de sa propre expérience, qu'il y a de nombreuses similitudes entre la discrimination des femmes et celle des immigrés. Pour être efficace, une politique des immigrés devrait également être intégrée. Voilà pourquoi, selon l'intervenante, il serait utile de réunir dans une seule instance la politique de lutte contre la discrimination de ces deux groupes cibles.

Une autre intervenante aimerait savoir si Mme Van Varenbergh estime qu'il faut élaborer une structure tripartite distincte pour chaque groupe cible.

Une autre membre estime que la politique de lutte contre la discrimination entre les hommes et les femmes est déjà fort développée. D'après elle, il serait erroné d'intégrer cette politique dans une politique de lutte contre toutes les formes de discrimination. Elle souscrit dès lors au point de vue de Mme Van Varenbergh. Elle estime en outre que toutes les minorités devraient pouvoir disposer de leur propre « centre », y compris celles qui sont discriminées en raison de leur conviction politique.

Pour finir, l'intervenante souligne que, contrairement aux autres membres du comité d'avis, elle ne peut pas souscrire aux préoccupations générales qui sont formulées dans la proposition de loi.

Mme Van Varenbergh rappelle le point de départ de la discussion selon lequel la discrimination entre les hommes et les femmes est d'une tout autre nature que la discrimination qui frappe les groupes minoritaires. C'est pourquoi une politique distincte de promotion de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes se justifie selon elle. Elle reconnaît toutefois que pareille politique pourrait servir d'exemple pour ce qui est de la lutte contre d'autres formes de discrimination. Elle souligne en outre que l'intégration de la politique de lutte contre la discrimination des sexes dans le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme engendrerait une situation aberrante dans la mesure où l'on demanderait à une majorité d'adhérer au point de vue d'une minorité.

La préopinante demande à Mme Van Varenbergh quel est le point de vue du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes à propos de la discrimination positive des hommes et des femmes.

Mme Van Varenbergh déclare qu'en Belgique, il n'existe aucune base juridique pour développer une discrimination positive sur la base du sexe. Il existe néanmoins une politique d'actions positives. Les actions positives sont nécessaires à titre transitoire : elles peuvent en effet promouvoir l'indispensable modification des mentalités.

L'intervenante souligne toutefois que la loi du 24 mai 1994 visant à promouvoir une répartition équilibrée des hommes et des femmes sur les listes de candidatures aux élections (Moniteur belge du 1er juillet 1994) ressemble, pour bien des gens, à une mesure de discrimination positive en faveur des femmes. Elle estime qu'il en résulte des conséquences défavorables pour les femmes elles-mêmes : on n'apprécie pas la femme élue pour ses qualités, et l'on considère qu'elle a été élue purement et simplement parce qu'elle est une femme.

Selon Mme Van Varenbergh, les propos de l'intervenante donnent une bonne idée de la raison pour laquelle une modification des mentalités s'impose. De plus, il existe, en Belgique, bien des quotas qui ne concernent pas l'égalité des chances entre hommes et femmes. La critique émise contre le principe de la discrimination positive n'est jamais rappelée lors de l'application de ces quotas. Il suffit de penser à cet égard à la parité linguistique à l'intérieur du gouvernement fédéral, aux quotas appliqués à l'égard des anciens coloniaux, aux quotas qui permettent aux handicapés de participer au processus du travail, ...

Il est dès lors facile de trouver des arguments objectifs pour réfuter la critique concernant l'application de quotas basés sur le sexe.

En outre, on ne peut pas perdre de vue qu'il ressort d'analyses que les candidates féminines obtiennent de très bons scores lors des élections.

III. RAPPORT DE L'AUDITION DE M. J. LEMAN, DIRECTEUR DU CENTRE POUR L'ÉGALITÉ DES CHANCES ET LA LUTTE CONTRE LE RACISME

L'avis qui est demandé à M. Leman concerne l'opportunité de maintenir la discrimination hommes-femmes dans le texte de la proposition de loi précitée, et le point de vue du Centre au sujet de son éventuelle compétence en la matière et au sujet de la proposition formulée par le Conseil de l'égalité des chances dans son avis de créer un Institut compétent pour les discriminations à l'égard des femmes.

1. Exposé de M. Leman

M. Leman explique qu'il s'est concerté avec M. Cornil, le directeur adjoint du Centre, ainsi qu'avec deux ou trois personnes du Centre, car il n'avait pas le temps de porter la question devant le conseil d'administration.

Les collaborateurs du Centre défendent la thèse selon laquelle il faut donner la préférence à la solution qui profite à un maximum de personnes. C'est compte tenu de cet élément qu'il a lu les avis de la Direction de l'égalité des chances et du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes. En fait, ces avis traitent tous deux de la même chose. L'avis du Conseil est simplement un peu plus explicite. Il déclare qu'il parcourra l'argumentation de l'avis et la commentera succinctement.

M. Leman constate qu'il est exact que « la discrimination sexuelle engendre une différence structurelle importante étant donné qu'elle n'affecte pas une minorité mais la moitié de la population » (avis de la Direction de l'égalité des chances, annexe 2, p. 37). La minorité en question est donc une minorité qualitative et non pas quantitative, alors que, par rapport aux autres motifs de discrimination, il est question d'une minorité à la fois qualitative et quantitative.

Deuxièmement, la Commission européenne est en train de mettre la dernière main à une série de directives antidiscrimination et le même débat y a lieu; il n'a pas encore permis de tirer des conclusions définitives. M. Leman n'est toutefois pas convaincu que l'on doive attendre celles-ci pour prévoir des dispositions en la matière dans la législation belge. Mais il est exact que les mêmes raisons pour lesquelles le débat n'est pas terminé au niveau européen sont les mêmes.

Troisièmement, les auteurs de la proposition de loi actuelle ont peut-être consacré trop peu d'attention à la cohérence avec la loi du 7 mai 1999.

Voici trois points de discussion qui font l'objet, dans l'avis, de critiques qu'il y a lieu de me prendre au sérieux selon l'orateur.

Quatrièmement, il a lu que le Centre n'a pas la moindre expertise dans le domaine de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, ce qui est également exact.

Mais il y a aussi des aspects positifs. Il suit le raisonnement qui est développé dans l'avis de la Direction de l'égalité des chances, selon lequel « le champ d'application de la proposition de loi est très large. Elle vise non seulement à combattre la discrimination sexuelle au niveau social, mais aussi dans les domaines politique, économique et culturel » (avis, annexe 2, p. 36). Il y a, selon lui, deux autres points positifs qui ne sont pas mentionnés. Il se demande s'il existe deux types de discrimination. L'avis du Conseil fait référence à deux philosophes. Il déclare que le texte, s'il l'a bien compris, amène à conclure qu'il y a des discriminations que la démocratie ne peut en aucun cas tolérer, à savoir les discriminations entre les hommes et les femmes, et d'autres qui sont considérées comme des discriminations moins graves. M. Leman estime que le moins qu'on puisse dire du texte en question, c'est qu'il est mal formulé. Il estime qu'une démocratie ne peut tolérer aucune discrimination et, dès lors, qu'il ne faut pas lutter en priorité contre certaines discriminations. L'on peut simplement dire que les discriminations entre les hommes et les femmes ont peut-être un caractère plus intolérable parce que les femmes constituent une majorité.

Le deuxième point positif réside dans le fait que la direction du Centre a considéré que l'émancipation des femmes pouvait servir de levier dans la lutte contre les discriminations vis-à-vis des autres groupes. L'assise sociale dont on dispose pour réaliser l'émancipation des femmes et l'antidiscrimination dans les réalisations entre les hommes et les femmes est plus grande que celle dont on dispose pour lutter contre la discrimination dont souffre le groupe des homosexuels, lesbiennes et bisexuels. Lorsque l'on envisage de confier au Centre la lutte contre la discrimination frappant ce groupe, les collaborateurs du Centre ont estimé qu'il ne serait pas inintéressant de lui confier aussi la compétence de réaliser l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Voilà pour ce qui est du point de vue des collaborateurs du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme. Ceux-ci peuvent toutefois se satisfaire de la note sur la lutte contre les discriminations et sur le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme que le Conseil des ministres a adoptée le 17 mars 2000 (3). Il n'y aurait aucun problème pour le Centre si l'on estimait, en revanche, que les mouvements féministes se débrouillent bien et qu'il faut éviter tout retour en arrière. Reste la question de savoir si le Centre pourrait conserver sa dénomination. Les collaborateurs demandent à tout le moins que leur Centre puisse conserver la dénomination de « Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme » au cas où l'on envisagerait de confier à d'autres institutions la compétence de réaliser l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Ils disent, par ailleurs, pouvoir souscrire aux critiques positives selon lesquelles une approche intégrée de la problématique hommes-femmes pourrait faire perdre quelque allant à la politique en question au cas où l'on chargerait le Centre de s'en occuper. Selon M. Leman, les groupes devraient pouvoir décider eux-mêmes en la matière. Il respecterait donc la décision du mouvement des homosexuels, lesbiennes et bisexuels au cas où celui-ci déclarerait, par exemple, ne pas pouvoir travailler avec le Centre.

Néanmoins, M. Leman tient à souligner qu'il ne faut pas ralentir le processus pour les autres groupes, en attendant que tout soit discuté au niveau européen, car cela équivaudrait à renvoyer les choses aux calendes grecques pour les autres groupes minoritaires.

2. Échange de vues

Quelques membres veulent savoir ce qui a été précisément approuvé au Conseil des ministres.

M. Leman lit un extrait de la note de la ministre : « Par exemple, en ce qui concerne la problématique hommes-femmes, le Conseil de l'égalité des chances et le service administratif concerné attachés auprès du ministère de l'Emploi et du Travail, formulent des avis relatifs aux droits des femmes et à la parité mais n'accueillent aucune plainte individuelle. Un protocole d'accord entre le centre et cette instance consultative permettrait d'intensifier la politique d'égalité des chances et de renforcer la lutte contre les discriminations sexuelles. Autre exemple : le Conseil supérieur pour les personnes handicapées, qui pourra conclure un protocole d'accord avec le centre si cela s'avère utile. » (Plan de lutte contre le racisme et les autres formes de discriminations ­ Extension des missions du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, annexe 3, p. 45.) M. Leman ne peut en dire plus. Il ne connaît pas le débat actuel au sein du Conseil de l'égalité des chances, mais il répète que le centre n'a pour le moment aucune expertise en la matière.

Il résume à nouveau sa position. Le centre peut rester ce qu'il est. À un certain moment, le mouvement des homosexuels, lesbiennes et bisexuels a demandé des contacts avec le centre. Après réflexion, le centre a accepté, mais à condition qu'ils fournissent un certain élan. Il est clair que la présence simultanée dans le centre des immigrés et du mouvement des homosexuels, lesbiennes et bisexuels ne peut pas sembler évidente aujourd'hui mais elle peut parfaitement le devenir dans un proche avenir. Les responsables du centre se sont dit que si la problématique hommes-femmes pouvait se joindre à leurs missions, pourquoi pas ? Ce n'était toutefois pas une question très vivante au centre. L'essentiel de la discussion portait sur l'Observatoire permanent à l'immigration. Quelle est la différence entre une plainte concernant la migration et une plainte concernant l'intégration ? M. Leman prévoit beaucoup de problèmes dans le futur avec de telles distinctions. Il n'a jamais compris la logique de ce système. D'un autre côté, ce n'est pas non plus au centre à contrôler l'administration de l'Office des étrangers. Mais pourquoi commencer à distinguer au niveau des plaintes, au niveau des associations ? C'était là le vrai débat, auquel s'est jointe la demande des homosexuels, lesbiennes et bisexuels et autres. On pouvait comprendre et on trouve même évident qu'on ne voulait pas multiplier les institutions pour les handicapés, les homosexuels, lesbiennes et bisexuels, etc. Mais, pour le reste, M. Leman découvre la note approuvée par le Conseil des ministres.

Une membre trouve qu'une telle proposition remet en cause le travail mené depuis des années par les associations de femmes. Cela revient à dénigrer le travail fait par des organisations de qualité. Elle estime que les discriminations fondées sur le sexe doivent être retirées de la proposition; il faut absolument bloquer cette proposition dans son état actuel.

La sénatrice ajoute qu'à la première lecture, lorsqu'elle a constaté qu'on intégrait dans la loi les discriminations sur la base du sexe, elle a signalé qu'on allait à la dérive. Même la notion de préférence sexuelle n'est pas du tout claire : que met-on sous ce vocable, sur le plan juridique et pénal ? La proposition lui semble dangereuse, néfaste et ne résoudra pas les problèmes auxquels elle souhaiterait s'attaquer. Si on veut couvrir des situations très différentes mais qui demandent une attention particulière, il faut être très prudent. La notion de sexe est depuis longtemps sur les rails dans une autre problématique et on ne peut pas traiter ce problème comme un problème touchant un groupe minoritaire.

Un autre membre remercie M. Leman de sa présence et de la sérénité de son exposé. Le centre est sans nul doute disposé à remplir toutes les missions qu'on lui confiera, mais il adopte manifestement une attitude neutre dans le débat qui se trouve au coeur des préoccupations du comité d'avis.

