1-1008/4 | 1-1008/4 |
30 MARS 1999
La commission a examiné la proposition qui fait l'objet du présent rapport au cours de ses réunions des 11 février et 24 mars 1999.
L'auteur fait remarquer que la question qui fait l'objet de la proposition a été évoquée à plusieurs reprises en commission ces derniers temps, notamment dans le cadre de la discussion du Rapport général sur la pauvreté, présenté par la Fondation Roi Baudouin. Tout le monde s'accorde à dire que les limites salariales actuelles en matière de saisie sont trop peu élevées, et risquent de plonger les débiteurs dans une situation de pauvreté quand ils ne peuvent plus rembourser leurs dettes.
Les développements de la proposition mentionnent ces limites. Une partie de la rémunération est retenue à partir d'un montant de 31 900 francs par mois et, au-delà de 41 300 francs, la rémunération est entièrement saisissable. Il est évident que de tels montants ne tiennent pas compte de la réalité sociale et sont trop basses pour permettre de s'en sortir à une famille n'ayant qu'un seul revenu.
En outre, diverses instances ont récemment montré que la réglementation en matière de saisie constituait un sérieux piège au chômage. Un chômeur n'est absolument pas motivé à aller travailler quand il sait que tout ce qu'il va gagner en plus va lui être retenu séance tenante par une mesure de saisie. Sans compter qu'il perd son droit aux allocations familiales majorées, ce qui a pour effet de réduire la quantité de revenu insaisissable. Selon les chiffres de l'ONEM, pas moins de 130 000 chômeurs seraient frappés d'une mesure de saisie du salaire. Quinze mille d'entre elles environ auraient été exécutées.
L'auteur se rend compte que la proposition à l'examen est très modeste et ne résout pas tous les problèmes liés à la saisie. Son objectif est de majorer la quantité insaisissable du revenu du montant des prestations familiales garanties, quel que soit le régime d'allocations familiales qui est réellement d'application. Si toutefois les prestations familiales réelles sont supérieures aux prestations garanties, la quotité non saisissable du revenu sera calculée en tenant compte des allocations réelles.
De cette manière, ou met fin pour commencer à une discrimination entre les divers régimes d'allocations familiales. Les prestation familiales réelles, qui ne sont pas non plus saisissables selon la réglementation actuelle, sont en effet moindres pour les indépendants que pour les travailleurs salariés, ce qui fait que ces derniers conservent un revenu du ménage plus élevé après saisie. À cela s'ajoute que les allocations familiales normales ne couvrent de toute façon pas les dépenses réelles liés aux enfants. En y ajoutant fictivement l'allocation familiale garantie, on se rapprochera un peu plus du montant de ces dépenses.
En ce qui concerne les chiffres, le seuil de saisie pour un ménage avec deux enfants s'élève actuellement à 39 613 francs (31 900 francs + 2 706 francs + 5 007 francs). Il convient d'y ajouter éventuellement le supplément d'âge.
Dans l'optique de la proposition, ce montant passe à 41 845 francs pour un ménage avec deux enfants âgés de moins de 6 ans. Le montant augmente à mesure que les enfants prennent de l'âge, pour atteindre 45 357 francs dans le cas d'un ménage avec deux enfants âgés de 18 à 25 ans.
Il s'agit par conséquent d'une augmentation modeste, qui peut cependant avoir son importance pour les intéressés.
Il est important aussi d'introduire dans le système de saisie du Code judiciaire un certain mécanisme de modulation familiale, qui n'existe pas à l'heure actuelle.
Un membre se dit très partisan d'une modification et d'une amélioration de la législation en matière de saisie. L'auteur a souligné à juste titre que les montants de référence prévus dans cette législation sont insuffisants pour garantir à certaines familles une existence décente. Les praticiens savent que souvent, ces familles doivent aussi faire face à des frais de procédure élevés qui viennent s'ajouter à la saisie et réduisent un peu plus encore le revenu disponible du ménage.
Sachant que le pécule de vacances est lui aussi entièrement saisissable, on ne doit pas s'étonner qu'un tel ménage n'ait aucune motivation financière à se sortir du marasme où il se trouve. Le problème ne concerne pas que le seul ménage, il interpelle toute la société, qui doit se pencher sur la question et rechercher une solution de fond au problème.
