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Sénat de Belgique

SESSION DE 1997-1998

14 OCTOBRE 1997


Note introductive à un débat concernant les implications de la société de l'information

(Déposée par Mmes Milquet, Bribosia-Picard, M. Foret, Mme Lizin, MM. Jonckheer, Boutmans, Mme de Bethune et M. Goris)


I. INTRODUCTION

L'évolution technologique fulgurante de ces dernières années, nous confronte à de nouveaux défis. La société de l'information et plus spécifiquement les autoroutes de l'information sont à l'évidence des matières qui ont connu une évolution exponentielle. Il nous faut guider cette évolution et non point se faire conduire par elle; en tirer les avantages sans en subir les effets pervers; maîtriser cette évolution et non point se faire contraindre pas ses abus.

Lors des périodes de mutation technologique telle celle que nous traversons, les regards sont tournés vers l'avenir, mais les pensées suivent-elles ? Il faut réfléchir aux conséquences des décisions prises et des attitudes adoptées. Nous ne devons surtout pas simplement nous laisser entraîner par les circonstances. Le professeur d'université Marcus-Helmons, disait très justement que : « Plus que jamais, la réflexion s'impose si nous ne voulons pas être entraînés vers un monde dans lequel nous n'aimerions pas vivre. » (Silvio Marcus-Helmons, « Qui contrôle Internet ? », La Libre Belgique , lundi 22 janvier 1996).

Il semble dès lors utile que le Sénat relève les défis ouverts par la société de l'information. Une proposition de résolution allant dans ce sens et demandant la création d'une commission spéciale pour analyser l'impact de la société de l'information a d'ailleurs été déposée par MM. Jonckheer et Boutmans (Doc. Sénat nº 136/1 du 24 octobre 1995). Le sujet est d'avenir, il touchera toutes les couches de la population et tous les domaines (justice, économie, culture,...).

En effet, près de vingt-six millions d'individus sont aujourd'hui connectés à Internet aux U.S.A. et plus d'une quarantaine de millions à l'échelle planétaire !

La présente proposition axe plusieurs de ses réflexions sur Internet qui n'est ­ faut-il le rappeler ­ qu'un réseau parmi les réseaux. Internet semble préfigurer ce que seront demain les autoroutes de l'information.

Le Sénat dans son rôle de « chambre de réflexion » est le lieu par excellence où cette matière doit être abordée :

­ chambre de réflexion à fonction législative : ce débat de société sera prolongé par des propositions législatives concrètes, là où elles sont indispensables;

­ interlocuteur privilégié sur toutes les questions internationales : notre réflexion sur les multimédias ne peut que se faire dans une perspective européenne et mondiale;

­ lieu de rencontre entre l'État fédéral et les Communautés et Régions : certains des aspects qui seront abordés lors des débats sur la société de l'information toucheront immanquablement aux compétences régionales et communautaires. La commission des Affaires institutionnelles, élargie aux sénateurs de communauté, constitue donc un forum idéal de discussion.

Vu l'ampleur de la problématique et l'urgence d'une réflexion politique à ce sujet, il serait indispensable que le Sénat organise son premier grand débat en commissions et en séance plénière avec des experts pour tenter de définir les enjeux, cerner l'ensemble des problèmes posés par la révolution de l'information et tenter de rechercher les solutions législatives adéquates. Ce débat permettrait en outre d'établir un état des lieux concernant notamment les décisions et les négociations au sein de l'O.N.U., de l'Union européenne, de l'État fédéral et des entités fédérées. À l'issue de ce débat et après le dépôt d'un rapport circonstancié des débats, les commissions concernées devraient approfondir la réflexion dans les matières fédérales ciblées lors de ce débat et préparer un rapport contenant les propositions concrètes de modifications législatives indispensables ainsi que des propositions de stratégies politiques.

En raison du nombre de matières touchées par cette révolution de l'information, le débat pourra difficilement se limiter aux seules matières fédérales. Aussi, les représentants des régions et des communautés y seront également conviés et pourront par la suite en tirer les conséquences dans leurs assemblées respectives.

