1-628/1 | 1-628/1 |
13 MAI 1997
(Déclaration du pouvoir législatif
voir le « Moniteur belge » n º 74 du 12 avril 1995)
Les auteurs de la présente proposition de révision de la Constitution, comme ils l'ont déclaré dans les développements de leur proposition de loi modifiant le Code de la nationalité (doc. Sénat, 1-629/1), pensent qu'est essentielle l'exigence de la nationalité pour l'exercice des droits politiques qui concernent la participation active à la souveraineté de la Nation.
L'article 8 de la Constitution lie précisément l'exercice de ces droits (le droit de vote, le droit d'éligibilité, le droit d'être nommé à une charge publique, ou encore, dans l'hypothèse où cette institution serait introduite dans notre droit, la participation à un référendum, ...) à la possession de la nationalité belge.
C'est la nationalité qui concrétise l'appartenance et l'adhésion à la Nation, c'est-à-dire à une communauté politique qui dépasse les appartenances ethniques, culturelles, linguistiques, religieuses, partisanes, ...
Elle détermine l'état des personnes dans leurs rapports avec la collectivité nationale.
Les dispositions constitutionnelles spécifiques à l'exercice d'un ou plusieurs droits politiques rappellent l'exigence de la nationalité.
L'article 33 de la Constitution précise que « tous les pouvoirs émenant de la Nation », et, par conséquent, de la collectivités des nationaux.
L'article 42 de la Constitution dispose que « les membres des deux Chambres représentent la Nation ».
Les articles 64 et 69 de la Constitution conditionnent l'éligibilité au Sénat ou à la Chambre des représentants à la possession de la nationalité belge. Les articles 61 et 67 réservent le droit de vote pour les élections législatives aux citoyens, c'est-à-dire dans le sens de notre Constitution, aux Belges jouissant des droits politiques.
L'article 10 de la Constitution fait de la nationalité belge une condition d'accès « aux emplois civils (publics) et militaires ». Les articles 97 et 104 spécifient plus particulèrement encore que seuls les Belges peuvent être ministres ou secrétaires d'État.
Enfin, les articles 90 et 91 de la Constitution rappellent le fondement et les origines des pouvoirs législatif et exécutif. L'article 90 dispose que, lors du décès du Roi, ses pouvoirs son exercés par les ministres réunis en conseil, « au nom du peuple belge ». Lors de sa prestation de serment, en vertu de l'article 91, le Roi s'engage à respecter « la Constitution et les lois du peuple belge ».
Il faut pourtant constater que l'on s'est longtemps limité à une analyse sommaire du lien nécessaire entre la nationalité et l'exercice des droits politiques, notamment lors de l'examen des questions soulevées par l'intégration politique des populations d'origine étrangère, et particulièrement celle de leur participation aux élections communales.
Le Conseil d'État, et, il faut le dire, une doctrine majoritaire, ont considéré que le pouvoir communal était un pouvoir politique au même titre que les autres pouvoirs, et que l'exercice des droits qui y étaient liés, vu le prescrit de l'article 8 de la Constitution, devait répondre à la même exigence de nationalité.
Le Conseil d'État a donc subordonné à une révision de l'article 8 de la Constitution la mise en oeuvre de l'article 8b du Traité sur l'Union européenne, accordant aux ressortissants d'un État membre de l'Union le droit de vote aux élections locales dans la commune où ils résident.
Le Conseil d'État a bien entendu tenu le même raisonnement lorsque certains ont envisagé d'accorder le droit de vote pour les élections communales aux ressortissants d'États extra-européens.
Certains arguments du Conseil d'État étaient fort pertinents. D'autres, présentés comme décisifs, l'étaient sans doute moins.
Le Conseil d'État a notamment affirmé que « le constituant paraît avoir voulu appliquer au niveau de la commune le principe de la souveraineté nationale affirmée par l'article 25 (33 nouveau) de la Constitution, sans distinctions entre les pouvoirs » (avis du 22 octobre 1980).
Mais alors que le Conseil d'État réclame la révision de l'article 8 de la Constitution pour rendre possible l'exercice de certains droits politiques aux étrangers résidant en Belgique, il ne relève pas la possible contradiction d'un raisonnement plaçant tous les pouvoirs, le pouvoir communal comme ceux relevant de la trilogie classique, sur le même pied. Ce raisonnement rend difficilement compatible avec l'article 33 de la Constitution (« Tous les pouvoirs émanent de la Nation »), l'octroi aux étrangers de quelque droit politique que ce soit, même en modifiant l'article 8.
En réalité, l'histoire du droit nous enseigne que le pouvoir municipal et le pouvoir provincial peuvent être distingués des autres pouvoirs, et répondent donc à des conditions d'exercice différentes.
Le constituant de 1831, en érigeant la commune en pouvoir, fait application de la théorie, en vigueur à l'époque, du « pouvoir municipal ».
Cette théorie considère la commune (et la province), non comme un pouvoir totalement politique, mais avant tout comme une entité chargée de tâches domestiques.
Seul un tel éclairage historique permet de comprendre l'article 41 de la Constitution, qui porte que « les intérêts exclusivement communaux et provinciaux sont réglés par les conseils communaux et provinciaux d'après les principes établis par la Constitution ». L'on évite souvent de commenter cette disposition, faute de comprendre la notion d'intérêts « exclusivement » locaux. Cet article fait pourtant une parfaite application de la notion de pouvoir local entendu comme un pouvoir privé gérant des affaires propres à un groupe social, envisagé distinctement de la communauté nationale, comme une communauté locale, et assimilé à une personne privée.
Le 14 décembre 1789, l'Assemblée nationale adopte un décret sur l'organisation des municipalités. L'article 49 du décret reconnaît précisément au pouvoir municipal des fonctions propres, en plus des fonctions que l'on peut lui déléguer.
