1-623/4

1-623/4

Sénat de Belgique

SESSION DE 1998-1999

3 MARS 1999


Proposition de loi modifiant l'article 1er du décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie

Proposition de loi modifiant le décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie

Proposition de loi modifiant le décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR MME DELCOURT-PÊTRE


SOMMAIRE


  1. Introduction
  2. Exposés introductifs
  3. Discussion
  4. Demande d'avis au professeur Senaeve
  5. Suite de la discussion
  6. Votes
  7. Textes adoptés comparatifs
    Annexe : Avis du professeur Senaeve

La commission de la Justice a examiné les trois propositions de loi lors de ses réunions des 18 novembre 1998, 8 janvier, 2 février et 3 mars 1999.

I. INTRODUCTION

La possibilité d'attribuer un prénom à un enfant mort-né, ou mort avant que sa naissance ait été constatée par l'officier de l'état civil ou par le médecin délégué, n'est pas prévue à l'heure actuelle.

La commission de la Justice était saisie de trois propositions de loi tendant à combler cette lacune :

­ une proposition de loi modifiant l'article 1er du décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie, de Mme Joëlle Milquet (doc. Sénat, nº 1-623/1);

­ une proposition de loi modifiant le décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie, de M. Bert Anciaux et consorts (doc. Sénat, nº 1-711/1);

­ une proposition de loi modifiant le décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie, de M. Alain Destexhe (doc. Sénat, nº 1-892/1).

La commission a décidé de prendre pour base de la discussion la première de ces trois propositions de loi.

II. EXPOSÉS INTRODUCTIFS

A. Proposition de loi modifiant l'article 1er du décret de 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie (de Mme Joëlle Milquet) (nº 1-623/1).

Lorsqu'un enfant est mort-né ou meurt avant que sa naissance ait été constatée par l'officier de l'état civil ou par le médecin délégué, il n'y a pas lieu de dresser un acte de décès. Une déclaration est faite à l'officier de l'état civil.

Cette déclaration comprend :

­ les noms, prénoms, profession, et domicile des parents de l'enfant;

­ le sexe de l'enfant;

­ l'année, le jour et l'heure auxquels l'enfant est sorti du sein de sa mère.

La possibilité d'attribuer un prénom à cet enfant n'est pas prévue à l'heure actuelle. La proposition tend à combler cette lacune et donne la possibilité, si les parents le souhaitent, de demander que l'officier de l'état civil mentionne le nom et le ou les prénoms de l'enfant.

Ceci pourrait apporter une meilleure solution aux aspects humains, psychologiques et émotionnels de cette problématique.

B. Proposition de loi modifiant le décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie (de M. Bert Anciaux et consorts) (nº 1-711/1).

C. Proposition de loi modifiant le décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie (de M. Alain Destexhe) (nº 1-892/1).

Il est renvoyé aux développements précédant ces deux propositions de loi, qui poursuivent un but identique à celui de la proposition de loi nº 1-623.

III. DISCUSSION

Le gouvernement dépose un amendement à la proposition nº 1-623. Cet amendement est libellé comme suit (doc. Sénat nº 1-623/2, amendement nº 1) :

Remplacer l'intitulé et l'ensemble du dispositif par ce qui suit :

« Proposition de loi introduisant un article 80bis dans le Code civil

Article premier

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Un article 80bis, rédigé comme suit, est inséré dans le Code civil :

« Art. 80bis. ­ Lorsqu'un enfant est décédé au moment de la constatation de sa naissance par l'officier de l'état civil ou par le médecin ou l'accoucheuse diplômée agréés par lui, l'officier de l'état civil dresse un acte de déclaration d'enfant sans vie.

L'acte de déclaration d'enfant sans vie énonce :

1º le jour, l'heure et le lieu de l'accouchement ainsi que le sexe de l'enfant;

2º les prénoms de l'enfant, si leur mention est demandée;

3º l'année, le jour, le lieu de la naissance, le nom, les prénoms et le domicile de la mère et du père;

4º le nom, les prénoms et le domicile du déclarant.

Cet acte est inscrit à sa date dans le registre des actes de décès, sans qu'il puisse en être déduit que l'enfant a vécu ou non. »

Art. 3

Le décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie est abrogé. »

Verantwoording

Du point de vue légisitique, l'introduction d'un nouvel article dans le Code civil doit être préférée à l'adaptation du décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie. Pour cette raison, il convient de modifier l'intitulé de la proposition.

L'officier de l'état civil dresse en principe un acte de naissance pour chaque nouveau-né.

Cette règle connaît cependant une exception. Conformément au décret du 4 juillet 1806, il y a lieu de dresser un « acte de présentation d'enfant sans vie » pour l'enfant qui n'était pas vivant au moment de sa présentation à l'officier de l'état civil. De cet acte, qui est inscrit à sa date dans le registre des actes de décès (et non dans le registre des actes de naissance), aucune conclusion ne peut être tirée sur la question de savoir si l'enfant a vécu ou non.

Le législateur de 1806 était d'avis que lorsque l'enfant n'était pas en vie au moment de la constatation de sa naissance par l'officier de l'état civil, il n'était pas démontré qu'il fût né vivant. L'officier de l'état civil devait se borner à mentionner lors de la consignation de ses constatations qu'un enfant sans vie lui avait été présenté.

Depuis la loi du 30 mars 1984 modifiant les articles 55, 56 et 57 du Code civil et 361 du Code pénal (Moniteur belge du 22 décembre 1984) en matière de déclaration de naissance, la présentation de l'enfant à l'officier de l'état civil lors de la déclaration de la naissance n'est plus prévue par l'article 55 du Code civil. Il découle du nouveau système que le moment déterminant pour savoir s'il convient de dresser un acte de naissance ou un acte de présentation d'enfant sans vie est celui où le médecin ou l'accoucheuse agréés, ou l'officier de l'état civil lui-même s'assure de la naissance de l'enfant.