IV. DISCUSSION

1. Maintenir ou non la notion de « sexe » dans la proposition de loi ?

Un membre se demande s'il ne serait pas préférable de remplacer la notion de « sexe » par celle de « génotype ». Il est en effet établi scientifiquement qu'il existe une variété de combinaisons chromosomiques, porteuses de facteurs autres que les facteurs déterminants de la qualité d'homme ou de femme. L'intervenant estime en outre que, si l'on supprimait la notion de sexe dans la loi, il faudrait également y supprimer les autres critères. Il faudrait, selon lui, pour être logique, ajouter la notion de « race » dans la proposition de loi. Il lui semble que les arguments avancés au cours de la discussion valent pour toutes les causes de discrimination. Le membre déclare qu'il n'est pas partisan de « lois antidiscrimination » distinctes, qu'il tient pour discriminatoires en soi.

Un membre réplique en citant les philosophes A. Comte-Sponville et S. Agazinski (voir avis du Bureau du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes, annexe 1, p. 23) :

« Ce ne sont pas les femmes qui sont une communauté; c'est l'humanité qui est sexuée, et l'on ne saurait mettre cette différence-là, qui nous constitue, qui nous traverse, qui nous engendre, au même niveau que des différences superficielles (la couleur de la peau), idéologiques (la religion) ou sociales (le métier, le comportement ...). Les femmes ne sont pas une minorité, qu'il faudrait protéger. Elles ne sont pas non plus une classe ou un groupe de pression. Elles sont la moitié de l'humanité, et aucune démocratie ne saurait justifier qu'on l'oublie ...

Si être une femme constitue bien l'une des deux façons essentielles d'être un être humain alors on doit admettre qu'un peuple, quel qu'il soit, existe également selon un double mode. On ne peut accorder que l'homme (au sens générique) n'existe que divisé et refuser à une nation cette double manière d'être. Je partage l'analyse de Blandine Kriegel, qui fonde la légitimité de l'égalité des sexes, selon un modèle paritaire, sur la doctrine des droits de l'homme plus que sur celle de la citoyenneté. C'est l'humanité égale des hommes et des femmes qui est en cause, plus pertinente ici que toute catégorie de citoyens. »

Une autre membre déclare, en réponse à la première intervention, que la notion de « sexe » est utilisée dans toutes les réglementations, qu'elles soient internationales, européennes ou nationales. La remplacer par celle de « génotype » ne ferait, à son avis, que semer la confusion.

Une sénatrice souligne que les articles 10 et 11 de la Constitution belge imposent une interdiction générale de discrimination sans pour autant renvoyer à l'une ou l'autre cause de discrimination. Cette interdiction a dès lors, selon elle, un caractère général. Une législation d'exécution concrète peut toutefois s'avérer nécessaire pour s'attaquer aux inégalités dans les faits. On peut cependant s'interroger sur l'opportunité d'une telle législation pour combattre une forme déterminée de discrimination. Ce genre de discussion doit en tout cas, d'après elle, avoir lieu en commission de la Justice.

Une autre membre reconnaît qu'en tant que coauteur de la proposition de loi tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, elle était loin de se douter que la proposition de loi, telle qu'elle se présente, pouvait soulever des problèmes de coexistence avec la législation en vigueur en matière d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, en particulier en droit du travail, qui interdit expressément la discrimination fondée sur le sexe. Même si les deux textes sont très louables en soi, on ne peut pas perdre de vue la question de leur coexistence. La membre soutiendra l'amendement nº 1 de Mme de T'Serclaes et consorts qui vise à supprimer la notion de « sexe » à l'article 2 de la proposition de loi.

La sénatrice précise que, puisque l'on n'a pas inclus dans la proposition de loi la discrimination en fonction de la race au motif qu'il existait déjà une législation spécifique pour ce type de discrimination, un raisonnement similaire s'impose pour la discrimination fondée sur le sexe. Cela fait plusieurs années déjà que l'égalité de traitement entre hommes et femmes fait l'objet elle aussi d'une législation spécifique basée, entre autres, sur le Traité CE. Elle se réfère, pour étayer son point de vue, aux divers avis qui ont été transmis à cet égard au comité d'avis. Selon elle, il convient par conséquent de retirer la notion de sexe de la proposition de loi. Elle propose que le comité d'avis émette un avis en ce sens.

Une autre membre déclare que son groupe est partisan de retirer la notion de « sexe » de la proposition de loi de M. Mahoux et consorts. Elle souligne que les arguments que le comité présentera dans son avis, devront être soigneusement formulés et elle pense que l'avis donné le 7 mars 2000 par le Bureau du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes est une très bonne source d'inspiration à cet égard. Elle estime par ailleurs important de mettre fortement l'accent sur le caractère transversal, et la dimension horizontale de l'inégalité de traitement entre hommes et femmes. Lorsqu'il s'agit des femmes, c'est plus de la moitié de la population qui est concernée. Elle fait siens aussi les arguments relatifs à la cohérence entre la proposition de loi et la législation existante, mais ajoute que cet argument n'est pas suffisant en soi. Il peut en effet s'appliquer aussi aux autres causes de discrimination que le sexe, mentionnées dans la proposition de loi. La loi du 7 mai 1999 sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne les conditions de travail, l'accès à l'emploi et aux possibilités de promotion, l'accès à une profession indépendante et les régimes complémentaires de sécurité sociale est néanmoins une loi importante pour l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et il serait regrettable que des mesures contradictoires soient prises dans une autre loi. C'est la raison pour laquelle le groupe politique auquel elle appartient propose d'élaborer une autre loi antidiscrimination en s'appuyant sur la loi du 7 mai 1999.

Enfin, la membre souligne que la déclaration actuelle de révision de la Constitution (Moniteur belge du 5 mai 1999) prévoit la possibilité d'inscrire dans la Constitution le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes. C'est là aussi un argument en faveur d'une approche séparée de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes. Elle rappelle également que l'on a clairement choisi, au niveau de l'Union européenne, de s'attaquer séparément au problème de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes et aux autres formes de discrimination. Si la Belgique veut s'inscrire dans cette tendance européenne, une législation distincte s'impose en matière d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes.

L'intervenante suivante souligne que son groupe reste d'avis qu'il vaut mieux ne pas insérer la notion de « race » dans la proposition de loi de M. Mahoux et consorts, et ce, parce qu'il part du principe que l'humanité n'est pas constituée de races différentes. Il n'y a qu'une race, la race humaine. Le mot « racisme » n'est pas dérivé du mot « race ». C'est pourquoi la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie suffit, selon son groupe, pour lutter contre le racisme.

Pour le reste, celui-ci appuie le texte de la proposition de loi en discussion. L'on innoverait sérieusement, selon elle, en inscrivant toutes les formes de discrimination dans une même loi conçue pour les réprimer et d'en faire la cible d'un grand centre unique. Il va de soi qu'il faudrait réformer en profondeur l'actuel Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme pour qu'il puisse développer une action sur le terrain en question. Il faudrait que chaque cause de discrimination soit ciblée par un pilier distinct au sein du centre, de manière que des synergies puissent se développer.

Une autre membre dit souscrire aux déclarations de la plupart des intervenants précédents : elle estime, elle aussi, que la notion de « sexe » doit être rayée de la proposition de loi de M. Mahoux et consorts. La discrimination « de genre » présente un caractère transversal et elle ne peut dès lors pas être comparée à d'autres formes de discrimination. Il ne saurait y avoir de groupe minoritaire quand on parle des hommes et des femmes. Ladite manière de voir correspond en outre à la perspective européenne.

2. À quelle instance la défense en justice des victimes de discriminations « de genre » doit-elle être confiée ?

Une sénatrice souligne à cet égard qu'une jurisprudence abondante a déjà été développée en matière d'égalité de traitement entre les femmes et les hommes, à la suite de plaintes individuelles, et qu'il convient à son avis de continuer à appliquer une procédure spécifique pour examiner les affaires relatives aux discriminations visées en l'espèce, que l'on ne peut pas assimiler aux autres formes de discrimination.

L'intervenante suivante trouve que l'on devrait créer un Institut pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes, comme le Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes.

Une autre membre dit souscrire à ce point de vue et précise que son groupe est également partisan de la création d'un Institut pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes. L'on ne peut pas charger le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme de l'examen des plaintes ni de l'exercice d'une série d'autres fonctions techniques. C'est un excellent centre, mais l'expertise qu'il a accumulée n'est pas celle qu'il faut et l'expertise accumulée doit être reconnue sur le terrain.

L'intervenante suivante se demande s'il ne faudrait pas examiner la possibilité de confier la défense en justice de victimes de discriminations « de genre » à un organisme existant, et, par exemple, de transformer dans ce but l'actuelle direction de l'Égalité des chances du ministère de l'Emploi et du Travail et les organisations et associations qui, le jour des faits, possèdent la personnalité juridique depuis au moins cinq ans et dont la mission statutaire est de garantir l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes.

La membre plaide en faveur d'une discussion approfondie à ce propos au sein du comité d'avis.

Une autre commissaire souscrit totalement à l'avis de la préopinante. Elle croit pouvoir déduire de l'audition de la présidente du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes, Mme Van Varenbergh, que l'objectif serait de transformer celui-ci en un Institut pour l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

La rapporteuse propose, pour conclure, que le comité d'avis émette ultérieurement un avis complémentaire sur la deuxième question. Elle aimerait également connaître à cet égard le point de vue de la vice-première ministre et ministre de l'Emploi, chargée de la Politique d'égalité des chances, Mme Onkelinx. Le texte de la note approuvée par le Conseil des ministres du 17 mars 2000 (voir l'annexe 3) n'est pas assez clair à ce sujet. Plusieurs membres approuvent cette façon de procéder.

V. AVIS

À la demande de la commission de la Justice, le Comité d'avis a examiné la proposition de loi tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme. Son avis ne porte que sur les aspects de la proposition qui ont un rapport avec les missions du Comité d'avis, à savoir l'examen des questions relatives à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes (article 86.1 du Règlement du Sénat), plus particulièrement celui qui consiste à retenir la notion de sexe comme cause éventuelle de discrimination.

Pour préparer son avis, le Comité a demandé l'avis du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes. Le Bureau dudit Conseil a rendu son avis le 7 mars 2000, qui devrait être confirmé par le Conseil lui-même. Cet avis a été présenté lors d'une audition par Mme Van Varenbergh, la présidente du Conseil, et par M. Vanlaere, conseiller adjoint à la direction de l'Égalité des changes du ministère de l'Emploi et du Travail.

Le Comité d'avis a également organisé une audition avec M. J. Leman, le directeur du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme. Sur la base de ces conditions et des discussions qu'il a menées, le Comité d'avis exprime l'avis suivant :

1. La proposition de loi vise à doter notre pays d'une législation générale en matière d'égalité de traitement, sur la base de laquelle différentes formes de discrimination seront considérées comme inadmissibles (à savoir les discriminations fondées sur le sexe, l'orientation sexuelle, l'état civil, la naissance, l'âge, la fortune, l'état de santé actuel ou futur, un handicap ou une caractéristique physique). Le Comité d'avis ne peut qu'applaudir cette intention. Par conséquent, le Comité d'avis souscrit totalement à la préoccupation générale de la proposition de loi;

2. Le Comité d'avis propose cependant que le sexe en tant que motif de discrimination soit retiré de la proposition de loi et qu'il fasse l'objet d'une législation spécifique et indépendante;

Le Comité d'avis s'est dans une large mesure inspiré, pour la motivation de son avis, de l'avis du 7 mars 2000 au Bureau du Conseil de l'égalité des chances pour les hommes et les femmes (4)

2.1. La discrimination fondée sur le sexe se distingue des autres formes de discrimination, en raison de son caractère transversal. Toute personne appartient en effet, toujours et nécessairement, à l'un des deux sexes et nul ne peut échapper à cette dichotomie essentielle.

Le groupe potentiellement discriminé se compose toujours d'au moins la moitié de la population. En d'autres mots, on ne peut pas parler, pour les discriminations hommes-femmes, de préjudice subi par un groupe minoritaire. Pour cette raison, une politique particulière d'égalité des chances entre les hommes et les femmes devra toujours être menée. Cette politique devra être caractérisée par des actions et des mesures spécifiques qui vont beaucoup plus loin que la simple mention des sanctions applicables en cas de discrimination.

En insérant le sexe parmi les autres formes de discrimination sans qu'aucune nuance ou différenciation ne soit mentionnée par rapport à celles-ci, on fait abstraction du caractère transversal de la discrimination de genre.

2.2. Au niveau de l'Union européenne a également toujours été développée une réglementation européenne visant spécifiquement l'égalité de traitement hommes-femmes. Le caractère transversal de la discrimination de genre se retrouve dans les articles 2 et 3 du Traité d'Amsterdam. En outre, depuis 1957 déjà, l'article 141 du Traité traite le thème de l'égalité de rémunération des travailleurs masculins et féminins pour un travail égal ou de valeur égale. Une jurisprudence spécifique s'est développée sur la base de cet article. On rencontre également une telle démarche dans la proposition de directive de la Commission européenne portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail [25 novembre 1999, COM(1999) 565] prise en exécution de l'article 13 du Traité d'Amsterdam, qui mentionne une série de dispositions visant à combattre les discriminations fondées sur différents critères, à l'exception du sexe. La discrimination de genre est considérée par la Commission européenne comme un terrain d'action spécifique pour lequel des mesures spécifiques sont nécessaires.