C'est ainsi que les créanciers doivent aussi pouvoir faire valoir leurs droits même si, en l'espèce, les conditions de vie du ménage doivent être le premier souci politique.
L'intervenant formule ensuite quelques observations sur la proposition de loi. L'article 3 propose d'abroger l'article 1410, § 2, du Code judiciaire, ce qui signifie que les prestations familiales ne seraient plus exemptes de saisie. Personnellement, il est sérieusement opposé à cette disposition. Les allocations familiales sont normalement octroyées à la mère et sont destinées à l'éducation des enfants. On franchit là un pas important sur le plan des principes en rendant ces allocations saisissables même si, en pratique, ce changement serait compensé par le relèvement de la limite de la saisie sur salaire.
Par ailleurs, une telle disposition pourrait avoir certains effets secondaires très néfastes. Il n'est pas impensable que quand on contracte des dettes, l'allocation familiale soit exigée en gage par le créancier, en plus ou en lieu et place d'autres garanties. Pour des ménages de trois ou quatre enfants, cela peut représenter un montant mensuellement considérable.
L'intervenant conclut qu'il peut donc se rallier à l'objectif poursuivi par la proposition, mais que la technique utilisée à cette fin n'est pas la plus souhaitable. Sous réserve de certaines vérifications, il prônerait pour sa part un relèvement forfaitaire des limites de revenus en matière de saisie sur salaire, modulées, le cas échéant, en fonction de la situation familiale. De cette manière, on ne toucherait pas aux allocations familiales.
Un autre membre soutient pleinement la proposition. La saisie-arrêt de salaire est une matière qui, d'après le rapport général sur la pauvreté, est perçue comme un point très problématique par les intéressés. Cela revient en effet à amputer davantage le revenu de ménages qui doivent déjà emprunter pour s'en sortir. Il peut par ailleurs se rallier aux propos de l'intervenant précédent quand il plaide en faveur de l'insaisissabilité des allocations familiales.
L'essentiel à ses yeux est avant tout de voir dans quelle mesure les seuils de saisie des salaires peuvent être relevés à la lumière de la situation familiale et quelle est la technique la plus appropriée à cet effet.
Une troisième intervenante partage le point de vue que les allocations familiales ne doivent pas pouvoir être saisies. Il convient donc de trouver une solution en augmentant les limites salariales dans le régime des saisies du Code judiciaire.
À la lumière des objections formulées par les intervenants précédents, Mme Cantillon dépose les amendements nºs 1 et 2 (doc. Sénat nº 1008/2, 1998/1999) :
Art. 2
« Remplacer cet article par le texte suivant :
« Art. 2. L'article 1409, § 1er , du Code judiciaire est complété par un quatrième alinéa, rédigé comme suit :
« Lorsque des prestations familiales sont versées, les montants mentionnés aux alinéas précédents sont majorés du montant correspondant à la différence entre, d'une part, le montant qui est alloué normalement et, d'autre part, le montant auquel l'intéressé aurait droit au cas où le régime des prestations familiales garanties serait applicable. Lorsque le montant qui est alloué normalement est plus élevé que le montant prévu dans le régime des allocations familiales garanties, c'est le premier montant qui est alloué. »
Art. 3
« Supprimer cet article. »
Justification
Le texte initial de la proposition prévoyait de majorer les montants non saisissables visés à l'article 1409 du Code judiciaire du montant des prestations familiales garanties. Par ailleurs, l'article 1410, 1º, du même Code dispose que les prestations familiales ne peuvent être ni cédées ni saisies. Pour éviter de créer un avantage cumulatif, la proposition prévoyait de supprimer le point 1º de l'article 1410 du Code judiciaire.
En disposant, à l'article 1409, que les montants non saisissables sont majorés uniquement de la différence entre les montants réels et les montants majorés des prestations familiales, on évite de toucher à l'article 1410, 1º, et au principe qui veut que les prestations familiales ne puissent être ni saisies ni cédées.
L'auteur précise que cet amendement préserve le principe de l'insaisissabilité des allocations familiales. Simultanément, la partie non saisissable de la rémunération est majorée d'un montant égal à la différence entre les prestations familiales octroyées et les prestations familiales garanties auxquelles le ménage pourrait prétendre.
Cette technique offre l'avantage que la partie non saisissable de la rémunération est modulée en fonction de la situation familiale tout en évoluant en fonction du montant des prestations familiales, sans nécessiter aucune intervention légale. On évite aussi de fixer un montant arbitraire, puisque la majoration est basée sur un point de référence fixe, à savoir les allocations familiales garanties.
