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SÉANCE DU MERCREDI 16 JUILLET 1997 |
VERGADERING VAN WOENSDAG 16 JULI 1997 |
M. le président. L'ordre du jour appelle la demande d'explications de Mme Milquet au vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur et au ministre de la Justice.
La parole est à Mme Milquet.
Mme Milquet (PSC). Monsieur le président, cette demande d'explications fait suite au rapport du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, paru en mars dernier, relatif à l'évolution et aux résultats de la lutte contre la traite des êtres humains.
Ce rapport fournit une analyse stricte et rigoureuse de la manière dont le phénomène de la prostitution est abordé dans les cinq plus grandes villes de notre pays.
Il en ressort qu'à l'échelon national, il n'existe aucune politique concertée et organisée relative à la lutte et au contrôle de la prostitution.
Je reconnais que cette analyse est basée sur les années antérieures et qu'il n'existait pas, à ce moment-là, de collège institutionnalisé de procureurs-généraux chargé d'élaborer cette politique criminelle.
Selon moi, c'est dès lors à juste titre que ce rapport s'intitule : « Traite des êtres humains : encore trop de laxisme et d'indifférence ». Ainsi, si le phénomène paraît correctement endigué et contrôlé à Gand, et cela grâce uniquement aux initiatives locales,la situation paraît, par contre, beaucoup plus préoccupante pour ne pas dire alarmante à Bruxelles, Anvers, Liège ou Charleroi.
Les causes de cette situation sont dénoncées par le rapport qui souligne, entre autres, un manque criant de coordination entre les différents corps de police eux-mêmes, mais aussi l'absence de toute coordination entre ces corps et les administrations fiscales ou sociales.
Le recours aux services de ces administrations fiscales et sociales se révèle pourtant particulièrement efficace, ainsi qu'en témoigne l'exemple de Gand.
Cette approche financière de la prostitution s'avère également lucrative puisqu'à Gand des saisies ont été pratiquées au profit de l'État belge à concurrence de 75 millions de francs belges.
Les déficiences dénoncées par le rapport se situent à différents niveaux, d'abord celui des parquets où il semblerait qu'aucune politique criminelle n'existe en la matière. Les quelques substituts qui s'attaquent à ce phénomène se trouvent confrontés au traditionnel manque de moyens financiers et humains. Il ressort également du rapport qu'il n'y a que peu ou pas de dialogue entre les parquets et les administrations fiscales et sociales.
Je souhaite donc vous poser différentes questions, monsieur le ministre. Considérez-vous la lutte contre la prostitution comme un élément prioritaire d'une politique criminelle fédérale ? Envisagez-vous une politique clairement définie à l'encontre de la prostitution ? N'estimez-vous pas nécessaire d'affecter beaucoup plus de moyens humains et financiers à la lutte contre ce phénomène ? Connaissant la rareté des moyens, j'estime que c'est une question de priorité. Existe-t-il, depuis la parution de ce rapport, des circulaires organisant ou préconisant la collaboration entre les parquets et diverses administrations fiscales et sociales de manière à répondre aux objections du rapport ?
D'autres dysfonctionnements ont été relevés en ce qui concerne la politique des étrangers. Beaucoup de prostituées proviennent d'Afrique noire ou d'Europe de l'Est. À leur arrivée en Belgique, elles sollicitent le statut de « réfugiée politique » et, une fois installées dans la prostitution, entreprennent de multiples démarches afin de prolonger de manière anormalement longue le traitement de leur dossier et, par le fait même, leur séjour en Belgique, ou entrent immédiatement en clandestinité. Des mesures sont ou seront-elles prises pour mettre fin à cette dérive ou la prévenir ?
Des dysfonctionnements ont également été relevés au sein des différents corps de police. Au travers d'analyses de la politique menée à Gand, le rapport émet une série de propositions ponctuelles, mais efficaces, dans la manière d'organiser les corps de police en matière de lutte contre la prostitution.
Ces mesures sont : la régularité et l'exhaustivité des contrôles effectués; un recensement systématique des nouvelles femmes étrangères qui viennent travailler dans le milieu avec entretien d'informations; l'incorporation dans les corps de police de personnel féminin, ce qui permet la création d'une relation de confiance entre l'organe de police et la prostituée; la mise en place d'un système de rotation et de contrôle interne; un contrôle rigoureux du respect de la législation sociale ou fiscale; la constitution et la mise à jour d'un fichier en bonne et due forme et le transfert de ces données au S.G.A.P.; l'identification et l'analyse du milieu.
Ces diverses mesures sont très utiles et ne devraient pas nécessiter des moyens budgétaires importants.
Compte-t-on former des policiers, que ce soit pour la police judiciaire ou pour la gendarmerie, de façon à essayer de répondre à ces différentes orientations ?
Plus généralement, quelles mesures comptez-vous prendre, monsieur le ministre, pour répondre à l'analyse résultant du rapport ? Certaines actions ont-elles déjà été entreprises depuis sa parution en mars dernier ?