2.3. La déclaration de révision de la Constitution (Moniteur belge du 5 mai 1999) prévoit la possibilité d'introduire l'approche transversale de la discrimination de genre dans la Constitution, par l'adoption d'un nouvel article. Le but est d'insérer dans la Constitution le droit des hommes et des femmes à l'égalité comme droit fondamental, de sorte que cette égalité soit pour les autorités une mission permanente.

2.4. Le Comité d'avis indique qu'il n'est pas sûr que la proposition de loi résiste à l'épreuve de la coexistence avec la loi du 7 mai 1999 sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes concernant les conditions de travail, l'accès au travail et les chances de promotion, l'accès à un travail indépendant et les règles complémentaires de sécurité sociale. Un examen plus approfondi s'impose.

3. Pour toutes ces raisons, le Comité d'avis propose à la commission de la Justice de supprimer de la proposition de loi la notion de « sexe » comme motif de discrimination. Le Comité d'avis propose donc l'amendement suivant : « Aux articles 2, § 1er, 5 et 14 supprimer les mots « le sexe ». » Cet amendement sera déposé par l'intermédiaire des membres du Comité d'avis qui sont aussi membres de la commission de la Justice.

4. Le Comité d'avis estime qu'il faut une réglementation légale, globale et spécifique, applicable aux discriminations fondées sur le sexe. À cet effet, le Comité d'avis prendra une initiative, de concert avec la vice-première ministre et ministre de l'Emploi chargée de la politique d'égalité des chances.

L'avis a été adopté par 7 voix contre 1.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.

La rapporteuse,
Marie-Josée LALOY.
La présidente,
Iris VAN RIET.

ANNEXE 1


Avis du 7 mars 2000 du Bureau du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes concernant la proposition de loi tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme

Le Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes est un organe fédéral consultatif qui a pour tâche de contribuer efficacement à l'élimination de toutes les discriminations vis-à-vis des hommes et des femmes et à la réalisation de l'égalité effective entre les deux sexes (article 2, § 1er, arrêté royal du 15 février 1993 portant création du Conseil de l'égalité des chances).

C'est avec intérêt que le Bureau de ce Conseil a pris connaissance de la proposition de loi actuelle tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, introduite par M. Philippe Mahoux et consorts (doc. Parl., Sénat, SE 1999, nº 2-12/1).

La proposition de loi précitée vise à munir notre pays d'une législation générale en matière d'égalité de traitement, sur la base de laquelle plusieurs discriminations seront considérées comme inadmissibles (à savoir la discrimination sur la base du sexe, de l'orientation sexuelle, de l'état civil, de la naissance, de l'âge, de la fortune, de l'état de santé actuel ou futur, d'un handicap ou d'une caractéristique physique).

La proposition de loi mentionnant parmi les motifs de discriminations celui fondé sur le sexe, le Bureau du Conseil souhaite, d'une part, faire connaître son avis et, d'autre part, indiquer les implications et les dangers possibles vis-à-vis de la politique de l'égalité des chances entre hommes et femmes dans notre pays. Le Bureau se sent renforcé dans cette démarche par la demande d'avis au sujet de la proposition de loi, que la présidente du Comité d'avis du Sénat pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes lui a adressée le 10 février 2000.

Pour ces raisons et de manière à participer activement à la réalisation d'une législation fondamentale pour la vie en société, le Bureau utilise le droit d'initiative conféré au conseil (article 2, § 3, arrêté royal du 15 février 1993) pour émettre l'avis suivant sur la proposition de loi mentionnée ci-dessus.

Cet avis est construit selon une structure tripartite. La première partie contient un certain nombre d'observations générales relatives à la philosophie de la proposition de loi et à la place qui est attribuée à la politique de l'égalité des chances entre hommes et femmes dans cette proposition. La deuxième partie reprend une série de remarques juridiques générales. Finalement, le Bureau a consacré la troisième partie à une discussion et un commentaire article par article de la proposition de loi.

A. Observations générales relatives à la philosophie de la proposition de loi et à la politique de l'égalité des chances entre hommes et femmes

a) Le caractère transversal de la discrimination de genre

En premier lieu, le Bureau du Conseil souhaite souligner que la discrimination de genre se distingue fondamentalement de toutes les autres formes de discrimination par son caractère transversal. Cela implique que le sexe, comme motif de discrimination, appartient à un ordre structurel totalement différent et ne peut par conséquent pas être traité de la même manière que les autres critères de discrimination mentionnés dans la proposition de loi.

Chaque personne appartient toujours et nécessairement à l'un des deux sexes et nul ne peut échapper à cette dichotomie essentielle. Il découle entre autres de cette affirmation que le sexe est un facteur qui intervient dans toutes les autres catégories de discrimination (transversalité), ce qui est d'ailleurs exprimé d'une manière significative par les philosophes A. Comte-Sponville et S. Agazinski dans les citations suivantes :

« Ce ne sont pas les femmes qui sont une communauté; c'est l'humanité qui est sexuée, et l'on ne saurait mettre cette différence-là, qui nous constitue, qui nous traverse, qui nous engendre, au même niveau que des différences superficielles (la couleur de la peau), idéologiques (la religion) ou sociales (le métier, le comportement ...). Les femmes ne sont pas une minorité, qu'il faudrait protéger. Elles ne sont pas non plus une classe ou un groupe de pression. Elles sont la moitié de l'humanité, et aucune démocratie ne saurait justifier qu'on l'oublie » (A. Comte-Sponville, dans Halimi, G., Observatoire de la parité, Rapport de la Commission pour la parité entre les femmes et les hommes dans la vie politique, France, 1997).

« Si être femme constitue bien l'une des deux façons essentielles d'être un être humain [...] alors on doit admettre qu'un peuple, quel qu'il soit, existe également selon un double mode. On ne peut accorder que l'homme (au sens générique) n'existe que divisé et refuser à une nation cette double manière d'être. Je partage l'analyse de Blandine Kriegel, qui fonde la légitimité de l'égalité des sexes, selon un modèle paritaire, sur la doctrine des droits de l'homme plus que sur celle de la citoyenneté. C'est l'humanité égale des hommes et des femmes qui est en cause, plus pertinente ici que toute catégorie de citoyens » (S. Agazinski, Politique des sexes).

L'expérience enseigne que des problèmes sociaux variés sont à la base de ces différentes formes de discrimination et que les situations concrètes des différents groupes discriminés ne sont pas nécessairement comparables entre elles.

Plus spécialement, en ce qui concerne la discrimination du genre, le Bureau du Conseil insiste sur l'existence d'une importante différence structurelle entre les différentes formes de discrimination, étant donné que le groupe potentiellement discriminé (en réalité le plus souvent les femmes), se compose toujours d'au moins la moitié de la population et qu'on ne peut dès lors plus parler du préjudice subi par un groupe minoritaire.

Il ressort de ce fait qu'une politique particulière d'égalité des chances entre hommes et femmes devra toujours être mise en oeuvre. Cette politique devra être caractérisée par des actions et règles spécifiques (parmi lesquelles, par exemple, le gendermainstreaming) qui vont beaucoup plus loin que la simple mention des sanctions applicables en cas de discrimination.

Le Bureau du Conseil regrette à ce sujet que dans la proposition de loi, il soit fait abstraction du caractère transversal de la discrimination de genre, du fait que le sexe est inséré parmi les autres formes de discrimination sans qu'aucune nuance ou différenciation ne soit mentionnée par rapport à celles-ci.

Le Bureau fait remarquer que reprendre sous une seule appellation, la discrimination de genre et les autres formes de discrimination, risque d'entraîner une dévaluation de la politique de l'égalité des chances entre hommes et femmes, en ce compris au niveau budgétaire. Ainsi, cette politique risque de tomber dans l'oubli, dans la mesure où elle ne recevra plus l'attention à laquelle elle peut prétendre du point de vue de la société.

En outre, le Bureau constate que les auteurs de la proposition de loi ont initialement choisi de ne pas reprendre la discrimination raciale dans leur projet de texte. Dans les développements de la proposition de loi, ils expliquent cela par le fait que selon l'avis de certains, la lutte contre le racisme et la xénophobie est une question spécifique qui mérite une législation particulière (doc. Parl., Sénat, SE 1999, nº 2-12/1, p. 3).

Le Bureau estime que cette argumentation est a fortiori d'application dans le cas de la discrimination de genre et demande avec insistance que le sexe en tant que motif de discrimination soit séparé des autres critères de discrimination. Le Bureau est d'avis qu'en matière de discrimination de genre une législation particulière doit être maintenue qui devra, le cas échéant, être étendue à tous les domaines de la vie en société (c'est-à-dire, à côté de l'aspect social, aussi les domaines économiques, politiques et culturels).

b) Défense en justice des victimes de discriminations de genre

Le Bureau du Conseil constate que dans la présente proposition de loi, la compétence du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme est élargie à toutes les formes de discrimination y compris celles basées sur le sexe.

Le Conseil pour l'égalité des chances entre hommes et femmes a toujours soutenu l'idée de la création d'une organisation publique de défense d'intérêts, compétente dans l'assistance juridique des victimes de discrimination de genre (voir à ce sujet l'avis nº 23 que le conseil a rendu le 12 mars 1999 concernant le principe d'un salaire égal pour un travail de valeur égale et l'évaluation de fonctions, nº 3.6, p. 6).

Cependant, le Bureau du Conseil pense que le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme ne constitue pas l'instance la plus indiquée pour défendre en justice des personnes victimes de discriminations de genre. Le Bureau reconnaît le rôle important que le centre a joué en matière de lutte contre le racisme et la xénophobie, mais insiste à nouveau sur le fait que cette instance ne possède aucune expertise en matière de discrimination de genre et n'a pas l'expérience de la politique de l'égalité des chances entre hommes et femmes.

Le Bureau confirme également sa volonté de voir confier la défense en justice des victimes de discriminations de genre à un Institut indépendant pour l'égalité des chances entre hommes et femmes et soutient dans ce cadre le projet de loi actuellement examiné à la Chambre portant sur la création d'un tel institut (Doc. Parl., Chambre, SE 1999, nº 130/1).

Le Bureau insiste en outre sur le fait que la création d'une organisation de défense d'intérêts dans le domaine de la discrimination de genre ne doit pas aller à l'encontre du maintien et du développement du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes et de la Direction de l'égalité des chances, respectivement organe consultatif et service administratif compétents dans le domaine de la politique de l'égalité des chances entre hommes et femmes.

Les exemples étrangers (entre autres « l'Instituto de la Mujer » en Espagne) démontrent clairement que des désavantages importants sont liés à la simple création d'organisations de défense d'intérêts indépendantes. À savoir qu'une telle institution est moins impliquée dans le processus de prise de décision dans le domaine de l'égalité des chances entre hommes et femmes et qu'elle ne peut, malgré son expertise, exercer une quelconque influence sur cette politique. En outre, la mise en oeuvre d'une politique de l'égalité des chances entre hommes et femmes va plus loin que la simple application juridique de la législation, et implique également l'élaboration de mesures propres à cette politique telles que les actions positives, le gendermainstreaming, le benchmarking, les réseaux, la diffusion de l'information et la sensibilisation de la société. La pratique démontre que de telles mesures sont menées de manière plus efficace par les services administratifs chargés de l'égalité des chances entre hommes et femmes et non par les organismes de défense d'intérêts indépendants.

Pour ces raisons, le Bureau du Conseil est partisan, en matière d'égalité des chances entre hommes et femmes, de l'instauration d'une structure tripartite, à savoir un institut de défense d'intérêts des personnes discriminées, d'un Conseil de l'égalité des chances rendant des avis aux différentes autorités et d'une Direction de l'égalité des chances constituant un soutien administratif à la politique de l'égalité des chances.

c) Consultation de tous les acteurs impliqués dans la législation antidiscriminatoire

Le Bureau du Conseil reconnaît que la présente proposition de loi ne fait pas l'objet d'une consultation obligatoire. Néanmoins le Bureau estime opportun que lors de la réalisation d'une législation aussi fondamentale toutes les forces et tous les acteurs sociaux soient impliqués.

Le Bureau souhaite notamment que le texte de la proposition de loi soit soumis à l'avis du Conseil d'État. Comme il sera expliqué ci-dessous, la proposition de loi soulève, dans l'état actuel des choses, un certain nombre de questions juridiques importantes, qui, si elles restent sans réponse, peuvent réduire considérablement la portée et l'efficacité de la future loi.

En outre, le Bureau demande que les avis du Conseil national du travail et du Comité commun à tous les services publics soient également recueillis. En effet, la proposition de loi touche au droit social, de sorte que les partenaires sociaux seront directement impliqués dans son exécution. Le Bureau estime donc opportun que leur avis soit pris en compte.

Pour conclure, le Bureau attire également l'attention sur le fait que pour d'autres motifs de discrimination visés par la proposition de loi, des organes consultatifs ont été institués (par exemple, le Conseil supérieur national des handicapés). Le Bureau demande que lors de la réalisation de la loi, ces organes consultatifs ne soient pas non plus négligés.

