2-329/2

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Sénat de Belgique

SESSION DE 1999-2000

22 FÉVRIER 2000


Projet de loi portant assentiment au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, fait à Rome le 17 juillet 1998


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES RELATIONS EXTÉRIEURES ET DE LA DÉFENSE PAR M. DEVOLDER ET MME LALOY


I. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU VICE-PREMIER MINISTRE ET MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Le vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères déclare que le projet de loi qui est soumis pour approbation au Sénat concerne l'assentiment parlementaire au Statut de la Cour pénale internationale, adopté le 17 juillet 1998 à Rome. L'objet de ce traité est d'instituer une Cour permanente chargée de la répression des violations les plus graves du droit international humanitaire commises par des personnes physiques. La Cour aura un caractère subsidiaire par rapport aux juridictions répressives nationales.

La Cour pourra connaître des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre les plus graves commis aussi bien dans le cadre d'un conflit armé international que dans le cadre d'un conflit armé non international ou encore du crime d'agression, pour autant, dans ce dernier cas, que l'Assemblée générale des États parties adopte une définition de ce crime. Le Statut permet toutefois à tout nouvel État partie de déclarer qu'il ne reconnaît pas automatiquement la compétence de la Cour pour les crimes de guerre pour une période ne pouvant excéder la septième année suivant l'entrée en vigueur du Statut à l'égard du déclarant.

La Cour ne pourra exercer sa juridiction que lorsque ces crimes n'auront pas été jugés au préalable par une juridiction nationale ou lorsque les enquêtes et poursuites menées au niveau national n'ont pas abouti en raison du manque de volonté ou de l'incapacité des organes chargés de l'enquête ou des poursuites de les mener véritablement à bien.

La Cour, composée de dix-huit juges répartis en chambres d'instruction, de première instance et d'appel, pourra être saisie de trois manières différentes.

Elle pourra être saisie d'une situation couvrant une ou plusieurs infractions, par le Conseil de sécurité, ou par un État partie au Statut. Mais elle pourra également être saisie directement par le Procureur de la Cour, agissant d'initiative, en toute indépendance, sous le seul contrôle des juges eux-mêmes, concernant un ou plusieurs crimes relevant de sa compétence.

Lorsque la Cour est saisie par un État partie ou par le procureur agissant d'initiative, une condition supplémentaire devra toutefois être réalisée : il faudra que l'État sur le territoire duquel l'infraction a été commise ou l'État de la nationalité de la personne poursuivie soit partie au Statut de la Cour ou qu'un de ces deux États aient reconnu la compétence de la Cour dans le cadre de l'affaire examinée.

Il s'agit cependant d'une condition très large puisque la reconnaissance de la juridiction de la Cour est automatique dès lors qu'un État devient partie au statut et, qu'à terme, le Statut a vocation à l'universalité des États parties. En outre, aucune réserve permanente au Statut n'est autorisée.

Le fonctionnement de la Cour est essentiellement autonome et son financement dépendra à la fois de l'organisation des Nations unies et des contributions des États parties, voire de contributions volontaires d'origine publique ou privée. Enfin, si le Conseil de sécurité peut suspendre momentanément le fonctionnement de la Cour, il ne peut le faire que par le biais de l'adoption d'une résolution explicite, à la majorité de ses membres sans veto pour une durée maximum de douze mois renouvelable, ce qui pourrait se comprendre, par exemple, dans le cadre de négociations de paix menées par la Communauté internationale.

II. DISCUSSION

Le ministre des Affaires étrangères souligne que jusqu'à présent, six États ont ratifié le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Il s'agit des îles Fidji, du Ghana, de l'Italie, de Saint-Marin, du Sénégal et de Trinidad et Tobago.

Notre pays pourrait donc être le deuxième État membre de l'Union européenne à ratifier ce Statut, qui entrera en vigueur soixante jours après que soixante États l'auront ratifié. La mise en place de la Cour pénale internationale constituera un progrès important dans le cadre de la politique de respect des droits de l'homme.

Un intervenant se demande si l'on ne pourra poursuivre que les ressortissants des États parties au Statut de la Cour.

Un autre membre se réjouit de la création d'une Cour internationale permanente chargée de réprimer les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime d'agression.

C'est grâce à l'évolution du contexte international et, en particulier, à la fin de la guerre froide, que l'on a pu aborder la question de l'impunité des auteurs de ce genre de crimes.

Le membre demande au ministre si la Cour pourra connaître des crimes qui ont été commis avant l'entrée en vigueur de son Statut, à quelles conditions les poursuites pourront être exercées et quelles seront les sanctions éventuelles.

Un troisième intervenant fait remarquer que les États-Unis n'ont pas signé le Statut de la Cour. Quelle sera alors l'efficacité de celle-ci ?

Le ministre des Affaires étrangères répond que la Cour peut être saisie de trois manières : par le Conseil de sécurité, par un État partie ou par le Procureur agissant d'initiative.

Si la Cour est saisie par le Conseil de sécurité, il n'y a pas de restriction particulière. Par contre, si elle est saisie par un État partie ou par le procureur agissant d'initiative, il faut que l'État sur le territoire duquel l'infraction a été commise ou l'État de la nationalité de la personne poursuivie soit partie au Statut de la Cour, ou qu'un de ces deux États aient reconnu la compétence de la Cour dans le cadre de l'affaire examinée.