II. THÈMES PRINCIPAUX DU DÉBAT

Le débat devrait notamment porter sur les thèmes suivants :

1. Emploi, délocalisation et télétravail

Il est évidemment impossible de prévoir très exactement toutes les conséquences que les autoroutes de l'information auront sur l'emploi à moyen ou à long terme. Par contre, il est certain que cette société de l'immatériel modifiera fondamentalement la structure globale de l'emploi. Aujourd'hui, nous sommes à même d'établir un constat sur la situation actuelle. Il nous appartient ensuite de tenter d'extrapoler celle-ci.

L'enjeu économique est de taille et déjà de nombreuses alliances transnationales ont été créées. Ces alliances devront être surveillées car elles peuvent avoir des effets pervers (délocalisation, disparition de sociétés belges,...).

Aujourd'hui, plusieurs compagnies font traiter leurs données informatiques (encodage, traitement, calcul,...) dans des pays qui, comme la Chine ou l'Inde, pratiquent des salaires bien inférieurs aux nôtres par le biais d'une protection sociale minimale ou même inexistante. Il nous appartiendra de donner à nos entreprises des armes suffisantes pour combattre cette concurrence mais aussi pour les influencer à ne pas « délocaliser ». Diverses méthodes devront être utilisées. L'une est de créer un cadre stratégique permettant à nos sociétés de concurrencer ces prix inférieurs par une qualité de travail bien supérieure.

Cette société de l'information mènera également à la multiplication de nouveaux types de services aux personnes. Elle créera ainsi de nouveaux emplois tout en détruisant d'autres. Il semble difficile de savoir si la balance finale des emplois perdus par rapport aux emplois gagnés sera positive ou négative. Par contre, on sait d'ores et déjà que les emplois créés seront hautement qualifiés. C'est pourquoi il nous appartiendra de mettre l'accent sur l'éducation de la population en général et des jeunes en particulier aux nouvelles technologies (voir le point 4).

Quant à la structure de l'emploi, un des corollaires d'une société de l'information semble être le télétravail ou travail à domicile. En Belgique, à l'heure actuelle, il faut bien constater que le télétravail est fort peu répandu. Par contre, le télétravail a connu une expansion certaine dans d'autres pays de l'Union européenne. Après analyse de ce phénomène, la Commission européenne prône d'ailleurs l'augmentation du télétravail.

Ce mode de travail a des avantages significatifs que ce soit en matière environnementale (déplacement, ...) de conciliation avec la vie privée mais aussi en ce qui concerne l'intégration dans la vie professionnelle de certaines personnes atteintes de handicaps. C'est d'ailleurs dans cet esprit que le gouvernement fédéral a lancé quelques expériences pilotes.

Pourtant, il ne faut pas se leurrer, si le télétravail octroiera certes davantage de possibilités aux personnes handicapées, une meilleure insertion devra obligatoirement passer par un changement de mentalité chez les employeurs potentiels.

A contrario, ce télétravail peut également avoir certains effets pervers car il entraîne une déshumanisation du travail et la disparition de tout esprit de collectivité. Nous assisterions alors aussi à une perte de toute distinction entre sphère de travail et sphère de la vie privée avec tout ce que cela pourrait entraîner comme abus. Toutes les études réalisées jusqu'à présent ont d'ailleurs démontré que le télétravail ne se suffisait pas en lui-même. Pour un bon travail, des réunions et des échanges physiques resteront toujours nécessaires à intervalles réguliers.

Enfin, le télétravail entraîne une flexibilité interne et externe des entreprises, ce qui semble avoir autant d'avantages que d'inconvénients.

Il découle de tout ce qui précède que le droit du travail et plus généralement le droit social, en ce compris le fonctionnement et le rôle des syndicats, devra être modifié pour tenir compte de ces nouvelles évolutions du « travail ».