La commune est donc un pouvoir, mais dans le sens où l'État reconnaît à toutes les communes de son territoire un droit d'initiative pour gérer leurs affaires propres, alors que sous l'ancien régime cette possibilité exceptionnelle faisait l'objet d'un privilège octroyé par le souverain.
On peut évidemment se demander comment le principe du pouvoir municipal autonome a pu prendre place dans un État qui se construisait entièrement sur le dogme de la volonté générale, et qui empêchait précisément toute situation d'immunité, et la subsistance des privilèges.
Cette contradiction apparente se résout justement par la théorie du pouvoir municipal : les communes gèrent des affaires privatives étrangères à l'intérêt général de la communauté nationale.
Dans cette perspective, la souveraineté de la Nation (entendue comme la communauté de ceux qui ont la nationalité de l'État) ne doit pas être mise en relation avec l'exercice du pouvoir au niveau local.
La Constitution de 1791 confirme que « les administrateurs des entités locales n'ont aucun pouvoir de représentation (de la Nation). Ils sont des agents élus à temps par le peuple pour exercer sous la surveillance et l'autorité du Roi des fonctions administratives. » Comment mieux souligner qu'ils ne participent pas à l'expression de la souveraineté nationale, puisqu'ils n'en sont pas les représentants.
Il faut par ailleurs remarquer que si la Constitution exige précisément la condition de nationalité pour l'exercice d'une série de droits politiques spécifiquement énumérés, et notamment certains droits électoraux, son article 162, alinéa 2, 1º, relatif aux élections communales et provinciales, ne rappelle pas cette condition.
Par ailleurs, les travaux préparatoires de la loi provinciale attestent bien que le constituant et le législateur considéraient les provinces au même titre que les communes, comme des corps administratifs et non des assemblées politiques.
Cette conception ancienne a repris un certain sens depuis que les conseils provinciaux ne sont plus appelés à désigner une partie du Sénat, qui, lui, est une assemblée politique dont les membres participent à l'exercice de la souveraineté.
En réalité, le pouvoir communal et le pouvoir provincial émanent bien de la Nation, mais de manière indirecte. Ils ne peuvent donc être assimilés aux autres pouvoirs.
Les pouvoirs locaux ne sont pas concernés au même titre que les autres pouvoirs par la souveraineté nationale, précisément parce qu'ils sont subordonnés au pouvoir exécutif (par le biais de la tutelle) et au pouvoir législatif (dans la mesure où la loi fixe les attributions des communes et des provinces en interprétant les notions d'intérêt communal ou provincial).
Aujourd'hui, l'on ne peut plus considérer les communes et les provinces uniquement comme de simples corps administratifs. Elles sont aussi des entités politiques, pour partie autonomes, pour partie décentralisées. Mais, quoi qu'il en soit, l'élection des mandataires locaux reste une affaire locale, dont la nature ne correspond pas à l'exercice des autres droits politiques directement liés à la souveraineté nationale.
Le fait de considérer les communes et les provinces comme des assemblées politiques ne permet pas, pour autant, de les assimiler à un parlement local qui mettrait en cause la souveraineté nationale.
Il est donc possible d'abandonner la condition de nationalité, mais uniquement pour l'exercice de certains droits politiques : les droits électoraux communaux et provinciaux. En tout état de cause, une révision plus radicale, qui supprimerait tout lien entre la nationalité et l'exercice des droits politiques, serait en fait limitée par d'autres dispositions constitutionnelles. Celles-ci, et particulièrement l'article 33, fondent notre conception de l'État. Leur révision éventuelle exigera une réflexion approfondie sur les fondements de notre ordre constitutionnel.
Mais il est certain, qu'outre la mise en oeuvre de l'article 8, b) , du Traité sur l'Union européenne, la révision proposée favorisera l'intégration des populations étrangères extra-européennes installées en Belgique.
C'est bien l'objectif de la présente proposition.
Toutefois, nous proposons que d'autres exceptions puissent être autorisées par la Constitution.
En effet, l'on peut imaginer que des ressortissants étrangers soient nommés à un emploi public, pour autant que celui-ci ne relève pas, stricto sensu, de l'exercice de la puissance publique. Une jurisprudence de la Cour européenne de justice consacre déjà cette possibilité pour les ressortissants de l'Union européenne.
L'article 10 de la Constitution est soumis à révision, et pourrait être modifié en ce sens.
De même, à considérer que l'on institute le référendum décisionnel au niveau local, il serait logique de permettre aux étrangers d'y participer, alors que, par hypothèse, ils auraient acquis le droit de vote et d'éligibilité.
Il reviendra évidemment au législateur de mettre en oeuvre la révision proposée, en modifiant en conséquence les codes électoraux des entités concernées.
Les auteurs de la présente proposition pensent d'autre part que l'intégration politique des étrangers doit être, pour être efficace, la plus complète possible. C'est pourquoi ils déposent conjointement une proposition de loi modifiant le Code de la nationalité, qui vise à faciliter l'acquisition de la nationalité belge, et à permettre par-là à ceux qui le souhaitent d'exercer tous les droits politiques liés à la qualité de Belge (doc. Sénat nº 1-629/1).
Roger LALLEMAND. Philippe MAHOUX. |
Article unique
L'article 8, alinéa 2, de la Constitution, est remplacé par les alinéas suivants :
« La qualité de Belge est requise pour l'exercice des droits politiques, sauf les droits électoraux provinciaux, communaux et intracommunaux, et les exceptions autorisées par la Constitution.
La Constitution et la loi déterminent quelles sont les autres conditions nécessaires pour l'exercice des droits politiques. »
Roger LALLEMAND. Philippe MAHOUX. Henri MOUTON. Robert HOTYAT. |