Dans l'état actuel de la législation, il n'est cependant pas possible de donner des prénoms aux enfants mort-nés. Cela donne parfois lieu à de vives réactions émotionnelles de la part des parents, et provoque dans certains cas des problèmes psychologiques.

Cet amendement tend à introduire dans le Chapitre IV du Livre Ier , Titre II du Code civil un nouvel article 80bis, prévoyant l'établissement d'un acte de déclaration d'enfant sans vie par l'officier de l'état civil lorsqu'un enfant est décédé au moment de la constatation de la naissance par l'officier de l'état civil ou par le médecin ou l'accoucheuse diplômée agréés par lui.

À côté de la mention des jour, heure et lieu de l'accouchement et du sexe de l'enfant, des année, jour et lieu de la naissance, des nom, prénoms et domicile de la mère et du père, et des nom, prénoms et domicile du déclarant, cet acte prévoit la possibilité de mentionner le(s) prénom(s) éventuellement choisi(s) pour l'enfant.

On opte pour une possibilité de mentionner le(s) prénom(s) de l'enfant afin de laisser aux parents le choix de donner ou non un prénom à leur enfant mort-né. En effet, il n'est pas impensable que, de la même manière que certaines personnes ressentent difficilement à l'heure actuelle le fait de ne pouvoir donner un prénom à leur enfant, le processus d'acceptation d'un certain nombre de personnes soit rendu plus difficile par l'obligation d'attribuer un prénom à l'enfant.

La Commission Permanente de l'État Civil, qui est notamment composée de représentants des ministères de la Justice et des Affaires étrangères, des parquets généraux et des communes, a été d'avis de ne pas prévoir la mention du nom. En droit belge, en effet, l'attribution du nom est une conséquence de la filiation, et la filiation, s'agissant d'un enfant né sans vie, n'est pas toujours juridiquement établie. De plus, en pratique, ce n'est pas tant l'absence de nom dans l'acte que le fait de ne pouvoir donner un prénom qui semble poser problème.

Il convient de rappeler que l'acte de déclaration d'enfant sans vie peut seulement être dressé si la naissance intervient plus de six mois après la conception.

L'acte de déclaration d'enfant sans vie ne concerne pas les enfants décédés pour lesquels la déclaration de naissance n'a pas été faite dans le délai légal.

De cet acte, qui est inscrit à sa date dans le registre des actes de décès, il ne peut être déduit que l'enfant a vécu ou non.

Enfin, il est prévu d'abroger le décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie. L'introduction du nouvel article 80bis dans le Code civil rend d'ailleurs le décret existant inutile.

Le ministre fait observer que c'est une promesse ministérielle assez ancienne que de résoudre le problème du nom à donner aux enfants mort-nés. Il ne voit aucun inconvénient à l'attribution d'un prénom à ces enfants.

D'un point de vue légistique, il convient toutefois de donner la préférence à l'insertion d'une disposition nouvelle dans le Code civil plutôt qu'à l'adaptation du décret du 4 juillet 1806. Telle est la raison du dépôt de l'amendement.

On y opte pour la solution qui consiste à laisser les parents choisir s'ils donneront ou non un prénom à leur enfant mort-né.

La question de savoir si un nom peut également être attribué suscite néanmoins des discussions. En effet, en droit belge, l'attribution d'un patronyme découle de la filiation, laquelle n'a pas toujours été constatée juridiquement chez les enfants mort-nés. De même, donner aussi un patronyme à des enfants mort-nés constitue en fait une sorte de discrimination par rapport aux actions relatives à la filiation, qui ne sont pas recevables si l'enfant n'est pas né viable.

Le ministre croit toutefois pouvoir déduire des développements des propositions de loi que le problème de l'attribution du patronyme n'était pas au centre des débats. La préoccupation principale de leurs auteurs était de pouvoir donner un prénom à un enfant sans vie, en témoignage d'affection.

Un commissaire souligne qu'il faut en tout cas laisser le choix aux parents. Il est très pénible d'accomplir des formalités relatives à un enfant mort-né. L'attribution ou non d'un prénom est très subjective, et doit donc demeurer facultative.

Un autre membre demande quelle est la portée exacte de la dernière phrase de l'article 80bis proposé par l'amendement du gouvernement, « sans qu'il puisse en être déduit que l'enfant a vécu ou non ».

Un sénateur se rallie à cette question. La formule en question lui paraît assez cynique. Si le but est d'éviter que les nouvelles dispositions proposées n'entraînent des effets sur le plan successoral, il serait préférable de le dire explicitement.

Le ministre déclare que ce membre de phrase date de la période où l'enfant mort-né devait effectivement être montré à l'officier de l'état civil. Il va de soi que celui-ci ne pouvait que constater que l'enfant ne vivait plus, sans que l'on pût en déduire que l'enfant avait vécu ou non.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 30 mars 1984 modifiant les articles 55, 56 et 57 du Code civil et 361 du Code pénal en ce qui concerne la déclaration de naissance, la présentation de l'enfant à l'officier de l'état civil lors de la déclaration de naissance n'est plus prévue.

À la suite de l'instauration du nouveau système, le moment où soit le médecin ou l'accoucheuse agréés, soit le fonctionnaire de l'état civil s'assure lui-même de la naissance de l'enfant est déterminant pour établir s'il y a lieu de dresser un acte de naissance ou un acte de présentation d'un enfant sans vie.

Le membre de phrase est maintenu pour que ne se pose pas la question de savoir si l'enfant a encore vécu ou non après la naissance, si cela n'a pas été constaté.

En effet, s'il devait être démontré que l'enfant a vécu quelque temps, il s'ensuivrait des conséquences socio-juridiques (enfant fiscalement à charge, ...).

Un précédent intervenant fait observer que certains droits sont acquis, que l'enfant naisse vivant ou non. Il propose dès lors une formule selon laquelle « l'inscription ne fait pas naître de droits supplémentaires ».

