(Fr.): Question posée en français - (N.): Question posée en néerlandais
La semaine dernière, le Sénat a été saisi du projet de loi modifiant la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et la loi du 6 avril 1995 relative aux marchés secondaires, au statut des entreprises d'investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et conseillers en placements.
La loi en projet instaure, pour les notaires, les huissiers de justice et les experts-comptables, une obligation de déclarer certains actes déterminés qui sont liés au blanchiment de capitaux provenant de délits en rapport avec le trafic de la drogue, les carroussels T.V.A. et d'autres formes de criminalité très grave ou organisée.
Cette obligation administrative est définie à dessein et à juste titre beaucoup plus strictement que les actes qui sont actuellement punissables en application de l'article 505 du Code pénal, qui a été modifié pour la dernière fois en 1995. Le fait de recevoir des capitaux provenant d'un délit quelconque, comme un délit fiscal, est punissable. Il n'est pas nécessaire que la personne qui pose l'acte soit au courant de l'origine délictueuse des capitaux ou biens concernés, il suffit qu'elle « devait » en connaître l'origine.
L'on peut déjà déduire des travaux préparatoires des dispositions nouvelles de l'article 505, premier alinéa, 2º, 3º et 4º, du Code pénal, qui furent insérées dans celui-ci par la loi du 7 avril 1995, ainsi que de la doctrine, que l'auteur principal du délit initial (c'est-à-dire le délit qui a généré les avantages patrimoniaux concernés) est punissable pour les comportements visés à l'article 505, premier alinéa, 3º et 4º, du Code pénal, mais pas pour les comportements visés à l'article 505, premier alinéa, 2º, du Code pénal (voir par exemple Verstraeten, R., et Dewandeleer, D., « Witwassen na de wet van 7 april 1995 : kan het nog witter ? », R.W., 1995-1996, pp. 691-692).
À l'époque, l'on avait fait référence, dans l'exposé des motifs, à l'analogie avec le recel, pour ne pas rendre l'auteur principal du délit punissable du chef du délit de blanchiment visé à l'article 505, premier alinéa, 2º, du Code pénal (doc. Sénat, session 1994-1995, nº 1323-1, p. 10).
Or, l'on chercherait en vain, dans la doctrine et la jurisprudence relatives au recel, une indication selon laquelle le voleur-receleur ne serait punissable du chef du recel que lorsque le vol et le recel ont été commis dans le cadre du même comportement matériel, auquel cas il serait évidemment injustifié d'utiliser deux incriminations. En cas de vol, c'est normalement l'enlèvement frauduleux du bien qui constitue le fait matériel unique susvisé.
Dans les autres cas, le voleur reste cependant bel et bien punissable du chef de recel commis sous l'empire d'un autre comportement.
Il faut bien se rendre compte que la vente, l'échange, la gestion ou la réception d'avantages patrimoniaux provenant de délits, sera beaucoup plus difficile à assimiler matériellement du comportement qui s'est trouvé à la base du délit initial que le recel.
L'honorable ministre pourrait-il dès lors me dire comment l'on a pu se baser, comme on l'a fait dans l'exposé des motifs susvisé, sur le cas du délit classique de recel pour considérer que l'auteur principal du délit initial ne serait pas punissable, en application de l'article 505, premier alinéa, 2º, du Code pénal, alors que la personne qui s'est contentée de poser l'opération de blanchiment serait bel et bien punissable quant à elle ? Est-ce que l'on a tenu compte du fait qu'il peut y avoir eu prescription pour ce qui est du délit initial, et qu'il est donc possible que l'auteur du délit initial ne soit pas inquiété et que l'on punisse uniquement l'auteur du « blanchiment » ? Est-ce que l'on ne permet pas ainsi exagérément les intermédiaires alors que l'auteur principal reste hors d'atteinte ? Est-il juste de punir, en cas de réinjection, dans le circuit économique, par exemple de capitaux fiscalement suspects, le seul intermédiaire qui reçoit l'« avantage patrimonial » ou qui le conserve en dépôt en épargnant la personne qui a commis le délit fiscal ?
Ces intermédiaires, dont vos services ont sollicité l'avis au sujet de l'élargissement éventuel des obligations de déclaration, ont-ils suffisamment conscience du problème et de la très large portée de l'article 505, premier alinéa, 2º, du Code pénal ? Ne serait-il pas souhaitable d'organiser une campagne d'information sur la question à l'occasion de l'instauration des obligations de déclaration concernées ?