B. Remarques juridiques générales concernant la structure de la proposition de loi

a) Répartition des compétences selon la Constitution

Le Bureau du Conseil constate que la proposition de loi dans sa globalité couvre aussi bien les domaines sociaux, politiques, économiques que culturels. Suite à la réforme de l'État, une grande partie de ces domaines a été attribuée aux communautés et aux régions, de sorte que la proposition de loi contient un réel danger de dépassement de compétence de la part du législateur fédéral. C'est entre autres le cas en ce qui concerne :

­ les matières culturelles (article 127, § 1er, Constitution, juncto article 4 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles);

­ la politique des handicapés, en ce compris la formation, la reconversion et le recyclage professionnels des handicapés (article 5, § 1er, II, 4º, de la loi spéciale du 8 août 1980);

­ la politique du troisième âge (article 5, § 1er, II, 5º, de la loi spéciale du 8 août 1980);

­ la politique économique (article 6, § 1er, VI, 1º, de la loi spéciale du 8 août 1980);

­ le placement des travailleurs (article 6, § 1er, IX, 1º, de la loi spéciale du 8 août 1980);

­ l'application des normes concernant l'occupation des travailleurs étrangers (article 6, § 1er, IX, 3º, de la loi spéciale du 8 août 1980);

Le Bureau du Conseil rappelle à ce sujet qu'une problématique identique fut abordée dans la proposition de loi qui a mené à la loi du 7 mai 1999 sur l'égalité de traitement des hommes et des femmes en ce qui concerne les conditions de travail, l'accès à l'emploi et aux possibilités de promotion, l'accès à une profession indépendante et les régimes complémentaires de sécurité sociale.

Dans son avis relatif à cette proposition de loi, le Conseil d'État fait remarquer que « les droits fondamentaux définis par des normes juridiques supérieures (par exemple le principe de non-discrimination) ne sont pas des matières en soi, mais des principes qui doivent être respectés par les différentes autorités pour régler les matières qui leur sont attribuées ».

Le Conseil d'État a ajouté plus loin : « Il s'ensuit que, dans la mesure où la garantie d'un droit fondamental concerne des matières relevant de la compétence des communautés et des régions, la loi ordinaire, même si elle confirme ainsi le caractère fondamental d'un droit déterminé et prétend veiller au respect de ce droit, ne peut pas édicter des règles qui imposeraient des conditions aux communautés et aux régions pour l'exercice de compétences qui leur sont conférées en vertu de la Constitution ou de lois spéciales de réformes institutionnelles (...). Le fait que ces conditions résultent directement de normes juridiques supérieures ou ne sont qu'une simple concrétisation de celles-ci, n'infirme en rien cette constatation. En effet, les autorités communautaires ou régionales compétentes sont directement liées par ces normes juridiques supérieures, de sorte que la limitation de leur marge d'action résulte de ces normes juridiques supérieures mêmes. Il n'appartient pas au législateur fédéral de même rappeler aux communautés et aux régions qu'elles sont liées à ces normes juridiques et supérieures. » (doc. Parl., Chambre, nº 2057-1, 98/99, p. 35).

Vu ce qui précède, le Bureau attire l'attention sur le fait que, si le texte de la proposition n'est pas soumis à un examen approfondi de sa base constitutionnelle, le danger d'une annulation ultérieure de parties importantes de la loi par la Cour d'arbitrage est tout à fait envisageable.

Puisqu'un tel scénario causerait des dégâts irréparables à la combativité et à la crédibilité d'une législation générale anti-discriminatoire, le Bureau réitère avec insistance sa demande de soumettre ces questions à l'avis du Conseil d'État.

b) Reconnaissance juridique du caractère transversal de la discrimination de genre

Comme il a déjà été exposé ci-dessus, le Bureau du Conseil a des objections fondamentales quant à l'insertion du sexe au même titre que les autres motifs de discrimination dans une loi générale antidiscriminatoire et souhaite que ce critère fasse l'objet d'une législation séparée. À côté des raisons mentionnant des arguments philosophiques, le Bureau renvoie aussi à un certain nombre d'éléments juridiques concernant la reconnaissance du caractère particulier et transversal de la discrimination de genre. Ces éléments sont issus tant du droit européen que du droit national.

Le droit européen

L'article 13 du Traité d'Amsterdam confère la compétence au Conseil des ministres pour prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toutes formes de discrimination.

Bien que le sexe soit mentionné parmi les motifs de discrimination pour lesquels l'article 13 est d'application, cela ne signifie pas que le sexe soit placé sur un pied d'égalité avec les autres critères dans le Traité.

L'article 2 du Traité reconnaît aussi explicitement la réalisation de l'égalité entre hommes et femmes comme l'un des objectifs essentiels de la Communauté. Ceci est d'ailleurs confirmé par l'article 3, dans lequel il est mentionné que la Communauté cherche à éliminer les inégalités et à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes.

En outre, depuis 1957 déjà, l'article 141 (ancien article 119) du Traité traite séparément le thème de l'égalité de rémunération des travailleurs masculins et féminins pour un travail égal ou de valeur égale. Selon la jurisprudence de la Cour de justice, cet article est directement applicable dans tous les États membres de l'Union européenne.

Au fil des ans, les dispositions mentionnées dans le Traité ont conduit à la construction d'un ensemble de normes européennes détaillées en relation avec l'égalité de traitement entre hommes et femmes, qui contient actuellement 12 directives, 5 recommandations et 14 résolutions.

La Commission a formellement insisté sur ce qui précède dans sa proposition de directive du Conseil portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (25 novembre 1999, COM (1999) 565). Cette proposition de directive constitue la mise en oeuvre de l'article 13 du Traité et contient une série de dispositions visant à combattre les discriminations fondées sur différents critères, à l'exception du sexe !

La Commission se base sur l'avis émis par le Comité consultatif de l'égalité des chances entre les femmes et les hommes du 1er septembre 1999, au sujet de l'impact du Traité d'Amsterdam sur la politique de l'égalité des chances entre hommes et femmes. Dans cet avis, le Comité fait appel à la Commission pour qu'à l'avenir, la spécificité de la politique de l'égalité des chances entre hommes et femmes soit prise en compte et que des règles spécifiques soient maintenues dans ce domaine (parmi lesquelles un programme d'action spécifique en matière d'égalité entre hommes et femmes).

Le droit national

Les articles 10 et 11 de la Constitution formulent d'une manière générale le principe de l'égalité de traitement et de non-discrimination dans le droit belge.

La déclaration de révision de la Constitution (Moniteur belge du 5 mai 1999) reprend ces articles et envisage de les compléter par l'insertion d'un nouvel article qui édicterait explicitement le droit à l'égalité entre hommes et femmes. Le but est d'insérer dans la Constitution l'égalité de traitement entre hommes et femmes comme droit fondamental de sorte que cette égalité soit pour les autorités une mission permanente, en dépit des priorités politiques des différents gouvernements. La reconnaissance constitutionnelle du droit de l'égalité entre hommes et femmes a en effet pour conséquence que toutes les autorités (tant le législateur ordinaire que le pouvoir exécutif) seront obligées de tenir compte de ce droit.

La déclaration de révision précitée offre la possibilité de confirmer aussi dans le droit national que le sexe n'est pas seulement une des nombreuses causes de non-discrimination, mais que le droit à l'égalité entre hommes et femmes est un droit autonome, positif et fondamental qui mérite une attention particulière (doc. Parl., Sénat, 1996-1997, nº 1-584/1, p. 4).

c) La spécialité du droit social

Le Bureau du Conseil fait remarquer que la proposition de loi reste extrêmement générale vis-à-vis des discriminations rencontrées dans le droit social. La mention du « domaine social » dans l'article 2 reprenant le champ d'application général de la loi est le seul point de référence pour ces discriminations.

Le Bureau du Conseil indique à ce sujet que le droit social est une branche autonome du droit qui, avec sa propre dynamique, s'appuie sur une finalité spécifique. Il est donc extrêmement difficile d'insérer de manière efficace des dispositions du droit social dans des textes de loi de portée générale. À ce sujet, il peut d'ailleurs être fait référence à l'article 2bis de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie (pénalisation de la discrimination raciale dans le domaine de l'emploi), qui dans la pratique n'a encore conduit à aucun cas jurisprudentiel.

Le Bureau pense que la simple mention du « social » dans la définition de la discrimination est beaucoup trop sommaire pour éliminer de manière énergique toutes les formes de discrimination dans le domaine du droit social. L'ampleur et l'impact du problème de discrimination sur le marché du travail implique en effet que des règles spécifiques soient prises en ce qui concerne la non-discrimination à l'embauche, dans les conditions de travail et en cas de licenciement, les indemnités dues aux victimes de discriminations, la protection contre le licenciement-représaille, la répartition de la charge de la preuve, l'intimidation sur le lieu du travail, l'égalité dans la sécurité sociale, etc.

Le Bureau est aussi partisan d'écarter le domaine social du champ d'application de la proposition de loi et de combattre les discriminations dans le domaine du droit social via une législation indépendante et intégrée dans laquelle entre autres les règles existantes de la CCT nº 38 (article 2bis ­ égalité de traitement dans le recrutement et la sélection) et la loi du 13 février 1998 (articles 2 à 11 ­ interdiction de l'instauration d'une limite d'âge maximum dans le recrutement et la sélection) peuvent être intégrées.

d) Coexistence de la proposition de loi avec la loi du 7 mai 1999 sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes

Le Bureau rappelle que l'égalité de traitement entre hommes et femmes concernant les conditions de travail, l'accès au travail et les chances de promotion, l'accès à un travail indépendant et les règles complémentaires de sécurité sociale est déjà réglée dans la loi du 7 mai 1999 (Moniteur belge du 19 juin 1999).

La loi mentionnée contient des dispositions dont la formulation est beaucoup plus précise que celles de la proposition de loi qui n'ont qu'une portée générale. Ainsi, la proposition de loi ne fixe aucune règle concernant l'admissibilité des actions positives, la protection de la grossesse et de la maternité, la lutte contre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, la protection contre les mesures de représailles, etc. En outre, la notion de discrimination est incomplète sur deux points : d'une part, la proposition de loi ne définit pas de manière précise les termes de discrimination « directe » et « indirecte » et, d'autre part, elle ne précise pas que la discrimination directe ne peut être justifiée en aucune circonstance.

Ce dernier point constituent un problème important. En effet, la loi du 7 mai 1999 précise en son article 4 que la discrimination directe sur la base du sexe ne peut jamais être justifiée. Par contre, il découle de la formulation de l'article 2 de la proposition de loi que toutes les formes de discrimination peuvent être justifiées par des conditions objectives strictes.

Dès lors, il existe un réel danger de régression pour la position et la protection juridique des victimes de discriminations sexuelles, visées par la loi du 7 mai 1999. À ce sujet, le Bureau rappelle avec insistance sa demande que le sexe soit considéré comme un motif de discrimination particulier et que la discrimination de genre fasse l'objet d'une législation spécifique. Dans tous les cas, le Bureau est d'avis qu'une enquête sérieuse doit être menée par rapport à la coexistence des dispositions de la proposition de loi avec les règles déjà existantes en matière de discrimination de genre et cela aussi bien au niveau européen qu'au niveau national.

e) Coexistence de la proposition de loi avec les propositions actuelles de directives dans le cadre de l'article 13 du Traité d'Amsterdam

La proposition de loi renvoie dans ses commentaires à l'article 13 du Traité d'Amsterdam, sur la base duquel deux propositions de directives de la Commission ont été prises en considération (la première a pour objet spécifique la lutte contre le racisme, la seconde est relative à tous les motifs de discrimination contenus dans l'article 13 du Traité, à l'exception du sexe).

Partant du fait que le champ d'application de cette proposition de directive correspond en grande partie à celui de la proposition de loi, le Bureau du Conseil estime prématuré de vouloir prévoir une législation antidiscriminatoire générale, sans que le contenu précis des prescriptions européennes en la matière ne soit connu. Il est donc probable que le texte de la proposition de loi, s'il est adopté, doive faire l'objet dans un bref délai, d'une adaptation, ce qui ne permettra d'assurer ni la sécurité juridique ni la connaissance de la loi.

En outre, l'attention doit être attirée sur la différence de contenu sur plusieurs points entre le texte actuel de la proposition de loi et la proposition de directive. Ainsi, la proposition de loi exclut de son champ d'application les discriminations basées sur la religion et les convictions, alors que ces deux formes de discrimination sont traitées par la proposition de directive visant à réaliser un cadre général contre les discriminations (supra, p. 12). À côté de cela, on trouve aussi dans la proposition de directive, des définitions précises des discriminations directes et indirectes et des règles dans le domaine des actions positives, des intimidations, des fonctions pour lesquelles exceptionnellement une discrimination peut être faite, etc. Ces différents éléments n'étant pas repris dans la proposition de loi, la même remarque peut être faite mutadis mutandis, sur la coexistence avec la loi du 7 mai 1999 relative à l'égalité entre hommes et femmes (p. 14).

C. Discussion des articles

a) Article 2, § 1er

Le Bureau du Conseil indique que la définition de discrimination est lacunaire dans la mesure où aucune attention n'est prêtée à l'effet défavorable qui doit découler d'une distinction pour qu'on puisse parler de discrimination. Le Bureau renvoie en ce sens aux définitions des deux propositions de directives dans lesquelles il est fait mention d'un « comportement moins favorable » (discrimination directe) et d'un effet défavorable d'une disposition apparement neutre (discrimination indirecte).

