2-135/1

2-135/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 1999-2000

28 OCTOBRE 1999


Proposition de loi établissant un prix fixe pour les livres (1)

(Déposée par M. Chris Vandenbroeke)


DÉVELOPPEMENTS


Le livre remplit une fonction culturelle, sociale et éducative. Bien que se distinguant donc clairement des autres biens de consommation, il n'en est pas moins soumis aux mécanismes du marché et se situe ainsi au carrefour de la culture et de l'économie. Le prix fixe du livre permet de ne pas aborder ce secteur d'activité d'une manière purement commerciale et économique. L'objectif du prix fixe du livre est de mettre à la disposition du public un produit socio-culturel à des conditions économiquement justifiées.

La présente proposition de loi ne conçoit pas le prix fixe du livre comme relevant d'un conflit entre les petites et les grandes librairies ou entre les commerçants indépendants et les chaînes de distribution. La pratique montre en effet que les remises ne sont pas le privilège des gros distributeurs, pas plus que l'on ne peut affirmer d'une manière générale que les petites librairies offriraient un meilleur service.

La vérité est plus nuancée, tout comme le prix fixe du livre n'est pas le deus ex machina qui permettrait de lutter contre la désaffection à l'égard de la lecture. Le prix fixe du livre doit donc aller de pair avec des mesures d'accompagnement comme le droit de prêt, les subventions aux écrivains et aux associations, la promotion de la lecture, etc. En Flandre, en tout cas, on a l'étude de marché sur les habitudes du public en matière d'achat, de lecture et d'emprunt et une revalorisation appréciable de la politique d'encouragement des lettres. Mais les éditeurs ont aussi leur part de responsabilité, avec les maux bien connus que sont les tirages artificiellement gonflés pour réduire les prix et le trop grand nombre de titres, de titres identiques et de titres faciles.

Quoi qu'il en soit, il est indéniable qu'une généralisation des remises sur la base d'un prix de référence fictif ­ sans même parler de la question de savoir s'il ne s'agit pas là de fausses remises ­ contribuera à faire baisser le rendement de l'ensemble du secteur. Le système aboutira en outre à réduire encore le nombre des points de vente (actuellement environ 300 en Flandre), et donc à rendre le livre moins accessible.

Auparavant, le prix fixe du livre reposait sur des accords entre fournisseurs et clients, sans intervention des pouvoirs publics. Les règles de concurrence posées par les traités européens ont toutefois rendu impossible la continuation de ces accords.

Alors qu'en dernière analyse, un accord sur un prix plancher européen serait souhaitable (il impliquerait que les livres ne soient jamais moins chers que dans le pays d'origine), la Commission européenne estime qu'il n'y a pas lieu de prendre des directives communautaires prévoyant des prix imposés. Elle pense en revanche que les autorités des différents espaces linguistiques devraient s'efforcer de dégager une solution pragmatique, en concertation ou non avec les intéressés.

Des réglementations instaurant des prix imposés dans le secteur du livre ont ainsi vu le jour dans différents pays européens, notamment en France et aux Pays-Bas. En Belgique, toutefois, le dossier du prix fixe du livre est dans l'impasse.

Si ce dossier, qui se situe ­ comme on l'a dit ­ au carrefour de l'économie et de la culture, est bloqué depuis si longtemps, c'est en raison de ses aspects économiques (fédéraux). Au début de 1995, le Gouvernement fédéral a semblé vouloir reconnaître l'importance d'un prix fixe pour les livres. Il souhaitait toutefois pouvoir examiner si un prix imposé ne serait pas contraire à la législation européenne et il considérait que la loi ne pourrait avoir d'effets sur les livres importés.

La loi française, pourtant, s'applique bel et bien aux livres importés. En outre, la Communauté européenne a marqué son accord en 1994 sur une réglementation en vertu de laquelle le prix du livre en vigueur en Allemagne s'appliquerait également au nouvel État de l'Union européenne qu'est l'Autriche, et inversement.

Mais surtout, les trois communautés ont considéré et considèrent toujours qu'un prix fixe pour le livre sert mieux leur politique culturelle. C'est la raison pour laquelle le dossier a été inscrit à l'ordre du jour du conseil informel des ministres de la Culture de l'Union européenne, et ce sous l'angle du franchissement des frontières au sein d'un même espace linguistique. Au cours de la législature précédente, le dossier a également figuré à l'ordre du jour du Comité de concertation, mais sans le moindre résultat.