En réponse aux diverses observations formulées à propos des mots « sans qu'il puisse en être déduit que l'enfant a vécu ou non », le gouvernement dépose à son amendement principal un sous-amendement ainsi libellé (doc. Sénat, nº 1-623/3, amendement nº 4) :

« Au troisième alinéa de l'article 80bis proposé, supprimer les mots « , sans qu'il puisse en être déduit que l'enfant a vécu ou non. »

Justification

Cette suppression ne modifie en rien le système actuel. L'on ne saurait en effet pas en déduire que l'inscription fait naître certains droits.

Un membre renvoie au premier alinéa de l'article 80bis proposé par l'amendement nº 1 du gouvernement. Quelle est la portée exacte des mots « agréés par lui » ? Quelle est la signification, en l'occurrence, du mot « agréation » ? Les médecins ou accoucheuses diplômées doivent-ils faire une démarche spécifique pour obtenir cette agréation par l'officer de l'état civil ? Quid en cas d'accouchement « accidentel » ?

Le ministre explique qu'aucune procédure n'est prévue pour cette agréation. L'officier de l'état civil décide s'il agrée ou non l'attestation.

Un commissaire objecte qu'un accouchement par une accoucheuse ou un médecin non diplômés pourrait être considéré comme un acte d'exercice illégal de la médecine.

Un autre commissaire renvoie à l'article 56 du Code civil, qui ne fait pas état d'une autorisation éventuelle. Pourquoi ne pas reprendre la terminologie qui y est utilisée ? La concordance entre ces deux textes semble souhaitable.

L'intervenant soulève également un problème de fond.

Premièrement, on peut se demander s'il est nécessaire de prévoir la possibilité de donner plusieurs prénoms.

Ensuite, il paraît clair que le 1º, le 3º et le 4º de l'article 80bis proposé doivent être considérés comme des mentions obligatoires, alors que le 2º est une mention facultative, accessoire. Cette mention devrait donc figurer in fine de l'énumération et la numérotation de droit être adaptée en conséquence.

Enfin, on peut s'interroger sur les conséquences de la rédaction d'un véritable acte de décès avec identification. Cela implique-t-il dès lors la continuation des droits dont l'enfant aurait éventuellement joui en cas de non-naissance jusqu'au moment de l'acte de décès ? Cela crée-t-il ou non une présomption d'existence ?

Un commissaire évoque les modifications dans la rédaction de l'acte de décès qui avaient déjà été proposées précédemment en commission de l'Intérieur et des Affaires administratives lors de la discussion du projet de loi sur les sépultures. C'est que les dispositions y afférentes du Code civil sont tout à fait dépassées.

L'intervenant marque son accord sur une modernisation éventuelle, mais souligne que tous les cas doivent être pris en considération. Il se pose un problème de sécurité juridique. Aux termes de la loi, l'officier de l'état civil constate le décès. Dans notre pays, toutefois, celui-ci n'est pas constaté par l'officier de l'état civil. Il s'agit là effectivement d'un grand problème, qui ne se pose toutefois pas que pour les enfants. Les adultes devraient, eux aussi, avoir la garantie que le décès est constaté objectivement.

Un membre souligne qu'il importe de ne pas perdre de vue l'objectif de la proposition, qui vise avant tout à apporter une réponse humaine à une situation pénible. Certains parents souhaitent donner un nom et un prénom à leur enfant. Il lui semble que l'intention du législateur était de ne pas confronter la famille à un acte de décès.

En ce qui concerne le prénom, l'intervenante opte pour la possibilité de donner plusieurs prénoms.

En ce qui concerne le nom, elle renvoie au décret de 1806, qui prévoit déjà la mention des nom et prénoms des parents. De plus, l'article 57 du Code civil, qui concerne l'acte de naissance, prévoit que les nom et prénoms de l'enfant sont mentionnés.

Le ministre répète que rien ne s'oppose à ce que l'on donne un ou plusieurs prénoms à l'enfant.

En ce qui concerne la remarque de technique législative, il peut se rallier à la proposition visant à déplacer le 2º au 4º.

L'intervenant tient à signaler une nouvelle fois que l'on rédige ici non pas un acte de décès, mais un acte spécifique, par lequel l'officier de l'état civil confirme qu'un enfant sans vie lui a été déclaré. L'enfant ne devient pas en tant que tel un sujet de droit. Il ne lui est accordé aucun droit, que ce soit en droit civil ou dans le domaine des droits successoraux et des droits dérivés, comme la sécurité sociale, le droit fiscal, etc.

L'un des intervenants précédents souligne qu'il est donc préférable de s'en tenir à une modification du décret. On connaît parfaitement la portée de celui-ci. L'insertion dans le Code civil d'un article 80bis suscite une discussion théorique infinie. D'ailleurs, les développements des trois propositions ne sont pas parallèles. Certains développements supposent du reste une discussion philosophique sur une vie préalable. On constate ici le décès d'un enfant qui aurait éventuellement pu vivre. En donnant un nom, on peut aboutir à une situation tout à fait différente. Il convient d'éviter cette discussion.

Un autre membre abonde dans le même sens. Conformément à la règle de droit romain infans conceptus iam pro nato habetur, la viabilité à la naissance est la condition essentielle de l'existence d'un sujet de droit.

Le préopinant signale que la viabilité est confirmée implicitement par l'attribution d'un nom, fût-ce pour un moment. Cela entraîne des conséquences importantes.

Un commissaire met l'accent sur un problème supplémentaire, à savoir la distinction discrétionnaire entre le foetus de 6 mois et celui de moins de 6 mois. Un foetus de 6 mois et 1 jour est considéré comme un enfant sans vie, alors que la naissance d'un foetus de 6 mois moins 1 jour est qualifiée d'avortement spontané.

En réponse à la question d'un membre, qui demande quel est exactement le champ d'application des nouvelles dispositions proposées, il est renvoyé à la justification de l'amendement nº 1 du gouvernement, qui rappelle que l'acte de déclaration d'enfant sans vie ne peut être dressé que si la naissance intervient plus de six mois après la conception.