Ensuite, le Bureau souhaite indiquer à ce sujet que les critères relatifs à la justification objective de discrimination, s'il est vrai qu'ils sont en accord avec la jurisprudence de la Cour d'arbitrage et de la Cour européenne des droits de l'homme, ne le sont pas avec celle de la Cour de justice des Communautés européennes. Cette dernière confirme, depuis l'Affaire-Dekker (CEJ, 8 novembre 1990, nº C-177/88, Jur. CEJ 1990, I, 3941), son interprétation selon laquelle la discrimination directe sur la base du sexe ne peut pas être justifiée objectivement. Ce point de vue de la Cour fut en outre confirmé par la loi du 7 mai 1999, dans laquelle il est clairement spécifié que la discrimination directe sur la base du sexe ne peut jamais être justifiée (supra, p. 15).

b) Article 2, § 2

Le Bureau du Conseil reconnaît la garantie constitutionnelle basée sur le droit à la liberté de culte, mais regrette d'un autre côté que par cette disposition, une légitimation soit accordée au refus de laisser les femmes accéder à la prêtrise. Le Bureau est également d'avis qu'il faut tenir compte dans l'exercice du droit à la liberté de culte, des autres droits reconnus constitutionnellement (comme par exemple, le principe de l'égalité de traitement et de non-discrimination) et rappelle à ce sujet la séparation de l'Église et de l'État ainsi que le fait que la religion ne prévaut pas sur la Constitution (voir aussi l'article 19 de la Constitution in fine).

c) Articles 3 à 7 (inclus)

L'article 3 réglemente la répartition de la charge de la preuve en précisant que celui qui opère une différence de traitement, doit prouver qu'il y a un fondement juridique objectif et qu'il y a un lien régulier avec le but recherché.

Puisque cet article est inséré dans les dispositions générales de la proposition de loi, cela vaut également pour les dispositions pénales de la proposition de loi (articles 4 à 7). Le Bureau rappelle à ce sujet le fait que dans le cadre de la loi du 7 mai 1999, le principe de la répartition de la charge de la preuve n'est pas déclaré comme étant d'application dans les procédures pénales. La raison en est que la présomption d'innocence jusqu'à preuve du contraire en droit pénal, est un principe légal général qui est clairement reconnu par divers traités relatifs aux droits de l'homme (e.a. article 6.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 14.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques). Le Bureau fait remarquer que si la proposition de loi n'est pas modifiée sur ce point, la Belgique entrera vraisemblablement en conflit avec les traités des droits de l'homme susmentionnés.

De plus, le Bureau constate que les sanctions pénales prévues dans la proposition de loi sont plus sévères que celles qui sont actuellement d'application dans le cadre de la législation relative à l'égalité de traitement entre hommes et femmes. Le Bureau souscrit totalement à cette évolution, mais souhaite par ailleurs rappeler les principes généraux du droit pénal. Ceux-ci prévoient qu'en cas de conflit entre deux lois pénales, la peine la plus légère est d'application. Si, en d'autres mots, une discrimination précise peut être qualifiée comme un délit tant sur la base de la proposition de loi que sur la base de la loi du 7 mai 1999, alors les sanctions pénales de cette dernière loi seront d'application de jure. Le Bureau du Conseil renvoie sur ce point à ses remarques précitées relatives à la coexistence entre la proposition de loi et la loi du 7 mai 1999 (supra, p. 14) et demande que dans ce cas les dispositions pénales de la loi susmentionnée soient mises en concordance avec celles de la proposition de loi.

d) Article 8

La première partie de cet article énumère un certain nombre de cas de discriminations interdites qui ont une portée plus large que le domaine social. Le Bureau du Conseil approuve dans son ensemble cette énumération, mais remarque cependant que le refus de nommer un fonctionnaire n'a aucun rapport, par exemple, avec la nomination des magistrats. Le Bureau estime dès lors que cette proposition devrait être adaptée en ce sens que toute nomination de la part des autorités soit couverte par l'article 8 tel que défini.

En ce qui concerne la deuxième partie de l'article 8, le Bureau fait remarquer que rien n'a été ajouté à la situation juridique actuelle. Dire qu'en cas de discrimination, une indemnisation peut être perçue, revient à dire que le droit civil est d'application, ce qui en fait est déjà le cas. Le Bureau fait remarquer qu'il serait préférable de prévoir un montant minimum pour les indemnités, pour éviter que le juge n'attribue des indemnités purement symboliques.

e) Articles 10 et 13 (modification du principe de primauté de l'action juridique répressive)

Les articles 10 et 13 contiennent des règles qui autorisent que les actions civiles soient jugées nonobstant une poursuite exercée en raison des mêmes faits devant une juridiction pénale. Le Bureau rappelle à nouveau les principes généraux du droit pénal et en particulier le principe général de primauté de la procédure pénale en matière d'action civile (article 4, titre préliminaire C.I.cr. ­ Le criminel tient le civil en état).

Par le fait que l'article 13 dispose que le jugement civil est exécutoire par provision, un conflit juridique grave risque d'être créé entre la proposition de loi, d'une part, et les principes généraux du droit pénal susdits, d'autre part. Le Bureau insiste sur le fait que cette situation comporte des dangers potentiels pour les victimes de discrimination. En effet, si une victime obtient un dédommagement civil par provision qui pourra par la suite être annulé par décision pénale, cette personne risque d'être confrontée à d'importantes réclamations concernant le remboursement qui, le cas échéant, serait majoré d'un intérêt légal. Ainsi, la proposition de loi menace précisément d'atteindre l'opposé de son objectif de départ, à savoir une meilleure protection juridique pour les victimes de discrimination.

f) Articles 10 et 13 (compétence des tribunaux)

Ces deux articles définissent uniquement la compétence des juridictions régulières, alors que, dans le cadre de la proposition de loi, les tribunaux administratifs ont également une compétence (par exemple dans le cas de la non-nomination d'un fonctionnaire pour des raisons discriminatoires). Le Bureau demande donc qu'une disposition concernant la compétence des juridictions administratives soit ajoutée dans ces articles.

g) Articles 12, 14 et 15

L'article 12 octroie la compétence, entre autres aux organisations représentatives des employeurs et des travailleurs, de se pourvoir en justice dans le cadre de litiges auxquels donnerait lieu la proposition de loi. Dans le dernier paragraphe de cet article, il apparaît clairement que les organisations représentatives doivent disposer du mandat de la personne concernée. Le Bureau du Conseil rappelle que ce n'est pas le cas dans le cadre de la loi du 7 mai 1999, dans laquelle les organisations d'employeurs et de travailleurs ainsi que les diverses organisations syndicales représentatives du secteur public disposent d'un droit d'action indépendant. Le Bureau considère donc également que sur ce point la proposition de loi constitue une régression par rapport à la législation déjà existante en matière de discrimination de genre.

Les articles 12, 14 et 15 élargissent également les compétences du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme à toutes les formes de discriminations sur la base des motifs repris dans la proposition de loi. Le Bureau du Conseil rappelle avec force son point de vue à ce sujet : à savoir que la défense des victimes de discrimination de genre devrait être attribuée à un Institut indépendant pour l'égalité des chances entre hommes et femmes (voir supra, p. 6) et demande que, si cette suggestion devait être suivie, la dénomination actuelle du Centre soit adaptée afin qu'aucune confusion ne soit désormais possible avec les instances existantes en ce qui concerne la politique de l'égalité des chances entre hommes et femmes.

D. Conclusions et suggestions

Le Bureau du Conseil :

­ accueille positivement l'initiative de rendre toutes les formes de discriminations punissables par le droit belge et souscrit à la préoccupation générale de la proposition de loi;

­ demande que le sexe en tant que motif de discrimination soit retiré de la proposition de loi et qu'il fasse l'objet d'une législation spécifique et indépendante;

­ espère que la discrimination sur le plan social sera traitée par une législation particulière et détaillée du droit social;

­ interpelle le gouvernement afin qu'il continue à mener une politique spécifique de l'égalité des chances entre hommes et femmes et qu'il y attribue les moyens nécessaires;

­ demande de prévoir une structure institutionnelle tridimensionnelle en matière d'égalité des chances entre hommes et femmes, laquelle rassemblerait un Institut pour l'égalité des chances entre hommes et femmes, un Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes et une Direction de l'égalité des chances;

­ interpelle le Parlement pour que, lors de l'examen de la proposition de loi, tous les acteurs concernés et toutes les « forces de la société » soient entendus;

­ engage le Parlement à demander l'avis du Conseil d'État concernant la proposition de loi susdite.

Le Bureau du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes.


ANNEXE 2


Avis de la Direction de l'égalité des chances relatif à la proposition de loi tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et lutte contre le racisme

Introduction

La Direction de l'égalité des chances du ministère de l'Emploi et du Travail est le seul service public fédéral ayant une compétence générale en matière d'égalité des chances entre les hommes et les femmes (5).

C'est avec intérêt que la Direction a pris connaissance de la proposition de loi introduite par M. Mahoux, tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme.

Cette proposition de loi tend à prévoir, pour notre pays, une loi d'application générale en matière d'égalité de traitement, visant à combattre diverses formes de discrimination.

La discrimination sexuelle étant mentionnée dans la proposition de loi, la Direction de l'égalité des chances estime devoir exprimer son point de vue et ses craintes quant à l'avenir de la politique d'égalité des chances entre hommes et femmes.

La Direction de l'égalité des chances souhaite attirer l'attention sur le fait que la discrimination sexuelle s'inscrit dans une logique transversale et nécessite donc une attention spécifique.

La discrimination sexuelle engendre une différence structurelle importante étant donné qu'elle n'affecte pas une minorité mais la moitié de la population. Chaque individu est soit homme, soit femme, il faut ainsi reconnaître la dualité du genre humain.

Il sera toujours nécessaire de mener une politique relative à l'égalité des chances entre hommes et femmes, politique caractérisée par des règles et actions qui auront une portée plus large que la simple mention de sanctions légales.

Pour ces raisons et en guise de participation au débat relatif à la réalisation d'une législation fondamentale, la Direction de l'égalité des chances souhaite attirer l'attention sur les aspects positifs et négatifs suivants de la proposition de loi par rapport à la politique d'égalité des chances entre hommes et femmes.

Aspects négatifs de la proposition de loi sous l'angle de l'égalité des chances entre hommes et femmes

1. La proposition de loi est relative à une multitude de discriminations (le sexe, l'orientation sexuelle, l'état civil, la naissance, l'âge, la fortune, l'état de santé, un handicap ou une caractéristique physique).

Or, le sexe ne peut être assimilé aux autres critères. En effet, du fait que le sexe figure dans toutes les autres catégories visées par les motifs de discrimination interdits et qui s'appliquent à des personnes sexuées, il ne peut en constituer un lui-même au même titre que les autres.

Concernant la discrimination sexuelle, il faut préciser qu'il existe pour cette dernière, une très grande différence structurelle au regard des autres formes de discrimination. En effet, le groupe exposé à la discrimination (en l'occurrence les femmes) se compose au moins de la moitié de la population. Dès lors on ne peut plus parler de discrimination d'une minorité.

Cette dernière constatation signifie entre autres qu'il y aura toujours besoin de règles spécifiques pour la politique d'égalité des chances entre hommes et femmes. Regrouper sous une seule appellation la discrimination sexuelle et les autres formes de discrimination, risque de déboucher sur le réel danger d'une dévaluation (également budgétaire) de la politique d'égalité des chances entre hommes et femmes de telle sorte qu'elle ne recevra plus l'attention nécessaire.

L'expérience enseigne en outre qu'à la base de ces différentes formes de discrimination se trouvent des problèmes sociaux divers et que les situations concrètes des différents groupes discriminés ne peuvent pas toujours être comparées.

2. Les arguments mentionnés ci-dessus ont été formellement reconnus par la Commission européenne dans sa proposition actuelle de directive faite au Conseil pour l'instauration d'un cadre général pour un traitement égal dans l'emploi et le travail (25 novembre 1999, COM (1999) 565), prise en exécution de l'article 13 du Traité d'Amsterdam.

Cette directive contient des règles destinées à combattre la discrimination sur la base de divers fondements, à l'exception du sexe. Cette abstention se justifie par le fait qu'un arsenal de directives existe de longue date dans le domaine de l'égalité des chances entre hommes et femmes, lesquelles ont engendré une jurisprudence spécifique. La discrimination sexuelle est en outre un terrain d'action spécifique pour lequel une réglementation particulière est nécessaire.

Ces raisons sont en outre explicitement mentionnées dans l'avis que le Comité d'avis pour l'égalité des chances entre hommes et femmes (organe consultatif de la Commission européenne) a émis le 1er septembre 1999 à propos du Traité d'Amsterdam et de son impact sur l'égalité des chances entre hommes et femmes.

Dans cet avis, le Comité demande à la Commission européenne de tenir compte de la politique d'égalité des chances entre hommes et femmes et de prévoir des règles spécifiques dans ce domaine (parmi lesquelles, un programme d'action en matière d'égalité des chances entre hommes et femmes).

3. La proposition de loi fait entre autres référence à l'article 13 du Traité d'Amsterdam. C'est précisément sur la base de cet article 13 que la Commission européenne est actuellement occupée à finaliser un certain nombre de directives antidiscriminatoires qui abordent des points similaires à ceux traités par le projet de loi.

Il est donc prématuré de prévoir une législation belge préalablement à la rédaction du texte définitif de la directive. En effet, si celle-ci s'éloignait de la loi belge sur quelque point que ce soit, cette dernière devrait rapidement être adaptée. Pour ces raisons, il serait préférable de suspendre d'adoption d'une loi générale jusqu'à l'adoption de la directive européenne.

