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10 MARS 1999
La commission des Affaires sociales a examiné le présent projet de loi, qui lui avait été transmis par la Chambre des représentants, au cours de sa réunion du 10 mars 1999.
Le présent projet de loi a pour objet de concilier le contrôle efficace de la situation familiale des chômeurs avec la protection de leurs droits individuels. Les dispositions de ce projet faisaient initialement partie du projet de loi relatif au plan d'action belge pour l'emploi 1998. Elles en ont été dissociées parce que réglant une matière visée à l'article 77 de la Constitution.
Les dispositions proposées ont trait exclusivement au contrôle de la situation familiale des chômeurs. Elles ne concernent pas les autres secteurs de la sécurité sociale dans lesquels on effectue également un contrôle de la situation familiale; elles ne concernent pas davantage l'aide sociale dispensée par les CPAS, qui contrôlent eux aussi la situation familiale.
La procédure de contrôle est assouplie et la protection du chômeur améliorée.
Le chômeur est d'abord convoqué par l'ONEM pour un entretien. Normalement, le chômeur doit faire sur l'honneur une déclaration écrite relative à sa situation familiale. L'ONEM contrôle la situation familiale par coups de sonde et sur la base d'indices.
Si le chômeur ne donne pas suite à la convocation à un entretien, qui lui a été adressée par l'Office national de l'emploi, un inspecteur social pourra se présenter à son domicile.
Si le chômeur répond à la convocation et qu'après examen il subsiste des doutes quant à l'exactitude de sa déclaration relative à sa situation familiale, une visite au domicile peut être prévue soit après l'obtention du consentement écrit de l'intéressé à l'issue de l'entretien, soit après l'obtention de l'autorisation du tribunal du travail.
Une commissaire est convaincue de la nécessité d'un contrôle plus strict, à condition que cela se passe dans le respect de la personne.
Selon le rapport de la Chambre, les critiques les plus vives formulées à l'encontre du régime proposé auraient été surtout le fait de commissaires francophones. La ministre peut-elle indiquer pourquoi ces commissaires ont réagi de la sorte ? Les conditions dans lesquelles le contrôle des chômeurs sera réalisé paraissent très humaines en comparaison des contrôles auxquels sont soumis d'autres groupes de la population, notamment les fruiticulteurs et le secteur Horeca.
L'intervenante craint d'autre part que le projet n'alourdisse trop la procédure, surtout si l'on en juge par les instances qui sont associées.
Une autre membre se demande si l'on n'a pas opté trop rapidement pour la solution de facilité. A-t-on exploré pleinement les possibilités de contrôle administratif par le biais de la banque-carrefour et du registre national, qui permettent de faire le lien avec d'autres secteurs de la sécurité sociale ? Même avec ces vérifications préalables, des contrôles avec visite au domicile resteraient sans doute nécessaires, mais ils pourraient alors être plus ciblés.
Le nombre portentiel des chômeurs à contrôler est très élevé. En pratique, il ne sera pas possible de détecter tous les abus potentiels. La seule possibilité est donc de détecter les abus de manière ciblée sur la base d'un dossier administratif.
La membre admet qu'une telle enquête ciblée suppose que des notions telles que celles de chef de famille, de cohabitant, etc., soient définies de manière identique dans tous les secteurs.
Il est vrai que le contrôle administratif est la voie la plus difficile, mais en tout cas la plus efficace et la plus acceptable à long terme.
Encore un autre commissaire admet aussi que des contrôles sont nécessaires. Néanmoins, le texte transmis par la Chambre des représentants ne le satisfait pas parce que la finalité et l'objectif des contrôles qui sont de punir, voire d'exclure des personnes qui se trouvent déjà en difficulté, ne résolvent pas leur situation.
Cette politique présente des dangers. On aurait pu examiner l'ensemble du problème des gens sans emploi et sans revenu, et aussi voir ce qui se passe dans les pays voisins où les situations sont comparables à la nôtre, mais où les solutions sont différentes et prennent plus en compte la situation réelle des personnes. On pourrait peut-être penser à diminuer la durée des allocations de chômage pour tout le monde, mais en revoyant le système de manière harmonieuse et en augmentant le minimex.
Un intervenant suivant abonde dans le même sens. Il est important de mettre plus d'humanité dans la façon d'aborder le problème.
Selon l'intervenant, le projet initial était inacceptable; il constituait une attaque en règle contre ce qui est domicile privé et vie privée. Le travail effectué par la Chambre mérite d'être souligné.
Il apparaît clairement qu'il y a une procédure ordinaire et une procédure exceptionnelle. Pour ce qui est de la première, il n'y a pas d'observations à faire; mais en ce qui concerne la procédure exceptionnelle, l'intervenant, sans contester sa nécessité lorsque des signes prémonitoires existent, demande à la ministre de rassurer la commission quant aux critères sur la base desquels cette procédure devrait être enclenchée.