IV. DEMANDE D'AVIS AU PROFESSEUR SENAEVE

Après ce premier échange de vues, la commission décide de demander l'avis du professeur Senaeve sur les éventuelles conséquences de la modification proposée de la loi.

Cet avis est annexé au présent rapport.

V. SUITE DE LA DISCUSSION

Un membre demande si l'attribution d'un prénom à l'enfants mort-né suppose que les parents soient d'accord entre eux à ce sujet. Quid si les parents ne s'accordent pas, que ce soit sur le principe de l'attribution d'un prénom, ou sur le choix de celui-ci ?

Le problème se posera également pour les couples non mariés.

Un membre souligne que la réaction d'une femme peut être différente de celle d'un homme en cette matière. C'est pourquoi l'intervenante est favorable à un système où un désaccord éventuel entre les parents pourrait être tranché rapidement par une instance judiciaire.

Un autre membre estime que le problème ne se pose pas de façon fondamentalement différente selon que l'enfant est mort-né ou non.

Ce type de désaccord se présente déjà à l'heure actuelle et est résolu par les officiers de l'état civil dans leur pratique quotidienne.

Le ministre déclare qu'en ce qui concerne l'acte de naissance, on n'a pas prévu de procédure spécifique en cas de désaccord entre les parents.

Donner un prénom à l'enfant est une prérogative de l'autorité parentale.

Si l'un des parents n'est pas d'accord avec le prénom donné par l'autre, il peut introduire une action devant le juge.

Au contraire, pour un enfant mort-né, il ne peut être question d'autorité parentale. C'est, en pratique, le déclarant qui opèrera le choix.

Cependant, il n'est pas exclu qu'en cas de désaccord, l'autre parent tente un recours en justice. Dans ce cas, il faut reconnaître que le juge aura sans doute quelque difficulté à trouver une base légale pour ordonner une modification éventuelle du prénom.

Par ailleurs, il ne paraît pas utile de prévoir une procédure spécifique pour un cas qui n'a pas encore posé de problème à l'heure actuelle.

Un membre souligne que l'acte de l'état civil est établi sur la base d'une déclaration. D'après l'article 56 du Code civil, la naissance de l'enfant est déclarée par le père et/ou la mère, ou, à défaut, par la direction de l'établissement où l'enfant est né.

Dans ce dernier cas, il est clair qu'aucun choix ne peut être opéré quant au(x) prénom(s) de l'enfant.

Mais, sans vouloir évoquer l'hypothèse extrême de la mère porteuse, un problème se pose pour les couples non mariés, lorsque la déclaration est faite par le père. Dans ce cas, en effet, la déclaration de l'enfant entraîne en principe sa reconnaissance; or, on ne peut reconnaître un enfant mort-né.

Le ministre rappelle que la nouvelle disposition proposée par l'amendement nº 1 du gouvernement s'insérerait dans le Chapitre IV du livre Ier , titre II, du Code civil, relatif aux actes de décès. En l'occurrence, il ne s'agirait pas d'un acte de décès, mais on procéderait de façon similaire.

Le précédent intervenant réplique que le problème ne se pose pas au niveau de celui qui dresse l'acte, mais réside dans la discrimination entre pères mariés et non mariés, qui pourrait donner lieu à un recours devant la Cour d'arbitrage.

Un autre membre demande si le 3º de l'article proposé par l'amendement du gouvernement ne risque pas de susciter des difficultés.

Le ministre déclare que, par son amendement, le gouvernement n'entend apporter aucun changement de fond au système du décret de 1806, qui a toujours bien fonctionné jusqu'à présent, étant entendu qu'aucune conséquence juridique ne s'attache à l'attribution du prénom par le père ou la mère. Cette attribution est d'ordre symbolique.

Il serait dangereux de prévoir des procédures spéciales pour ce que l'on appelle le père « biologique », au risque de remplacer une possible discrimination par une autre.

Le précédent intervenant suggère de laisser hors du débat la distinction entre père présumé et père biologique, qui risque de compliquer encore les choses.

Un membre propose, à titre de solution pragmatique, de permettre au père non marié de faire la déclaration, moyennant le consentement de la mère.

Un autre membre peut se rallier à cette solution, qui prend en compte la souffrance psychologique spécifique de la mère dans ce type de circonstances. Il suggère toutefois de viser, non pas le père non marié, mais, plus généralement, tout déclarant. Celui-ci pourrait être, par exemple, un membre de la famille.

L'intervenant propose de compléter le 2º de l'article 80bis proposé par l'amendement du gouvernement par les mots « et confirmée par une déclaration expresse de la mère ».

Un autre membre fait observer qu'en voulant éviter de faire une discrimination entre père marié et non marié, on en introduit une autre, cette fois entre père et mère, puisque l'on envisage que l'accord de la mère soit obligatoire, mais non celui du père.

Une intervenante souligne que l'ajout proposé au 2º suscite une difficulté supplémentaire : si la mère décède à la naissance de l'enfant, celui-ci ne pourrait plus se voir attribuer de prénom puisque, par hypothèse, le consentement de la mère ne pourrait plus être recueilli.

La commission conclut qu'en raison des objections qu'elle suscite, il est préférable de ne pas apporter au 2º la modification proposée.

L'auteur principal de la proposition de loi nº 1-711 constate que l'amendement déposé par le gouvernement à la proposition de loi de Mme Milquet (doc. Sénat, nº 1-623/2, amendement nº 1) opte pour l'insertion d'un article 80bis nouveau dans le Code civil, plutôt que pour la modification du décret du 4 juillet 1806.

L'intervenant reconnaît que cette façon de procéder est préférable, et se rallie à cette solution.