4. Dans l'actuelle proposition de loi, aucune attention n'est portée à la cohérence avec la loi du 7 mai 1999 sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne les conditions de travail, l'accès à l'emploi et aux possibilités de promotion, l'accès à une profession indépendante et les régimes complémentaires de sécurité sociale. Cependant, cette loi contient des règles beaucoup plus précises contrairement au texte de la proposition de loi qui ne contient que des mentions très générales.

Ainsi, la proposition de loi ne donne aucune définition précise des notions de discrimination directe et indirecte. Par ailleurs, ni le partage de la charge de la preuve, ni la protection des personnes introduisant une plainte ne sont réglementés. Enfin, il n'y a aucune précision concernant les actions positives.

En outre, il convient d'indiquer les insuffisances de la notion de discrimination (article 2) car aucune précision n'a été mentionnée sur les effets préjudiciables que la différence peut engendrer (à comparer par exemple aux définitions de la proposition de directive :

­ discrimination directe = lorsque quelqu'un est traité ou pourrait être traité de façon plus défavorable en raison d'un des éléments cités dans l'article 1er (race, origine ethnique, religion, conviction, handicap, âge, orientation sexuelle);

­ discrimination indirecte = lorsqu'une disposition, une pratique ou un critère apparemment neutre affecte une personne ou des personnes en raison d'un des éléments mentionnés à l'article 1er.

La coexistence de la proposition de loi une fois adoptée et de la loi sur l'égalité hommes-femmes constitue un réel problème juridique car le texte de la proposition de loi ne contient que des règles de portée moins large et n'améliore pas la position juridique des victimes de discriminations sexuelles, telle que prévue par la loi du 7 mai 1999.

5. Plus globalement, le projet mentionne moins de règles concrètes, relatives aux discriminations rencontrées dans le droit social.

Seul l'article 2 mentionne que la définition de la discrimination englobe le « terrain social »; mais cette notion est beaucoup trop sommaire, étant donné la dimension et l'impact des discriminations sur le marché du travail.

À cet égard, il nous semble essentiel de mentionner que tant la législation que la jurisprudence relatives à l'égalité de traitement entre hommes et femmes (au niveau européen comme au niveau national) se sont précisément développées à partir du droit social tout particulièrement du fait que la discrimination sexuelle induisait de graves distorsions sur le marché du travail.

6. Il semble que la proposition de loi dans sa forme actuelle soit inspirée de la législation visant à lutter contre le racisme, sans analyse de l'adéquation du texte à la lutte contre les autres discriminations. C'est la raison pour laquelle une étude approfondie relative à la cohérence de la proposition de loi avec l'actuelle législation en matière d'égalité des chances entre hommes et femmes est nécessaire.

7. La proposition de loi attribue au Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme la compétence relative à la lutte contre toute forme de discrimination sexuelle, matière qui est actuellement de la compétence de la Direction de l'égalité des chances du ministère fédéral de l'Emploi et du Travail.

Il nous faut, à cet égard, insister sur plusieurs points. Le centre n'a aucune expertise dans le domaine de l'égalité des chances entre hommes et femmes. En outre, la mise en oeuvre d'une politique d'égalité des chances entre hommes et femmes dépasse la simple inscription dans le droit des luttes contre la discrimination sur la base du sexe si pertinente soit-elle. En effet, cette politique doit veiller à la mise en oeuvre des actions positives, du mainstreaming, de la mise en réseau, de l'amplification de la diffusion de l'information, de la sensibilisation de la société et du monde politique.

La politique d'égalité des chances entre hommes et femmes dans toutes ces composantes risque de ne plus faire l'objet que d'une attention limitée si le centre devenait compétent dans ce domaine.

Si pourvoir un organisme public de la compétence d'assistance juridique aux victimes de discriminations sexuelles est un projet que nous approuvons, nous suggérons d'élargir les compétences de l'actuelle Direction de l'égalité des chances à l'assistance juridique et à la médiation telle qu'elle existe en Scandinavie.

L'avantage d'un tel système est que le service concerné reste étroitement impliqué dans le processus politique décisionnel, de sorte que sa compétence peut être utilisée d'une manière pro-active dans le développement de règles dans le domaine de l'égalité des chances entre hommes et femmes.

L'expérience vécue par d'autres pays (Espagne ­ Instituto de la Mujer) démontre que les organismes indépendants ne disposent pas, en général, d'un pouvoir d'influence suffisant sur les décisions politiques et ne peuvent dès lors intervenir que postérieurement.

Aspects positifs de la proposition de loi sous l'angle de l'égalité des chances entre hommes et femmes

1. La proposition de loi attribue à des organisations concernées (par exemple, associations de femmes) la compétence d'ester au nom des victimes de discriminations.

Il est nécessaire de mentionner qu'une proposition de loi, actuellement pendante, vise à inscrire cette possibilité dans la loi du 7 mai 1999 sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes (doc. Parl. - Sénat, nº 2-96/1).

2. Le champ d'application de la proposition de loi est très large. Elle vise non seulement à combattre la discrimination sexuelle au niveau social, mais aussi dans les domaines politique, économique et culturel.

En outre, elle sanctionne la discrimination sexuelle dans l'offre de biens et de services.

Cependant, la question de la compétence du législateur fédéral reste posée par rapport à certaines compétences qui relèvent des communautés et/ou des régions (par exemple : en matière culturelle).

Direction de l'égalité des chances,

Ministère fédéral de l'Emploi et du Travail


ANNEXE 3


Note sur la lutte contre les discriminations et sur le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme

(adoptée par le Conseil des ministres le 17 mars 2000)

1. INTRODUCTION

2. LA POLITIQUE GÉNÉRALE EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

2.1. La lutte contre les discriminations

2.2. La lutte contre les discriminations basées sur l'origine nationale ou ethnique et le racisme organisé

3. L'ÉLARGISSEMENT DES COMPÉTENCES DU CENTRE POUR L'ÉGALITÉ DES CHANCES ET LA LUTTE CONTRE LE RACISME

3.1. État de la situation

3.2. Propositions d'extension des compétences du Centre

3.3. Le Service des migrations

4. CADRE INSTITUTIONNEL ET BUDGET

4.1. L'extension des compétences du Centre devrait s'inscrire dans les principes suivants

4.2. Moyens humains et budgétaires

1. INTRODUCTION

La persistance des discriminations dont sont victimes certaines catégories de personnes, que ce soit dû à leur sexe, à leur orientation sexuelle, à leur âge, à leur situation de santé ou à leur nationalité, a conduit les États membres de l'Union européenne à adopter une disposition anti-discriminatoire dans le Traité d'Amsterdam.

L'accord de gouvernement fédéral du 7 juillet 1999 stipule clairement que le gouvernement fédéral, outre l'évaluation des législations actuelles contre le racisme et le négationnisme, entend développer la lutte contre toute forme de discrimination, par l'adoption d'une loi interdisant notamment la discrimination en matière d'orientation sexuelle.

En effet, sur le plan national, les dispositions constitutionnelles et légales visant à lutter contre ces discriminations sont soit insuffisantes, soit inexistantes.

De plus, les partis et les mouvements dont le fondement idéologique est la discrimination, tant envers les étrangers que les femmes ou les homosexuels, constituent un danger permanent pour les valeurs démocratiques et doivent dès lors être combattus avec une détermination sans faille.

Afin de permettre à la Belgique de mener une politique volontariste et efficace de lutte contre ces discriminations, il convient dès lors :

­ d'adopter une législation générale contre toutes les formes de discrimination;

­ de modifier la loi tendant à réprimer l'incitation à la haine raciale afin d'en accroître l'efficacité;

­ d'améliorer l'accueil des victimes de discrimination, en collaboration avec tous les services publics et privés concernés;

­ de stimuler les autorités judiciaires à poursuivre les auteurs de comportements discriminatoires;

­ de renforcer la cohérence politique et institutionnelle de tous les dispositifs d'action positive en la matière entre les différents niveaux de pouvoir;

­ de se doter d'une institution publique indépendante compétente pour la prise en charge des victimes de ces discriminations et mandatée pour apporter aux autorités publiques une évaluation permanente des politiques mises en oeuvre, et ce, par l'élargissement des compétences du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme.

Cette note d'orientation générale dresse donc un bilan de l'état actuel des politiques de prévention et de répression de la discrimination. Elle propose une série de modifications légales et institutionnelles afin de doter la Belgique de tous les outils nécessaires pour mettre en oeuvre une telle politique.

Dans ce processus, la dimension du genre sera intégrée, afin de prendre en compte l'impact des mesures prises sur l'égalité des femmes et des hommes.

2. LA POLITIQUE GÉNÉRALE EN MATIÈRE
DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

2.1. Une loi générale tendant à lutter contre la discrimination

Un traitement différencié imposé à certaines catégories de personnes sur la base de critères arbitraires n'est pas acceptable dans une société démocratique.

Les articles 10 et 11 de la Constitution, l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et les articles 2 et 26 du Pacte international relatif aux droits politiques et sociaux sont clairs quant au fait que le principe de non-discrimination représente un élément fondamental d'un régime démocratique.

Le Traité d'Amsterdam renforce la protection des droits fondamentaux dans l'Union européenne, notamment par l'insertion dans le Traité de l'Union d'une disposition obligeant les États membres à prendre des mesures non seulement contre la discrimination raciale, mais également contre la discrimination d'individus ou de groupes définis en fonction de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur âge, d'une maladie ou d'un handicap, de leurs opinions politiques ou de leurs convictions religieuses.

Une proposition de loi déposée le 14 juillet 1999 au Sénat par M. P. Mahoux, Mme I. Van Riet, M. C. Mahassine, Mme M. Nagy et de M. F. Lozie s'approche de l'objectif visé par le Traité d'Amsterdam et anticipe sa mise en oeuvre par une directive européenne.

L'accord de gouvernement pour la présente législature comporte une référence explicite à ce qui fait l'objet de cette proposition.

Le dispositif proposé repose sur les principes suivants :

a) la distinction entre une législation spécifique contre le racisme et une loi générale contre la discrimination en raison de traits d'identité autres que ceux stigmatisés par le racisme;

b) les discriminations visées par la proposition se limitent à bon droit à celles qui visent des identités et des styles de vie que les individus n'ont pas l'opportunité de choisir ou de modifier, à savoir :

­ le sexe,

­ l'orientation sexuelle,

­ la naissance,

­ l'état civil,

­ la maladie,

­ le handicap,

­ l'âge.

Une différence de traitement commise sur la base de ces critères et qui ne peut être raisonnablement justifiée, est aussi inacceptable que la discrimination raciale et doit être combattue activement au nom de la tolérance et de la démocratisation de notre société.

c) les auteurs de discriminations visées par la proposition de loi peuvent faire l'objet d'une action en réparation devant les juridictions civiles et de poursuites pénales. Si la discrimination est commise par voie d'acte administratif, ce dernier peut être spécialement annulé par le Conseil d'État;

d) l'incitation à la discrimination est également visée. Outre les réparations et les sanctions pénales, la propostion prévoit qu'il peut être mis un terme à sa propagation par voie d'action judiciaire en référé;

e) la proposition prévoit enfin de confier au Centre pour l'égalité des chances la capacité d'accompagner la victime d'une discrimination et de se constituer partie civile à ses côtés.

L'adoption rapide de cette proposition de loi créerait un instrument efficace de lutte contre des pratiques d'exclusion qui, avec l'évolution de l'éthique et des moeurs, sont devenues injustifiables aux yeux d'une très grande majorité de nos concitoyens.

2.2. La lutte contre les discriminations basées sur l'origine nationale ou ethnique et le racisme organisé

2.2.1. Les dispositions constitutionnelles et légales

Le législateur a adopté depuis près de vingt ans, une série d'instruments juridiques qui répriment l'incitation à la haine raciale :

- la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, modifiée par la loi du 12 avril 1994 qui étend le champ d'application de la loi aux domaines du logement et des relations professionnelles;

- la loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimalisation, la justification ou l'approbation du génocide commis pendant la deuxième guerre mondiale par le régime national-socialiste allemand;

- la loi du 10 avril 1995 insérant un article 15bis dans la loi du 4 juillet 1989 relative à la limitation et au contrôle des dépenses électorales ainsi qu'au financement et à la transparence de la comptabilité des partis politiques;

- la loi du 12 février 1999 insérant un article 15ter relatif à la limitation et au contrôle des dépenses électorales, dans la loi du 4 juillet 1989 précitée;

- la loi du 7 mai 1999 relative à l'inéligibilité des personnes condamnées pour incitation au racisme;

- la loi du 16 juillet 1973 dite du « Pacte culturel », qui garantit la protection des courants idéologiques et philosophiques, plus particulièrement son article 3;

- la loi du 15 février 1993 relative à la création du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme.

À ces différentes législations, il faut ajouter :

­ les articles 10 et 11 de la Constitution relatifs aux principes d'égalité et de non-discrimination;

­ l'article 150 de la Constitution relatif à la correctionnalisation des délits de presse à caractère raciste ou xénophobe;

­ l'article 191 de la Constitution relatif à la non-discrimination entre Belges et étrangers.

Enfin, il convient de souligner :

­ la Convention des Nations unies du 7 mars 1966 sur l'élimination de toutes formes de discriminations raciales;

­ la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, plus particulièrement l'article 14;

­ l'article 13 du Traité d'Amsterdam relatif à l'Union européenne.

