1-872/1

1-872/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 1997-1998

6 FÉVRIER 1998


Proposition de loi réglementant le découvert bancaire quant au montant et aux taux d'intérêts réclamés

(Déposée par M. Poty et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Dans une précédente proposition de loi relative à la problématique des taux d'intérêts débiteurs dus sur les découverts auprès des établissements de crédit (doc. Sénat, nº 1-676/1), l'accent était mis sur l'obligation de mieux informer le client dont le compte courant présentait un découvert bancaire. Cette proposition de loi a été adoptée à l'unanimité par le Sénat le 4 décembre 1997.

Outre le manque de transparence, les débats avaient également mis en évidence deux éléments qui, au fil des ans, avaient engendré des abus sur les découverts bancaires.

Pour clarifier la proposition, il est indispensable de rappeler tout d'abord que les découverts sur les comptes à vue, d'une façon générale, sont considérés comme un crédit au sens de l'article 1er , 4º, de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation. Plus particulièrement, s'il s'agit d'une ouverture de crédit, définie à l'article 1er , 12º, de cette loi.

Tous les découverts sur compte à vue ne sont cependant pas régis par la loi du 12 juin 1991 par le jeu de l'exception reprise dans son article 3, § 1er , 4º. Sont ainsi exclues, les « ouvertures de crédit remboursables dans un délai ne dépassant pas trois mois et portant sur un montant inférieur à 50 000 francs ». L'exclusion de la loi est donc soumise à ces deux conditions cumulatives.

En fait, la pertinence de l'exclusion est très contestable (voir en ce sens, le rapport de la Commission d'étude pour la réforme du droit de la consommation, Bruxelles 1995, pp. 185 et 190).

On constate aujourd'hui que beaucoup de banques accordent aux titulaires de comptes à vue, sans un minimum d'enquête, une carte de débit autorisant implicitement des découverts permanents jusqu'à 49 999 francs.

Des dizaines de milliers de consommateurs ne sont, aujourd'hui en « positif » que un ou deux jours par mois, le temps de percevoir leurs revenus mensuels. Beaucoup de clients empruntent même tous les trois mois auprès d'amis ou de membres de leur famille la somme néanmoins nécessaire pour être un jour en positif et s'assurer ainsi l'usage de leur compte courant.

Il n'est pas rare que des clients possèdent un compte à vue avec d'importants découverts dans plusieurs banques.

Ainsi, ces clients se trouvent en situation de surendettement sans bénéficier des protections mises en place par la loi du 12 juin 1991.

Pris dans l'engrenage d'un découvert trop important pour leurs petits revenus, ces dizaines de milliers de clients sont aujourd'hui dans une situation de dépendance vis-à-vis de leur banque. En conséquence, ils ne savent plus profiter de la concurrence et il n'y a donc plus de libre choix du consommateur. Il appartient donc au législateur d'y veiller en le protégeant des excès et abus dont il est victime. Quant aux banques qui se plaignent des risques importants engendrés par les découverts sur compte à vue, elles devraient apprécier les règles visant à limiter les risques financiers.

J'ai mené avec mes collaborateurs une enquête auprès de 872 personnes de l'arrondissement de Charleroi.

Je les invitais entre autres, à donner leur avis en cette matière. Interrogés quant au montant maximum sur compte à vue, 88 % des citoyens souhaitaient que le système actuel soit revu.

44 % estiment qu'il faut limiter le découvert à 30 000 francs, 31 % estime qu'il faut limiter le découvert en fonction des revenus, 6 % estiment qu'il faut limiter le découvert à 10 000 francs et 3 % d'entre eux estiment qu'il faut limiter le découvert à 20 000 francs, 1 % à 15 000 et 10 % ne répondent pas. 2 % seulement souhaitent le statu quo.

De toute évidence, une grande majorité désire limiter les risques encourus par un découvert trop important. Il apparaît qu'établir une limite en fonction des revenus n'est pas une solution; elle est séduisante mais techniquement impossible et surtout très coûteuse. Il faut plus ou moins donc se prononcer sur une somme de 25 000 francs (ou 30 000 francs) qui correspond au montant des allocations sociales de centaines de milliers de personnes en Belgique (minimex ménage, chômage, V.I.P.O., ...).

La plupart des services sociaux ainsi que les organisations de consommateurs soulignent les dangers de l'utilisation permanente des découverts qui mènent souvent au surendettement. Leur demande, maintes fois répétées, est de diminuer le seuil d'application de la loi à 25 000 francs.

En modifiant simplement le montant figurant à son article 3, § 1er , 4º, on rend la loi applicable au découvert sur compte à vue à partir de 25 000 francs. L'autre condition reste cependant d'application : le remboursement obligatoire du montant prélevé dans un délai ne dépassant pas trois mois. Lorsque les deux conditions ne sont pas remplies, l'exclusion ne joue pas, même s'il s'agit de montants inférieurs à 25 000 francs.