2. Propriété, localisation et utilisation des réseaux et de leur infrastructure

La libéralisation des télécommunications sera totale en Europe dès le 1er janvier 1998. Nous devons continuer à nous y préparer pour adoucir le choc de la concurrence. Nous devrons, à l'instar de l'Union européenne, investir davantage dans la recherche et le développement ainsi que dans la recherche de nouveaux financements pour les sociétés développant de nouvelles technologies. (Voy. Rapport Bangemann, « L'Europe et la société de l'information planétaire » , Recommandations au Conseil de l'Europe, 26 mai 1994, Bruxelles).

Il semble primordial de réfléchir dès aujourd'hui aux potentialités ouvertes par la libéralisation du câble ainsi que sur la possibilité de soutenir institutionnellement et financièrement des synergies entre le secteur de la câblo-distribution et les opérateurs de téléphonie vocale. Actuellement, à Liège, l'intercommunale Ale-Télédis joue un rôle de précurseur : elle vient de mettre en service dans la province de Liège le réseau informatique EPLnet basé sur les circuits de télédistribution (fibre optique). Le projet pilote de Louvain-la-Neuve (Campus Net) est également significatif à cet égard : depuis la rentrée académique 1996, il est branché sur Internet par la télédistribution.

Ce système permettrait d'atteindre sans grand frais la majorité des foyers et serait d'une beaucoup plus grande rapidité que le réseau téléphonique déjà surchargé. En toute hypothèse, il faut être conscient que le développement des véritables autoroutes de l'information passera dans l'avenir par la communication par satellites.

Des politiques de normes et une politique économique audacieuse devront être mises en place afin que la Belgique puisse faire face à la concurrence au sein de l'Europe mais aussi vis-à-vis de pays comme les États-Unis ou le Japon. Notre gouvernement devra réfléchir au soutien qu'il peut apporter à nos industries.

Par ailleurs, on sait que les investissements prévus pour réaliser les inforoutes sont tellement considérables qu'ils ne peuvent essentiellement être supportés que par le secteur privé. Le Livre blanc de la Commission européenne suggère d'ailleurs de ne recourir au concours financier des autorités publiques nationales et communautaires que de façon marginale et incitatrice. (Commission européenne 1994, « Croissance, compétitivité, emploi ­ Les défis et les pistes pour entrer dans le XXIe siècle » , Livre blanc, Luxembourg, 1994).

Ceci est de nature à nous interpeller : les règles de l'éthique démocratique sont-elles totalement superposables à celles du marché ? (M. d'Udekem-Gevers, « Autoroutes de l'information et multimédia : quelques problèmes éthiques et risques pour la société » , cahiers de la CITA AI 2, F.U.N.D.P., Namur).

Nous savons également dès aujourd'hui que, une fois la réalisation des premiers investissements effectuée, l'essentiel de l'activité économique sera réalisé par les prestataires de services à valeur ajoutée.

Il faudra, par conséquent, étudier la possibilité de stimuler ce secteur d'activité pour éviter que la Belgique soit à la traîne par rapport à ces principaux concurrents. Nous devrons donc adopter une politique de soutien tant en matière d'aide à la recherche qu'en matière d'investissement.

3. Accès à l'information et service universel

Le téléphone et la télévision ont bénéficié d'un système « public », ce qui en a fait des services universels accessibles à tous. Plusieurs questions se posent d'ores et déjà en ce qui concerne la société de l'information.

­ Comment créer un accès équitable pour tous ?

­ Les prix pratiqués rendront-ils ces services accessibles au plus grand nombre ou bien sera-t-il nécessaire de réglementer les prix ?

­ Existent-ils des services essentiels constituant une sorte de minimum « vital » ?

­ L'enseignement à distance sera-t-il l'un de ces services essentiels ?

­ Quelle infrastructure sera mise à la disposition du public pour qu'il puisse accéder à la masse d'informations présentes sur ces « autoroutes de l'information » ?

La société de l'information et la masse d'informations transitant sur le réseau constitueront un atout certain pour tous ceux qui seront à même d'y accéder et de les utiliser.