Sur le plan réglementaire, on attirera encore l'attention sur l'arrêté royal du 8 octobre 1998 rendant obligatoire la convention collective de travail 38ter du 17 juillet 1998 relative à l'égalité de traitement et à la non-discrimination dans les conditions de recrutement des travailleurs.

2.2.2. Les limites de l'application de ces dispositions

Certaines difficultés pratiques empêchent encore trop fréquemment la pleine et nécessaire application de la loi pénale. Parmi celles-ci, relevons : les difficultés rencontrées par les populations étrangères à franchir les filtres initiaux que peuvent parfois représenter la police ou la gendarmerie pour l'enregistrement de plaintes ou l'établissement de procès-verbaux, la difficulté d'administrer la preuve de l'intention raciste derrière un certain nombre d'actes racistes, le manque de persévérance parfois rencontré chez certains plaignants dont l'active collaboration est souvent indispensable, les réticences parfois présentes auprès de certains parquets, la quasi-immunité dont ont bénéficié jusqu'il y a peu les écrits racistes pour la seule raison qu'ils étaient assimilés à des délits de presse.

Malgré l'urgence de prendre des mesures contre le racisme, on constate près de 18 années après son adoption que la législation antiraciste est peu appliquée.

Entre 1981 et 1989, période durant laquelle les statistiques sont disponibles, 1 266 plaintes ont été déposées, dont 987 ont été classées dans suite. Durant cette période, seuls 43 dossiers ont fait l'objet d'une décision judiciaire dont 16 condamnations, 14 acquittements et 4 renvois des poursuites.

Cependant, au cours de ces dernières années, le nombre de décisions judiciaires prises en application de la loi du 30 juillet 1981 a connu une forte progression. Au cours de la seule année 1998, onze procédures judiciaires ont trouvé leur aboutissement.

Cela étant, il demeure que trop peu de condamnations fondées sur la loi antiraciste ont été prononcées au regard du nombre de plaintes déposées.

Épinglons cependant les condamnations suivantes :

- « Sale juif, retourne en Israël » (Corr. Bruxelles, 20 avril 1983),

- « raton » (Corr. Charleroi, 23 décembre 1987),

- la subordination de l'accès à un dancing à la présentation d'une carte d'identité de Belge (Corr. Termonde, 21 octobre 1986),

- le refus d'un cafetier de servir à boire en raison de l'origine marocaine (Liège, 11 mars 1988),

- la limitation aux seuls « Belges de nature » de location d'appartements (Corr. Anvers, 21 juin 1996),

- la prestation de serment d'un conseiller communal à la manière du salut hitlérien (Corr. Bruxelles, 15 juillet 1996),

- l'usage du terme « nègre », stigmatisé par la cour d'appel de Liège récemment (Liège, 18 octobre 1999),

- des condamnations fondées sur la loi de 1981 ont également été prononcées en 1998 contre certains para-commandos ayant commis des exactions à caractère raciste lors de l'opération « Restore Hope » en Somalie en 1993,

- la condamnation de propos racistes sur Internet par le tribunal correctionnel de Bruxelles le 22 décembre 1999, suite à la récente correctionnalisation du délit de presse à caractère raciste.

À l'inverse, il faut constater les éléments suivants : l'utilisation du terme « bougnoule » n'a pas été retenu comme une incitation à la haine raciale (Corr. Bruxelles, 30 décembre 1982), et dans un certain nombre de cas, les tribunaux correctionnels n'ont pas poursuivi, soit parce que le caractère raciste de l'infraction était subsidiaire à une infraction principale (violence par exemple), soit au motif d'irrecevabilité (délit de presse), soit qu'une caricature ­ à caractère xénophobe ­ est par essence exagérée et ne démontre pas le caractère discriminatoire des propos tenus dans la publication.

Enfin, il convient de souligner particulièrement que l'application de l'article 2bis, qui concerne l'interdiction de la discrimination dans les relations de travail, demeure problématique, alors qu'il a été démontré scientifiquement l'ampleur des discriminations à l'embauche. Plusieurs raisons peuvent être avancées à ce propos.

Pour remédier à une série de causes de non application de la loi, il est proposé les mesures suivantes.

2.2.3. Propositions de modifications de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie

A. Ériger le motif abject en circonstance aggravante

Prévoir dans le Code pénal que « quiconque est convaincu d'avoir commis un crime ou un délit visés aux articles 393, 394, 395, 396, 397, 398, 401bis, 402, 405, 422bis, 422ter, 434, 448, 453 du Code pénal à l'égard d'une personne pour un motif abject est puni de la peine immédiatement supérieure à celle qui est fixée pour le crime ou le délit ».

Modifier la loi du 30 juillet 1981 en vue d'incriminer l'injure raciste.

Commentaire :

Directement inspirée du droit allemand, la première proposition vise à ériger le motif abject en circonstance aggravante lors de la commission de certains délits ou crimes. Il est entendu que l'intention raciste entre dans le champ d'application de la notion de motif abject (c'est la conclusion de la jurisprudence allemande).

Les crimes et délits concernés sont les suivants :

Articles 393 à 398 et 401bis, 402 et 405 : homicide et coups et blessures volontaires;

Articles 422bis et 422ter : abstention de porter secours à personne en danger;

Article 434 : enlèvement et séquestration de personnes;

Article 448 : injures;

Article 453 : violation de tombeaux et de sépultures.

Il y a d'autres exemples pour lesquels le législateur pénal érige en circonstances aggravantes une intention précise. On peut citer par exemple l'esprit de lucre, érigé par l'article 123ter en circonstance aggravante de certaines atteintes à la sûreté de l'État.

Par ailleurs, il est proposé de préciser que l'injure raciste proférée dans l'une des circonstances indiquées à l'article 444 du Code pénal tombe bien sous le coup de la loi du 30 juillet 1981. Aux termes de la loi actuelle, l'injure raciste n'est punissable que s'il est démontré qu'elle a été commise en vue d'inciter autrui à la haine raciale. Un tel système est de nature à profiter aux auteurs de propos ouvertement racistes car il est difficile ou aléatoire de démontrer qu'une injure raciste a été commise en vue de provoquer un sentiment de haine chez autrui.

B. Dans l'article 2bis, ajouter un alinéa 3 :

« lorsqu'une plainte est déposée auprès du ministère public ou d'un juge d'instruction, ceux-ci peuvent procéder ou faire procéder à un test de situation, afin d'établir le caractère discriminatoire de l'acte incriminé » (valable au civil comme au pénal).

Commentaire :

Cette disposition reconnaît la valeur probatoire du test de situation. Elle sera utile en matière de lutte contre la discrimination sur les lieux de travail et en matière d'accès aux logements.

C. Cohérence légistique du texte de la loi

Aux articles 1er, alinéa 2, 3º, 2, alinéa 1er, 2bis, 4, alinéa 1er, remplacer les mots « de son origine ou de sa nationalité » par les mots « de son origine nationale ou ethnique ». Aux articles 1er, alinéa 2, 4º, 2, alinéa 2, 4, alinéa 2, remplacer les mots « de l'origine ou de la nationalité » par les mots « de l'origine nationale ou ethnique ».

Commentaire :

À l'heure actuelle, deux expressions différentes sont utilisées par la loi. On dit tantôt « de l'origine ou de la nationalité » et tantôt « de l'origine nationale ou ethnique ».

Il ne semble pas y avoir de différence de sens entre les différentes expressions. La légistique exige donc que la même expression soit utilisée dans l'ensemble de la loi.

D. Suppression de la notion de « race » dans la loi :

La notion de « race » se retrouve dans les articles 1er, 2 et 4 de la loi. Il convient de la supprimer.

Commentaire :

La notion de « race » n'a pas d'utilité lorsqu'il s'agit d'êtres humains. Les travaux menés en biologie et en génétique ont montré à suffisance que l'espèce humaine ne peut faire l'objet d'une division en races.

Par contre, la croyance qu'il existe différentes races humaines alimente, dans une certaine mesure, les idéologies racistes.

L'utilisation de cette notion par la loi lui confère une légitimité indue. Dès lors, il est souhaitable d'adapter la terminologie de la loi, de façon à éviter toute confusion. La disparition du concept de race accrédite l'idée que le racisme ne repose sur aucune réalité biologique.

E. Compétence de l'Inspection sociale

Il est proposé d'autoriser l'Inspection sociale à faire un rapport relativement à toute discrimination ou infraction aux lois antidiscriminatoire qu'elle constate, en vue de transmettre ce rapport aux autorités compétentes (le cas échéant au parquet).

F. Modifications en matière de preuves

Admettre la recevabilité de la preuve par données statistiques en matière civile et pénale.

Commentaire :

Le critère statistique est une indication objective de discrimination potentielle. Elle permet de mieux répartir la charge de la preuve. La jurisprudence néerlandaise admet ce mode de preuve, notamment pour démontrer la discrimination pratiquée par des sociétés de logement.

Ce système n'induit aucun renversement de la charge de la preuve. Il s'agit uniquement de permettre au parquet et au juge de tenir compte de ce genre de données.

G. Extension du champ d'application de l'article 2bis de la loi de 1981 précitée à des groupes

Commentaire :

L'article 2bis de la loi ne vise que la discrimination au travail à l'égard d'une personne. Il ne sanctionne pas les actes de discrimination et de ségrégation envers un groupe. Or, il n'est pas exclu qu'en cas de licenciement collectif, par exemple, les étrangers travaillant dans l'entreprise soient visés en priorité.

Cette disposition sanctionnerait également par exemple l'installation de vestiaires séparés ou l'aménagement d'un réfectoire distinct pour les étrangers sur le lieu de travail.

H. Développement de procédures civiles en matière de racisme

Insertion dans la législation contre le racisme de dispositions analogues à celle prévues par les articles 8 à 11 et 13 de la proposition de loi du 14 juillet 1999 tendant à lutter contre les discriminations (...).

Commentaire :

En cas de discrimination, ces dispositions permettent, selon la nature du préjudice :

- d'annuler certaines clauses d'un contrat;

- d'obtenir la cessation d'un acte par le tribunal de première instance et d'obtenir des dommages et intérêts;

- d'enclencher une procédure en référé et le cas échéant une décision applicable sous l'astreinte.

Ces moyens sont potentiellement efficaces pour combattre la discrimination raciale dans les relations entre particuliers spécialement en matière d'emploi et de logement.

2.2.4. Propositions complémentaires

Parallèlement aux mesures évoquées ci-avant, il importe à la fois de veiller à opérationnaliser les moyens existants et de mieux utiliser ceux-ci.

À cet égard, les mesures suivantes sont proposées :

­ Adoption dans les meilleurs délais de l'arrêté royal fixant la procédure et les modalités d'audition des intéressés dans le cadre de l'application de la loi du 12 février 1999 relative à la limitation et au contrôle des dépenses électorales.

­ Adoption par le collège des procureurs généraux d'une circulaire incitant les parquets à poursuivre les infractions à la loi contre le racisme (y compris lorsqu'elles sont le fait de parlementaires); en cas d'inertie, il convient d'exercer le droit d'injonction positive dont dispose le ministre de la Justice.

­ Encourager les parquets à faire usage, dans les affaires de racisme, de la médiation pénale et des travaux d'intérêt général institués par les lois du 10 février 1994.

­ En matière de fonction publique, permettre au centre, lorsque ce dernier est en possession d'informations concernant une discrimination commise par un fonctionnaire, de contraindre l'administration à s'informer à ce propos, aux fins, si les faits sont avérés, d'envisager la mise en branle d'une procédure disciplinaire; obliger l'administration à informer le centre du suivi réservé à sa démarche.

­ En collaboration avec les partenaires sociaux, inviter les entreprises à adhérer à un « code de bonne conduite » sur le modèle du code d'éthique publicitaire, par lequel elles s'engagent à ne pas prêter leur concours à des initiatives ou activités à caractère raciste; négocier des protocoles avec La Poste et les entreprises de distribution privées afin d'empêcher la diffusion de propagande raciste.

­ Amplifier les programmes de sensibilisation et de formation des policiers et des magistrats à la luttre contre le racisme.

­ Évaluer si la législation anti-racisme permet de réprimer efficacement la diffusion de propos racistes et révisionnistes via l'Internet.

­ Adapter la nomenclature des infractions des procès-verbaux des services de police afin d'identifier les comportements discriminatoires.

­ Mise au point d'un outil statistique auprès du centre afin d'évaluer en permanence les conditions d'application des législations anti-discriminations.

­ Renforcer le dispositif de l'article 5bis de la loi du 30 juillet 1981 qui habilite notamment le juge à prononcer la déchéance ou la révocation des députés permanents, bourgmestres, échevins et fonctionnaires qui ont tenu des propos incompatibles avec la fonction qu'ils exercent (notamment des propos de type raciste ou révisionniste).

Il serait encore opportun que le gouvernement marque son intérêt auprès de l'Union européenne en vue d'un bon fonctionnement de l'Observatoire des phénomènes racistes et xénophobes, l'Agence européenne chargée de lutter contre le racisme, située à Vienne.