Cette modification a notamment pour conséquence que pour les ouvertures de crédit répondant aux nouvelles conditions (montant consenti supérieur à 25 000 francs et absence d'obligation de rembourser dans les trois mois), un taux annuel effectif global maximum est dorénavant d'application.

En matière de crédit, la liberté n'est en rien privée puisque tous ceux qui ont besoin d'un prêt de plus de 25 000 francs pourront toujours le négocier, cette fois dans la clarté, avec leur banque et à leur avantage selon les dispositions légales.

« Économes » lorsqu'il s'agit de verser des intérêts, les banques pratiquent tout autrement quant au traitement des découverts bancaires.

Si La Poste et quelques banques moins importantes réclament des taux inférieurs à 20 %, une enquête menée auprès des principales banques montre que les taux d'intérêts débiteurs se situent entre 22 et 24 % par an. Alors que tous les autres taux (emprunts hypothécaires, bons de caisse, livrets d'épargne, ...) ont baissé de manière spectaculaire ces dernières années, le taux d'intérêt débiteur pratiqué par les établissements de crédit n'a pas suivi le mouvement. Soit par laxisme, soit par ignorance, beaucoup de gens ne tentent pas de négocier, en cas de nécissité, un crédit à du 14 % par exemple. Il semble bien que les banques elles-mêmes ne montrent guère d'empressement à négocier spontanément avec leurs clients des emprunts visant à résorber leur découvert sur compte à vue. Plus grave encore, les banques refusent le moindre prêt à des clients aux revenus modestes, prétextant le risque encouru, mais les autorisant à tomber dans le piège du découvert sur lequel elles prélèvent d'office des taux d'intérêts excessifs.

Dans mon enquête, à la question de savoir si les taux d'intérêt appliqués sur les découverts bancaires apparaissaient usuraires, 96 % des gens interrogés ont répondu oui; 80 % estiment nécessaire de limiter les taux d'intérêt au niveau du taux négocié, beaucoup estiment par ailleurs que ce taux est encore trop élevé compte tenu du fait que les taux d'intérêt offerts sur comptes à vue sont extrêmement faibles (maximum 0,5 %).

Les articles 4 et 5 doivent rencontrer à la fois les remarques des clients, mais aussi s'attacher à des bases légales déjà bien établies, c'est-à-dire, le taux annuel effectif global maximum et le calcul actuariel (voir commentaires des articles).

Outre les sanctions prévues, la présente proposition de loi est assortie d'une disposition transitoire, visant à permettre d'en amortir les effets sur une période d'un an pour les clients qui vivent quasi en permanence avec un découvert supérieur au montant maximum désormais autorisé.

Dès l'entrée en vigueur de la loi, les découverts sur compte à vue supérieurs à 25 000 francs devront, soit être transformés en contrat de crédit régi par la loi du 12 juin 1991, soit remboursés pour la partie supérieure à 25 000 francs.

La conclusion d'un contrat de crédit dépend évidemment de la volonté des parties et de la solvabilité du client. Au cas où ce dernier serait dans l'obligation de rembourser le montant qui excède 25 000 francs, la loi prévoit que le consommateur bénéficie d'un délai maximum de douze mois.

L'A.B.B. (Association belge des banques) a déclaré que l'intérêt de ses membres n'était pas de compter de nombreux clients en découvert bancaire, compte tenu des risques importants encourus. Cette proposition de loi contribuera à réduire le montant global des découverts, limitera les risques de non-remboursement grâce à des taux plus raisonnables et ne pourra donc que rencontrer les justes revendications des consommateurs et les remarques des sociétés de crédit.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 4

En application de l'article 21 de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation, le Roi fixe le taux annuel effectif global maximum (T.A.E.G.) des crédits, en fonction de leur type, de leur montant et de leur durée.

Un T.A.E.G. maximum est ainsi fixé pour les ouvertures régies par la loi. Un arrêté royal fixe un T.A.E.G. maximum de 14 % pour les ouvertures de crédit pour lesquelles la carte n'est pas imposée par le prêteur comme moyen de prélèvement de crédit. C'est cette référence qui a été choisie, puisque dans le cas du découvert visé par la présente proposition de loi, l'utilisation d'une carte de paiement ou de légitimation n'est pas, dans tous les cas, imposées pour prélever de l'argent (on peut le faire par chèque, virement, domiciliation, ordre permanent, ...).

Il est utile de rappeler que le dernier T.A.E.G. maximum a été fixé par l'arrêté royal du 17 mars 1997 modifiant l'arrêté royal du 4 août 1992 relatif aux coûts, aux taux, à la durée et aux modalités de remboursement du crédit à la consommation, en vue de la fixation des taux annuels effectifs globaux maxima.

L'arrêté royal fixant un T.A.E.G. maximum est soumis à l'avis préalable du Conseil de la Consommation et de la Banque nationale de Belgique, sur la proposition conjointe du ministre de l'Économie et du ministre des Finances.