Elle reconnaît que cette solution présente également des inconvénients. Le régime des saisies est moins transparent qu'une augmentation forfaitaire des limites salariales. À cela s'ajoute que l'on a certes un point de référence, mais que ce montant est encore insuffisant pour couvrir le coût réel des enfants.
Le calcul de ce coût réel comporte toujours une part d'appréciation subjective. La Bond van Grote en Jonge Gezinnen évalue ce coût à 10 000 francs par enfant et par mois. Dans les « Lignes de pauvreté » du Centrum voor Sociaal beleid d'Anvers, le coût du premier enfant est estimé à 9 000 francs, celui du deuxième à 5 000 et celui du troisième à 3 800 francs par mois. Les instances européennes, enfin, tablent sur un coût de 8 900 francs pour le premier enfant, 8 800 pour le deuxième et 8 900 pour le troisième.
Une membre estime que l'amendement constitue un pas en avant parce qu'il exclut les allocations familiales des saisies. Toutefois, elle continue à plaider pour une augmentation forfaitaire des limites salariales saisissables. Elle craint que si, d'une part, on exclut les allocations familiales de la saisie mais que, d'autre part, on a recours à cette notion pour en fixer les limites, le système ne devienne très confus.
Une autre intervenante fait observer que si l'on fait référence aux allocations familiales, l'avantage est que l'on utilise un point de référence légal, mais qu'il y a aussi un inconvénient : si dans une famille de trois enfants, le premier enfant n'entre plus en ligne de compte pour les allocations familiales, le montant total de ces allocations diminuera nettement plus que d'un tiers. L'incidence sur les limites salariales serait analogue. C'est pourquoi l'intervenante est, elle aussi, en faveur d'un relèvement forfaitaire de ces limites.
Le ministre de la Justice constate que la proposition vise à remédier à un problème aigu et que, par conséquent, personne ne peut être contre. Ainsi, pour avoir une vue techniquement correcte de la question, il faut garder à l'esprit une notion importante du règlement des saisies figurant dans le Code judiciaire : une saisie n'est possible que sur le revenu individuel du débiteur et les limites utilisées à cette occasion ne concernent que ce revenu.
En y introduisant la notion de revenu familial, on s'engage dans une voie toute différente, qui n'est pas sans risques. Si, dans la situation actuelle, il y a dans une famille deux revenus dont l'un fait l'objet d'une saisie, les créanciers ne peuvent pas toucher à l'autre.
La solution proposée comporte également une série de conséquences techniques. S'il y a deux revenus dans une famille, sur lequel imputera-t-on, dans l'hypothèse de l'amendement, le montant de l'allocation familiale majorée ?
Si l'on partait du principe que les deux revenus peuvent bénéficier de la majoration, on créerait une nouvelle injustice à l'égard des familles à un seul revenu.
Il y a également toute une série de difficultés pratiques liées à la modulation des limites de la saisie en fonction de la situation familiale. La saisie ou la cession du salaire sont souvent le fait d'établissements financiers. Une modulation en fonction du régime d'allocations familiales implique que ces établissements soient informés de la composition de la famille, y compris l'âge des enfants, et qu'ils la surveillent de près, même si l'on ne saisit que le salaire de l'un des deux conjoints.
Enfin, la réglementation des saisies, souvent déjà bien difficile à comprendre par les intéressés à l'heure actuelle, perdra toute transparence.
Mme Cantillon et M. Olivier déposent l'amendement nº 3 (doc. Sénat, nº 1-1008/3 - 1998/1999) qui remplace l'amendement nº 1 :
Art. 2
« Remplacer cet article par le texte suivant :
« Art. 2. L'article 1409 du Code judiciaire est modifié comme suit :
1º Le § 1er est complété par un quatrième alinéa, rédigé comme suit :
« Lorsque les personnes visées au premier alinéa ont un ou plusieurs enfants à charge, les montants mentionnés aux alinéas précédents sont majorés de 2 000 francs par enfant à charge.
