1-1008/1

1-1008/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 1997-1998

2 JUIN 1998


Proposition de loi modifiant l'article 1409, § 1er , et l'article 1410, § 2, du Code judiciaire, en vue d'adapter la quotité non cessible ou non saisissable de la rémunération

(Déposée par Mme Bea Cantillon)


DÉVELOPPEMENTS


Au chapitre 5 du titre Ier de la cinquième partie du Code judiciaire, qui concerne les saisies conservatoires et les voies d'exécution, sont désignés les biens qui ne peuvent pas être saisis par un créancier. L'article 1409 dudit Code détermine plus précisément dans quelle mesure il convient de mettre la rémunération du débiteur à l'abri de la cession ou de la saisie.

En exécution du § 2 de l'article 1409 du Code judiciaire, l'arrêté royal du 11 décembre 1997 (Moniteur belge du 25 décembre 1997) fixe les montants pour l'année 1998 comme suit :

Salaire mensuel net Partie cessible ou saississable
jusqu'à 31 900 nihil
de 31 901 à 34 300 1/5 de la somme comprise entre ces deux montants
de 34 300 à 41 300 2/5 de la somme comprise entre ces deux montants
au-delà de 41 300 la partie dépassant ce montant

La même réglementation est applicable en ce qui concerne toute une série d'allocations qui sont énumérées à l'article 1410 du Code judiciaire et parmi lesquelles figurent les pensions alimentaires, les pensions et rentes et les pécules de vacances. Les allocations de chômage et les allocations payées par les fonds de sécurité d'existence sont, elles aussi, saisissables dans les limites fixées.

Les organisations qui défendent les droits des indigents soulignent souvent que la pauvreté résulte d'une spirale d'endettement dans laquelle certaines personnes sont emportées et qu'elle acquiert souvent un caractère permanent en raison de l'existence de cette spirale (voir notamment le Rapport général sur la pauvreté de la Fondation Roi Baudouin). Les organisations en question réclament un relèvement du minimum socio-vital insaisissable. L'un des problèmes auxquels on est confronté, vient, selon elles, de ce que on ne tient pas compte, en fixant le montant saisissable de la rémunération, de la charge de famille éventuelle du saisi, ni de l'existence éventuelle d'autres revenus du ménage. Or, le fait de savoir si le débiteur doit ou non entretenir un ménage est pourtant capital lorsqu'il y a lieu de déterminer si la limite de la pauvreté ou de l'insécurité d'existence a été atteinte.

Afin de pouvoir fixer la limite au-delà de laquelle la sécurité d'existence n'est plus assurée, l'on a organisé une enquête pour savoir de quel budget mensuel un ménage a besoin. Partant d'un « panier » déterminé de besoins de base (alimentation, vêtements, transport, services et activités de loisirs, ...), l'on a calculé le budget mensuel minimum dont doivent disposer trois types de ménages (K. Van den Bosch, Wat heeft een gezin nodig om rond te komen ?, Berichten CSB, octobre 1997). Voici les types de ménage qui ont fait l'objet de l'enquête : une personne âgée isolée, une famille monoparentale comptant deux enfants et un couple ayant deux enfants. L'on considère que ce dernier type de ménage a besoin d'un budget mensuel de 44 273 francs lorsqu'il ne doit pas louer son logement, de 47 690 francs lorsqu'il loue un logement social et de 56 397 francs lorsqu'il loue un logement sur le marché privé. Pour ce qui est des familles monoparentales comptant deux enfants, les budgets nécessaires s'élèvent, selon le cas à 36 175 francs, 40 280 francs et 47 833 francs.

Si l'on ajoute au montant non saisissable de 31 900 francs, les allocations familiales ordinaires pour deux enfants (2 706 francs plus 5 007 francs), l'on arrive à 39 613 francs. Les suppléments d'âge s'élèvent à 3 512 francs maximum (deux enfants de plus de 18 ans). Dans bien des cas, il y a une forte divergence entre les montants de rémunération insaisissables et les budgets minimaux nécessaires.