C'est pourquoi, ni les règles économiques, ni les règles institutionnelles ne doivent empêcher l'accès de tous aux services « essentiels » qui pourraient transiter via ces autoroutes de l'information.

Pour conserver une société équitable, il faudra prévoir des mesures permettant même aux plus défavorisés d'avoir un accès aisé, à un prix abordable et dans des lieux publics (bibliothèques, services communaux, services régionaux de l'emploi, universités et instituts supérieurs, ...), à cette masse d'informations.

Il s'agit là de l'unique moyen pour éviter la création d'une nouvelle discrimination entre ceux qui ont accès à l'information et ceux qui n'y ont pas accès. Nous savons que, déjà aujourd'hui, la majorité de l'information est consultée par une très petite minorité de la population. Si l'on veut éviter que ce clivage se reproduise et sans doute s'accentue au niveau des autoroutes de l'information, il faudra mettre en place les moyens nécessaires à la démocratisation du système ainsi que prévoir des lieux d'éducation à ces nouvelles techniques de communication pour toutes les tranches d'âges de la population (exemple au sein des cours de formation sociale).

Si on ne respecte pas ces éléments essentiels, la société de demain sera sans conteste de plus en plus créatrice d'exclusion, d'inégalité, d'isolement, d'analphabétisme technologique, ... Nous créerions alors une nouvelle fracture entre info-riches et info-pauvres.

Par contre, nous devons éviter que la seule potentialité de creuser ce fossé n'entraîne un rejet pur et simple des nouvelles technologies.

Aujourd'hui, Internet est tout à la fois un phénomène de société et un enjeu économique, et ce même si certains restent sceptiques.

En Belgique, le nombre d'utilisateurs réguliers est estimé à approximativement 200 000 personnes et ce chiffre augmente de 10 à 15 % par mois. Le nombre de sites Internet pour l'ensemble de la Belgique est évalué à 1 700. Force est pourtant de constater que 80 à 85 % des initiatives en ce domaine viennent de Flandre. Bruxelles et la Wallonie sont à la traîne.

Les femmes sont peu présentes sur le réseau même si leur nombre augmente régulièrement (8 % en 1995). La moyenne d'âge augmente également puisqu'elle est passée de 31 ans en 1994 à 35 ans. Mais pour une augmentation significative, le gouvernement devra mettre sur pied une véritable politique d'éducation.

Afin d'offrir un accès à tous, il faut qu'il y ait également partout des « access providers », c'est-à-dire des sociétés grâce auxquelles les utilisateurs peuvent avoir accès aux informations qui transitent par Internet. Or, le sud de la Belgique est particulièrement moins bien loti puisque, si à Bruxelles l'utilisateur a le choix entre 26 providers, certaines régions n'ont aucun point d'accès.

En conséquence, si nous souhaitons réellement un service universel, il nous faudra également stimuler l'implantation d'« access providers » sur tout le territoire belge.

Il est évident qu'on ne peut pas parler de service universel sans étudier les problèmes économiques soulevés précédemment à propos des inforoutes. En effet, si le secteur privé supporte seul, ou quasiment seul, les coûts des autoroutes de l'information, il existera alors un risque de dénaturation du contenu des inforoutes. On est en droit de se demander ce qu'il adviendrait alors du financement des services non lucratifs mais d'intérêt social ou culturel (tels la télé-assistance aux personnes et les télé-services éducatifs). De même, n'y aurait-il pas une menace de limitation des services offerts et de contrôle de l'information disponible par les fournisseurs d'accès ?

Il semble donc que pour préserver tant les valeurs démocratiques que l'universalité de l'accès il soit préférable de ne pas abandonner les autoroutes de l'information aux seules forces du marché. Ainsi que le souligne Mme Marie d'Udekem-Gevers, les gouvernements ont un rôle à assumer, non seulemment au niveau des réglementations à adapter ou instaurer, mais aussi comme garants de l'intérêt public. C'est pourquoi nous devrons essayer de concilier harmonieusement les exigences des investisseurs et les attentes profondes de la population (Benoît Lips, « Internet en Belgique », éd. Best Of, 1996).