Le Roi détermine ce qu'il y a lieu d'entendre par enfant à charge. »
« 2º Le deuxième alinéa du § 2 est remplacé par le texte suivant :
« L'indice de départ pour les montants visés aux trois premiers alinéas du § 1er est celui du mois de novembre 1989. L'indice de départ pour le montant visé au quatrième alinéa du § 1er est celui du mois de mars 1999. »
Ce système permet de majorer les limites imposées aux saisies d'un montant forfaitaire par enfant à charge. C'est une formule plus simple que de calculer la différence entre le montant de l'allocation familiale ordinaire et celui des prestations familiales garanties, comme le prévoit l'amendement 1º.
Avec le montant de 2 000 francs, ajouté à l'allocation familiale, ou se rapproche déjà de ce coûte réellement un enfant à charge.
On laisse au Roi le soin de préciser ce qu'il y a lieu d'entendre par la notion d'« enfant à charge ». L'on pourrait baser cette définition sur diverses dispositions du droit fiscal et social. La solution la plus indiquée consiste toutefois à faire référence à la définition de la notion d'« enfant à charge » qui figure dans l'article 2 de l'arrêté royal du 25 octobre 1971 portant exécution de la loi du 20 juillet 1971 instituant les prestations familiales garanties.
Le ministre de la Justice confirme que l'amendement répond dans une large mesure aux objections techniques qui ont été formulées contre la proposition initiale. Le texte de l'amendement est aussi plus pratique et plus clair pour les intéressés.
Il n'en souhaite pas moins attirer une nouvelle fois l'attention sur une conséquence économique importante de cette réglementation. Plus le montant saisissable diminuera, plus le montant que les établissements de crédit voudront prêter sera faible. Par conséquent, la solvabilité des familles avec enfants diminuera.
Un membre se demande si, dans la pratique, il y aura une grande différence par rapport à la situation actuelle. Plus le nombre d'enfants dans une famille augmente, plus les frais qu'elle supporte sont élevés. L'on peut supposer que l'établissement de crédit tient compte dès à présent de cet élément quand il évalue la capacité de la famille à rembourser son emprunt.
D'ailleurs, la membre estime qu'une réduction éventuelle de la solvabilité n'est pas un argument suffisant pour s'opposer aux règles proposées. Quand on procède à une saisie sur salaire, cela signifie par définition que la famille en question se trouve dans une situation de surendettement. L'on a souvent dit que les établissements de crédit devraient mener une politique moins agressive en la matière.
D'autres membres partagent le point de vue selon lequel la proposition à l'examen offrira une meilleure protection aux intéressés. Actuellement, l'on constate que l'on impose aux gens des prêts ou des crédits, alors que l'on sait très bien qu'ils ne sont pas en mesure de les rembourser et que les établissements financiers peuvent opérer des saisies sur salaire.
Une dernière intervenante estime d'ailleurs que le coeur du problème se trouve là. Il y a une notion importante qui a été introduite depuis des décennies dans le droit social, à savoir celle de minimum de moyens d'existence, qui n'a pas encore été inscrite dans le droit civil. Cette notion implique que chacun a le droit de disposer de moyens suffisants pour conserver un niveau de vie minimum, quelles que soient les raisons pour lesquelles il connaît des difficultés financières.
Article premier
Cet article est adopté à l'unanimité des 8 membres présents.
Article 2
L'amendement nº 1 est retiré par son auteur.
L'amendement nº 3 est adopté à l'unanimité des 8 membres présents.
L'article ainsi amendé est adopté par un vote identique.
Article 3
L'amendement qui vise à supprimer cet article est adopté à l'unanimité des 8 membres présents.
La proposition de loi dans son ensemble a été adopté à l'unanimité des 8 membres présents.
Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.
Le rapporteur,
Jacques SANTKIN. |
La présidente,
Francy VAN DER WILDT. |
(Nouvel intitulé)
Article premier
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
L'article 1409 du Code judiciaire est modifié comme suit :
1º Le § 1er est complété par un quatrième alinéa, rédigé comme suit :
« Lorsque les personnes visées au premier alinéa ont un ou plusieurs enfants à charge, les montants mentionnés aux alinéas précédents sont majorés de 2 000 francs par enfant à charge. Le Roi détermine ce qu'il y a lieu d'entendre par enfant à charge. »
2º Le deuxième alinéa du § 2 est remplacé par le texte suivant :
« L'indice de départ pour les montants visés aux trois premiers alinéas du § 1er est celui du mois de novembre 1989. L'indice de départ pour le montant visé au quatrième alinéa du § 1er est celui du mois de mars 1999. »
Art. 3