Il rappelle toutefois qu'un amendement a été déposé à l'article 4 de sa proposition de loi par Mme de Bethune, amendement qu'il a contresigné avec d'autres collègues (doc. Sénat, nº 1-711/2, amendement nº 1). Cet amendement est ainsi libellé :

« Remplacer cet article par ce qui suit :

« Disposition transitoire

« Dans les six mois de l'entrée en vigueur de la présente loi, les parents dont un enfant est né sans vie avant ladite entrée en vigueur peuvent demander que la mention dont il est question à l'article 1er bis soit inscrite en marge de l'acte visé à l'article 2. »

Justification

Il faut permettre aussi aux parents d'un enfant mort-né dans le passé de donner un nom à celui-ci.

En effet, bon nombre de parents souffrent depuis des années de n'avoir pas pu donner officiellement un nom à leur enfant qu'ils ont perdu à la naissance. Pouvoir à présent le faire serait important pour eux.

Pour des raisons de sécurité juridique, il convient toutefois de limiter cette possibilité dans le temps.

Un membre pourrait se rallier à la proposition de loi déposée par M. Anciaux et consorts. Il estime cependant lui aussi que la solution proposée par l'amendement du gouvernement est plus complète, et décrit plus adéquatement la procédure à suivre en ce qui concerne l'état civil. Pour le surplus, l'intention poursuivie est la même.

Il s'agit de porter remède à un problème qui n'est pas neuf, et au sujet duquel l'intervenant lui-même avait préparé, voici longtemps déjà, une proposition de loi qui n'a jamais abouti.

Sur le plan social, familial et émotionnel, ce serait une bonne chose que d'adopter la réforme proposée.

En ce qui concerne l'amendement nº 1 de Mme de Bethune et consorts à la proposition de loi nº 1-711, l'intervenant souligne qu'il faut vérifier s'il s'intègre adéquatement au système tel qu'il résulte de l'amendement du gouvernement.

En outre, a-t-on vérifié si la rétroactivité proposée ne risque pas d'aboutir à une surcharge des services de l'état civil, surtout dans les grandes villes ?

Cette question risque de se poser encore davantage si, comme certains le souhaitent, le délai dans lequel les parents peuvent se manifester était porté à un an.

Quant à l'insertion d'une disposition transitoire, l'auteur principal de la proposition de loi nº 1-711 rappelle que l'article 4 de celle-ci prévoyait que la loi produisait ses effets à compter de deux ans avant sa publication au Moniteur belge .

Dans cette optique, seuls les parents ayant eu un enfant mort-né dans les deux ans précédant la publication de la loi au Moniteur belge pouvaient bénéficier de la loi nouvelle.

La disposition transitoire proposée à l'amendement nº 1 de Mme de Bethune et consorts est conçue différemment, puisqu'elle permet à tous les parents d'un enfant mort-né de bénéficier des dispositions nouvelles, pour autant qu'ils le demandent dans un délai de six mois à dater de l'entrée en vigueur de la loi.

Pour adapter cet amendement à celui du gouvernement, il suffit d'y remplacer le renvoi aux articles 1er bis et 2 du décret de 1806 par un renvoi à l'article 80bis nouveau du Code civil.

M. Anciaux dépose un sous-amendement en ce sens (doc. Sénat, nº 1-623/3, amendement nº 2). Ce sous-amendement est libellé comme suit :

« Insérer une disposition transitoire, libellée comme suit :

« Disposition transitoire

« Dans les six mois de l'entrée en vigueur de la présente loi, les parents dont un enfant est né sans vie avant ladite entrée en vigueur peuvent demander que la mention dont il est question à l'article 80bis soit inscrite en marge de l'acte visé à l'article 80bis. »

Un membre constate que, vu l'unanimité de la commission sur le but poursuivi par les propositions à l'examen, la question essentielle qui paraît subsiter est celle de savoir s'il faut procéder par la voie d'une modification du Code civil, ou par celle d'une modification du décret de 1806.

L'intervenante se demande si cette dernière solution n'est pas préférable, parce qu'elle n'impliquerait pas que l'on octroie à l'enfant mort-né une personnalité juridique.

Un autre membre ne partage pas ce dernier point de vue. Le tout est de trouver la meilleure formule pour une disposition qui a une portée morale, mais qui est dépourvue de portée juridique.

À première vue, la solution proposée par le gouvernement paraît la meilleure.

Le gouvernement maintient-il cet amendement, et estime-t-il qu'il répond aux objections du professeur Senaeve ?

Le ministre souligne le but positif des divers textes proposés, à savoir la volonté de faciliter quelque peu le processus d'acceptation qui doit se faire chez les parents confrontés à une situation douloureuse.

La formule juridique la plus adéquate pour concrétiser ce but paraît être celle de l'amendement nº 1 déposé par le gouvernement à la proposition de loi nº 623. Cet amendement est maintenu et semble recueillir l'unanimité au sein de la commission.

L'amendement de Mme de Bethune et consorts (doc. Sénat, nº 1-711/2, amendement nº 1) suscite quant à lui un problème juridique, à raison précisément de la rétroactivité qu'il prévoit.

En effet, selon l'article 2 du Code civil, « la loi ne dispose que pour l'avenir; elle n'a point d'effet rétroactif ».

S'il est exact que l'on a parfois dérogé, en certaines matières, au principe de la non-rétroactivité, cela ne vaut toutefois pas pour les dispositions relatives, comme en l'espèce, à l'état des personnes.

Outre cet argument strictement juridique, l'amendement de Mme de Bethune et consorts risque aussi d'aboutir à des problèmes pratiques.

En effet, s'il prévoit un délai dans lequel les parents d'enfants nés sans vie avant l'entrée en vigueur de la loi doivent se manifester, il ne fixe aucune limite en ce qui concerne le moment auquel la naissance doit avoir eu lieu pour que les parents puissent se prévaloir de la législation nouvelle. Tous les parents dont le carnet de mariage mentionne la naissance d'un enfant mort-né pourraient dès lors se manifester, pour autant qu'ils le fassent dans le délai imparti.