M. le président. La parole est à M. De Clerck, ministre.
M. De Clerck, ministre de la Justice. Monsieur le président, étant donné la façon dont les travaux ont été organisés cet après-midi, je répondrai aussi au nom de M. Vande Lanotte.
La demande d'explications de Mme Milquet s'inspire du contenu des conclusions du rapport du Centre pour l'égalité des chances relatif à la lutte contre la traite des êtres humains déposé en mars 1997.
Celles-ci sont parfois un peu sévères pour ceux qui assument des responsabilités sur le terrain, mais il n'en reste pas moins vrai que la situation mérite une attention toute particulière, d'autant que le contexte politique et socio-économique mondial constitue aujourd'hui un facteur important de développement du phénomène de la traite des êtres humains, que ce soit dans le domaine de l'exploitation de la main-d'oeuvre ou dans celui de l'exploitation sexuelle.
Cela justifie certainement la mise en oeuvre d'une politique cohérente et efficace, tant au niveau national que local, mais aussi l'établissement d'une réflexion et d'une collaboration à l'échelon international.
Sur le plan de la justice, je voudrais d'abord rappeler qu'en 1995, à la suite du travail minutieux réalisé par la commission d'enquête parlementaire sur la traite des êtres humains, notre pays s'est doté d'une législation progressiste, sanctionnant lourdement les actes qualifiés de traite des êtres humains, qu'il s'agisse d'abus commis à l'égard d'étrangers dans le cadre de l'immigration ou de faits d'exploitation sexuelle.
Je rappellerai simplement les quelques innovations suivantes : l'instauration du principe d'extra-territorialité, la cause aggravante de participation à une association,l'action en cessation, la confiscation spéciale,le dispositif de suivi de la loi et, enfin, le droit d'ester en justice accordé à des associations agréées.
Une évaluation des lois de 1995 est en cours et je soumettrai prochainement un projet de loi au Conseil des ministres afin de supprimer certaines lacunes de ces lois et d'améliorer ce qui peut ou doit l'être.
S'agissant de la politique criminelle, c'est-à-dire de la politique des recherches et des poursuites, tant le rapport du gouvernement d'octobre 1996 que celui du Centre pour l'égalité des chances de mars 1997 nous ont montré qu'elle faisait défaut, certainement au niveau national, mais sans doute aussi au niveau local.
Or, il ne suffit pas de disposer de bonnes lois, encore faut-il qu'elles soient appliquées d'une façon juste et cohérente.
Au début du mois d'avril dernier, j'ai décidé d'entamer le processus d'élaboration d'une directive ministérielle relative à la politique criminelle en matière de traite des êtres humains et d'exploitation sexuelle. J'ai donc demandé au service de la politique criminelle de préparer une note reprenant, d'une part, toutes les informations utiles, notamment quant à la manière dont les législations sont appliquées dans les différents ressorts du pays et, d'autre part, des propositions d'orientation d'une politique cohérente des recherches et des poursuites en la matière. Les directives seront ensuite établies en concertation avec le collège des procureurs généraux installé depuis le 15 mai dernier. La matière est particulièrement complexe et le processus d'élaboration de cette politique criminelle prendra donc un certain temps.
Je puis vous dire que la phase d'information du travail du service de la politique criminelle comprendra une large consultation des acteurs de terrain, c'est-à-dire les policiers, les magistrats, les services d'inspection, mais aussi le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme et les associations actives sur le terrain, dont les centres d'accueil pour les victimes de la traite des êtres humains.
Concernant la politique des étrangers et, plus particulièrement, le problème de l'utilisation abusive de la procédure de demande d'asile, il est exact qu'un nombre important de prostituées en provenance d'Afrique mais aussi d'Europe de l'Est, recourent à ce procédé pour obtenir un titre de séjour provisoire. En règle générale, elles ne peuvent toutefois séjourner longtemps en Belgique car, dans le cas où l'on constate l'appartenance au monde de la prostitution de la personne demandant l'asile, le dossier est traité de manière prioritaire et la plupart des prostituées concernées tombent donc vite dans l'illégalité.
La politique menée par le ministre de l'Intérieur à l'égard des demandeurs d'asile travaillant dans la prostitution est double.
En premier lieu, prévaut la règle du traitement prioritaire des procédures d'asile dans un temps aussi court que possible; après quoi, il pourra éventuellement être procédé à l'expulsion. À l'égard des victimes de la traite des êtres humains celles qui souhaitent témoigner à charge des organisateurs de la traite prévaut une règle particulière d'accueil. En effet, ces victimes peuvent rester en Belgique dans l'attente de la poursuite de l'enquête judiciaire. Elles ne sont pas expulsées et peuvent obtenir un accompagnement.
Alors que, par le passé, il était difficile de mener une politique coordonnée d'expulsions en raison du manque de places pour des femmes en milieu fermé, depuis le mois de mars, il existe plus de possibilités à la suite de l'ouverture d'une aile particulière pour les femmes dans le centre fermé de Bruges.