La présente proposition reprend dans les grandes lignes la proposition de loi du sénateur Herman Suykerbuyk et consorts établissant un prix fixe pour les livres (doc. Sénat, SE 1991-1992, nº 162-1). Nous avons toutefois adapté sa terminologie à la réforme de l'État et simplifié les formalités qu'elle prévoyait. Notre proposition vise à protéger le livre et la vente de celui-ci. Elle tend par conséquent à ne pas exposer totalement le livre aux mécanismes du marché. Elle entend maîtriser les prix, faire en sorte que les possibilités de vente ne diminuent pas en raison d'augmentations de prix et sauvegarder la position économique de la distribution.

Chris VANDENBROEKE.

PROPOSITION DE LOI


CHAPITRE PREMIER

Champ d'application

Article premier

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Pour l'application de la présente loi, on entend par :

­ le livre : l'assemblage d'un certain nombre de feuilles de papier, de parchemin ou d'une autre matière sur lesquelles sont imprimés ou écrits des signes ou des illustrations, fabriqué en plusieurs exemplaires et destiné à être commercialisé et offert en vente au public pendant une durée assez longue;

­ l'éditeur : toute personne qui confectionne ou fait confectionner un livre en vue de le commercialiser;

­ le ministre : le ministre qui a les Affaires économiques dans ses attributions.

Art. 3

Le ministre peut étendre le champ d'application de la présente loi à d'autres catégories d'oeuvres graphiques ou à des produits dont l'une des composantes est un livre.

CHAPITRE II

Du prix fixe du livre

Art. 4

Pour tout livre édité ou importé en Belgique, l'éditeur fixe le prix réel au consommateur. Ce prix tient compte d'une marge bénéficiaire raisonnable pour le commerce de détail et est communiqué au ministre avant la première mise en vente. Le livre ayant fait l'objet de cette communication peut porter le logogramme « livre à prix fixe ».

Le ministre publie les différents prix des livres qui lui ont ainsi été communiqués.

Le ministre détermine les modalités de cette communication, notamment en ce qui concerne les délais et l'identification du livre, le port du logogramme « livre à prix fixe » et la publication des prix.

Art. 5

Les livres édités à l'étranger sont pourvus par leur éditeur, importateur ou distributeur, d'un prix réel au consommateur sur la base de cours de conversion, conformément à la procédure définie à l'article 4. Ce prix correspond dans tous les cas à celui d'un livre similaire édité en Belgique, majoré seulement des frais réels.

Le ministre règle la manière dont sont fixés les cours de conversion pour la fixation du prix d'un livre édité à l'étranger.

Art. 6

Il ne peut être mis fin au prix fixe que deux ans après la première mise en vente, moyennant notification au ministre. Dans ce cas, l'éditeur indemnise les détaillants pour la différence de prix des exemplaires invendus qu'ils se sont procurés chez lui au cours des six derniers mois.

Le ministre détermine les modalités de la suppression du prix fixe du livre.

CHAPITRE III

Des remises et frais

Art. 7

Les ventes en solde au sens de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur ne sont possibles que si le livre ne tombe plus sous l'application de la règle du prix fixe ou en cas de dégradation.

Art. 8

Les livres portant le logogramme « livre à prix fixe » ne peuvent être vendus qu'au prix fixé. Toutefois, ce prix peut être majoré des frais réels. Cette majoration doit être expressément signalée et ne peut être appliquée qu'avec l'accord de l'acheteur.

CHAPITRE IV

Dispositions pénales

Art. 9

Conformément aux dispositions des articles 98, 99 et 100 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, le président du tribunal de commerce constate l'existence et ordonne la cessation de tout acte, même pénalement réprimé, qui constitue une infraction aux dispositions de l'article 7 de la présente loi.

Les faits donnant lieu à l'action visée au premier alinéa sont recherchés et constatés conformément aux dispositions de l'article 114 de la loi précitée.

Art. 10

Les infractions aux autres dispositions de la présente loi sont traitées conformément aux dispositions des chapitres II et III de la loi du 22 janvier 1945 sur la réglementation économique et les prix.

CHAPITRE V

Entrée en vigueur

Art. 11

La présente loi entre en vigueur le premier janvier de l'année qui suit celle de sa publication au Moniteur belge.

Chris VANDENBROEKE.

(1) La présente proposition de loi a déjà été déposée au Sénat le 7 novembre 1995, sous le numéro 1-149/1 - 1995/1996.