De plus, le fait d'attribuer un prénom est, comme on l'a dit, une prérogative de l'autorité parentale.

Or, il n'est pas certain que, de ce point de vue, aucun changement ne soit intervenu dans la famille entre le moment de la naissance et le moment de l'attribution du prénom dans le cadre de la loi en projet.

Enfin, en ce qui concerne l'abrogation du décret de 1806, il s'agit d'une question de cohérence et de modernisation de la législation.

L'auteur de la proposition de loi nº 1-711 remercie le ministre pour ses explications, et pour l'intérêt qu'il a accordé à la problématique.

S'il comprend que, du point de vue de la justice, il importe de préserver le caractère non-rétroactif des lois en matière d'état des personnes, l'intervenant rappelle que les formalités administratives doivent être subordonnées aux personnes et non l'inverse.

Ces derniers temps, la justice a fait l'objet de vives critiques. Mais celles-ci ne concernent pas uniquement la justice, et pourraient aussi bien s'appliquer au caractère inhumain de l'administration.

L'intervenant insiste sur la différence qui existe entre la rétroactivité proprement dite et le système proposé par l'amendement de Mme de Bethune (doc. Sénat, nº 1-711/2), qu'il a cosigné.

Il souligne que les personnes qui, depuis des années, sont confrontées à cette problématique dans leur vie personnelle, s'efforcent non seulement de convaincre le législateur de modifier la loi, mais qu'elles espèrent aussi, par ce moyen, trouver une solution à leur problème personnel. L'intervenant plaide pour que les arguments juridiques qui ont été développés passent au second plan, au bénéfice de l'aspect humain des choses.

M. Bourgeois dépose au sous-amendement nº 2 de de M. Anciaux un sous-amendement, qui se limite à un renvoi à l'article 2 du décret de 1806, au lieu d'un double renvoi à l'article 80bis nouveau du Code civil. Le sous-amendement de M. Bourgeois est ainsi libellé (doc. Sénat, nº 1-623/3, amendement nº 3) :

« Remplacer la disposition transitoire proposée par ce qui suit :

« Disposition transitoire

« Dans les six mois de l'entrée en vigueur de la présente loi, les parents dont un enfant est né sans vie avant ladite entrée en vigueur peuvent demander que les prénoms de l'enfant soient mentionnés en marge de l'acte visé à l'article 2 du décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie. »

Justification

Un renvoi à l'article 80bis risque de poser des problèmes, car cet article énonce différentes mentions (voir le doc. nº 623/2, p. 2). Il est impossible que ces mentions figurent toutes en marge de l'acte. C'est pourquoi il vaudrait peut-être mieux prévoir que les prénoms soient mentionnés en marge de cet acte.

Il est fait observer que la solution proposée par le sous-amendement est impraticable, puisque l'on abroge précisément le décret de 1806.

Le précédent intervenant réplique que, si le décret lui-même est abrogé, les actes dressés sur la base de celui-ci subsistent.

Le ministre déclare qu'indépendamment de l'aspect juridique des choses, qui n'est pas négligeable, le fait d'ouvrir à tous les parents, pendant une période déterminée, le droit d'attribuer officiellement un ou des prénoms à leur enfant mort-né, aura inévitablement pour conséquence qu'ils seront confrontés à la question de savoir s'ils vont ou non faire usage de ce droit.

Ce choix ne sera pas nécessairement facile, et pourrait constituer pour certains un nouveau choc émotionnel.

C'est d'ailleurs là un des motifs pour lesquels il n'y a pas de rétroactivité possible en matière d'état des personnes. Il importe en effet qu'à partir d'un moment déterminé, les droits, et éventuellement les devoirs qui touchent de façon intime à la personne soient définitivement fixés.

Un membre estime qu'il existe une raison supplémentaire pour ne pas prévoir ici de disposition rétroactive : psychologiquement, un être n'acquiert un nom que lorsqu'il est en vie, ou lorsqu'il vient de naître. On n'acquiert pas un nom plusieurs années après être né.

Le problème du prénom à donner à l'enfant mort-né se pose pour les parents au moment même où ils sont confrontés à la naissance et au décès de cet enfant.

C'est pourquoi l'intervenant n'est pas favorable à la rétroactivité.

L'auteur principal de la proposition de loi nº 1-711 reconnaît la pertinence des observations formulées par le ministre. Il n'en demeure pas moins que certains parents qui ont eu un enfant mort-né ont donné un prénom à cet enfant, et demandent à pouvoir officialiser l'attribution de ce prénom.

Comment leur faire admettre qu'ils ne peuvent le faire, alors que d'autres parents, au seul motif que leur enfant est né après l'entrée en vigueur de la loi, le pourront ? C'est là un débat très délicat.

En tout état de cause, l'intervenant se rallie à l'idée que, si l'on permet aux parents d'enfants mort-nés avant l'entrée en vigueur de la loi de bénéficier des dispositions nouvelles, il faut introduire une limite dans le temps. On ne peut imaginer d'ouvrir ce droit pour des enfants nés, par exemple, il y a 20 ans. Tel n'était d'ailleurs pas le but du texte proposé.

Un membre estime qu'il n'appartient pas au législateur de se substituer aux parents pour apprécier ce qui est le mieux pour eux. Les parents apprécieront, en leur âme et conscience, ce qu'il y a lieu de faire dans leur cas individuel. Il s'agit là d'une question de respect des personnes.

Pour des raisons psychologiques évidentes, certains peuvent estimer important de donner un prénom à l'enfant mort-né, même si la naissance remonte à plusieurs années.

Il suffit, pour s'en convaincre, de voir quelle énergie les parents, confrontés à ce problème depuis parfois des années, ont investie dans le combat en vue de modifier la loi. Il serait dommage que ceux qui sont à l'origine de la législation nouvelle ne puissent en bénéficier. L'intervenante estime que viser les enfants nés au cours des dix dernières années serait raisonnable.