Il sera toujours plus compliqué d'utiliser un terminal d'ordinateur relié à un réseau interactif qu'une carte bancaire. Or, aujourd'hui encore, une frange de notre population parmi les individus les plus fragilisés (personnes âgées, marginaux, analphabètes) éprouvent des difficultés lors de l'utilisation de terminaux bancaires. Si l'évolution ne s'opère pas de manière naturelle, il sera nécessaire, pour le développement harmonieux de notre société, d'organiser des lieux d'éducation ouverts spécifiquement à cette catégorie de la population. En effet, il faut éviter que les personnes âgées soient exclues de ce que d'aucuns appellent la plus grande révolution de ce millénaire.

4. Éducation et démocratie

Les inforoutes peuvent se révéler une chance exceptionnelle pour la société. Car tout réseau d'information, a fortiori s'il est multimédia, est, par essence, un outil potentiel de cohésion sociale (par exemple pas d'a priori quant aux personnes physiques) et de réduction des inégalités. Mais en raison d'obstacles à l'accès aux inforoutes et à leurs informations, ces mêmes autoroutes de l'information peuvent se révéler un vecteur d'accroissement des inégalités ou de perte de cohésion sociale (par exemple diminution des contacts humains).

Les obstacles sont essentiellement financiers; mais ils sont aussi parfois intellectuels. En effet, l'utilisation de ces technologies requiert actuellement un certain niveau d'instruction, d'apprentissage et... de connaissance de l'anglais élémentaire !

Les inforoutes nous obligeront à modifier certaines de nos méthodes d'enseignement. Chacun s'accorde en tout cas à dire que l'école de demain devra intégrer les nouvelles technologies à tous les niveaux scolaires.

Il est en tout cas certain que l'on ne peut tenter de recréer une nouvelle démocratie sans se préoccuper des problèmes actuels que pose la perte de contrôle d'une sorte de médiacratie où les opinions l'emportent sur les votes. L'organisation de la cité fondée sur la démocratie représentative risque d'être de plus en plus dépassée par les faits. Ainsi qu'on l'a déjà évoqué, les technologies de l'information et de la communication engendrent des opportunités et des risques que la plupart des politiciens ne perçoivent pas. Les nouvelles technologies permettent aux citoyens de participer autrement à la vie de leur communauté et d'être beaucoup mieux informés. Cependant, par la rapidité de transmission et les relations directes qu'elles peuvent développer, elles sont susceptibles de remettre en cause les procédures démocratiques et le principe de la représentation. Elles risquent de faire disparaître l'aspect humain et relationnel, d'automatiser la politique, en favorisant une démocratie « presse-bouton » et en sortant les formations politiques des lieux habituels de « socialisation politique ».

Ces nouvelles technologies semblent favoriser les formes de démocratie directe. Les arguments soulevés lors des débats relatifs au référendum, et notamment le caractère représentatif de notre démocratie ou le problème de la formulation des questions posées, sont pleinement applicables ici.

5. Culture et emploi des langues

La technologie est sans doute l'avenir... mais il ne faudrait pas oublier nos racines et tout ce qui fait notre spécificité au profit d'une culture sans doute mondiale mais fortement appauvrie.

La richesse de la culture consiste en sa diversité, dit-on ! Gardons-nous donc de réduire celle-ci au plus petit commun dénominateur.

Nous avons la chance en Belgique d'avoir trois langues nationales et plusieurs patrimoines culturels, les autoroutes de l'information devraient être un moyen unique de faire rayonner notre culture et nos langues à travers le monde entier. C'est pourquoi, il nous appartient de stimuler l'emploi de nos langues nationales sur ces réseaux transnationaux afin d'éviter que la langue anglaise ne supplante définitivement toutes les autres, notamment en incitant la créativité de nouveaux produits multimédias nationaux en utilisant ces nouvelles technologies et, dans la mesure du possible, en donnant la préférence à l'utilisation de leur langue maternelle.