Une sénatrice se réfère à un courrier envoyé par le député Detienne au ministre de la Justice concernant les visites domiciliaires. Dans sa réponse, le ministre de la Justice dit clairement que l'hypothèse de la vérification d'une cohabitation est à exclure. On peut vérifier que le chômeur travaille ou est disponible pour le marché du travail, mais le contrôle de la cohabitation va trop loin. La sénatrice se pose la question de la constitutionnalité des dispositions proposées par rapport à l'inviolabilité du domicile.
Une autre intervenante observe que le problème fondamental qui se pose est celui de l'individualisation des droits en matière de sécurité sociale. Le projet de loi vise à faire face aux effets pervers de la notion de cohabitant. Elle reconnaît, puisqu'il s'agit du domaine de l'assurance-chômage, et que cette assurance se situe dans un système de sécurité sociale et non pas d'aide sociale, la nécessité de vérifier les différents taux de l'allocation de chômage.
On peut se réjouir des améliorations apportées dans le texte par la Chambre des représentants, mais il reste une grande lacune : la visite au domicile, quel que soit le point de vue du chômeur à ce sujet, ne devrait être autorisée que sur la base d'un document du juge du tribunal du travail. La relation qui s'établit difficilement entre le chômeur et celui qui le contrôle est une relation profondément inégalitaire.
Le texte n'est pas bon; on n'aurait pas dû permettre un glissement entre une visite au domicile et la visite du domicile. Le texte présente une lacune importante à cet égard.
Une dernière intervenante souligne, comme le ministre l'a d'ailleurs déjà fait, qu'il y a une différence entre une perquisition et une visite domiciliaire. Quelle est la finalité d'une visite domiciliaire ? Quels sont les éléments susceptibles de faire prendre une autre décision ?
La ministre répond en commençant par expliquer la méthode utilisée actuellement.
Le nombre de personnes pouvant faire l'objet d'un contrôle c'est-à-dire les personnes qui, dans l'année, bénéficient à un moment donné d'une allocation de chômage s'élève à 1 246 000. Le montant de l'allocation qu'ils touchent dépend de leur situation familiale.
L'ONEM a en 1997 examiné la situation familiale de 43 600 personnes; 38 000 dossiers ont été classés sans suite; 5 500 dossiers ont connu des prolongements. Une sanction a été prononcée dans 3 385 dossiers (13 à 26 semaines de suspension d'allocation; la suspension moyenne s'élevant à 16 semaines).
Il appert des chiffres précités que 3,5 % des chômeurs ont fait l'objet d'un contrôle de leur situation familiale.
Le contrôle se déroule jusqu'à présent comme suit :
L'enquête commence par une vérification administrative (dans les fichiers de l'ONEM et souvent à l'administration communale);
ensuite et dans la plupart des cas, l'inspecteur se rend au domicile du chômeur. En général, le chômeur n'est pas informé à l'avance de cette visite;
l'inspecteur se présente, montre sa carte de service, précise la raison de sa visite. Dans la majorité des cas, cette visite se limite à un entretien qui a lieu à l'endroit choisi par le chômeur (seuil d'entrée, living, cuisine, ...). Si l'inspecteur le juge nécessaire, il demande à voir d'autres pièces. Dans ce cas, il doit obtenir l'autorisation préalable du chômeur. Cette demande se fait de façon explicite et non équivoque. Le chômeur doit donner son autorisation par écrit. En cas de refus, il n'y a pas de sanction pour ce motif. L'inspecteur peut demander l'autorisation du juge. Ce n'est pas systématique. Il apprécie la nécessité en concertation avec son directeur. En 1997, cette autorisation a été demandée et accordée dans 134 cas seulement;
avant d'appliquer une sanction éventuelle, le chômeur doit être convoqué au bureau du chômage de l'ONEM pour une audition. Il peut être assisté par un avocat ou un délégué syndical;
si une décision de sanction est prise, le chômeur peut introduire un recours au tribunal du travail dans les 3 mois de la notification de la décision.
En ce qui concerne la nouvelle procédure, la ministre répète que l'on convoque d'abord le chômeur dans un bureau de l'ONEM pour vérifier, sur la base des pièces qu'il a fournies, si ces déclarations sont conformes à la réalité. Une visite domiciliaire suivra éventuellement.
La ministre confirme ce qu'elle a déjà déclaré à la Chambre des représentants, à savoir que la possibilité de s'adresser directement au président du tribunal du travail pour obtenir l'autorisation d'effectuer un contrôle au domicile du chômeur, sans que ce dernier ait été convoqué préalablement, est l'exception et le restera.
En réponse, notamment, à une observation de la première intervenante, la ministre déclare que la procédure a effectivement été alourdie à la suite d'un compromis qui a été dégagé entre les partis de la coalition gouvernementale. L'on a consulté l'ONEM pour avoir la certitude que ce régime était applicable dans la pratique.
La ministre répond ensuite aux autres questions et observations des intervenants.
Banque-carrefour
Les données de la Banque-carrefour sont aussi basées sur des déclarations. Il faudra vérifier à l'avenir si les déclarations faites à propos des diverses branches de la sécurité sociale correspondent entre elles. À l'heure actuelle, l'ONEM doit se baser sur les déclarations du chômeur et sur les données dont disposent les communes.