Un autre membre souligne que la naissance d'un enfant mort-né est non seulement déclarée à l'officier de l'état civil et inscrite par lui, mais qu'elle est aussi mentionné dans le carnet de mariage. Beaucoup de mères témoignent de la réticence qu'elles ont à manipuler ce carnet, même bien des années plus tard, non pas en raison de la mention de la mort de l'enfant, mais à cause du fait que cette mention n'est assortie d'aucun prénom.

C'est pourquoi certains officiers de l'état civil vont jusqu'à conseiller à ces mères d'inscrire le prénom de l'enfant au crayon dans le carnet de mariage, afin de tenter de soulager quelque peu le problème psychologique qu'elles rencontrent.

Un membre déclare avoir des objections morales à l'encontre du système de la rétroactivité. Dans quelle mesure, en effet, le législateur doit-il, par une mesure rétroactive ou d'effet équivalent, raviver des plaies parfois très anciennes ?

D'ailleurs, tous les parents confrontés à ce problème ne souhaiteront pas faire usage de la possibilité qui leur est offerte, car il y a diverses façons de faire son deuil.

De plus, le fait de permettre à tous les parents d'enfants mort-nés de se prévaloir des dispositions nouvelles pourrait, dans des cas extrêmes, aboutir à ce que l'on attribue un nom à un enfant né, par exemple il y a 20 ans.

Il se peut aussi qu'entretemps, dans la même famille, d'autres enfants soient nés; parfois, le prénom que les parents voulaient donner à l'enfant mort-né l'a été à un autre enfant, né ultérieurement.

Enfin, beaucoup d'enfants mort-nés le sont à la limite de la période de 180 jours. Ne risque-t-on pas, dès lors, de rouvrir le débat sur le statut du foetus ?

À l'heure actuelle, pour les enfants qui sont nés en-deçà des 180 jours, il est possible de prévoir un rituel funéraire. Des réglementations le permettent, et certaines institutions hospitalières le font, si les parents le souhaitent.

Un autre membre se déclare favorable à la possibilité de permettre aux parents ayant eu un enfant mort-né dans le passé de bénéficier de la loi nouvelle.

L'intervenant n'est même pas convaincu qu'il soit nécessaire de fixer une limite de dix ans, comme suggéré par un précédent orateur, la limite naturelle étant, en l'occurrence, l'existence de parents qui ont connu ce problème avant l'entrée en vigueur de la loi.

Un membre remarque que, même si elle n'entraîne pas, comme telle, d'effets juridiques, l'attribution d'un prénom à un enfant mort-né ne sera pas nécessairement sans conséquence.

Elle pourrait, par exemple, en tant qu'affirmation officielle d'un lien avec l'enfant, interférer dans des procès en cours.

Le même intervenant précise qu'un enfant avorté, par exemple lors d'un avortement médical pratiqué plus de 180 jours après le jour de la conception, ne peut recevoir de prénom.

D'autres membres le confirment, en soulignant qu'un avortement n'est pas une naissance et que, dans cette hypothèse, aucun acte n'est dressé.

Au terme de cette discussion, Mme de Bethune et consorts déposent à l'amendement du gouvernement un sous-amendement ainsi libellé (doc. Sénat, nº 1-623/3, amendement nº 5) :

« Ajouter un article 4, libellé comme suit :

« Art. 4. ­ Dans l'année de l'entrée en vigueur de la présente loi, les parents dont un enfant est né sans vie avant ladite entrée en vigueur peuvent demander à l'officier de l'état civil que les prénoms de l'enfant soient inscrits en marge de l'acte visé à l'article 2 du décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie. »

Justification

Il faut permettre aux parents d'un enfant mort-né dans le passé de donner un nom à celui-ci.

En effet, bon nombre de parents souffrent depuis des années de n'avoir pas pu donner officiellement un nom à leur enfant qu'ils ont perdu à la naissance. Pouvoir à présent le faire serait important pour eux.

Pour des raisons de sécurité juridique, il convient toutefois de limiter cette possibilité dans le temps.

Un membre fait observer que l'amendement nº 5 implique une modification, par insertion d'une mention marginale, de l'acte précédemment dressé, ainsi qu'une modification à apporter dans le livret de mariage.

Quant à la publication de la loi nouvelle, elle se fera par la voie ordinaire. Il existe un risque que les Belges établis à l'étranger, par exemple, ne soient pas informés.

Un membre se demande s'il n'y a pas lieu d'indiquer, à l'article 4 proposé par l'amendement nº 5, que la demande d'attribution de prénom(s) peut émaner des parents ou de l'un d'eux, pour rencontrer, par exemple, des situations où l'un des parents est prédécédé, ou se trouve dans l'incapacité de manifester sa volonté.

Il est répondu que cette précision risque de faire resurgir le débat relatif au désaccord éventuel entre les parents.

Il est cependant évident que, lorsqu'un des parents est décédé, l'autre peut prendre seul la décision.

VI. VOTES

L'article premier de l'amendement nº 1 du gouvernement à la proposition de loi nº 1-623 ne suscite aucune observation.

Il est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.

Le sous-amendement du gouvernement (doc. Sénat, nº 1-623/3, amendement nº 4) à l'article 2 contenu dans son amendement nº 1 est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.

Ledit article 2, ainsi sous-amendé, est adopté par 8 voix et 1 abstention, moyennant le déplacement du 2º après le 4º, et la renumérotation subséquente (voir supra , pp. 9 et 10).

Le membre qui s'est abstenu renvoie aux objections exposées ci-avant.

L'article 3 de l'amendement nº 1 du gouvernement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.

Le sous-amendement de Mme de Bethune et consorts (doc. Sénat, nº 1-623/3, amendement nº 5), complétant l'amendement nº 1 du gouvernement par un article 4 nouveau, est adopté par 7 voix et 2 abstentions.

Les amendements nº 2 de M. Anciaux (doc. Sénat, nº 1-623/3) et nº 3 de M. Bourgeois (idem) deviennent par conséquent sans objet.