6. Droit civil et pénal

La société actuelle est caractérisée par une modification des caractéristiques de la criminalité puisque sévit aujourd'hui de plus en plus la criminalité organisée.

Il faudra adopter les mesures nécessaires pour éviter que la société de l'information ne lui donne davantage de moyens pour contourner les lois en vigueur et adapter notre droit pénal. Dans cet esprit, la question du cryptage des informations devra certainement être placée au coeur du débat puisque d'un côté elle protège les consommateurs privés et professionnels en leur permettant de se transmettre certaines données confidentielles et que d'un autre côté elle permettrait une internationalisation de la criminalité.

Par ailleurs, les atteintes aux moeurs peuvent se développer dramatiquement si nous n'avons pas de réponse législative adéquate.

Il faudra étudier dans quelle mesure les règles législatives actuelles devront être modifiées afin de s'adapter aux nouvelles formes de communication (formation du contrat, modes de preuves, vie privée, terrorisme, débauche, pornographie, ...) (Olivier Hance, « Business et Droit d'Internet » , éd. Best Of., 1996).

Il sera nécessaire également de définir quelles règles législatives sont applicables à des réseaux qui sont, par essence transnationaux (E. Crabit et J. Bergevin, « Le cadre réglementaire des services de la société de l'information : laboratoire pour un nouveau droit du marché intérieur » in Revue du Marché unique européen , 1995, p. 54 et suivantes).

La question de la création d'un organisme de contrôle reste controversée et devra donc être discutée. Certains penchent pour une tentative d'autorégulation via notamment des codes de déontologie. D'autres, par contre, craignent que pareille autorégulation ne soit pas suffisante et prônent un contrôle strict des diverses activités des réseaux. La société de demain devra vivre avec ces nouvelles techniques de communication qui permettront l'accès des plus jeunes à des bases d'informations parfois dangereuses pour leur équilibre.

7. Protection des droits intellectuels

Certes, il faut éviter les excès et éviter de considérer que tout et n'importe quoi est protégé ou protégeable. Par contre, les risques de dérive et de violation des droits intellectuels en ce compris le droit d'auteur seront multipliés (A. Strowel, Droits d'auteur et Copyright ­ Divergences et convergences ­ Étude de droit comparé, Bruxelles, Bruylant, 1993 et K. Benyekhlef, « Réflexions sur le droit de la protection des données personnelles à la lumière des propositions de la Commission européenne » in Media and Communications Law Review, 1991-1992, p. 149 et suivantes). Des mesures strictes devront être adoptées; mais une concertation avec les autres pays ­ au niveau européen dans un premier temps et au niveau mondial ensuite ­ sera particulièrement nécessaire puisque le propre des autoroutes de l'information est de rendre disponible partout dans le monde une donnée ou une information. (S. Gagne, « La protection juridique de la réalité virtuelle ou l'imbroglio juridique dans l'univers de l'électro-bohème » in les Cahiers de propriété intellectuelle, janvier 1995, vol. 7, nº 2, p. 181 et suivantes).

On a déjà eu l'occasion en Belgique de commencer à débattre de ce délicat problème des rapports entre droits intellectuels et Internet. En effet, dès le début de l'exploitation commerciale de « Central Station » qui met en l'espace d'une nuit les articles de toute la presse belge sur le réseau Internet (voir ci-avant), l'Association représentative des journalistes belges (A.G.J.P.B.) de même que les sociétés de droits d'auteur (S.A.J. et Sofam) sont montées au créneau en affirmant qu'en diffusant ces articles sans l'accord de leurs auteurs « Central Station » violait de façon flagrante le droit d'auteur.

On constate que les discussions juridiques et financières en la matière n'en sont qu'à leurs prémices (Olivier Hance, « Business et Droit d'Internet » , éd. Best Of., 1996).

