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Sénat de Belgique

SESSION DE 1999-2000

8 FÉVRIER 2000


Proposition de résolution visant à préserver le site péruvien de Machu Picchu d'une exploitation commerciale et touristique extrême

(Déposée par M. Vincent Van Quickenborne)


Le site archéologique de Machu Picchu est le témoignage le mieux conservé qui nous soit parvenu du génie bâtisseur et de la technologie des Incas. Il doit sa rénommée à la manière dont il est intégré dans le sanctuaire grandiose formé par la montagne environnante. Or, la préservation du site de Machu Picchu pour les générations à venir est aujourd'hui sérieusement menacée.

Dans le cadre de sa tentative de privatisation des secteurs économiques, le gouvernement péruvien a fortement encouragé le projet de construction d'un téléphérique permettant d'accéder aux ruines de Machu Picchu. Cette installation transporterait jusqu'au site 400 personnes à l'heure, soit plus du double du nombre actuel de visiteurs.

Un projet est par ailleurs en préparation, qui prévoit la construction d'un complexe touristique de six étages (16 000 mètres carrés) comprenant, entre autres, un terminal pour le téléphérique, des boutiques de souvenirs, des restaurants et un hôtel. Selon diverses sources, les conditions du contrat autoriseraient même l'ouverture de boîtes de nuit et d'un casino.

Les Péruviens considèrent le site de Machu Picchu comme un trésor national faisant partie du patrimoine de leur peuple. Plusieurs lois ont été votées pour faire pression sur le gouvernement et l'obliger à protéger les ruines et les 32 592 hectares de réserve naturelle qui les entourent contre toute atteinte aux qualités immatérielles que recèle précisément le site de Machu Picchu.

En 1983, le Machu Picchu a été reconnu comme faisant partie du patrimoine mondial par l'Unesco, qui s'efforce ainsi de sauvegarder ce site incomparable pour les générations à venir.

Alors que l'objectif est d'attirer davantage de touristes à la « cité sacrée des Incas », ce projet de complexe risque à long terme d'en faire diminuer le nombre, car ce qui attire les visiteurs en quête de nature inviolée, c'est précisément l'isolement de ce site du Machu Picchu.

Selon le président du Comité de la Defensa del Santuario Historico de Machu Picchu , le projet prévoit la construction d'un grand complexe touristique moderne comme point de passage obligé de tous les visiteurs pour avoir finalement accès aux ruines proprement dites. Quant à la vue panoramique sur la montagne, elle sera gâchée par le téléphérique tendu entre l'hôtel et les ruines. D'autre part, ce projet soulève la question générale de savoir si une telle commercialisation de l'un des sites les plus célèbres au monde ne fait pas peser une menace sur l'ensemble des sites du patrimoine mondial.

Selon les mises en garde insistantes et répétées de scientifiques, l'emplacement prévu pour l'aménagement du terminal du téléphérique se situe exactement sur une faille où un gigantesque glissement de terrain risque de se produire. D'autres soulignent que si le projet se réalise, les dommages ne seront pas seulement géologiques, mais que les caractéristiques essentielles et immatérielles du site s'en trouveront également affectées.

Dans une lettre ouverte au président Alberto Fujimori, un forum international de scientifiques a fait savoir que « Machu Picchu risque d'être gravement endommagé par les aménagements proposés. De telles actions sont de nature à précipiter la destruction des monuments archéologiques et de l'écosystème environnant. Ce projet fait fi de toutes les recommandations de l'Unesco. (...) Les autorités péruviennes doivent se garder de sacrifier la préservation des richesses culturelles archéologiques du Pérou au profit économique à court terme. Le Pérou doit opter pour un développement politique et touristique qui ne mette pas en péril l'héritage architectural de la nation » (Traduction ).

La construction de ce téléphérique et d'un éventuel complexe touristique viole tant la législation péruvienne que les conventions internationales qui lient le Pérou.

L'article 21 de la Constitution péruvienne dispose que « les vestiges archéologiques, bâtiments, monuments, sites, etc. possédant une valeur historique sont réputés trésors culturels, font partie intégrante du patrimoine culturel de la nation et, comme tels, sont protégés par l'État » (Traduction ).

Sur le plan international, le Pérou est tenu d'assurer « l'identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et la transmission aux générations futures des sites de son territoire classés patrimoine mondial (cf. la Convention de l'Unesco pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, adoptée à Paris le 16 novembre 1972).

La Belgique quant à elle est tenue d'élever une protestation en vertu des dispositions de la Convention sur le patrimoine international, dont l'article 6.1 dispose :

« En respectant pleinement la souveraineté des États sur le territoire desquels est situé le patrimoine culturel et naturel visé aux articles 1 et 2, et sans préjudice des droits réels prévus par la législation nationale sur ledit patrimoine, les États parties à la présente convention reconnaissent qu'il constitue un patrimoine universel pour la protection duquel la communauté internationale tout entière a le devoir de coopérer. »

Vincent VAN QUICKENBORNE.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

A. considérant que le site de Machu Picchu figure sur la liste, dressée par l'Unesco, des monuments appartenant au patrimoine mondial;

B. que l'Unesco rayerait de cette liste le site de Machu Picchu si le téléphérique et son complexe touristique devaient être construits;

C. que la construction d'un téléphérique et d'un complexe adjacent occasionnerait des dommages irréversibles à la faune et à la flore locales, ainsi qu'au site archéologique lui-même;

D. qu'un comité international de scientifiques spécialisés s'est prononcé clairement contre le projet;

E. que les autorités péruviennes violeraient tant la législation nationale que les conventions internationales ratifiées par elles;

F. que les pays qui ont adhéré à la Convention de l'Unesco pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, ont l'obligation de rappeler les signataires aux devoirs qu'elle impose;

demande au gouvernement fédéral de mettre tout en oeuvre pour convaincre le gouvernement péruvien de renoncer à la construction d'un téléphérique et d'un complexe touristique aux abords du site de Machu Picchu.

Vincent VAN QUICKENBORNE.