L'ensemble de l'amendement nº 1, ainsi sous-amendé, est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.

Par suite de ces votes, l'intitulé proposé dans l'amendement du gouvernement doit être complété par les mots « , et abrogeant le décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie. »

Les propositions de loi nºs 1-711 et 1-892 deviennent sans objet.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.

La rapporteuse,
Andrée DELCOURT-PÊTRE.
Le président,
Roger LALLEMAND.

VII. TEXTES ADOPTÉS

COMPARATIFS


VII. VERGELIJKING VAN

DE AANGENOMEN TEKSTEN

Ce tableau p. 24 à 29 est uniquement disponible sur support papier.


ANNEXE


AVIS DU PROFESSEUR SENAEVE

(Instituut voor Famlierecht en Jeugdrecht ­ KUL)

Le 6 janvier 1999

Monsieur le président,

Objet : rédaction de l'acte relatif à l'enfant sans vie

J'ai bien reçu votre lettre du 19 novembre 1998 ainsi que les propositions de loi relatives au thème sous rubrique qui y étaient jointes.

Pour un commentaire détaillé du problème et une première analyse des propositions de loi en question, je me permets de renvoyer à l'article intitulé « De rechtspositie van het doodgeboren kind en zijn ouders » que mon assistante, Mme De Wolf, a publié dans le Rechtskundig Weekblad du 17 octobre 1998. (...)

Dans la mesure où vous avez souhaité connaître mon point de vue au sujet du risque que pourrait comporter le fait d'attacher des effets juridiques à la modification proposée de la législation, je formulerais les considérations suivantes :

1. Le fait de mentionner le nom et le prénom de l'enfant dans l'acte de naissance ne produirait en soi aucun effet juridique. L'effet serait purement psychologique : on manifesterait ainsi la volonté de rencontrer le souhait des parents de l'enfant mort-né en permettant que l'on enregistre l'enfant sans vie en mentionnant le (pré)nom que ses parents avaient choisi.

La rédaction de l'acte lui-même ainsi que les mentions qui y sont portées relèvent évidemment de l'application des articles 1383 et suivants du Code judiciaire relatifs à la rectification des actes, mais pour le reste, je ne vois pas d'autres implications directes au niveau des rapports juridiques.

2. La possibilité facultative d'inclure dans l'acte le nom de l'enfant sans vie n'a aucun effet juridique dans le chef de l'enfant, vu que celui-ci n'aura jamais la personnalité juridique (n'étant pas né vivant et viable) et qu'il ne peut donc acquérir ni droits ni obligations.

La possibilité d'opter pour l'inscription du nom peut par ailleurs être considérée comme un droit de choisir du parent, qui a alors bel et bien des effets juridiques.

* Ce droit existerait toujours dans le chef de la femme qui accouche de l'enfant (vu qu'elle aurait été juridiquement la mère de celui-ci). Quant au père, il n'aurait ce droit que s'il est l'époux légal de la mère. Tels semblent être en tout cas les points de départ retenus par les propositions de loi.

Ces points pourraient tous deux poser des problèmes. Ainsi la mère biologique n'est-elle pas toujours la même personne que la mère génétique (par exemple, en cas de fertilisation in vitro avec donation d'ovule). Pour ce qui est des droits du père, on doit constater qu'il s'ensuit une discrimination entre parents mariés et non mariés. Comme une reconnaissance ou une recherche de paternité après la naissance d'un enfant sans vie sont exclues dans l'état actuel de notre droit de la filiation, le père non marié ne pourrait jamais faire établir sa paternité.

* Si, inversement, en mentionnant le « père » et la « mère » dans le nouvel article, on réservait sans plus le droit de choisir aux parents biologiques, on se trouverait confronté tout autant à des problèmes. Outre celui de la maternité génétique et biologique, une nouvelle difficulté peut apparaître du côté du père. Le droit de choisir de la mère biologique de l'enfant sans vie est plus absolu que celui du père biologique (mais non juridique) d'un enfant né vivant et viable. En l'espèce, toutefois, la différence semble justifiée en raison de l'importance psychologique du processus de deuil pour le parent biologique d'un enfant mort-né (élément qui n'est pas présent dans le cas du parent d'un enfant né vivant, parent qui dispose d'ailleurs encore du droit de filiation et, le cas échéant, de l'article 335, § 3, du Code civil, pour faire valoir ses droits), et en raison du fait que la mention elle-même est dépourvue de toute conséquence juridique (cf. le point 1).

3. Pour ce qui est de mentionner le nom en plus du prénom, je renvoie à la publication susvisée, p. 216, nº 27, qui en expose l'opportunité, de même qu'en ce qui concerne le champ d'application de l'article (limite de 180 jours), à la p. 214, nº 21. Afin de conformer l'octroi du nom à ce qui existe déjà pour les enfants nés vivants, on pourrait effectivement faire référence (comme dans la proposition de M. Anciaux) à l'article 335, du Code civil; quant au prénom, on pourrait en principe, pour l'uniformité de notre droit, faire référence à l'article 1er de la loi du 15 mai 1987 relative aux nom et prénom (quoique, en l'absence de tout effet juridique, cela n'ait en soi pas d'importance). Les propositions ne prévoient nulle part ce qu'il y a lieu de faire en cas de contestation entre deux ou plusieurs parents. C'est effectivement aussi un point très délicat. Même si, par analogie au droit de choisir des parents dans le cas d'enfants nés vivants et viables, on confiait au tribunal de première instance le règlement de cette contestation, le critère de l'intérêt de l'enfant ne serait d'aucune pertinence pour le choix final et il faudra que le législateur ou la jurisprudence recherche un autre critère éventuel en cas de conflit, à moins que le législateur n'exclue à priori toute contestation.

J'espère, monsieur le président, que ces quelques réflexions auront répondu à votre attente et je reste à votre disposition pour de plus amples commentaires éventuels.

(formule de politesse)

P. SENAEVE.