Quant à la compétence rationae temporis , l'article 11 prévoit que la Cour ne peut connaître des faits commis avant l'entrée en vigueur du Statut.

Les négociations qui ont mené à la signature du Statut ont été très difficiles et l'absence de rétroactivité est le résultat d'un compromis.

En outre, à la demande de la France, l'on a prévu un opting out de sept ans pour les crimes de guerre (article 124). En d'autres termes, un État partie peut déclarer que, pour une période de sept ans à partir de l'entrée en vigueur du Statut à son égard, il n'accepte pas la compétence de la Cour en ce qui concerne les crimes de guerre, lorsqu'il est allégué qu'un crime a été commis sur son territoire ou par ses ressortissants.

Un membre fait observer que la France a ainsi voulu éviter que ses militaires engagés dans des opérations de maintien de la paix ne soient accusés de crimes de guerre.

Le ministre des Affaires étrangères souligne en outre que la Cour pénale internationale ne pourra connaître que des crimes commis par des personnes physiques. C'est la Cour internationale de justice de La Haye qui est compétente pour juger les États. Le problème était précisément que l'on ne disposait que d'instruments habilités à trancher des litiges entre les États, comme la Cour internationale de justice, ou de tribunaux ad hoc ayant une compétence limitée dans le temps et dans l'epace, comme les tribunaux internationaux pour le Rwanda et pour l'ex-Yougoslavie.

Le ministre des Affaires étrangères regrette, par ailleurs, que les États-Unis n'aient pas signé le Statut. Il estime toutefois que si la majorité des pays membres de l'ONU ratifient la convention, les États-Unis se sentiront isolés et reverront peut-être leur position.

Une membre attire enfin l'attention sur le fait que la convention contient des dispositions qui ne sont pas conciliables avec certains articles de la Constitution.

Le ministre des Affaires étrangères confirme que selon le Conseil d'État, l'article 27, qui fonde la Cour pénale internationale à exercer sa compétence à l'égard de toute personne, quels que soient les immunités et les privilèges dont elle jouit dans l'ordre juridique interne et international à l'égard de poursuites pénales et d'actes y afférents, est contraire à l'article 88 de la Constitution, qui consacre l'inviolabilité du Roi.

L'article 27 du Statut de la Cour est également contraire aux articles 58 et 120 de la Constitution qui concernent la responsabilité des parlementaires dans l'exercice de leurs fonctions, et à l'article 103, alinéa 5, concernant la responsabilité pénale des ministres.

Le Conseil d'État a par ailleurs indiqué que l'article 108 du Statut de Rome serait également incompatible avec le principe de l'indépendance des juridictions belges consacreé par l'article 151 de la Constitution. L'article 108 du Statut dispose en effet que le condamné détenu par l'État chargé de l'exécution de la peine ne peut être poursuivi, condamné ou extradé vers un État tiers pour un comportement antérieur à son transfèrement dans l'État chargé de l'exécution, à moins que la Cour n'ait n'approuvé ces poursuites, cette condamnation ou cette extradition à la demande de l'État chargé de l'exécution. Si l'État chargé de l'exécution de la peine était la Belgique, une limitation serait ainsi apportée à l'indépendance de nos tribunaux.

L'on a dès lors le choix entre deux stratégies :

­ soit l'on reporte le processus d'assentiment parlementaire au Statut et l'on modifie d'abord la Constitution, ce qui ne serait pas satisfaisant du point de vue politique car la Belgique perdrait le rôle moteur qu'elle joue en matière de droit international humanitaire;

­ soit l'on ratifie le Statut et, comme le suggère le Conseil d'État, l'on prévoit, dans la prochaine déclaration de révision de la Constitution, une adaptation de la Constitution belge aux prescrits du Statut de Rome. De l'avis même du Conseil d'État, cette adaptation pourrait être réalisée par l'insertion d'une disposition unique, rédigée comme suit : « l'État adhère au Statut de la Cour pénale internationale, fait à Rome le 17 juillet 1998 ».

Le ministre des Affaires étrangères fait remarquer que si la Belgique ratifie le Statut de Rome, les dispositions de ce Statut auront un effet direct et primeront le droit interne belge, en ce compris la Constitution.

Il faudra par ailleurs procéder à un certain nombre d'adaptations de la législation belge. Toutefois, le Statut ne devant entrer en vigueur que le premier jour du mois suivant soixante jours après sa ratification par soixante États, notre pays dispose d'un certain temps pour réaliser cette adaptation.

Le ministre des Affaires étrangères conclut en déclarant qu'une ratification rapide permettrait à la Belgique de se distinguer de façon exemplaire au sein de la Communauté internationale par son engagement en faveur du respect du droit international humanitaire et lui conférerait une position privilégiée dans le cadre des négociations à venir relatives aux neuf instruments qui sont annexés au Statut, comme le règlement de procédure et de preuve, la définition des éléments constitutifs des crimes ou la définition de l'agression.

III. VOTES

Les articles 1er et 2, ainsi que l'ensemble du projet de loi ont été adoptés à l'unanimité des 8 membres présents.

Confiance a été faite aux rapporteurs pour la rédaction du présent rapport.

Les rapporteurs, Le président,
Jacques DEVOLDER,
Marie-José LALOY.
Marcel COLLA.