C'est dans ces circonstances que le ministre de l'Intérieur a pris l'initiative de rendre effective une politique à l'égard des prostituées résidant illégalement. Des réunions ont été tenues entre les services de police et l'Office des étrangers afin d'organiser des contrôles systématiques des personnes résidant illégalement et de mener une action coordonnée pour l'organisation d'expulsions de ceux qui séjournent illégalement dans notre pays. À l'exception des victimes de la traite des êtres humains qui acceptent de collaborer effectivement dans le cadre des enquêtes judiciaires contre les organisateurs de la traite des êtres humains, les personnes résidant illégalement feront l'objet d'une expulsion. Dans une première phase, les actions ont été concentrées sur Anvers, mais elles seront ensuite étendues à d'autres villes.
Enfin, concernant les services de police, mon collègue, le ministre de l'Intérieur, apporte quelques éléments de réponse :
Il rappelle tout d'abord que ce ne sont pas uniquement les brigades de gendarmerie qui sont concernées par la lutte contre la traite des êtres humains mais d'autres services de police également. Au sein des zones interpolices, des accords doivent être conclus entre les services de police avec consultation des différents membres de la concertation pentagonale. Le ministre de l'Intérieur n'intervient pas lorsque les parties concernées s'entendent.
Cela signifie que, dans la pratique, tous les services de police doivent être formés. Cette formation a déjà eu lieu au sein de la gendarmerie comme cela a été exposé dans le rapport du centre et dans le rapport du gouvernement.
Ensuite, si l'approche suivie à Gand peut effectivement représenter un modèle, elle ne peut être transposée telle quelle dans les autres communes. Il faut tout d'abord bien respecter les principes de l'autonomie communale et, ensuite, tenir compte du fait que la problématique de chaque ville présente des difficultés spécifiques nécessitant une approche particulière.
À la question de la mise en oeuvre de contrôles réguliers et exhaustifs, le ministre de l'Intérieur estime, et je partage son avis, qu'il convient de privilégier des contrôles réguliers et bien préparés plutôt que des opérations« coup de poing » : celles-ci ont peut-être un effet dissuasif immédiat mais il disparaît très vite. Selon nous, il convient donc d'envisager des « actions-pilotes » qui seraient menées dans quelques grandes villes et dont on examinerait les effets en profondeur, avant d'envisager l'opportunité de leur généralisation.
Le ministre de l'Intérieur est convaincu qu'il convient de tenir, de manière systématique, des listes des nouvelles prostituées étrangères. Il envisage d'inscrire dans les contrats de sécurité et de société des grandes villes une clause prévoyant d'installer dans les services de police, un point d'accueil et d'information permanent pour ces personnes, lequel serait tenu par du personnel de préférence de sexe féminin.
À propos de la présence des femmes dans les corps de police comme personnes de confiance pour les prostituées, le ministre de l'Intérieur confirme que l'on poursuivra les efforts pour augmenter le recrutement de femmes dans les services de police. Il remarque néanmoins que certains hommes peuvent, sans problème, assumer le rôle de personnes de confiance.
Comme en témoigne le rapport du gouvernement, l'instauration du principe de rotation dans les services de police continue à poser des problèmes, surtout au niveau de l'organisation des corps de police. Ces difficultés pourraient être résolues par la prévision d'une rotation sur un plus long terme et assortie d'un contrôle plus strict.
Enfin, l'identification et l'analyse du milieu devra encore donner lieu à un travail en profondeur au sein des services de police et, notamment, de la cellule traite des êtres humains du B.C.R. de la gendarmerie chargée de cette mission à l'échelon fédéral.
En conclusion, j'insiste sur le fait que le gouvernement est convaincu de la nécessité de suivre de près la problématique de la traite des êtres humains et de l'exploitation sexuelle en raison du fait que ce phénomène porte gravement atteinte à la dignité humaine.
L'action menée au sein de la cellule interdépartementale de lutte contre la traite des êtres humains ainsi que de la cellule de coordination sera poursuivie.
J'espère que les directives de politique criminelle que je prendrai au terme du travail d'information du service de ladite politique, dont j'ai fait état, contribueront à rendre plus cohérente l'action des autorités publiques et qu'une collaboration plus étroite de tous les services et autorités compétents rendra celle-ci efficace.
En tant que ministre de la Justice, je considère ces directives comme fondamentales. Bon nombre de dispositions ont déjà été prises en ce qui concerne les victimes. Mais la politique en matière d'enquête doit également être améliorée et, sur ce plan, les directives sont indispensables.
M. le président. La parole est à Mme Milquet.
Mme Milquet (PSC). Monsieur le président, nous attendrons avec impatience ces directives ainsi que les différentes propositions de réforme en la matière. Nous espérons qu'il en sera question dans le prochain rapport du Centre pour l'égalité des chances.
M. le président. L'incident est clos.
Het incident is gesloten.