8. Confidentialité et protection de la vie privée

La Belgique a la chance de bénéficier d'une législation assez stricte en matière d'utilisation et de détention de fichiers informatiques. Pourtant cette législation devra peut-être être révisée pour faire face au risque croissant de dérive causé par la société de l'information. En effet, les risques de pistages, de catégorisation des individus et d'utilisation commerciale de leurs données personnelles seront bien plus importants que par le passé. (Conseil de l'Europe, Les nouvelles technologies : un défi pour la protection de la vie privée ?, Strasbourg, 1989).

Le cryptage des informations évoqué ci-dessus permettrait à chacun de conserver une sphère de vie privée même si, nous l'avons souligné, ce serait une voie en or pour la criminalité internationale. Dès lors, que faut-il penser des dernières réflexions qui octroieraient la permission à chacun de crypter ces envois à condition de remettre le code à un ministère quelconque qui le garderait à la disposition de la justice ? Ces codes resteraient-il secrets ? Comment savoir si chacun a donné son code si ce n'est en ouvrant et en essayant d'ouvrir le courrier privé des utilisateurs du réseau ?

Le cryptage des informations pose donc le dilemme suivant : comment permettre le développement des moyens pour protéger la sécurité et la confidentialité de l'information tout en ménageant une possibilité de contrôle des autorités judiciaires et des services de renseignement, dans tous les cas où le respect du droit et de l'intérêt général l'exigent ?

On ne peut en effet accepter que les nouveaux systèmes de télécommunications facilitent les activités délictueuses mais on ne peut non plus accepter que la lutte contre ces activités se fasse au mépris du respect de la vie privée.

Il faut conserver une distinction entre lieux privés et publics avec pour chacun d'eux une protection différenciée de la vie privée. La commission relative à la protection de la vie privée fonctionne en ce sens et il faudra sans aucun doute qu'elle accentue encore son travail dans les prochaines années.

Bill Gates, le magnat de l'informatique et des multimédia admet lui-même qu'il faudra prévoir à court terme une réflexion concernant les envies de nombreux pays de limiter l'accès à certains types de documents. Selon lui, « les Gouvernements doivent travailler de concert pour préserver la libre circulation » sur Internet.

II. PROCÉDURE

La procédure se déroulerait de la manière suivante :

1. Préparation du débat (1 er semestre 1998)

Le thème du débat étant tellement vaste, il nous paraît préférable de préparer le débat en séance plénière lors de la commissions préliminaires. Nous avons d'ailleurs scindé le thème principal en cinq sous-thèmes qui se rattachent chacune à une commission permanente du Sénat.

Chaque commission devrait créer un groupe de travail ad hoc chargé de rédiger un pré-rapport sur son thème spécifique afin de préparer la séance plénière. Pour ce faire, elle peut organiser différentes réunions publiques avec les experts nécessaires pour discuter des sujets qui lui sont attribués.

Certains de ceux-ci se recoupent inévitablement sur l'un ou l'autre aspect. Toutefois, ils seront analysés sous des angles différents suivant qu'ils seront traités par telle ou telle commission.

Les thèmes seraient distribués de la manière suivante :

a) « La société de l'information et le droit »

Commission de la Justice

Sans être exhaustif, il conviendrait d'y traiter notamment de :

· Criminalité organisée :

­ Internet, instrument de lutte et de prévention;

­ Internet, facteur de développement de la criminalité et du terrorisme;

· Terrorisme informatique (« cybergang ») et nouvelles infractions pénales;

· Lutte contre le racisme, la xénophobie, le négationnisme;

· Atteintes aux moeurs, développements des sectes;

· Protection des droits intellectuels;

· Confidentialité et protection de la vie privée (cryptage, ...);

· Encryptage;

· Droit des contrats et droit commercial;

· Règles de conflit de loi (Droit international privé);

· ...

b) « La société de l'information et le développement économique »

Commission des Finances et des Affaires économiques

Sans être exhaustif, il conviendrait d'y traiter notamment des thèmes suivants :

· Développement des infrastructures technologiques (fibres optiques, ...);

· Libéralisation du marché des télécommunications, libre concurrence et fin des monopoles;

· Service public universel et libre accès tant des utilisateurs que des fournisseurs;

· Taxation des flux informatiques;

· Diminution du taux de T.V.A. sur l'équipement informatique (hardware et software);

· Stratégies de développement et de création d'industries et de P.M.E. performantes dans le domaine des multimédias;

· Mise en place d'une véritable politique de recherche et de développement;

· Conséquences bénéfiques sur l'environnement et sur la saturation de notre réseau autoroutier;

· Parrainage et publicité virtuelle;

· ...