En l'espèce, il s'agit et il convient de le souligner, d'un taux annuel effectif global, tel que défini par l'article 1er , 6º, de la loi, à savoir « le coût total du crédit au consommateur exprimé en pourcentage annuel du montant consenti ».

Le T.A.E.G. couvre donc, non seulement l'intérêt débiteur, mais également tous les frais entraînés par l'instruction de la demande de crédit (les frais de dossier) et par l'exécution et la gestion du crédit.

Pour fixer le taux débiteur maximum des découverts sur compte à vue, il est donc insuffisant de se référer exclusivement au T.A.E.G. maximum des ouvertures de crédit régies par la loi. En effet, dans les cas des comptes à vue, les banques facturent, indépendamment du taux débiteur, des frais pour la gestion du compte, pour la remise des extraits de compte, pour l'exécution de virements, pour l'émission de chèques, pour le retrait d'argent, ...

Dans le cas des ouvertures de crédit régies par la loi, ces frais (à l'exception sans doute de ceux liés à l'émission de chèques) doivent être incorporés dans le T.A.E.G., puisqu'ils sont liés à la gestion du crédit.

Si l'on considère un montant annuel minimum de 750 francs réclamé par la plupart des établissements de crédit au titre de tarification pour la gestion d'un compte à vue, il est justifié d'amputer d'au moins 3 % le T.A.E.G. maximum fixé par le présent article, en considération d'un découvert de 25 000 francs maximum :
750
­­­ × 100 = 3 %.
25 000

Ces 3 % représentent donc le montant des frais réclamés dans le cadre de la tarification des services bancaires, frais qui ne doivent pas être compris dans le taux débiteur maximum et que les établissements de crédit réclament en sus de ce dernier.

Article 5

Comme l'imposent la loi du 12 juin 1991 et la directive européenne relatives au crédit à la consommation, il convient que les intérêts débiteurs soient calculés selon la méthode actuarielle. Cette méthode tient compte de la périodicité des paiements et du temps (1).

Certains établissements déterminent le calcul des intérêts débiteurs dus, soit tous les mois, soit tous les deux mois, soit tous les trois mois,...

En ce cas, comme le taux débiteur maximum est, quant à lui, exprimé sous forme d'un taux annuel, il convient d'indiquer la valeur du taux actuariel périodique appliqué. On ne peut, en effet, indiquer un taux nominal, puisqu'en réalité, c'est le taux actuariel qui est appliqué. Un taux nominal est trompeur pour le client, car il est généralement plus bas que le taux actuariel réel appliqué.

Francis POTY.

PROPOSITION DE LOI


Article premier

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

La présente loi s'applique à tous les comptes à vue ouverts auprès d'un établissement de crédit ainsi qu'à La Poste, lorsque le découvert n'est pas régi par la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation.

Art. 3

À l'article 3, § 1er , 4º, de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation, les mots « 50 000 francs » sont remplacés par les mots « 25 000 francs ».

Art. 4

Le taux d'intérêt débiteur annuel des comptes à vue visé par la présente loi ne peut excéder le taux annuel global maximum fixé en application de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation pour les ouvertures de crédit à durée indéterminée jusque 25 000 francs, pour lesquelles les coûts de la carte de paiement ou de légitimation ne doivent pas être repris dans le coût total du crédit, diminué d'un taux de 3 %. Ce taux de 3 % peut être modifié par le Roi en fonction de l'importance des frais réclamés par les établissements de crédit dans le cadre de la gestion globale du compte à vue.

Art. 5

Les intérêts débiteurs doivent être calculés conformément à la méthode actuarielle.

Lorsque les intérêts débiteurs sont calculés périodiquement, il y a lieu également d'indiquer la valeur du taux actuariel périodique appliqué.

Art. 6

Les infractions aux dispositions des articles 4 et 5 de la présente loi sont recherchées, constatées, poursuivies et punies, conformément aux dispositions des articles 81 à 84, et 101, § 1er , à 105, de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation.

Sans préjudice des sanctions de droit commun, le client est relevé de plein droit des intérêts débiteurs se rapportant à la période pendant laquelle l'infraction s'est poursuivie.

Art. 7

La présente loi entre en vigueur le premier jour du quatrième mois qui suit sa publication au Moniteur belge .

S'il ne veut ou ne peut conclure un contrat d'ouverture de crédit régi par la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation pour le découvert supérieur à 25 000 francs porté sur un compte à vue, le consommateur bénéficie d'un délai de douze mois pour rembourser ce découvert.

Francis POTY.
Francy VAN DER WILDT.
Philippe CHARLIER.

(1) Par exemple, à partir d'un taux débiteur de 12 % :

a) Sur base mensuelle, on appliquera la formule suivante : (1 + 12 %)1/12 - 1;

b) Sur base journalière, on appliquera la formule suivante : (1 + 12 %)1/365 - 1.