Individualisation des droits
Il faudra effectivement arriver à une individualisation des droits dans le futur. Les organisations de femmes militent pour cette individualisation depuis des années. Il faut toutefois garder à l'esprit que de nombreuses femmes bénéficient encore de droits dérivés. Pour pouvoir garantir des droits individuels à tous, il faudrait dès lors réclamer le versement de cotisations supplémentaires aux ménages dont la femme ne travaille pas.
La ministre est convaincue de la nécessité d'instaurer des droits individuels, mais elle estime qu'il faudra réaliser les choses progressivement.
Comparaison avec l'étranger
La comparaison avec l'étranger n'est pas pertinente en l'espèce. Il y a, certes, des pays où la différence entre l'allocation d'un chef de ménage et celle du cohabitant est plus réduite qu'en Belgique. Mais, par contre, dans ces pays, l'allocation n'est versée que pendant un ou deux ans. Il est dès lors superflu d'exercer un contrôle. Si l'on souhaite maintenir le système actuel et aucune voix ne s'est élevée pour en réclamer la modification , un contrôle s'impose. De plus, même les CPAS font une distinction entre l'isolé et le cohabitant.
Nature du contrôle
Les inspecteurs qui sont en possession d'un mandat de perquisition peuvent tout examiner, tandis que les contrôleurs de l'ONEM ne peuvent faire que des constatations de visu si les personnes cohabitent. À la fin de la visite, le contrôleur établit un rapport que la personne contrôlée signe pour accord.
Une des intervenantes répète qu'il existe un risque de confusion entre une visite au domicile et une perquisition.
Un autre aspect préoccupant, lié à notre système institutionnel, est le fait que le FOREM et le VDAB, qui ont leurs propres responsabilités, relèvent de la compétence de la région, tandis que l'ONEM relève de la compétence fédérale.
La ministre réplique que le contrôle de la disponibilité sur le marché du travail n'a aucun rapport avec le contrôle de la situation familiale.
Elle répète que les contrôleurs de l'ONEM doivent simplement vérifier l'exactitude des déclarations que le chômeur a faites au sujet de sa situation familiale. Ils ne procèdent donc pas à une perquisition.
Un autre membre souscrit aux propos de la préopinante et juge que c'est à raison qu'on effectue des contrôles. L'entretien dans les bureaux de l'ONEM permet au chômeur de fournir des explications sur sa situation récente. Contrôler la disponibilité de l'intéressé sur le marché du travail à cette occasion est excessif. L'intervenant connaît beaucoup de chômeurs qui viennent régulièrement se présenter au VDAB, mais qui n'ont aucune chance d'être pris en considération pour une série de programmes. Il est bon que ces deux aspects restent séparés.
En ce qui concerne la visite domicilaire, le membre signale que le chômeur sera sans doute enclin à signer le plus rapidement possible un document, sans connaître vraiment son contenu. La teneur de ce document peut être contraire à celle de la déclaration qu'il a faite antérieurement.
Il peut aussi y avoir une différence entre ce que le contrôleur voit et la situation réelle. Comment le contrôleur peut-il interpréter, par exemple, la présence fortuite d'un hôte dans la maison du chômeur ?
La ministre réplique qu'avant qu'un contrôle ne débouche sur une sanction, l'ONEM doit inviter le chômeur pour une audition. À l'occasion de celui-ci, le chômeur peut se faire accompagner par un représentant d'une organisation syndicale. Il aura, en outre, la possibilité d'intenter un recours contre la sanction proposée.
Une des intervenantes précédentes admet qu'il faut sanctionner la fraude sociale. Mais le fait que l'on réprime beaucoup plus facilement la fraude sociale que les autres formes de fraude, plus graves, suscite un malaise dans la population. Il suffit de renvoyer à ce que l'on peut lire dans le rapport de la commission d'enquête sur la criminalité organisée en Belgique au sujet du blanchiment d'argent, des pratiques que l'on constate dans le secteur du diamant, dans l'industrie du pétrole et dans le secteur du commerce de la viande. Il faut savoir que la population s'interroge sur l'acharnement dont on fait preuve pour détecter la fraude sociale, et sur la raison pour laquelle on met moins d'énergie à détecter les formes de fraude grave qui constituent pourtant une menace pour notre système politique. Cette situation comporte de graves dangers pour la démocratie.
La ministre fait observer que la procédure de contrôle en vigueur est plus stricte que celle qui est proposée dans la loi en projet.
L'article 1er est adopté à l'unanimité des 8 membres présents.
L'article 2 est adopté par 6 voix contre 1 et 1 abstention.
L'ensemble du projet de loi a été adopté par 5 voix contre 1 et 2 abstentions.
Confiance a été faite à la rapporteuse pour la rédaction du présent rapport.
La rapporteuse, | La présidente, |
Bea CANTILLON. | Francy VAN DER WILDT. |
Voir le doc. 1-1283/3