Certains de ces sujets recoupent des compétences régionales.

c) « la société de l'information et le monde du travail »

Commission des Affaires sociales

Sans être exhaustif, il conviendrait d'y traiter notamment de :

· Emploi, flexibilité et lutte contre le chômage;

· Télétravail : le travail à distance modifie les relations contractuelles entre le travailleur et son employeur.

a) Un certain nombre d'aspects juridiques doivent être abordés :

­ temps de travail,

­ nature de la relation juridique avec l'employeur,

­ accidents de travail,

­ ...

b) En outre, les conséquences sociales ne sont pas négligeables :

­ isolement dans le travail : l'entreprise perd sa fonction de lieu de sociabilité;

­ confusion entre l'espace privé, symbolisé par le domicile, et l'espace professionnel;

­ vie de famille facilitée;

­ structures pour l'accueil des enfants moins indispensables;

­ lutte contre l'exclusion sociale : une société de l'information pour tous, y compris les moins favorisés et les personnes âgées;

­ délocalisation : harmonisation des législations sociales (O.I.T., ...).

d) « La société de l'information et la démocratie »

Commission de l'Intérieur et des Affaires administratives

Sans être exhaustif, il conviendrait d'y traiter notamment de :

· Transparence dans l'administration : développement de structures de communication basées sur l'informatique pour faciliter la coordination et le dialogue entre les citoyens et le secteur public;

· Simplification des démarches administratives grâce à une meilleure communication entre le secteur public et le secteur privé;

· Médiateur pour mieux rencontrer les souhaits des citoyens;

· Rôle des pouvoirs locaux dans le développement de la société de l'information;

· La démocratie directe : participation accrue du citoyen à la prise de décision politique; véritable contrôle démocratique par le biais d'un accès aisé aux documents des assemblées législatives; rapprochement des hommes politiques de chaque citoyen, ...;

· Sens nouveau à donner à la liberté d'expression.

e) « La société mondiale de l'information »

Commission des Affaires étrangères

Sans être exhaustif, il conviendrait d'y traiter notamment de :

· L'Union européenne et de son rôle face au défi multimédias (grandes infrastructures européennes, harmonisations technologiques, standards juridiques internationaux, rééquilibrage des disparités régionales, ...);

· Développement du commerce extérieur, place de l'Union européenne face aux États-Unis et au Japon;

· Aide aux pays en voie de développement : la société de l'information doit se construire avec tous les pays. Elle peut servir d'outil afin de résorber certains écarts Nord/Sud et de rapprocher ces pays.

· Création d'un organe de déontologie international;

· ...

Chacune des commissions déposera un pré-rapport faisant état des différents problèmes soulevés dans son domaine par la société de la communication et du type de législation souhaitable.

2. À partir de septembre, le bureau élargi aux présidents de commission est chargé d'organiser le débat de deux à trois jours en séance plénière, d'inviter les experts nationaux et internationaux les plus reconnus et de coordonner l'organisation des séances préliminaires de commission.

3. Le débat en séance plénière a lieu durant le 2e semestre 1998.

4. Après le débat, un rapport général des débats est rédigé et les groupes de travail de chaque commission sont chargés de préparer les initiatives législatives qui s'imposent en recourant, le cas échéant, à des experts.

Joëlle MILQUET.
Michèle BRIBOSIA-PICARD.
Michel FORET.
Anne-Marie LIZIN.
Pierre JONCKHEER.
Eddy BOUTMANS.
Sabine de BETHUNE.
Stephan GORIS.