3. ÉLARGISSEMENT DES COMPÉTENCES
DU CENTRE POUR L'ÉGALITÉ DES CHANCES ET
LA LUTTE CONTRE LE RACISME

3.1. État de la situation

Rappel historique

À l'issue du mandat de 4 ans du commissariat royal à la politique des immigrés, le Parlement a, par la loi du 15 février 1993, instauré un service public autonome, le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, chargé de :

- promouvoir l'égalité des chances et combattre toute forme de distinction, d'exclusion, de restriction ou de préférence fondée sur la race, la couleur, l'ascendance, l'origine ou la nationalité;

- stimuler la lutte contre la traite des êtres humains au travers de la loi du 13 avril 1995;

- coordonner les politiques de lutte contre la pauvreté et la précarité au travers de l'accord de coopération en la matière.

La loi donne également mandat au centre d'adresser tout avis ou recommandation aux autorités publiques en vue de l'amélioration des réglementations et pratiques en matière de lutte contre le racisme et d'intégration des populations de nationalité ou d'origine étrangère.

Une conférence interministérielle à la politique des immigrés a régulièrement réuni les représentants des différents niveaux de pouvoir aux fins d'entendre les propositions concrètes du centre et de les relayer vers les gouvernements respectifs.

Le bilan de l'action du centre

Pour remplir les missions confiées par la loi en matière de racisme, trois secteurs distincts ont été développés :

- le traitement des plaintes concernant le racisme et les discriminations;

- le suivi des politiques d'intégration et d'immigration;

- le secteur de la sensibilisation et de la formation.

Le traitement des plaintes

Dès 1993, le centre a pris en charge de nombreuses victimes du racisme et a décentralisé ses services d'accueil en ouvrant des services locaux de lutte contre le racisme dans toutes les grandes et moyennes entités urbaines des trois régions du pays. Douze services sont actuellement en fonction.

Les plaintes traitées concernent en particulier les discriminations dans les services publics (forces de l'ordre, enseignement, administrations communales, ...), les comportements racistes dans le cadre de la vie quotidienne (problème de voisinage), la discrimination à l'emploi et au logement, les plaintes concernant une application disriminatoire de la législation (nationalité, regroupement familial, délivrance des visas, ...). Enfin, le centre est de plus en plus saisi de plaintes relatives à la propagande et aux tracts à caractère raciste.

L'essentiel des dossiers est traité au travers d'une démarche de médiation entre le plaignant et l'auteur de la la discrimination. Dans les situations flagrantes et exemplaires, le centre dépose plainte ou se constitue partie civile auprès des autorités judiciaires. Une analyse évolutive de ces plaintes trouve place chaque année dans le rapport annuel du centre et un recueil relatif à l'évolution de la jurisprudence a été publié en 1999.

Les principaux freins et écueils rencontrés touchent à la fois à la nature de la loi et aux difficultés de preuve. La bonne application de la loi se heurte en outre à des obstacles de nature plus institutionnelle voire corporatiste. À titre d'exemple, la difficulté de poursuite en cas de plainte liée aux services de police, pour lesquelles l'opacité de l'institution et la communication par trop lapidaire avec le comité P n'ont le plus souvent pas permis des conclusions satisfaisantes pour les victimes.

En conlusion, le centre poursuit les objectifs suivants :

- une prise en charge optimale de la victime d'une discrimination;

- une action préventive envers l'auteur de la discrimination;

- la constitution progressive d'une jurisprudence en matière de lutte contre le racisme.

Les politiques d'intégration et d'immigration

Cette politique s'articule autour de deux axes :

­ des recommandations en matière législative et réglementaire : acquisition de la nationalité belge, exercice du droit de vote, exercice d'une activité professionnelle indépendante pour les étrangers, statut de séjour à l'étranger, ...

­ expertises, consultations multiples, avis et recommandations dans les secteurs de la vie sociale qui touchent aux processus d'intégration : emploi, accès à la fonction publique, santé, logement, enseignement, pratique du culte, loisirs, sports, résidence et installation de gens du voyage, ...

Très majoritairement, ces propositions ont été traitées en conférence interministérielle à la politique des immigrés et suivies avec les responsables politiques et administratifs des instances fédérales, communautaires ou régionales concernées. Des groupes de travail, des comités d'accompagnement ou des recherches-actions ont accompagné les démarches du centre.

Par ailleurs, des actions de sensibilisation (campagnes d'affichages, outils pédagogiques à destination du monde scolaire, ...) ont accompagné le travail sur ces thématiques.

Une réponse concrète de soutien a été apportée par la mise sur pied de formations de plus en plus nombreuses et pointues à l'attention, le plus souvent, d'agents de services publics : policiers, fonctionnaires du Commissariat général aux réfugiés et apatrides, surveillants pénitentiaires, agents communaux ou de CPAS, FOREM, ORBEM, VDAB, enseignants, militaires.

Pour certaines de ces actions, tant d'expertises en matière de politiques d'intégration que de formation, des conventions lient un ministère et le centre : par exemple, une convention entre le ministère de l'Intérieur et le centre assure une formation approfondie auprès de certaines polices communales.

Actions complémentaires ­ exemples

­ le centre assure le suivi administratif et l'accompagnement pédagogique du Fonds d'impulsion à la politique des immigrés;

­ le centre a accompagné activement le processus qui a abouti à la constitution de l'Exécutif des musulmans de Belgique;

­ le centre a collaboré à la création et à la mise en oeuvre du décret wallon relatif à l'intégration des personnes de nationalité ou d'origine étrangère;

­ la participation active du centre dans l'élaboration et la gestion de la Charte de non-discrimination dans l'enseignement de la Communauté flamande.

Par ailleurs, le centre a travaillé activement à la défense du droit des étrangers, notamment par sa participation aux commissions de surveillance des centres fermés et des régularisations, et a contribué à la récente opération de régularisation.

Enfin, au niveau européen, le centre participe aux travaux de l'Observatoire des phénomènes racistes de l'Union européenne à Vienne et à la Commission contre le racisme du Conseil de l'Europe.

3.2. Propositions d'extension des compétences du centre

Une fonction de médiation et d'accompagnement des victimes de discrimination

Le rôle du centre doit s'inscrire dans la politique qu'il remplit en matière de discrimination raciale : accueil et traitement de plaintes d'une part, avis et recommandations aux pouvoirs publics d'autre part.

À travers la philosophie développée dans la proposition de loi visant à lutter contre les discriminations, il convient que le centre se voie attribuer une compétence générale en la matière, prolongeant la compétence dont il dispose depuis 1993 pour lutter contre les discriminations raciales.

Dès lors, les compétences du centre devraient être élargies aux matières suivantes :

­ l'accueil des victimes de discrimination;

­ l'instruction de la plainte, l'information du plaignant sur ses droits et son orientation vers les services compétents;

­ la mise en oeuvre d'une médiation ou d'une conciliation à l'adresse de l'autorité, de l'organisme privé ou de la personne mis en cause;

­ en cas d'échec, le soutien de la plainte en justice et, éventuellement, la constitution de partie civile aux côtés de la victime de la discrimination.

La compétence du centre en matière de médiation sera élargie, ainsi que sa saisine éventuelle dans tous les cas de discrimination susceptibles de trouver une solution par ce moyen. À cette fin, le centre devrait se voir reconnaître un droit d'accès et de consultation de toutes les pièces nécessaires à l'appréciation du bien-fondé de la plainte, à l'instar des compétences que la loi reconnaît au Collège des médiateurs fédéraux. Les dispositions seront prises de telle manière à éviter la concurrence d'action entre les deux instances.

Une fonction de concertation

Outre le traitement des plaintes, le centre remplira une fonction de concertation visant la stimulation de politiques positives envers les groupes exposés à la discrimination.

Cette concertation sera organisée sur le plan politique par la création d'une conférence interministérielle à la politique de lutte contre les discriminations, placée sous la présidence du ministre qui a l'Égalité des chances et la lutte contre les discriminations dans ses attributions, et dont le centre assurera la préparation et le suivi des décisions.

Cette concertation sera également organisée sur le plan administratif par une intensification de la collaboration avec les services compétents.

Par exemple, en ce qui concerne la problématique hommes/femmes, le Conseil de l'égalité des chances et le service administratif concerné attachés auprès du ministère de l'Emploi et du Travail, formulent des avis relatifs aux droits des femmes et à la parité mais n'accueillent aucune plainte individuelle. Un protocole d'accord entre le centre et cette instance consultative permettrait d'intensifier la politique d'égalité des chances et de renforcer la lutte contre les discriminations sexuelles. Autre exemple : le Conseil supérieur pour les personnes handicapées, qui pourra conclure un protocole d'accord avec le centre si cela s'avère utile.

Enfin, en ce qui concerne la concertation avec les associations et la société civile, l'expérience du centre pourrait être mise à profit pour assurer un dialogue permanent entre les publics concernés par les discriminations et les autorités publiques chargées de les combattre.

Une fonction d'expertise, d'avis et de recommandations

Comme il le fait en matière de lutte contre le racisme depuis 1993, le centre développera des programmes de sensibilisation et de formation. Il déposera par ailleurs des propositions dans les différents domaines concernés.

Par exemple :

­ l'évaluation de la loi sur le contrat d'union civile;

­ le relevé systématique des inégalités de traitement envers les personnes moins valides;

­ des propositions visant à parachever l'égalité de droit entre enfants légitimes et illégitimes;

­ une évaluation sur l'accès à certaines prestations sociales et commerciales de certaines catégories de patients notamment celles souffrant d'affections liées au virus HIV;

­ l'analyse des critères de choix des bénéficiaires de don d'organe, notamment en fonction de l'âge;

­ l'analyse des critères de sélection des candidats à l'emploi en fonction de l'âge;

­ ...

Par ailleurs, afin d'appuyer les avis et recommandations, les programmes de la recherche scientifique devront inclure des études approfondies en matière de discrimination, en étroite collaboration avec le centre.

3.3. Le service des migrations

L'actuel Centre pour l'égalité des chances bénéficie d'une expérience en matière d'immigration. Il s'est toujours activement préoccupé de ce problème depuis qu'il existe. Il a participé aux travaux de la commission de régularisation mise en place par le gouvernement précédent. Il est associé par la réglementation au contrôle des conditions de vie au sein des centres fermés. Il a joué un rôle significatif dans la mise en oeuvre de la campagne de régularisation des étrangers en séjour illégal, etc.

Toutefois, son rôle en matière d'immigration demeure largement informel. L'absence de fondement légal suffisant ne lui permet pas toujours de garantir toute la cohérence voulue à ces actions. En conséquence, il est proposé de modifier la loi du 15 février 1993 créant le centre, en vue de lui conférer les compétences suivantes :

1º constituer une banque de données relative à la démographie migratoire, programmation et budget pour faire réaliser des études prospectives sur les flux migratoires par des centres de recherche; réaliser des études à la demande des pouvoirs publics;

2º développer la concertation et le dialogue avec tous les acteurs publics et privés concernés par les politiques d'intégration (rôle d'interface);

3º assurer une médiation en cas de problème avec les autorités communales;

4º stimuler des politiques d'accueil et d'intégration sociale des étrangers en Belgique.

Les compétences exercées par le centre en matière de lutte contre la pauvreté et la précarité sont transférées au ministre ayant l'intégration sociale dans ses attributions.

4. CADRE INSTITUTIONNEL ET BUDGET

4.1. L'extension des compétences du centre devrait s'inscrire dans les principes suivants :

­ une autonomie lui permettant de rencontrer l'ensemble de ses missions vis-à-vis des différents gouvernements concernés, des administrations locales, régionales, communautaires et fédérales;

­ l'organisation d'un débat annuel au Parlement sur l'évaluation et les recommandations du centre en matière de lutte contre les discriminations;

­ la réunion deux fois par an au moins de la conférence interministérielle de lutte contre les discriminations dont le centre pourrait assurer l'ordre du jour et le secrétariat;

­ les décisions prises en conférence interministérielle seraient suivies par le centre et accompagnées activement par le ministre qui a l'Égalité des chances et la lutte contre les discriminations dans ses attributions et les ministres présidents des communautés et des régions.

4.2. Moyens humains et budgétaires

­ il convient de s'assurer que le centre bénéficie des moyens humains et financiers liés à l'extension de ses missions;

­ son cadre devrait être augmenté au minimum d'une dizaine de fonctions supplémentaires;

­ dans la nécessaire réévaluation financière, le budget devra intégrer les moyens nécessaires aux actions de communication, de sensibilisation et de création d'outils pédagogiques;

­ le budget et le suivi financier de l'institution seront contrôlés, comme à l'heure actuelle, par un commissaire du gouvernement, sur base d'une comptabilité actualisée et répondant aux normes en vigueur dans toute administration.


(1) Voir annexe 1.

(2) Voir annexe 2.

(3) Voir annexe 3.

(4) L'avis du Bureau du Conseil de l'égalité des chances pour les hommes et les femmes du 7 mars 2000 a analysé la proposition de loi de façon très approfondie. Cet avis contient d'autres observations juridiques qui, en tout cas, exigent plus ample examen, mais qui ne concernent pas en tant que telles la problématique de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (par exemple, répartition des compétences au regard de la Constitution, coexistence de la proposition de loi avec des propositions de directives pendantes dans le cadre de l'article 13 du Traité d'Amsterdam, ...)

(5) Le rapport de travail de la Direction de l'égalité des chances (1er janvier 1998 - juin 1999) est disponible auprès de l'Espace Info du ministère fédéral de l'Emploi et du Travail.