Le fait que l'on ne tienne pas compte des allocations familiales dans le calcul de la rémunération saisissable (article 1410, § 2, 1º, du Code judiciaire) est bien entendu positif. Des enquêtes ont toutefois montré que ces allocations ne suffisent même pas à couvrir le montant minimum des frais à exposer pour les enfants. De plus, les allocations familiales ne sont pas égales pour tout le monde; elles sont moins élevées dans le régime des travailleurs indépendants et plus élevées pour certaines catégories d'allocataires. Le revenu saisissable est donc de facto différent selon la catégorie socio-professionnelle à laquelle on appartient.

Qui plus est, la réglementation concernant les montants saisissables semble faire tomber des gens dans le piège du chômage.

Compte tenu de la limite minimale de 31 900 francs, l'on saisit rarement, en pratique, les allocations de chômage. L'on a constaté, le 1er janvier 1997, que, pour l'ensemble de la population inscrite au 1er janvier 1997 au registre du chômage de l'Office national de l'Emploi, il y a eu 130 000 notifications de saisies régulières. L'on en a exécuté 19 000, qui sont venues s'ajouter aux 15 000 saisies qui furent opérées en exécution de la législation sur les pensions alimentaires (voir le Rapport du conseil supérieur de l'emploi, janvier 1998, annexe 2). Dans ce contexte, un chômeur qui est menacé d'une saisie, sera peu disposé à accepter un emploi, étant donné que les revenus supplémentaires qu'il pourrait en tirer tomberaient progressivement aux mains de ses créanciers. Le fait que le chômeur qui a droit à des allocations familiales majorées perd le supplément d'allocations lorsqu'il accepte un emploi au bout de deux semaines, ne fait que renforcer l'effet dénoncé ci-dessus; dès lors, le revenu non saisissable diminue, étant donné que le supplément dont l'intéressé était bénéficiaire était insaisissable.

La proposition qui vous est soumise vise à augmenter la partie exonérée de la rémunération, en augmentant les limites légales d'un montant déterminé pour tous les ménages avec enfants qui touchent des allocations familiales de quelque régime que ce soit. Les montants de base non saisissables sont majorés du montant qui serait accordé pour l'enfant ou pour les enfants au cas où la réglementation en vigueur serait la réglementation concernant les prestations familiales garanties, y compris le supplément d'âge.

Le tableau suivant indique les montants des allocations familiales garanties au 1er octobre 1997 :

Allocations familiales : par mois

Premier enfant : 4 084 francs;

2e enfant : 5 861 francs;

3e enfant et enfants suivants : 7 626 francs.

Supplément d'âge : par mois

Enfant de 6 à 12 ans : 940 francs;

Enfant de 12 à 18 ans :1 436 francs;

Enfant de 18 à 25 ans : 1 756 francs.

Selon la réglementation définie dans la proposition à l'examen, la limite sous laquelle on ne peut procéder à aucune saisie s'élève, pour deux enfants, à :

Famille monoparentale/Couple Limite pour la saisie
2 enfants < 6 ans 41 845 francs
2 enfants
1 entre 6 et 12 ans
1 < 6 ans
42 785 francs
2 enfants entre 6 et 12 ans 43 725 francs
2 enfants
1 entre 12 et 18 ans
1 entre 6 et 12 ans
44 221 francs
2 enfants entre 12 et 18 ans 44 717 francs
2 enfants
1 entre 18 et 25 ans
1 entre 12 et 18 ans
45 037 francs
2 enfants entre 18 et 25 ans 45 357 francs

Budgets minimaux

Famille monoparentale Couple
sans loyer : 36 175 francs sans loyer : 44 273 francs
loyer social : 40 280 francs loyer social : 47 690 francs
loyer privé : 47 833 francs loyer privé : 56 397 francs

Les limites à respecter en cas de saisies, qui sont mentionnées ci-dessus, sont plus proches des limites minimales calculées scientifiquement que les limites existantes.

Bea CANTILLON.

PROPOSITION DE LOI


Article premier

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 1409, § 1er , du Code judiciaire est complété par un quatrième alinéa, rédigé comme suit :

« Lorsque des prestations familiales sont versées, les montants mentionnés aux alinéas précédents sont majorés du montant correspondant au rang de l'enfant dans le régime des prestations familiales garanties, quel que soit le régime réellement applicable. Toutefois, lorsque le montant qui est prévu en application du régime réellement applicable est plus élevé, c'est celui-ci qui est accordé. »

Art. 3

Le premier alinéa de l'article 1410, § 2, du même Code est supprimé.

Bea CANTILLON.